Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 99 IA 370



99 Ia 370

42. Arrêt du 23 mai 1973 dans la cause Société coopérative Migros Genève
contre Conseil d'Etat du canton de Genève. Regeste

    Handels- und Gewerbefreiheit. Verkauf von Medikamenten. Art. 31
Abs. 2 BV.

    1.  Ausnahme von der kassatorischen Natur der staatsrechtlichen
Beschwerde (Erw. 1 b).

    2.  Kantonale Bestimmungen über die Ausübung von Handel und Gewerben;
möglicher Inhalt (Erw. 2).

    3.  Gesetzliche Grundlage für kantonale Beschränkungen des Verkaufs
von Heilmitteln (Erw. 3).

    4.  Erforderliches öffentliches Interesse an solchen Beschränkungen
(Erw. 4).

    5.  Verhältnismässigkeit von einschränkenden Massnahmen (Erw. 5).

    6.  Rechtsungleiche Behandlung (Erw. 6).

Sachverhalt

    A. - La Société coopérative Migros Genève (en abrégé:> Migros Genève)
a mis en vente dans ses magasins, le samedi matin 27 novembre 1971,
des tubes de 10 comprimés effervescents de vitamine C à 1000 mg, sous
le nom de "MC Vit", au prix de 1 fr. 15 le tube. La vente se faisait en
libre-service; elle était stimulée par de grands panneaux publicitaires
et par une réclame enregistrée sur bandes magnétiques.

    Par lettre du 29 novembre 1971, le chef du Département cantonal
de la prévoyance sociale et de la santé publique a sommé la société
de cesser immédiatement cette vente, non conforme aux prescriptions
légales: s'agissant d'un médicament, il doit être enregistré à l'Office
intercantonal de contrôle des médicaments (OICM) et sa mise dans le
commerce doit faire l'objet d'une autorisation du Département; sa vente
est réservée aux pharmaciens et aux droguistes, elle ne peut se faire en
libreservice et toute réclame incitant à une consommation abusive est
interdite. La lettre contenait en outre une menace de confiscation. Le
même département a ordonné aux Laboratoires Sauter SA, qui avaient
livré les tubes de "MC Vit" à Migros Genève, de cesser immédiatement
cette livraison. Le 1er décembre 1971, le Conseil d'Etat a dénoncé au
Procureur général les infractions commises tant par Migros Genève que
par les Laboratoires Sauter SA

    B.- Le 8 décembre 1971, douze coopératives Migros ont demandé au
Service fédéral de l'hygiène publique l'autorisation - prévue à l'art. 20
de l'OCF du 26 mai 1936 sur les denrées alimentaires et les objets usuels
(ODA) - de vendre des comprimés "MC Vit" à 1000 mg, considérés par elles
comme des denrées alimentaires, puis, par lettre du 12 décembre 1971,
l'autorisation de vendre des comprimés de vitamines C à 300 mg. Par
décision du 4 janvier 1972, susceptible de recours au Département fédéral
de l'intérieur, le Service fédéral de l'hygiène publique a rejeté la
demande pour les comprimés de 1000 mg, considérés comme médicaments
(art. 5 de l'ordonnance du Département fédéral de l'intérieur, du 7 mars
1957, concernant l'addition de vitamines aux denrées alimentaires et la
réclame y relative); par lettre du 23 décembre 1971, il a répondu que
la seconde demande pourrait être prise en considération, à la condition
qu'il s'agisse de tablettes pour limonade gazeuse avec dose de vitamine C
ne dépassant pas 225 mg (art. 290 ODA et 5 de l'ordonnance précitée sur
l'addition de vitamines). Les sociétés requérantes n'ont, semble-t-il
(du moins la recourante ne le prétend-elle pas), pas recouru contre la
décision du 4 janvier 1972.

