Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 99 II 152



99 II 152

21. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour civile du 15 mars 1973 dans la
cause Excoffier contre Geneux Regeste

    Fensterdienstbarkeit; Art. 738 ZGB.

    Vorbehalt des kantonalen Rechts, Art. 686 ZGB (Erw. II).

    Bestimmung des Inhalts der Dienstbarkeit nach dem Eintrag (Erw. III
1-3), nach dem Errichtungsakt (Erw. III 4) und nach der Art der Ausübung
(Erw. III 5).

Sachverhalt

    A.- En 1948, Paul Geneux était propriétaire avec Mlle Altorfer d'un
bâtiment très ancien situé à la rue de Chausse-Coq, dans la commune de
Genève, section Cité. Celui-ci était contigu d'un bâtiment non moins
ancien, propriété de la S.I. Marcar. Par acte notarié du 28 avril 1948,
ces deux voisins, se déclarant désireux de "consacrer un état de fait"
et de préciser par la constitution de servitudes la situation de leurs
parcelles respectives, ont constitué trois servitudes, deux au profit du
fonds Marcar et une au profit du fonds Geneux-Altorfer. Cette dernière
est seule litigieuse; elle est "une servitude de vue et dejours selon les
deux plans d'exécution susvisés". Cette mise au net de la situation des
deux fonds était rendue nécessaire par le fait que Geneux reconstruisait
son bâtiment.

    Le 1er mars 1949, Francis Excoffier a acquis l'immeuble de la
S.I. Marcar. Geneux est aujourd'hui seul propriétaire de l'autre bâtiment.

    B.- En 1967, Excoffier a entrepris d'exhausser son bâtiment. Ayant
obtenu l'autorisation administrative, il a commencé à transformer ses
combles pour y créer des bureaux. Il a, pour cela, surélevé le toit de son
immeuble de telle façon qu'il masquait en partie la vue depuis les fenêtres
du deuxième étage du bâtiment Geneux. Un terrasson métallique avait
été aménagé devant ces fenêtres, à quelques centimètres des tablettes.
On pouvait néanmoins utiliser les volets.

    Geneux a obtenu par mesures provisionnelles l'ordre d'arrêter les
travaux, à l'exception de ceux entrepris aux étages inférieurs. Les deux
propriétaires ont ouvert action:

    - Geneux exigeait le rétablissement du bätiment en l'état au 28 avril
1948, plus 13 000 fr. de dommages-intérêts;

    - Excoffier exigeait la suppression d'empiétements - qui ne sont plus
en cause - et des dommages-intérêts de 8000 fr.

    C.- Par jugement du 12 octobre 1971, le Tribunal de première instance
de Genève a admis la demande de Geneux, fixé les dommages-intérêts à
3000 fr. et rejeté les conclusions d'Excoffier. Ce dernier a appelé de ce
jugement, reprenant ses conclusions de première instance auxquelles il a
ajouté une demande d'indemnité complémentaire de 42 000 fr. Par arrêt du
1er décembre 1972, la Cour de justice de Genève a confirmé le jugement
de première instance, en interprétant la servitude de 1948 comme une
servitude non altius tollendi grevant la totalité du fonds Excoffier.

    Excoffier a formé un recours en réforme contre cet arrêt, renonçant
toutefois à ses conclusions en paiement d'une indemnité.

    Geneux propose le rejet du recours.

Auszug aus den Erwägungen:

                      Considérant en droit:

    II.

    Dans les législations cantonales issues du code civil français, on
entend par "vue" toute ouverture dans le mur d'un bâtiment permettant de
regarder habituellement et commodément le fonds voisin. On désigne par
"jours" des ouvertures destinées uniquement à l'aération et à l'éclairage,
qui ne permettent pas la vue sur le fonds voisin. Les vues sont dites
"droites" lorsqu'elles sont pratiquées dans un mur parallèle à la limite
des fonds; elles sont dites "par côté" ou "obliques" quand ce mur est
perpendiculaire.

    L'arrêt déféré constate que, selon l'ancien droit cantonal genevois,
le propriétaire ne peut ouvrir des vues droites que si le mur dans lequel
elles sont pratiquées est à 19 décimètres (6 pieds) du fonds voisin. Cette
règle est reprise à l'art. 67 de la loi genevoise d'application du code
civil du 3 mai 1911 (LACC). Une dérogation peut résulter d'une servitude
de vue. La loi cantonale ne prévoit pas les effets d'une telle servitude
quant au droit de bâtir du propriétaire du fonds servant. Mais l'arrêt
constate que la jurisprudence genevoise, sous l'empire du droit cantonal,
s'est prononcée en ce sens que, à défaut d'indication dans le titre
constitutif, le droit de vue ne peut s'étendre indéfiniment sur le fonds
voisin. Il est restreint à la distance légale de 6 pieds, pour les vues
droites. Le voisin peut dès lors construire à cette distance.

