Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 99 IA 747



99 Ia 747

86. Arrêt du 7 novembre 1973 dans la cause Etienne contre Cour de cassation
pénale du Tribunal cantonal vaudois. Regeste

    Persönliche Freiheit. Obligatorische Schutzimpfung gegen Diphterie.

    1.  Recht auf körperliche Unversehrtheit (Erw. 2).

    2.  Öffentliches Interesse, Verhältnismässigkeitsprinzip (Erw. 3).

Sachverhalt

    A.- La loi vaudoise sur l'organisation sanitaire (en abrégé: LOS) du
9 décembre 1952, modifiée notamment en 1957 et 1963, déclare obligatoire
la vaccination des enfants contre la variole et contre la diphtérie
(art. 115). Au sujet de cette dernière vaccination, les al. 2 et 3 de
l'art. 115 disposent:

    "La vaccination contre la diphtérie est obligatoire. Elle doit être
effectuée après le 3e mois de la vie et le plus rapidement possible. Elle
doit néanmoins être séparée par un intervalle d'au moins 6 semaines de
la vaccination antivariolique.

    Une troisième injection dite "de rappel" antidiphtérique est faite aux
enfants commençant leur scolarité, lorsqu'ils ont été vaccinés en bas âge.
S'ils n'ont pas encore été vaccinés, l'on procédera à ce moment-là à
une primo-vaccination."

    L'obligation de faire vacciner l'enfant en temps voulu incombe
à son représentant légal (art. 116 LOS). Selon l'art. 117 LOS, aucun
enfant ne peut être admis dans les écoles publiques et privées ou autres
établissements d'éducation, s'il ne produit un certificat constatant qu'il
a été vacciné contre la diphtérie; le département compétent peut toutefois
accorder des dérogations. Quiconque contrevient aux dispositions de la
loi est passible d'une amende de 10 à 10 000 francs (art. 122 LOS).

    L'arrêté du Conseil d'Etat du 4 décembre 1962 sur les vaccinations
contre la variole et la diphtérie contient des dispositions analogues
aux art. 1er, 6, 7 et 25. L'art 7 reprend en son premier alinéa le texte
de l'art. 117 LOS et désigne en son second alinéa les autorités chargées
du contrôle de cette disposition.

    B.Sur demande du Service de la santé publique, Pierre-André Etienne
a produit le 5 octobre 1970 un certificat du Dr Vulliemin, médecin
traitant de son fils Yves né le 27 juin 1966. Le médecin indiquait,
dans ce certificat, qu'il y avait lieu de surseoir à toute vaccination
non urgente, notamment à la vaccination antidiphtérique, et relevait
qu'il avait prévenu les parents de l'obligation de faire procéder à cette
vaccination dans un ou deux ans. Le Service de la santé publique a accordé
à Etienne, le 8 octobre 1970, un délai jusqu'au 30 octobre 1971 pour
faire vacciner son fils. Interpellé à nouveau en novembre 1971, Etienne
a informé le service en question, sans produire de nouveau certificat
médical, qu'il ne ferait pas vacciner son fils contre la diphtérie.

    Sur dénonciation du Service de la santé publique, le Préfet de
Lausanne a prononcé contre Etienne, le 25 janvier 1972, une amende de 30
fr. pour violation des art. 115 à 117 LOS et des art. 1er et 7 de l'ACE
du 4 décembre 1962. Etienne ayant fait opposition, le Juge informateur
de Lausanne l'a déféré au Tribunal de police du district de Lausanne qui
l'a condamné le 1er novembre 1972 à une peine de 10 fr. d'amende pour
n'avoir pas fait vacciner son enfant contre la diphtérie.

    C.- Saisie d'un recours contre le jugement du 1er novembre 1972, la
Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal vaudois l'a rejeté par arrêt
du 24 novembre 1972. Constatant que le recourant contestait le bien-fondé
de la loi elle-même, sur la base de laquelle il avait été condamné,
et non la manière dont elle avait été appliquée, elle soulignait que
ce grief échappait à son examen et ne constituait pas un moyen valable
de réforme, le recours étant ainsi manifestement mal fondé au sens de
l'art. 431 al. 2 CPP.

