Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 93 I 38



93 I 38

5. Arrêt du 22 février 1967 dans la cause Fédération des syndicats
patronaux et consorts contre Conseil d'Etat du canton de Genève. Regeste

    Art. 88 OG. Legitimation zur staatsrechtlichen Beschwerde wegen
Verletzung des Grundsatzes der Gewaltentrennung. Welches sind die
verletzten Interessen? (Erw. 3).

    Erfordernis der gesetzlichen Grundlage für die Einführung eines
direkten oder indirekten rechtlichen Monopols (Erw. 4a).

    Wann bedarf es einer klaren und unzweideutigen gesetzlichen Grundlage?
(Erw. 4b).

Sachverhalt

    A.- Le Conseil d'Etat du canton de Genève a adopté le 3 août 1966 un
"règlement concernant les prestations aux élèves et étudiants victimes
d'accidents" et un "règlement modifiant le règlement de l'enseignement
primaire et le règle ment de l'enseignement secondaire".

    Le premier règlement traite de l'assurance obligatoire par l'Etat
(art. 1er) et du caractère complémentaire de cette assurance pour les
élèves soumis à la "loi sur l'assurance-maladie obligatoire des écoliers,
des apprentis et des mineurs salariés", du 22 décembre 1924 (art. 2). Il
fixe l'étendue de l'assurance (pendant les activités scolaires et sur le
trajet direct pour s'y rendre et en revenir, art. 3) et les prestations
garanties pour les frais de guérison, les cas de décès et d'invalidité
(art. 6). Il désigne l'organe d'application du règlement (Office des
assurances de l'Etat, art. 7) et crée un fonds spécial qui figurera
au bilan de l'Etat et dont les mouvements seront mentionnés dans le
rapport sur la gestion du Conseil d'Etat (art. 11). Il définit la notion
de l'accident (art. 4), prévoit l'avis à donner aux autorités scolaires
en cas d'accident (art. 5), le mode de paiement des indemnités (art. 9)
et la subrogation de l'Etat aux droits de la victime contre les tiers
responsables de l'accident (art. 8). Il fixe enfin le montant des primes
annuelles à payer au maître de classe ou au secrétariat de l'école: 3
fr. pour l'enseignement primaire, 8 fr. pour l'enseignement secondaire
et 10 fr. pour l'enseignement supérieur (art. 10).

    Le second règlement modifie deux articles des règlements sur
l'enseignement primaire et l'enseignement secondaire pour les adapter
aux nouvelles dispositions.

    Le texte des deux règlements a été publié dans la "Feuille d'avis
officielle" du mercredi 10 août 1966.

    B.- Par acte du 15 septembre 1966, la Fédération des syndicats
patronaux, la Chambre genevoise des agents généraux d'assurances et Fritz
Lüscher, tous à Genève, forment un recours de droit public contre les
deux règlements du 3 août 1966, dont ils demandent au Tribunal fédéral
de prononcer l'annulation.

    Les associations font valoir qu'elles défendent, selon leurs buts
statutaires, les intérêts des assureurs et des agents généraux d'assurances
qu'elles comptent parmi leurs membres. Fritz Lüscher déclare qu'il est
père de deux enfants soumis à la réglementation attaquée, l'un suivant
l'école supérieure des jeunes filles et l'autre le cycle d'orientation.

    Les recourants reprochent au Conseil d'Etat d'avoir, en adoptant les
deux règlements litigieux, violé le principe de la souveraineté populaire
(art. 1er Cst. gen.), le principe de l'égalité des citoyens devant la
loi (art. 4 Cst.) et le principe de la force dérogatoire du droit fédéral
(art. 2 Disp. trans. Cst).

    A leur avis, les dispositions réglementaires adoptées par le Conseil
d'Etat manquent de base légale et sont en outre contraires à l'art. 96
al. 2 Cst. gen. en ce sens qu'aucune recette correspondante n'est
prévue pour assurer la couverture financière des nouvelles dépenses. Les
règlements attaqués créent aussi des inégalités de traitement entre les
élèves qui sont assurés en totalité, mais de façon intermittente, et ceux
qui ne le sont qu'à titre complémentaire, mais de manière continue. Il
est également arbitraire d'obliger les parents qui ont déjà assuré leurs
enfants à verser des primes à l'Etat.

    Enfin, les recourants soutiennent que le premier règlement méconnaît
l'art. 96 LCA en subrogeant l'Etat aux droits de la victime ou de ses
ayants droit, et qu'il ne satisfait pas aux exigences du droit fédéral
en négligeant de définir la notion d'invalidité.