    C.- Contre la décision du chef du Département cantonal du 29 novembre
1971, Migros Genève a recouru au Conseil d'Etat le 20 décembre 1971, en
alléguant la violation de l'art. 31 Cst. Elle soutenait que le produit
"MC Vit" à 1000 mg n'était pas un médicament, mais un complément utile
et bienfaisant de l'alimentation; que même si on voulait le qualifier
de médicament, son enregistrement par l'OICM ne serait pas nécessaire,
le même produit se vendant déjà depuis longtemps, avec autorisation, sous
le nom de "Redoxon"; que le classement en catégorie D (vente exclusive
dans les pharmacies et drogueries) ne se justifiait pas, la "MC Vit" ne
pouvant être nuisible pour la santé, même à forte dose; enfin qu'aucune
raison de police sanitaire ne pouvait justifier l'interdiction de vente.

    Statuant le 5 juillet 1972, le Conseil d'Etat du canton de Genève a
rejeté le recours, retenant que la "MC Vit" était un médicament, que selon
l'expert de l'OICM elle pouvait à haute dose être nuisible pour la santé,
qu'il n'appartenait pas aux cantons de se prononcer sur la compétence des
experts mis en oeuvre par l'OICM et que, dans ces conditions, des raisons
valables de santé publique commandaient de réserver la vente d'un tel
produit aux pharmaciens et aux droguistes, en vertu de la loi cantonale
sur l'exercice des professions médicales et des professions auxiliaires
(en abrégé: LPM), du 11 décembre 1926.

    D.- Agissant par la voie du recours de droit public, la Société
coopérative Migros Genève requiert le Tribunal fédéral d'annuler la
décision du Conseil d'Etat et de renvoyer l'affaire à l'autorité cantonale
en lui enjoignant de donner suite à la requête de la recourante. Elle
allègue la violation de l'art. 31 Cst., soutenant qu'en raison de
l'innocuité du produit "MC Vit" la décision attaquée ne se justifie
par aucun intérêt public, que la vente exclusive par les pharmacies et
drogueries n'est pas le moyen approprié pour atteindre le but visé et
qu'elle apparaît comme une mesure disproportionnée à ce but. Elle allègue
également la violation de l'art. 4 Cst., la décision attaquée constituant
à son avis une inégalité de traitement et une application arbitraire du
droit cantonal. Elle fait état, en outre, de trois jugements cantonaux
récents, qui seraient favorables à sa thèse.

    Le Conseil d'Etat conclut au rejet du recours.

    Les arguments des parties seront repris ci-dessous dans la mesure
utile.

    E.- En conformité de l'art. 95 OJ, divers renseignements ont été
demandés à l'OICM et à l'Organisation mondiale de la santé. Ont également
été produits les jugements cités par la recourante, ainsi que d'autres
jugements, notamment celui du Tribunal administratif du canton de Zurich,
rendu le 27 mars 1973.

Auszug aus den Erwägungen:

                      Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- a) (décision de dernière instance cantonale).

    b) Le recours de droit public ne peut tendre en principe qu'à
l'annulation de la décision attaquée. S'agissant cependant du cas où une
autorisation de police a été refusée prétendument à tort, le recourant peut
requérir le Tribunal fédéral d'enjoindre à l'autorité cantonale d'accorder
l'autorisation litigieuse (RO 98 I a 38 consid. 1 et les arrêts cités). Le
recours est donc recevable sur ce point également.

