Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 99 II 207



99 II 207

29. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 13 juin 1973 dans la cause
Pazmandy contre dame Rappaz, Aeberhardt et La Générale de Berne. Regeste

    Versorgerschaden (Art. 45 Abs. 3 OR), Genugtuung (Art. 47 OR).

    Bedürftigkeit der unterstützten Person (Erw. III 1-2).

    Erwerbsfähigkeit des Versorgers; massgebendes Einkommen (Erw. III 3-4);
Berücksichtigung von Tatsachen, die sich nach dem Tod ereignet haben? (Erw.
III 6).

    Einkommen des Ehemannes (Versorgers), das für die Ehefrau (Versorgte)
aufgewendet wurde (Erw. III 5).

    Anrechnung erbrechtlicher Vorteile (Erw. III 7).

    Herabsetzung der Entschädigung wegen Mitverschuldens oder krankhafter
Veranlagung der unterstützten Person? (Erw. III 8).

    Bestimmung der Genugtuungssumme (Erw. IV).

Sachverhalt

                        Résumé des faits:

    Louis Rappaz a été tué le 1er décembre 1960 dans un accident de la
circulation où étaient impliqués les véhicules automobiles appartenant à
Béla Pazmandy, Carlo Riolo, Werner Wymann et Fritz Aeberhardt, ce dernier
assuré auprès de La Générale de Berne.

    Sa veuve Rappaz-Peneveyres a ouvert action contre Pazmandy et Riolo,
solidairement, en paiement de 170 800 fr. La Cour civile du Tribunal
cantonal vaudois a reconnu les défendeurs ainsi que l'évoqué en garantie
Wymann solidairement débiteurs de la demanderesse de 82 700 fr., cette
somme comprenant le dommage matériel, par 4500 fr., la perte de soutien,
par 70 200 fr., et le tort moral, par 8000 fr.

    Le défendeur Pazmandy recourt en réforme au Tribunal fédéral. Il
demande notamment que sa dette envers la demanderesse soit réduite
à 8500 fr. Dans un recours en réforme joint, la demanderesse conclut
principalement à ce que le montant du dommage soit fixé à 144 720 fr. Le
Tribunal fédéral a admis partiellement le recours du défendeur Pazmandy
et rejeté celui de la demanderesse. Il a fixé à 45 800 fr. le montant dû
à celle-ci par le défendeur Pazmandy.

Auszug aus den Erwägungen:

                    Extrait des considérants:

    III. Perte de soutien

Erwägung 1

    1.- Avec raison, le recourant ne conteste pas le besoin de soutien
de la demanderesse, au sens de l'art. 45 al.3 CO. Agée de 64 ans lors de
l'accident, elle n'aurait plus pu continuer longtemps à exploiter deux fois
par semaine le banc de marché qu'elle tenait avec son mari. Celui-ci, de
seize ans son cadet, aurait ainsi été seul à entretenir le ménage. Selon
les constatations du jugement déféré, "le découragement provoqué par le
décès de son mari, la maladie et l'alcoolisme aidant", la demanderesse
"n'a rapidement plus été en mesure de travailler et de gagner sa vie".

Erwägung 2

    2.- Le Tribunal cantonal considère que la demanderesse a eu besoin
d'être soutenue dès le jour du décès de son mari. Le recourant fait valoir
qu'après ce jour, elle a conservé "au moins durant quelques années une
capacité de gain qui est loin d'être négligeable".

    A la suite du décès de son mari, la demanderesse a continué seule,
avec peu de succès, à exploiter le commerce pendant deux ans et demi. Elle
a réalisé à dire d'expert un bénéfice net de 2320 fr. en 1961 et de 4455
fr. en 1962, chiffres que les premiers juges qualifient d'"un peu trop
faibles". On peut donc admettre avec eux que "la demanderesse eût cessé
assez rapidement de travailler vu son âge et son état de santé", ainsi
que son alcoolisme.

    Néanmoins, le besoin d'un soutien total ne se serait pas fait sentir à
la date de l'accident. L'évolution de maladies telles que l'artériosclérose
et l'alcoolisme est progressive. Il y a lieu de tenir compte de la capacité
de travail de l'épouse et de la contribution ainsi apportée à son propre
entretien jusqu'au moment où elle aurait été entièrement à la charge de
son mari. Une réduction de 10% du soutien accordé à la veuve se justifie
en considération de ce facteur (cf. RO 65 II 257 consid. 3 c, 66 II 220
s.; OFTINGER, Schweizerisches Haftpflichtrecht I, 213).