    C.- Le Conseil d'Etat propose au Tribunal fédéral: 1) de déclarer
irrecevable, pour défaut de motivation, le recours dirigé contre le second
règlement du 3 août 1966; 2) de prononcer l'irrecevabilité du recours
de la Fédération des syndicats patronaux et de la Chambre genevoise des
agents généraux d'assurances, pour défaut de qualité pour recourir; 3) de
rejeter, dans la mesure où il est recevable, le recours de Fritz Lüscher.

    a) Le Conseil d'Etat rappelle tout d'abord la situation qui existait
avant l'adoption des règlements attaqués et l'évolution des faits qui
ont abouti à cette adoption.

    Les élèves et étudiants de l'enseignement à tous les degrés.étaient
déjà soumis antérieurement à l'assurance obligatoire contre les accidents:
les étudiants de l'université depuis 1920 ou même précédemment (cf. art. A
135 du règlement de l'université, de 1953, qui a remplacé des textes
antérieurs); les élèves de l'enseignement secondaire, depuis 1940 en tout
cas, l'art. 51 de la loi sur l'instruction publique du 6 novembre 1940
prévoyant expressément l'assurance obligatoire; les élèves des classes
enfantines, primaires et secondaires de degré inférieur, dès 1924 au
moins pour la couverture des frais de guérison (cf. lois de 1924 sur
l'assurance-maladie obligatoire, en particulier art. 1er, 2, 3), et dès
1955 au moins pour des prestations en cas de décès et d'invalidité.

    Ces élèves et étudiants étaient aussi déjà assurés par les soins de
l'Etat (cf. en particulier art. 18 du règlement de 1955 sur l'enseignement
secondaire), qui avait conclu à cet effet des assurances collectives
auprès de diverses compagnies d'assurances: avec l'Helvetia-Accidents
pour les élèves de l'enseignement primaire, avec la Winterthur pour les
élèves de l'enseignement secondaire et avec la Zurich pour les étudiants
de l'université.

    Il n'y a pas eu de recours contre les textes légaux ou réglementaires
qui introduisaient l'assurance obligatoire en cas d'accidents et en
prévoyaient la réalisation par les soins de l'Etat. D'ailleurs, les
compagnies intéressées n'ont pas manqué de conclure, sur cette base,
des assurances collectives avec l'Etat et d'en tirer bénéfice.

    Constatant que les primes payées aux assureurs semblaient très élevées
par rapport aux prestations versées et que d'autre part les garanties
étaient insuffisantes, l'Etat entama avec les compagnies d'assurances des
pourparlers qui n'aboutirent pas, étant donné les prétentions excessives
de ces sociétés, dont les offres d'ailleurs furent extrêmement variables
(de 13 fr. 40 à 21 fr. 50 de prime pour l'enseignement secondaire,
de 16 fr. à 24 fr. 50 pour l'université). L'augmentation de charges
pour l'Etat aurait été de 70 000 fr. par an, dans le cas des primes
les plus avantageuses. Dans ces conditions, l'Etat décida d'assurer
lui-même ses élèves et étudiants, fort de l'expérience acquise dans
l'assurance-accidents des magistrats, fonctionnaires et employés de
l'Etat. A cet effet, il adopta les deux règlements du 3 août 1966.

    b) A l'encontre des griefs soulevés par les recourants, le Conseil
d'Etat fait valoir principalement les arguments suivants: la prétendue
création d'une "Caisse d'Etat" constitue un simple acte de gestion, qui ne
nécessite nullement le vote d'une loi; il ne s'agit pas de la constitution
d'un monopole, puisque l'assurance par l'Etat ne s'étend qu'aux activités
scolaires et au trajet direct pour s'y rendre et en revenir; les risques
financiers encourus ne sont pas plus graves qu'auparavant, et l'Office des
assurances de l'Etat, qui s'occupe déjà de régler tous les cas d'accidents
avec les assureurs, n'aura pas une surcharge excessive de travail en
les liquidant directement lui-même à l'avenir. L'art. 96 al. 2 Cst. gen.
n'ouvre pas la voie au recours de droit public. Il n'y a pas d'inégalité
de traitement entre les élèves assujettis, les primes à payer étant
différentes pour les diverses catégories. Les dispositions de la LCA
ne s'appliquent qu'aux assurances privées; au surplus, la référence -
contenue à l'art. 4 al. 3 - aux conditions générales pour l'assurance
collective contre les accidents, selon la loi genevoise sur l'assurance
obligatoire de certains salariés, permet de définir la notion d'invalidité.

    D.- Les règlements attaqués ne contenant aucune motivation,
les recourants ont été autorisés à prendre position, dans un mémoire
complémentaire, à l'égard des arguments développés par le Conseil d'Etat
dans sa réponse. Leurs objections seront reprises ci-après dans la
mesure utile.