Erwägung 2

    2.- La fabrication et la vente des médicaments bénéficient de la
protection de l'art. 31 Cst., qui garantit la liberté du commerce et
de l'industrie (RO 93 I 219, 95 I 15 et 426 consid. 4). Les cantons
peuvent cependant y apporter des restrictions commandées par l'intérêt
public. L'art. 31 al. 2 dispose en effet que "les prescriptions
cantonales sur l'exercice du commerce et de l'industrie ainsi que
sur leur imposition sont réservées". Dans un arrêt récent (RO 97
I 504 ss.), le Tribunal fédéral a relevé qu'il fallait entendre par
"prescriptions cantonales sur l'exercice du commerce et de l'industrie"
non seulement les mesures de police au sens strict, savoir celles qui
visent à préserver d'un danger ou à l'écarter, mais également d'autres
mesures, notamment celles qui sont destinées à procurer ou à augmenter
le bien-être, comme par exemple des mesures de politique sociale;
seules sont prohibées les mesures de politique économique, c'est-à-dire
celles qui interviennent dans la libre concurrence pour assurer ou
favoriser certaines branches de l'activité lucrative ou certaines formes
d'exploitation et tendent à diriger l'activité économique selon un certain
plan. Les mesures que peuvent prendre les cantons doivent cependant se
conformer aux principes constitutionnels auxquels sont soumises toutes
les restrictions aux libertés individuelles, savoir la légalité, l'intérêt
public, la proportionnalité et l'égalité de traitement; elles ne peuvent
notamment être considérées comme répondant à un intérêt public que si
elles satisfont à un besoin assez généralement reconnu pour que l'Etat
se charge d'y pourvoir.

    Le Tribunal fédéral examine librement si les principes d'intérêt public
et de proportionnalité sont respectés par l'arrêté ou la décision attaqués
(RO 94 I 134 s., 95 I 426 consid. 4); il en est de même du principe de la
légalité, lorsque la restriction critiquée constitue une grave atteinte
aux intérêts du recourant (RO 95 I 16); dans les autres cas, son pouvoir
d'examen se limite à l'arbitraire.

Erwägung 3

    3.- a) Au sujet de la base légale, la recourante conteste
avec raison que la convention intercantonale sur le contrôle des
médicaments du 16 juin 1954 - à laquelle tous les cantons ont adhéré -
et son règlement d'exécution du 10 juin 1955 puissent en tenir lieu en
l'espèce; cette convention est en effet non pas un acte normatif, mais
un acte essentiellement contractuel et organisateur; elle ne confère
aucun pouvoir de puissance publique à l'OICM, ni n'impose d'obligation
aux administrés (FELIX WÜST, Die interkantonale Vereinbarung über die
Kontrolle der Heilmittel vom 16. Juni 1954, thèse St-Gall, 1969 p. 88-91;
SUSANNE IMBACH, Die Heilmittelkontrolle in der Schweiz aus staats- und
verwaltungsrechtlicher Sicht, thèse Berne, 1970 p. 94 s., avec référence
à des avis de droit de Fritz Gygi et Hans Huber). Le fait que le Tribunal
fédéral ait reconnu à la disposition particulière de l'art. 17 al. 2 -
relative à l'émolument de chancellerie pour la délivrance d'autorisations
de vente - le caractère de clause normative (cf. RO 81 I 358 ss.), tout
en laissant ouverte la question de principe, n'implique nullement la
reconnaissance de ce caractère à l'ensemble de la convention. En tout cas,
l'art. 13 al. 2 relatif au mode de vente n'a aucun caractère normatif,
selon son texte même: il charge simplement l'OICM de communiquer le
résultat de ses expertises aux cantons.

    b) En revanche, la base légale se trouve dans la loi cantonale "sur
l'exercice des professions médicales et des professions auxiliaires" du 11
décembre 1926. Cette loi réserve aux seuls pharmaciens diplômés le droit
de dispenser des médicaments au public (art. 27 et 29 al. 1), en dehors
de ceux dont la vente par les droguistes est autorisée (art. 29 al. 2)
ou de ceux qui figurent sur une liste spéciale établie par le Conseil
d'Etat et qui peuvent être vendus par tous les commerces (art. 29 al. 3
lettre b). La vitamine C ne figure pas dans cette liste.

    La recourante ne prétend pas que les dispositions de la loi cantonale
violent, en elles-mêmes, la liberté du commerce et de l'industrie, ni
que le Conseil d'Etat ait dépassé, dans les dispositions réglementaires,
les limites de la compétence déléguée par le législateur. Elle soutient
cependant que l'application de la loi et du règlement constitue une
violation de dispositions claires (Missachtung klaren Rechtes), ce qui
n'est guère compréhensible; la vitamine C ne figure pas, en effet, dans
la liste établie par le Conseil d'Etat en application de l'art. 29 al. 3
lettre b LPM de sorte que l'interdiction critiquée était conforme à la loi.