    Aux termes de l'arrêt, cette réglementation subsiste encore sans
grand changement. Pour le quartier en cause, il faut se référer à la loi
sur les dispositions applicables aux constructions dans le quartier de
la Haute-Ville du 27 avril 1940, en vigueur au moment de la constitution
de la servitude litigieuse et qui a été incorporée dans la loi sur les
constructions du 25 mars 1961. L'art. 37 de cette dernière dispose que la
longueur des vues droites est de 4 mètres au moins, perpendiculairement
à la façade. Le propriétaire du fonds servant doit donc, s'il construit,
reculer son bâtiment de 4 mètres.

    Bien que ces lois relèvent du droit administratif et ne coïncident pas
avec la règle de droit privé de l'art. 67 LACC, qui maintient l'ancienne
limite de 1,9 mètre pour la longueur des vues droites, la cour cantonale
admet que celle-ci est de 4 mètres, selon le droit cantonal.

    La juridiction fédérale de réforme ne peut revoir cette question
d'interprétation du droit cantonal dans un domaine qui lui est réservé
par l'art. 686 CC; le recourant admet d'ailleurs qu'on ne peut l'obliger
"à démolir une construction tant et aussi longtemps qu'il respecte la
servitude de jour (recte: de vue) de 4 mètres".

    Le Tribunal fédéral n'a donc à se prononcer que sur la question de
savoir si, en l'espèce, la servitude de vue impose au propriétaire du
fonds servant de reculer ses constructions audelà de la distance légale
de 4 mètres.

    III.

Erwägung 1

    1.- La cour cantonale a constaté que ni l'inscription, ni les plans
d'exécution auxquels se réfère l'acte constitutif ne sont explicites,
et s'est dès lors reportée au contrat. Bien que celui-ci ne prévoie pas
l'étendue illimitée de la servitude de vue, la cour estime qu'on peut en
l'espèce déduire cet effet étendu des éléments suivants:

    a) la volonté exprimée de consacrer un état de fait, soit
l'encorbellement d'un immeuble dominant sur une petite construction et
bénéficiant, par prescription acquisitive, d'un droit de vue au profit
des étages supérieurs;

    b) les dimensions réduites du fonds servant qui ne permettent, si
l'on respecte la distance de 4 mètres, de surélever l'immeuble du fonds
grevé que sur une largeur de 3 mètres, hypothèse qui paraît absurde;

    c) le fait que la loi de 1940 relative aux constructions de la
vieille ville, alors en vigueur, ne permettait pas de surélever les
bâtiments existants.

Erwägung 2

    2.- Les vues ouvertes sur le fonds Geneux existent depuis des siècles.
Les parties auraient donc pu reconnaître l'existence d'une servitude
acquise par prescription, antérieure à l'entrée en vigueur du code civil.

    Elles ne l'ont pas fait et, tout en déclarant vouloir "préciser
la situation" de leurs parcelles respectives, elles ont constitué une
servitude, et ceci après l'entrée en vigueur du code civil. Cette servitude
est donc régie par le droit fédéral et le Tribunal fédéral peut revoir
l'interprétation qu'en a donnée la Cour de justice de Genève.

Erwägung 3

    3.- Celle-ci a constaté que l'inscription de la servitude ne donne
pas d'indication précise sur l'étendue qu'il faut lui donner, mais que
l'examen de l'ancien droit genevois et des dispositions en vigueur au
moment de sa constitution révèle que la servitude ne peut s'étendre
d'une manière illimitée sur le fonds voisin. Selon le sens qu'elle a
ordinairement, une telle servitude ne comporte pas interdiction de bâtir
sur le fonds servant. Le droit cantonal fixe d'autre part la limite des
constructions sur ce fonds à 4 mètres des limites du fonds dominant.

    Lorsqu'on se trouve en présence d'un type de servitude appartenant
notoirement à l'ancien droit ou au droit cantonal - servitude de type
courant dérogeant aux règles sur les distances à observer dans les
constructions - l'inscription au registre foncier doit être comprise dans
le sens où l'entend le droit cantonal (cf. RO 86 II 251 consid. 5).