Auszug aus den Erwägungen:

                      Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- L'élément nouveau introduit dans le droit genevois par le
"règlement concernant les prestations aux élèves et étudiants victimes
d'accidents" est l'institution d'un fonds d'assurance par l'Etat lui-même
(art. 11 en relation avec l'art. 7). Il ressort en effet des faits
rappelés ci-dessus, en particulier de la réponse du Conseil d'Etat,
que c'est cette institution qui a été la raison d'être de la mise sur
pied d'un tel règlement, à la suite de l'échec des pourparlers entamés
par l'Etat avec les compagnies d'assurances. L'obligation de s'assurer
contre les accidents résultait déjà, pour les élèves de tous les degrés,
de textes antérieurs qui n'avaient pas fait l'objet de recours; il en
était de même, en partie du moins, de l'obligation de passer par l'Etat
pour une telle assurance; en tout cas, une telle obligation existait en
fait depuis plusieurs années sans que personne n'en ait mis en doute la
légalité et ne l'ait attaquée par la voie d'un recours de droit public.

    Le déroulement des pourparlers entre l'Etat et les compagnies
d'assurances montre également que c'est essentiellement la constitution
du fonds public d'assurance, consécutive à l'échec de ces pourparlers,
qui a incité les agents généraux d'assurances - par le canal de leur
Chambre cantonale - à en contester la constitutionnalité par la voie
du recours de droit public. C'est donc en fonction de l'institution de
ce fonds public d'assurance qu'il importe de considérer les règlements
attaqués et les griefs dont ils sont l'objet.

    Si l'institution du fonds public d'assurance devait être déclarée
inconstitutionnelle pour défaut de base légale, cela entraînerait
l'annulation, non seulement des art. 7 et 11 qui ont trait directement
à cette institution, mais également des dispositions sur les prestations
(art. 6), lesquelles seraient désormais entièrement à la charge de l'Etat,
et sur les primes (art. 10), calculées en fonction de ces prestations et
de manière à réaliser l'équilibre entre les unes et les autres. Il en est
de même de la disposition sur la subrogation en faveur de l'Etat (art. 8),
qui n'a de raison d'être que dans un système d'assurance étatique.

    Privé de ses éléments essentiels, le premier règlement n'aurait plus
de sens ni d'utilité; il devrait dès lors être annulé entièrement. Quant
au second règlement, qui se borne à adapter quelques dispositions
réglementaires en vigueur à la nouvelle institution créée par le premier
règlement, il devrait lui aussi suivre le même sort.

Erwägung 2

    2.- Le Conseil d'Etat conclut à l'irrecevabilité du recours contre
le second règlement, pour défaut de motivation.

    Il est vrai que si, dans leurs conclusions, les recourants demandent
l'annulation des deux règlements du 3 août 1966, ils ne s'en prennent qu'au
premier dans l'exposé de leurs moyens, sans parler du second. Ce n'est
cependant pas une raison suffisante de déclarer le recours irrecevable
à l'égard de ce dernier.

    On a vu ci-dessus que le second règlement se borne à adapter des
dispositions en vigueur à la nouvelle institution créée par le premier
règlement et qu'il est étroitement lié à celui-ci. Dès lors les arguments
dirigés contre l'un s'adressent également à l'autre. Au surplus, le
Conseil d'Etat aurait très bien pu introduire dans le premier un article
qui apporte aux textes en vigueur les adaptations nécessitées par la
nouvelle institution. Ce serait en tout cas faire preuve d'un formalisme
exagéré que de refuser d'entrer en matière, faute de motifs, au sujet du
second règlement.

Erwägung 3

    3.- Il importe d'examiner, en fonction de l'institution du fonds
public d'assurance, la question de la qualité pour recourir.

    Les recourants invoquent d'abord les art. 1er, 78 et 116 de la
constitution cantonale. Manifestement, ils ne peuvent déduire de
ces dispositions, considérées en elles-mêmes, un droit individuel
susceptible d'être protégé par un recours de droit public. L'art. 1er,
qui attribue au peuple la souveraineté, énonce un principe trop général
pour être directement applicable; quant aux art. 78 et 116, qui fixent
les compétences du Grand Conseil et du Conseil d'Etat, leur caractère
organique est incontestable (cf. RO 82 I 99). Toutefois, loin de se borner
à citer ces dispositions, les recourants font grief au Conseil d'Etat de
les avoir violées en édictant une réglementation sans base légale. Cet
argument supplémentaire éclaire leurs intentions. Ce qu'ils reprochent en
réalité au Conseil d'Etat, c'est de s'être substitué au législateur ou,
comme ils le précisent dans leur mémoire supplétif, d'avoir méconnu le
principe de la séparation des pouvoirs. Or, qu'il soit formulé ou non
par la constitution, ce principe n'en a pas moins dans chaque canton
un caractère constitutionnel qui résulte de la répartition des tâches
étatiques entre divers organes (RO 70 I 7 s., 79 I 131, 80 I 4, 81 I
121 et 183, 83 I 115). Tel est le cas à Genève comme ailleurs (RO 82 I
99). Certes, un recourant ne peut s'appuyer sur le principe de séparation
que s'il se prétend touché dans des intérêts juridiquement protégés qui
correspondent à ce principe même (RO 86 I 102, 284; 89 I 238/9, 278/9;
91 I 419). Point n'est besoin cependant qu'il se plaigne d'une violation
de ses droits d'électeur (RO 89 I 260); il suffit qu'il allègue la lésion
de n'importe quel intérêt juridiquement protégé et correspondant au droit
constitutionnel invoqué (RO 91 I 407). Il s'agit dès lors d'examiner, dans
le cadre des arguments qu'ils fondent sur le principe de la séparation
des pouvoirs, si les recourants se prévalent d'une atteinte à un intérêt
de cette nature.