    Ce que la recourante attaque en réalité, c'est le refus du Conseil
d'Etat de mettre la vitamine C dans la liste des produits dont le commerce
est libre, refus que confirme implicitement la décision attaquée. Le
Conseil d'Etat n'était pas lié par le classement en catégorie D proposé
par l'OICM. Il devait en décider en vertu d'un pouvoir autonome; à défaut
de directive contenue dans la législation cantonale, il devait s'inspirer
des principes d'ordre constitutionnel en matière de police sanitaire et
de restrictions à la liberté du commerce, les recommandations de l'OICM
ne constituant pour lui qu'une indication de nature scientifique.

    Il s'agit donc d'examiner s'il a respecté ces principes, et c'est
bien sur ce terrain que se place la recourante.

Erwägung 4

    4.- Alors qu'elle avait prétendu, devant le Conseil d'Etat, que les
comprimés de vitamines C à 1000 mg étaient un simple produit alimentaire,
dont la vente ne pouvait pas être soumise à restriction, la recourante
ne conteste plus, devant la Cour de céans, que ces comprimés constituent
un médicament, par quoi il faut entendre, selon la 6e édition de la
Pharmacopée suisse, mise en vigueur par l'arrêté du Conseil fédéral du 25
août 1971 (ROLF 1971 p. 1182), "toute substance ou composition présentant
des propriétés curatives ou préventives à l'égard des maladies humaines
ou animales, ou pouvant être administrée à l'homme ou à l'animal en vue
d'établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier leurs
fonctions organiques"; tout au plus émet-elle un doute à ce sujet, doute
qui, faute d'être motivé, ne peut pas être retenu comme moyen de recours.

    a) Il est généralement admis que la vente des médicaments au public
soit en principe réservée aux magasins spécialisés, c'est-à-dire à
des personnes compétentes qui ont reçu une formation appropriée. Le
monopole des pharmaciens se justifie par la préoccupation de protéger la
santé publique contre les dangers que peut provoquer la consommation de
médicaments, notamment aussi l'abus d'une telle consommation. Le monopole
implique d'ailleurs des obligations et des servitudes assez lourdes pour
les pharmaciens: des exigences leur sont imposées quant aux locaux et aux
installations qu'ils utilisent pour la préparation et la conservation des
médicaments; ils doivent tenir à la disposition du public (dans certains
cantons en tout cas et notamment à Genève: art. 27 du Règlement de la LPM,
du 25 octobre 1927) tous les produits de la Pharmacopée suisse ou être
en mesure de les procurer dans les plus brefs délais; ils doivent tenir
des registres spéciaux; ils ont l'obligation d'assurer, par rotation,
le service des médicaments la nuit et le dimanche. Quant aux droguistes,
ils ont reçu eux aussi une formation adéquate en vue de la vente des
produits de la liste D de l'OICM: ils doivent être titulaires du "diplôme
des examens supérieurs de droguistes" (art. 2 du règlement cantonal du 29
avril 1955 relatif à l'exercice de la profession de droguiste, en abrégé
RD), ce qui implique des connaissances spéciales en la matière (cf. art. 15
du Règlement des examens professionnels supérieurs pour droguistes, du 22
avril 1952, approuvé par le Département fédéral de l'économie publique le
1er mai 1952); ils ont l'obligation de s'abonner au fichier relatif aux
spécialités pharmaceutiques dont la vente est admise par les drogueries
(art. 4 RD) et de tenir certains registres (art. 2 du règlement cantonal
du 21 décembre 1951 "fixant le tableau des drogues pouvant être vendues
par les droguistes"); ils sont aussi soumis aux dispositions générales
de la LPM et de son règlement d'exécution (art. 9 RD), et à certaines
exigences quant aux locaux et installations (art. 5, 6 et 8 RD).