Erwägung 3

    3.- La Cour civile a estimé à 17 500 fr. le gain qu'aurait réalisé
Louis Rappaz s'il avait vécu. On peut se demander, selon elle, s'il
n'aurait pas préféré, plutôt que de continuer seul l'exploitation
déclinante d'un banc de marché, se reconvertir dans le métier de courtier
en fruits et légumes indépendant ou au service d'un grand magasin,
activité à laquelle il était préparé et encore en âge de s'adapter. Il
aurait alors gagné entre 15 000 et 20 000 fr. l'an. S'il avait continué
seul l'exploitation du banc de marché, ses gains n'auraient pas dépassé
de beaucoup 15 000 fr. l'an.

    Les parties sont unanimes à critiquer le jugement déféré dans la mesure
où il repose sur l'hypothèse d'un changement d'activité du défunt. De
fait, cette hypothèse n'est aucunement étayée par les constatations
des premiers juges et doit être écartée: les goûts de la victime, qui
cherchait à se cultiver et lisait volontiers, l'abandon de son magasin
fixe en 1948 pour ne conserver qu'un banc de marché bi-hebdomadaire,
son aisance relative ne constituent certainement pas des indices d'une
telle conversion. Il y a dès lors lieu d'admettre qu'il aurait continué,
sans l'accident, à exercer son activité antérieure. Dans cette hypothèse,
les premiers juges estiment à 15 000 fr. le revenu annuel probable de Louis
Rappaz. Ce montant, qui résulte de l'appréciation souveraine des preuves
par l'autorité cantonale et lie le Tribunal fédéral, doit être retenu. Le
revenu de 17 500 fr. que la demanderesse déclare admettre par gain de paix
- après avoir proposé la prise en considération de 21 250 fr. au moins -
et qu'elle prend pour base de ses calculs repose sur l'hypothèse, écartée,
d'un changement de profession.

Erwägung 4

    4.- La demanderesse reproche au Tribunal cantonal de ne pas avoir tenu
compte, en déterminant le revenu du soutien, du rendement de sa fortune,
tout en le prenant en considération lors de l'imputation des avantages
successoraux. Elle propose dès lors de majorer le revenu professionnel
de 5400 fr. (rendement locatif de la villa) et de 2690 fr. (revenus
des titres).

    Selon le jugement déféré, la demanderesse est seule héritière de
son mari; les biens matrimoniaux s'élevaient à 152 258 fr. 80, l'actif
net à 74 200 fr., les apports de l'épouse et le tiers du bénéfice de
l'union conjugale lui revenant à 61 300 fr.; la villa familiale, portée à
l'inventaire pour sa valeur fiscale de 70 000 fr., avait à dire d'expert
une valeur vénale de 231 400 fr. en octobre 1967.

    Héritière universelle de son mari, la demanderesse a vu sa
situation financière notablement améliorée après le décès. Auparavant,
le mari administrait les biens matrimoniaux et en avait la jouissance
(art. 200 et 201 CC); l'épouse en jouissait pour la part consacrée à son
entretien, ce qui correspondait pratiquement à l'intérêt de ses droits
dans la liquidation du régime matrimonial (61 300 fr.). Elle était ainsi
maintenue, quant au revenu de la fortune, dans la situation antérieure
au décès (RO 95 II 416), même abstraction faite de la fortune héritée
et du fait que l'immeuble avait une valeur réelle bien supérieure à son
estimation fiscale. Les prétentions de la demanderesse à une majoration
du revenu déterminant pour le calcul de la perte de soutien, pour tenir
compte du rendement de la fortune de son mari, sont ainsi mal fondées.

Erwägung 5

    5.- Le Tribunal cantonal a arrêté à 9000 fr. la part de revenu qui
aurait été consacrée à la demanderesse. Compte tenu des dépenses médicales
de celle-ci, qui ont représenté plus de 5000 fr. en moyenne de 1963 à 1967,
il a considéré que Louis Rappaz aurait dû consacrer un peu plus de la
moitié de son revenu à sa femme. Le recourant critique cette proportion,
dont il demande la réduction au taux de 45% admis par la jurisprudence.

    Sans doute les frais médicaux de l'épouse auraient-ils été à la charge
du mari et cette circonstance justifiait-elle en principe une majoration
de la part du revenu consacrée à la demanderesse. Mais la cour cantonale
a omis de considérer plusieurs facteurs de réduction. Depuis 1954, Louis
Rappaz entretenait une liaison suivie avec une veuve auprès de laquelle
il passait en général quelques heures deux fois par semaine; durant les
dernières années de sa vie, il s'absentait de son domicile de 16 à 17
h. jusqu'à 23 h. Or ce qu'il consacrait à sa maîtresse se répercutait
nécessairement, dans une certaine mesure, sur la part accordée à son
épouse. D'autre part et surtout, la demanderesse, âgée de 64 ans lors du
décès de son mari, touchait de l'assurance-vieillesse une rente qui, selon
l'expert Duruz, s'élevait à 2400 fr. en 1961 et à 3528 fr. en 1967. Compte
tenu de ces circonstances, la part du revenu du mari consacrée à l'épouse
était plutôt inférieure à la moyenne. Il y a lieu de l'arrêter au taux
de 45% proposé par le recourant. Le gain déterminant étant de 15 000
fr., la part de l'épouse s'élève à 6750 fr. Quant aux frais médicaux
de la demanderesse, ils seront pris en considération à un autre titre
(consid. III 7 ci-dessous).