    D.- Agissant par la voie du recours de droit public, Pierre-André
Etienne demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt rendu le 24 novembre
1972 par la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal. Il allègue la
violation de la garantie constitutionnelle de la liberté personnelle,
soutenant qu'il n'existe pas d'intérêt public suffisant d'imposer une
telle vaccination.

    Le Procureur général de l'Etat de Vaud conclut au rejet du recours.

    Le Juge délégué a demandé au Service fédéral de l'hygiène publique
un rapport sur la vaccination des enfants contre la diphtérie. Déposé le
25 juillet 1973, ce rapport a été communiqué au recourant pour observation.

Auszug aus den Erwägungen:

                      Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- (Recevabilité).

Erwägung 2

    2.- La liberté personnelle, droit constitutionnel non écrit de la
Confédération, garantit notamment le droit du citoyen à son intégrité
corporelle (RO 91 I 34 consid. 2, 89 I 98 consid. 4). Alors même
qu'elle est rangée parmi les droits constitutionnels imprescriptibles
et inaliénables, la liberté personnelle n'est cependant pas absolue, pas
plus que les autres libertés constitutionnelles. Elle peut être limitée
par les exigences de l'intérêt public; mais ces restrictions doivent se
fonder sur une base légale, respecter le principe de la proportionnalité
et ne pas aller jusqu'à vider ce droit de sa substance (RO 99 Ia 266
s. et les arrêts cités, 97 I 50 et 842).

    En ce qui concerne la liberté physique, la jurisprudence admet qu'il
peut y avoir atteinte à l'intégrité corporelle même si aucune lésion
dommageable n'a été provoquée. Ainsi en est-il d'une prise de sang,
qui généralement ne produit guère de douleur et ne compromet pas la
santé de celui qui en est l'objet (cf. RO 99 Ia 412 consid. 4, 91 I 34,
89 I 98 s., 82 I 238). Tel est également le cas de la vaccination des
enfants contre la variole et la diphtérie, qui a été rendue obligatoire
dans plusieurs cantons suisses (BERSIER, La liberté personnelle, thèse,
Lausanne 1968, p. 43 s: et 76; SCHNETZLER, L'intervention pratiquée contre
le gré du patient par les médecins d'un établissement hospitalier public,
RDAF 1967 p. 63).

Erwägung 3

    3.- Le recourant ne conteste pas en l'espèce l'existence d'une base
légale, mais il soutient que l'obligation légale de vacciner les enfants
contre la diphtérie n'est pas justifiée par un intérêt public suffisant. Il
prétend que depuis quarante ans, il n'existe plus de cas de diphtérie en
Suisse et qu'il n'y a aucune différence statistique entre les populations
des cantons où la vaccination est obligatoire et les habitants des cantons
qui ne l'imposent pas. De plus, la vaccination aurait été supprimée en
Grande-Bretagne et aux Etats-Unis et serait facultative aux Pays-Bas. Le
recourant en conclut que la vaccination obligatoire contre la diphtérie ne
se justifierait plus et qu'elle ne serait plus en rapport avec l'atteinte
portée à la liberté personnelle.

    a) Pour juger du bien-fondé de ces allégations, il faut se référer
au rapport du Directeur du Service fédéral de l'hygiène publique, du 25
juillet 1973.

    Ce rapport relève tout d'abord que les publications jointes au
dossier du recourant sont pour la plupart anciennes ou se rapportent à
des faits anciens dont certains remontent au début de l'ère pasteurienne,
et qu'elles contiennent nombre d'affirmations dont on cherche en vain
les bases scientifiques objectives.