    Si le monopole de la vente des médicaments est de nature à favoriser
une certaine organisation cartellaire et des abus en matière de prix,
il permet cependant aussi d'assurer en fait une certaine dispersion
géographique des pharmacies, qui est finalement favorable à l'ensemble
de la population et répond à un intérêt public. Aussi bien la Commission
suisse des cartels, qui s'est occupée de la question des prix des produits
pharmaceutiques, a-t-elle estimé que le régime en vigueur se justifiait
par des considérations d'hygiène et de santé publique (cf. publications
de la Commission suisse des cartels, année 1966, p. 303).

    La recourante ne conteste pas le principe lui-même du monopole de
la vente des médicaments par les pharmacies (et les drogueries pour les
produits de la liste D). Elle prétend en revanche qu'en raison du caractère
inoffensif des comprimés de vitamines C à 1000 mg, la restriction de vente
dont le Conseil d'Etat frappe ce produit n'est justifiée par aucun intérêt
public et qu'elle viole ainsi la liberté du commerce et de l'industrie.

    b) A l'appui de sa thèse, la recourante fait état des effets bénéfiques
de la vitamine C sur la santé humaine et soutient qu'il est dans l'intérêt
public d'en favoriser la consommation par la vente libre, ce qui permet
d'en abaisser sensiblement le prix. Elle allègue d'autre part que, selon
les plus récentes connaissances scientifiques, la vitamine C est absolument
inoffensive - même absorbée à haute dose de façon prolongée - pour
l'organisme humain et qu'elle ne provoque pas d'effets secondaires. Elle
cite de nombreux avis scientifiques favorables à sa thèse, ainsi que
des arrêts récents rendus par des tribunaux administratifs cantonaux
(d'Argovie du 1er septembre 1971 et de Soleure du 28 janvier 1972, comme
celui de l'Amtsgericht de Lucerne-Ville du 13 août 1971), qui ont déclaré
injustifiée l'exclusivité de la vente des comprimés de vitamines C à 1000
mg par les pharmacies et drogueries.

    Dans la décision attaquée comme dans sa réponse au recours, le Conseil
d'Etat cite d'autres avis scientifiques qui aboutissent à des conclusions
contraires: une consommation accrue de vitamines C ne serait ni nécessaire,
ni souhaitable pour la santé humaine, tandis qu'une consommation prolongée
à haute dose pourrait avoir des effets nocifs, notamment par la formation
de calculs rénaux.

    En présence de ces opinions divergentes, l'autorité cantonale pouvait
en tout cas retenir que la possibilité d'effets nocifs d'une consommation
prolongée de vitamines C à haute dose n'était pas exclue. Mais il s'agit
d'examiner si cette constatation lui permettait de conclure que la vente
exclusive des comprimés de vitamines C à 1000 mg par les pharmaciens et
les droguistes devait être maintenue.

    c) La recourante soutient, dans son recours, qu'un danger abstrait pour
la santé publique ne peut justifier une restriction de police que s'il en
résulte dans la majorité des cas, selon le cours ordinaire des choses,
un danger concret pour le bien juridique protégé, ce qui ne serait pas
le cas en l'espèce. C'est également sur cette distinction entre danger
abstrait et danger concret que s'est fondé le Tribunal administratif du
canton de Zurich dans un arrêt du 27 mars 1973 où il a admis - au sens
des considérants - le recours de sociétés coopératives Migros dans une
affaire semblable à la présente (cf. ZBl. 1973 p. 361).