Erwägung 6

    6.- Après avoir fixé à 9000 fr. la part de revenu qui aurait été
consacrée à la demanderesse, le Tribunal cantonal majore ce montant pour
tenir compte d'une part de la dépréciation de l'argent entre la date
du sinistre et celle du jugement, d'autre part de la hausse des gains
durant la même période, "dans la mesure où cette hausse dépasse ce qui est
nécessaire à compenser la dépréciation de l'argent". Il invoque notamment
deux arrêts du Tribunal fédéral relatifs à des rentes d'invalidité. Le
recourant conteste le bien-fondé de ces deux facteurs de majoration.

    Contrairement au dommage résultant d'une invalidité, celui qui dérive
de la perte de soutien est calculé de façon abstraite, au jour du décès;
on ignore en effet si la victime aurait vécu jusqu'à la date du jugement;
le juge doit faire preuve de retenue dans la prise en considération de
faits postérieurs à la mort du soutien (RO 97 II 131 et les arrêts cités,
95 II 418 consid. 2a). En l'espèce, la cour cantonale considère que la
dépréciation de l'argent ne doit pas entrer en jeu au-delà de la date
du jugement; elle invoque notamment le taux de capitalisation très bas
de 3 1/2% maintenu par la jurisprudence. Or cet argument vaut également,
s'agissant d'une indemnité correspondant à la capitalisation d'une rente
qui court depuis le jour du décès, pour la période qui s'étend de ce jour
à celui du jugement.

    Quant à l'augmentation des gains prise en considération par le jugement
déféré, elle ne saurait être retenue dans la mesure où elle repose sur
l'hypothèse, écartée, d'un changement de profession du mari. Elle n'est
pas non plus fondée s'agissant du revenu de l'exploitation d'un banc
de marché dont les premiers juges constatent qu'elle était déclinante,
relevant de surcroît que Louis Rappaz, une fois seul, aurait probablement
moins gagné qu'avec sa femme. Pour fixer le gain annuel à 15 000 fr.,
la cour cantonale a tenu compte de la "nécessité d'engager un ou une
employée" pour remplacer la demanderesse, des "amortissements et de la
concurrence accrue"; elle n'a en revanche apporté aucune réduction en
raison d'une diminution probable du gain dans un avenir plus ou moins
proche. Le chiffre retenu n'est ainsi pas défavorable à la demanderesse.

    Il n'y a dès lors pas lieu à majoration de la part du revenu du défunt
qui aurait été consacrée à la personne soutenue.

Erwägung 7

    7.- L'actif net hérité par la demanderesse, après liquidation du régime
matrimonial, s'est élevé à 74 200 fr. Le Tribunal cantonal a déduit de la
part du gain du mari consacrée à l'épouse les avantages dont celle-ci a
bénéficié du fait de cet héritage, arrêtant le revenu déductible à 7990
fr., moins un tiers à titre de bénéfice de l'union conjugale, soit à 5327
fr. La demanderesse fait valoir que le montant imputable ne devrait pas
dépasser 2500 fr., compte tenu notamment du fait qu'elle "a du réaliser
l'entier du capital hérité, de même que son propre capital, pour vivre
et se soigner pendant plus de douze ans". Quant au défendeur Pazmandy,
il reproche aux premiers juges de ne pas avoir tenu compte également de
la part de fortune échue à la demanderesse à titre de participation au
bénéfice de l'union conjugale et propose d'imputer 7990 fr. et non pas
5327 fr. seulement.

    Dans son principe, la déduction opérée par la cour cantonale est fondée
au regard de la jurisprudence (RO 95 II 414 ss. consid.1). L'imputation du
revenu total de la fortune héritée se justifie d'autant plus, en l'espèce,
que l'estimation de cette fortune tient compte de la valeur fiscale de
l'immeuble du mari, soit 70 000 fr., montant bien inférieur à sa valeur
vénale, qui s'élevait en octobre 1967 à 231 400 fr.