    Au sujet de la diphtérie, il précise que l'agent étiologique - une
bactérie - se rencontre encore dans tous les pays du monde, contrairement
à la variole, dont l'agent étiologique est un virus et qui, grâce à
la vaccination, ne se trouve plus en permanence que dans quelques pays
d'Asie et d'Afrique. Même si la diphtérie est actuellement en régression
en Suisse, la bactérie n'en demeure pas moins présente et constitue pour
la collectivité une menace d'autant plus grave que la population est
insuffisamment vaccinée. Certes, relève l'expert, la vaccination contre
la diphtérie a largement contribué à la diminution de cette maladie,
mais il est inexact de soutenir qu'elle a disparu de Suisse depuis 40
ans. L'expert fait état de statistiques couvrant les années 1941 à 1970,
d'où il résulte que s'il y a eu une très forte régression de la diphtérie
en Suisse durant cette période, il n'en demeure pas moins qu'elle n'a pas
disparu, puisque durant la période de 1961 à 1965 on a encore enregistré 35
cas par année en moyenne ou 175 cas au total et qu'au cours de la période
de 1966 à 1970 il y a eu en moyenne 13 cas par année ou 65 cas en tout. Il
y a d'ailleurs des variations cycliques, saisonnières ou aussi au cours
de décennies, ce qui implique à tout moment le danger d'une recrudescence.

    D'autre part l'expert compare la morbidité (nombre de personnes
atteintes de diphtérie pour 100 000 habitants) dans les cantons où la
vaccination est obligatoire (Genève, Neuchâtel, Vaud, Tessin, Fribourg)
avec celle des cantons où elle ne l'est pas, pour les décennies 1950-1959
et 1960-1969. Il constate que pour 10 personnes qui ont contracté la
diphtérie dans le groupe des cantons à vaccination obligatoire, il y en a
17 et 14 dans le groupe des cantons à vaccination facultative, compte tenu
du nombre d'habitants dans chaque groupe. Il précise de plus, en ce qui
concerne ces résultats, que dans le premier groupe on trouve non seulement
des enfants non vaccinés mais aussi des personnes dont la vaccination
est ancienne et donc insuffisante, et dans le second groupe un certain
nombre d'enfants vaccinés, circonstances qui contribuent à atténuer la
différence entre les deux groupes de cantons. Il est d'ailleurs pour le
moins curieux, ajoute-t-il, de constater que les deux dernières épidémies
de diphtérie en Suisse ont eu lieu, l'une dans le canton de Soleure
(13 cas) en 1966, l'autre dans le canton de Zurich (22 cas) en 1969,
cantons où la vaccination contre la diphtérie n'est pas obligatoire.

    L'expert relève en outre que si la protection conférée par la
vaccination n'est pas absolue et diminue d'efficacité avec le temps, on a
en revanche observé qu'une personne atteinte de cette maladie aura moins
de probabilité d'en mourir si elle a été vaccinée. Il cite à ce sujet les
études faites par Stuart au Royaume-Uni, selon lesquelles la vaccination
réduit le risque de contracter la diphtérie de 4 fois et celui d'en
mourir de 25 fois. En Allemagne, on a observé des diminutions des mêmes
risques de 4 fois et de plus de 10 fois. L'expert souligne encore que,
pour rendre très difficile la transmission continue du bacille diphtérique
entre sujets réceptifs, il est nécessaire de conférer l'immunité à une
proportion assez élevée de la population. Ainsi, dans les conditions des
pays anglo-saxons, le pourcentage des enfants qui doivent être vaccinés
à cet effet est d'au moins 70%.

    L'expert note enfin qu'avec l'accroissement des voyages à l'étranger,
l'augmentation des risques d'épidémie est notable.

    b) Il s'agit d'examiner si, au vu du rapport précité, l'atteinte à
l'intégrité corporelle que constitue la vaccination obligatoire contre
la diphtérie est justifiée par l'intérêt public.

    Le rapport a mis en lumière que si la diphtérie a subi une régression
générale, la présence de la bactérie signalée dans tous les pays du monde
constitue encore un sérieux danger pour les populations non vaccinées
ou insuffisamment vaccinées, même dans des pays qui, comme la Suisse,
connaissent des conditions d'hygiène très développées. En tout cas,
c'est manifestement à tort que le recourant prétend qu'il n'y a plus eu
d'épidémie depuis plus d'une génération.

    Il est vrai que la vaccination n'a pas une efficacité absolue. Mais
elle produit en règle générale des résultats positifs. En tant que
mesure préventive, elle réduit le risque de contracter la diphtérie. Si
un enfant contracte tout de même cette affection, le fait d'avoir été
vacciné diminue sérieusement la probabilité d'en mourir.