    En l'espèce, la notion de "droit de vue" a un sens précis en droit
genevois, soit celui de permettre au propriétaire du fonds dominant
d'ouvrir des vues à sa limite et d'obliger dès lors le propriétaire du
fonds servant à construire à 4 mètres de cette limite. Elle ne comporte
pas une obligation de non altius tollendi, car elle ne suppose pas
d'interdiction générale de construire (cf. RO 83 II 122, notamment
p. 126). L'inscription fait donc ici règle en vertu de l'art. 738 CC.

Erwägung 4

    4.- Si l'on refusait d'admettre que l'inscription est claire, il
faudrait préciser l'étendue de la servitude soit par son origine, soit
par la manière dont elle a été exercée pendant longtemps, paisiblement
et de bonne foi (art. 738 al. 2 CC).

    a) Du titre constitutif, soit la convention du 28 avril 1948 et les
plans auxquels elle se réfère, on ne peut tirer qu'un élément, soit la
volonté de "consacrer un état de fait" et de "préciser" la situation
des parcelles. La cour cantonale estime que, contrairement à la règle,
il faut déduire de circonstances particulières - non précisées - que la
servitude constituée vaut droit dejour sur toute la parcelle Excoffier.

    Mais la servitude avait pour but et objet essentiel de déterminer
exactement les droits des parties; elle voulait préciser la situation
des biens-fonds et consacrer un état de fait. C'est donc la servitude qui
doit dire quelle était la situation, et l'on ne peut se servir d'éléments
relatifs à cette même situation - à ce moment-là imprécise - pour donner à
la servitude une portée qui ne résulte pas de son contenu. Or celui-ci est
celui d'un simple droit de vue et non une servitude non altius tollendi.

    D'ailleurs, il n'est nullement établi qu'au moment de la constitution
de servitude, ou auparavant, la situation comportait autre chose qu'un
droit de vue au sens où l'entendait l'ancien droit. Rien dans la situation
antérieure ne justifie de l'existence d'une restriction plus ample que
l'interdiction de bâtir à moins de 1,9 m (aujourd'hui 4 m) des limites
du fonds dominant. Pour qu'une telle restriction apparût, il aurait
fallu qu'au moment de la constitution de la servitude, on instituât -
ou consacrât - une interdiction de surélever.

    b) D'après la cour cantonale, la restriction du droit de bâtir
qu'implique le droit de vue ne laissant au propriétaire du fonds grevé
qu'une possibilité de surélévation sur une largeur de 3 m, il faut
considérer qu'une telle solution absurde ne peut avoir été voulue par les
parties. S'il s'agit d'une interprétation subjective de la convention,
elle n'est pas opposable au tiers acquéreur (cf. LIVER, n. 94 ad art. 738).

    Si l'on veut voir là une réglementation qui serait objectivement
absurde, de sorte que le droit de vue ne peut avoir comme contenu
raisonnable que celui d'une interdiction de surélever, cela ne s'impose pas
à l'évidence. Le recourant fait valoir que cette largeur de 3 m sur une
longueur de 7 m lui permet d'aménager un local de 21 m2 dont il affirme
qu'il est approuvé par l'autorité administrative. Cette hypothèse n'est
pas absurde. D'autre part, la cour réserve elle-même le cas où, le fonds
Excoffier étant par exemple réuni au fonds contigu, à l'opposé du fonds
Geneux, une construction plus importante pourrait être édifiée. On ne
peut, comme l'envisage la cour, adopter une autre solution dans ce cas
et assigner un autre contenu à la servitude, car les servitudes sont des
droits permanents, dont le contenu ne saurait varier au gré des réunions
parcellaires.

    c) Lorsque la servitude a été constituée, il était interdit, par
la loi de 1940 sur la vieille ville, de surélever les immeubles de ce
quartier. L'existence de cette réglementation est toutefois sans effet
sur la portée de la servitude.

    Si elle a influencé les parties, il s'agit d'un processus interne,
qui, une fois de plus, n'est pas opposable au tiers acquéreur, tant qu'il
n'apparaît pas dans l'acte constitutif.

    S'il faut en déduire que c'est la raison pour laquelle les parties
n'ont pas constitué de servitude plus ample, cela ne permet pas de donner
à cette servitude un contenu étendu qui n'aurait précisément pas été voulu,
puisque le propriétaire s'estimait suffisamment protégé par la loi.