    On peut douter qu'une telle distinction, connue semble-t-il de la
seule jurisprudence zurichoise (l'arrêt précité ne cite ni auteurs,
ni jurisprudence autre que celle de deux précédents arrêts zurichois)
et d'ailleurs difficile à opérer dans la pratique, puisse s'appliquer
en matière de santé publique, où l'importance du bien juridique à
protéger devrait inciter à tenir compte de tout danger quelconque. Il
n'est cependant pas nécessaire de trancher ce point, car même si
l'on voulait retenir comme pertinentes les considérations du tribunal
administratifzurichois, elles ne seraient pas déterminantes à elles
seules pour la solution du cas: d'autres éléments encore devraient en
effet entrer en ligne de compte.

    D'une part, le but à atteindre par les autorités sanitaires consiste
à éviter non seulement le danger que pourrait constituer la consommation
prolongée de vitamines C à haute dose, mais également le danger général
que fait courir à la santé publique l'abus de médicaments de tout
genre. Or la libéralisation de la vente de vitamines C à haute dose ne
ferait que renforcer ce danger général, surtout si la vente se faisait
en libre-service et si la libéralisation devait entraîner à sa suite,
comme on peut le craindre, celle d'autres produits figurant dans la liste
D de l'OICM. Aussi doit-on admettre que le maintien de la vente exclusive
par les pharmacies et les drogueries se justifie comme une mesure de
police sanitaire.

    D'autre part, même si elle ne voulait reconnaître qu'un caractère
abstrait au danger d'une consommation prolongée de vitamines C à haute
dose et lui dénier la faculté de justifier une mesure restrictive de
police du commerce, la Cour de céans pourrait cependant admettre, sans
courir le risque de donner une extension trop large aux autres mesures
évoquées par l'arrêt Griessen (RO 97 I 504), que la vente exclusive par
les pharmacies et les drogueries constitue une mesure destinée à promouvoir
et à sauvegarder cet élément du bien-être général que représente la santé
de la population.

    On ne saurait donc nier l'existence d'un intérêt public à la base de
la décision attaquée.

    d) Pour que la mesure contestée soit compatible avec la constitution,
il faut encore que l'intérêt public l'emporte sur l'intérêt privé de la
recourante à l'annulation de la restriction dont elle se plaint.

    Or les comprimés de 1000 mg de vitamines C ne forment qu'une modeste
part des très nombreux articles que la recourante offre en vente à
ses clients, de sorte que son bénéfice net ne serait sans doute pas
influencé de façon sensible par la décision incriminée. D'autre part,
si les comprimés de 1000 mg de vitamines C sont des médicaments, dont
la vente peut être soumise à restriction, en revanche les tablettes
pour limonade, d'une contenance en vitamine C correspondant à la dose
journalière suffisante pour l'organisme (fixée à 75 mg par l'ordonnance
du Département fédéral de l'intérieur concernant l'addition de vitamines
aux denrées alimentaires, du 7 mars 1957, qui autorise cependant une
contenance triple - 225 mg - pour compenser les pertes provoquées par
le stockage) sont considérées, par la réglementation fédérale, comme des
denrées alimentaires dont la vente est autorisée; la recourante pratique
effectivement la vente d'un tel produit. Dans ces conditions, elle ne
saurait prétendre être lésée dans un intérêt privé qui puisse prévaloir
sur l'intérêt public à la sauvegarde de la santé.

    La recourante soutient cependant encore qu'il y a un intérêt pour le
consommateur à pouvoir se procurer, au prix avantageux que permettrait
une vente libre, des comprimés de vitamines C à 1000 mg. Même en prenant
en considération un tel intérêt - qui n'est pas celui de la recourante
elle-même, mais de tiers non parties à la présente procédure -, on
devrait également reconnaître qu'il n'est pas de nature à prévaloir sur
l'intérêt public à la lutte contre l'abus des médicaments. En effet,
il est admis que le besoin journalier moyen en vitamines C est de 75 mg;
les particuliers peuvent se procurer librement des tablettes d'une telle
contenance, et à un prix sensiblement plus bas que celui des comprimés
de 1000 mg vendus en pharmacies et drogueries. C'est donc en vain qu'ils
prétendraient être lésés dans un intérêt privé qui devait l'emporter sur
l'intérêt public dont se préoccupent les autorités.