    Le recourant allègue en outre qu'il n'y a aucune différence, quant
au nombre de cas de diphtérie, entre les cantons qui ont institué la
vaccination obligatoire et ceux qui ne l'ont pas fait. Ici encore,
une telle affirmation est inexacte, comme le démontre le rapport de
l'expert. Le nombre de cas est encore nettement supérieur dans les
cantons où la vaccination est facultative, même si l'on fait également
entrer dans le calcul le nombre des enfants qui y sont vaccinés, ce qui
favorise la statistique de ces cantons. Il est en tout cas symptomatique
que les dernières épidémies se soient manifestées dans les cantons où la
vaccination n'est pas obligatoire (Zurich et Soleure).

    Il faut en définitive constater que la diphtérie reste une maladie
contagieuse redoutable, malgré sa très nette régression durant ces
dernières décennies, régression due d'ailleurs à la vaccination. On ne
saurait négliger le fait que la bactérie qui en est l'agent étiologique
se rencontre encore dans tous les pays et qu'on ne peut dès lors exclure
d'emblée la survenance de nouvelles épidémies à l'avenir. Il y a donc
lieu de rester vigilant et de protéger, par des moyens appropriés, les
populations et en particulier les enfants contre de pareilles contagions,
moyens dont la vaccination (sérum antitoxique mélangé à la toxine) est, en
l'état actuel de la science médicale, sans contredit le plus efficace. La
lutte contre ces épidémies de diphtérie par la vaccination préventive
obligatoire constitue donc une mesure importante pour la sauvegarde de
la santé publique et répond de ce point de vue à un intérêt public certain.

    c) Reste à examiner la question sous l'angle du principe de la
proportionnalité. On ne saurait soutenir à cet égard que la vaccination est
un moyen qui dépasse la mesure de ce qui est nécessaire pour la protection
des intérêts de la collectivité, qu'elle pourrait être remplacée, avec
des résultats semblables, par des mesures moins rigoureuses et qu'en
conséquence elle ne constituerait pas un moyen proportionné au but visé.

    A ce sujet, il faut rappeler que la vaccination contre la diphtérie
est en général inoffensive et peu douloureuse. Même si elle devait laisser
subsister une cicatrice insuffisamment résorbée, on ne pourrait encore
parler d'atteinte grave à l'intégrité corporelle. Au demeurant, lorsqu'il y
a une contre-indication médicale justifiée, l'autorité cantonale permet de
déroger au principe de la vaccination obligatoire. Il s'agit donc d'une
limitation tout à fait admissible de la liberté personnelle, laquelle
n'est pas atteinte gravement dans sa substance. Il s'agit de plus d'une
mesure adèquate, étant donné l'intérêt prépondérant que représente la
sauvegarde de la santé publique. L'expert est formel à cet égard lorsqu'il
souligne que le danger d'épidémie n'est pas écarté et qu'il peut menacer
à tout moment une agglomération ou une région, d'autant plus que l'intense
brassage actuel des populations est un facteur d'augmentation des risques
d'épidémie.

    Ces éléments sont décisifs. Ils permettent de conclure que, même si
l'on ne peut pas dire que l'obligation de vacciner est d'une nécessité
absolue, elle n'en constitue pas moins une mesure propre à favoriser la
réalisation du but d'intérêt public poursuivi. La fin recherchée par le
législateur vaudois, à savoir une protection accrue de la santé publique,
l'emporte manifestement sur le sacrifice qui est imposé au citoyen par
l'obligation de faire vacciner ses enfants. Le moyen tiré d'une prétendue
violation de la liberté personnelle est donc mal fondé.

    d) Les pièces déposées par le recourant le 14 septembre 1973, en guise
de détermination sur le rapport du Service fédéral de l'hygiène publique,
ne permettent pas d'arriver à une autre conclusion. La controverse des
milieux médicaux sur l'efficacité de la vaccination antidiphtérique et
sur son innocuité ne suffit pas à faire déclarer inconstitutionnelles
les dispositions critiquées de la loi vaudoise.

Entscheid:

Par ces motifs, le Tribunal fédéral:

    Rejette le recours.