    On ne peut admettre que des restrictions de droit public qui ont
un tout autre but que celui poursuivi par les parties sont insérées
tacitement dans un acte constitutif de servitude. En l'espèce, les règles
sur les constructions avaient pour seul but de protéger le cachet de la
vieille ville et elles ont d'ailleurs varié depuis. On ne saurait donc les
traiter comme des éléments définitivement incorporés dans la servitude
pour lui donner un contenu plus étendu, qu'elles ont elles-mêmes perdu,
et qu'il était loisible aux parties de prévoir expressément si elles
l'avaient voulu.

    Il n'y a donc pas lieu de voir ici une modification de la règle
générale dans le sens d'une étendue particulière de la servitude.

    Il n'y a pas non plus lieu de lier la servitude convenue aux
réglementations en vigueur sur les constructions en se basant sur le fait
que l'acte constitutif contient la clause suivante:

    "Ces servitudes ne pourront être radiées ou modifiées sans l'accord
du Département des travaux publics."

    En effet, la radiation ou la modification de la servitude ne dépend
que de l'accord des parties et celles-ci peuvent d'un commun accord
renoncer à cette condition. Cette compétence conférée pour le futur au
Département des travaux publics ne rattache d'ailleurs pas la convention
au droit administratif en vigueur au moment de sa signature.

Erwägung 5

    5.- Reste à examiner si la manière dont la servitude a été exercée
pendant longtemps, paisiblement et de bonne foi, peut conduire à une
autre conclusion.

    Certes, il est constant que le fonds Geneux a bénéficié longtemps et
paisiblement d'un droit de vue sur l'ensemble de la parcelle Excoffier.
Quelle que soit la retenue manifestée par l'arrêt RO 86 II 252 consid. 6 -
critiquée en doctrine: cf. LIVER, n. 40 à 46 ad art. 738 - il ne peut être
fait entièrement abstraction de l'intérêt et des besoins du fonds dominant.
Or, en l'espèce, l'édification d'un mur à 4 m des fenêtres de l'immeuble
Geneux compromet certainement l'utilisation des locaux.

    Mais ce dernier résultat est voulu par la loi: la loi genevoise a fixé,
par une décision générale et abstraite, le contenu du "droit de vue",
appréciant ainsi et de façon plus généreuse que ne le faisait l'ancien
droit les besoins du fonds dominant. Les raisons invoquées par la cour
cantonale pour déroger à ces normes et donner un contenu plus étendu à
la servitude n'ayant pas été retenues, il y a lieu de s'en tenir à la
loi, quels qu'en soient les inconvenients pour le fonds dominant. Il y
a d'ailleurs lieu de noter que si le propriétaire d'un fonds peut, de
par la loi, ouvrir des vues sur son fonds à 4 m de la limite, il ne peut
s'opposer à ce que son voisin élève un mur à la limite même, soit à 4 m.

    D'autre part, si le propriétaire du fonds dominant a joui paisiblement
de la vue sur l'ensemble du fonds Excoffier, ce n'est pas - comme dans le
cas d'une servitude active - par un exercice de son droit, mais seulement
par le fait que le propriétaire du fonds servant n'a pas, pendant une
très longue période, tiré tout le parti possible de son terrain. Geneux
n'a bénéficié que d'une situation de fait, comme c'est le cas lorsque
les vues d'une propriété s'ouvrent sur une propriété non bâtie. En 1948,
lorsqu'il s'est agi de préciser la situation, il n'a été question, en
dépit de l'état de fait, que d'un simple droit de vue. Une extension
de l'interdiction de bâtir à l'ensemble de la parcelle sort du cadre
d'un droit de vue. Celui-ci doit être interprété, comme toute servitude,
restrictivement (LIVER, n. 18 ad art. 738) et sans intervention d'éléments
subjectifs considérés par les parties à l'acte constitutif. La servitude
ne doit limiter les droits du propriétaire du fonds servant que dans la
mesure nécessaire à son exercice normal.

Entscheid:

Par ces motifs, le Tribunal fédéral:

    Admet le recours et réforme l'arrêt attaqué en ce sens que le recourant
Excoffier est condamné à supprimer l'élévation de son immeuble sur une
distance de 4 mètres à compter du parement extérieur du mur de l'immeuble
Geneux, la demande de Geneux étant rejetée pour le surplus; dit que la
condamnation au paiement d'une indemnité de 3000 fr. et aux astreintes
est maintenue.