    La demanderesse fait état de ses frais médicaux. Ils ont représenté
plus de 5000 fr. en moyenne de 1963 à 1967, selon le jugement déféré. La
nature des affections de la demanderesse ne laisse pas prévoir une
diminution de ces dépenses à l'avenir. Des frais de cette ampleur ne
sauraient grever que très partiellement le budget familial ordinaire. Dans
le cours normal des choses, les époux se seraient vus contraints de
mettre à contribution la part de leurs revenus normalement consacrée aux
économies, voire leur fortune matrimoniale, dont c'est précisément l'une
des raisons d'être. La demanderesse étant devenue l'héritière universelle
de son mari, il se justifie de déduire ces frais médicaux, par 5000 fr.,
du revenu de la fortune héritée. Celui-ci s'élève selon le jugement déféré
à 7990 fr.; le montant imputable atteint ainsi 2990 fr. S'agissant du
revenu de l'actif net hérité, après liquidation du régime matrimonial,
il n'y a pas lieu d'opérer une déduction correspondant à la part de
l'épouse au bénéfice de l'union conjugale.

Erwägung 8

    8.- Le recourant propose de réduire en vertu de l'art. 44 al. 1 CO
les dommages-intérêts alloués à la demanderesse, celle-ci répondant d'une
faute grave pour avoir "annihilé sa capacité de gain en s'adonnant de
plus en plus à l'alcoolisme".

    a) Faisant siennes les conclusions de l'expert, la Cour civile a
admis une réduction des chances de survie de la demanderesse de 20% en
1969, pour tenir compte de l'ensemble des circonstances médicales. Elle
a partant écourté de trois ans la survie probable et fixé en conséquence
le coefficient de capitalisation. Le jugement déféré n'est pas critiqué
sur ce point.

    b) L'expert a observé un alcoolisme chronique dès 1960, mais il
n'a pu se déterminer sur la question de savoir si la demanderesse était
déjà alcoolique depuis de nombreuses années; ses tendances dépressives
existaient déjà avant la mort du mari et elles ont été aggravées par ce
décès. Selon la cour cantonale, la demanderesse a été affligée de la
mort de son mari; sa santé et son moral ont décliné; elle a manifesté
des signes de dépression et s'est mise à boire davantage. Le jugement
déféré ne renferme aucune constatation de nature à étayer la thèse du
recourant selon laquelle l'alcoolisme de la demanderesse lui est imputable
à faute. Cette thèse doit être rejetée.

    c) Le Tribunal cantonal a tenu compte avec raison, pour fixer le
coefficient de capitalisation, de la diminution des chances de survie
de la demanderesse en raison des circonstances médicales constatées
par l'expert. Indépendamment d'une faute, il n'y a pas lieu en outre de
réduire les dommages-intérêts en vertu de l'art. 44 al. 1 CO parce que
l'artériosclérose cérébrale et l'alcoolisme chronique de la demanderesse
l'ont plus rapidement rendue incapable de travailler. Dans la mesure où
ces deux maladies ont été aggravées par le décès du mari, il s'agit d'une
conséquence de l'accident dont répondent ses auteurs. Dans la mesure où
elles étaient pré-existantes, le mari en avait la charge en sa qualité
de soutien.

    IV. Tort moral

    Tenant compte de la faute lourde du conducteur Kuthy, des fautes
des autres responsables, du chagrin de la veuve et des répercussions
sur sa santé du choc qu'elle a reçu, le Tribunal cantonal a fixé à 8000
fr. l'indemnité pour tort moral allouée à la demanderesse. Le défendeur
Pazmandy propose de réduire cette indemnité à 4000 fr. en invoquant
la désunion du ménage, notamment la liaison du défunt, ainsi que les
"taux généralement appliqués" en la matière par la jurisprudence. La
demanderesse en revanche considère qu'un montant de 15 000 fr. serait
justifié, compte tenu de la dépréciation de la monaie et des facteurs
retenus par les premiers juges.

    L'indemnité allouée par la Cour civile est conforme à la jurisprudence
récente du Tribunal fédéral, qui prend notamment en considération la
diminution de la valeur de l'argent. Le jugement déféré ne constate
nullement la désunion du ménage, alléguée par le recourant. Il relève
au contraire que la demanderesse, qui était au courant de la liaison
de son mari, ne s'est cependant pas détachée de celui-ci. La confection
d'un testament du mari instituant son épouse héritière universelle tend
à confirmer que l'union conjugale n'était pas menacée. En arrêtant
à 8000 fr. l'indemnité pour tort moral, la juridiction cantonale n'a
pas outrepassé les limites de son pouvoir d'appréciation (cf. RO 96 II
236). Les conclusions des deux parties recourantes doivent être rejetées
sur ce point.