Erwägung 5

    5.- La recourante soutient que la décision attaquée viole le principe
dit de la proportionnalité des mesures administratives: d'une part des
mesures moins restrictives suffiraient pour atteindre le but visé par les
autorités; d'autre part, la vente exclusive des comprimés de vitamines C à
1000 mg par les pharmacies et drogueries ne serait pas le moyen approprié
pour atteindre ce but.

    a) Selon la recourante, les pharmaciens et les droguistes vendent les
comprimés à 1000 mg sans restriction de quantité et sans aucune mise en
garde, de sorte que le résultat escompté ne serait pas plus atteint par
la vente en pharmacie et droguerie que par la vente libre. La recourante
fait même état de la publicité pratiquée par certains pharmaciens en vue
de la vente en gros par correspondance, ce qui exclut toute mise en garde.

    Or, la mise en garde contre les abus de médicaments fait partie des
devoirs déontologiques des pharmaciens; si certains d'entre eux négligent
leurs obligations sur ce point, ce n'est pas une raison pour renoncer à une
réglementation destinée à sauvegarder la santé publique. D'autre part, le
simple fait qu'on ne peut se procurer un médicament que dans une pharmacie
ou une droguerie constitue déjà à lui seul une certaine mise en garde,
tandis que la possibilité de l'obtenir dans n'importe quel commerce ne
peut que contribuer à renforcer la tendance - reconnue dangereuse pour
la santé - à faire une consommation abusive de médicaments.

    b) La recourante prétend qu'il suffirait d'exiger de joindre aux
tubes de vitamine C à 1000 mg un prospectus contenant les indications
et les mises en garde éventuellement nécessaires. Mais le consommateur
ne lit guère les prospectus, en général; il les lirait sans doute moins
encore s'il s'agissait d'un produit en vente libre. Le moyen proposé par
la recourante n'est donc pas de nature à remplacer la mise en garde à
laquelle on peut s'attendre, le cas échéant, de la part d'un pharmacien ou
d'un droguiste conscient de ses responsabilités, ni même la mise en garde
implicite que constitue le fait qu'un médicament ne peut être obtenu que
dans une pharmacie ou une droguerie.

Erwägung 6

    6.- a) La recourante soulève encore le grief d'inégalité de traitement:
à son avis, la vente des vitamines C par les pharmacies et drogueries
n'offrirait pas plus de protection contre la consommation abusive de
médicaments que la vente libre, de sorte qu'en traitant différemment
des situations semblables les autorités cantonales auraient commis une
inégalité de traitement.

    On a vu ci-dessus (consid. 4 et 5) que les conséquences d'une vente
libre et celles d'une vente exclusive par les pharmacies et drogueries
ne sont pas les mêmes, de sorte que le grief d'inégalité de traitement
se révèle mal fondé.

    Il en est de même du grief d'arbitraire: si la décision attaquée
est compatible avec l'art. 31 Cst., à plus forte raison n'est-elle pas
contraire à l'art. 4 Cst.

    b) La recourante ne prétend pas que le rejet de son recours créerait
une inégalité de traitement de canton à canton, en raison des arrêts
rendus par des tribunaux administratifs cantonaux qui ont déclaré
incompatible avec l'art. 31 Cst. l'exclusivité de la vente dans les
pharmacies et drogueries. Il est sans doute regrettable que le régime
de vente soit différent d'un canton à l'autre. Mais une telle situation
ne constitue pas une inégalité de traitement contraire à l'art. 4 Cst.;
elle est la conséquence de la sphère d'autonomie (Eigenständigkeit)
dont jouissent les cantons (RO 97 I 122 consid. 5 a, 96 I 704 consid. 4
b et les arrêts cités). C'est donc avec raison que la recourante n'a
pas soulevé le grief d'inégalité de traitement sur ce point.

Entscheid:

Par ces motifs, le Tribunal fédéral:

    Rejette le recours.