    a) Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, les associations
dont le but statutaire est de sauvegarder certains intérêts de leurs
membres ont qualité pour former un recours de droit public, si leurs
membres eux-mêmes sont touchés dans ces intérêts et sont lésés au sens
de l'art. 88 OJ (RO 81 I 120, 88 I 175).

    Les statuts de la Fédération des syndicats patronaux prévoient que
cette dernière a notamment pour but de "s'opposer à toute mesure d'ordre
politique, économique ou administratif qui serait de nature à porter
atteinte aux intérêts généraux des associations affiliées ou de leurs
membres". La Chambre genevoise des agents généraux d'assurances, ainsi
que de nombreux assureurs, font partie de la Fédération. Les statuts
de la Chambre prévoient qu'elle a notamment pour but "la sauvegarde des
intérêts moraux et matériels de ses membres". Les deux associations ont
dès lors qualité pour former un recours de droit public dans la mesure
où les décisions attaquées lèsent les intérêts de leurs membres au sens
de l'art. 88 OJ.

    En vertu de la réglementation attaquée, les assureurs qui font
partie de ces associations ne pourront pratiquement plus conclure
d'assurance collective avec l'Etat contre les risques qu'il a décidé
d'assurer lui-même. Ils ne sauraient pourtant s'en plaindre, rien
n'obligeant l'Etat à contracter avec eux (cf. RO 89 I 279). Cependant,
en s'instituant assureur, l'Etat s'est arrogé un monopole. Manifestement,
les élèves ou leurs parents ne s'assureront pas à double, c'est-à-dire
qu'ils renonceront à traiter avec des sociétés privées dans la mesure
où ils sont protégés par l'Etat; ces sociétés sont donc victimes d'un
monopole. Il ne s'agit pas d'un simple monopole de fait, en raison duquel
l'activité de l'Etat est interdite aux tiers par des moyens sans rapport
direct avec elle (cf. RO 82 I 228 et les arrêts cités; RUCK, Festgabe für
Götzinger, p. 225; FAVRE, Droit constitutionnel suisse, p. 369; MARTI,
Handels- und Gewerbefreiheit, p. 208); en effet, le Conseil d'Etat ne s'est
pas servi en l'espèce d'un procédé indirect pour arriver à ses fins. On
n'a pas affaire non plus à un monopole de droit proprement dit, dont
le détenteur a le droit exclusif d'exercer une activité déterminée (cf.
MARTI et RUCK, loc.cit.): juridiquement, les assureurs privés conservent
la faculté d'assurer les élèves de l'enseignement public. En réalité,
on se trouve en présence d'un monopole de droit indirect, c'est-à-dire
du cas où, en rendant obligatoire le recours à un service public auquel
il attribue une certaine tâche, l'Etat empêche les particuliers de la
remplir, faute de clientèle (GIACOMETTI, Schweiz. Bundesstaatsrecht,
p. 309; MARTI, op.cit., p. 209 et 211). Ces questions de terminologie
sont d'ailleurs secondaires. Ce qu'il importe de constater, c'est que
les assureurs privés seraient certainement atteints dans leurs intérêts
professionnels par une interdiction de contracter et que ces intérêts,
protégés par l'ordre juridique, correspondraient au droit constitutionnel
invoqué. Mais la réglementation attaquée aboutit en fait à un résultat
identique et lèse tout autant les assureurs privés. Ceux-ci ont dès lors
qualité pour recourir dans le second comme dans le premier cas; il en est
de même des associations recourantes, chargées de défendre les intérêts
professionnels de leurs membres; si l'on n'admettait pas la qualité pour
recourir dans le second cas, l'Etat aurait la possibilité de se soustraire
au contrôle du Tribunal fédéral en adoptant telle forme de monopole plutôt
que telle autre, par exemple en rendant pratiquement impossible l'exercice
d'une profession au lieu de le prohiber par des textes.

    Admettre, dans ce cas, la qualité pour agir, ce n'est pas aller à
l'encontre d'un des buts principaux de la jurisprudence sur les recours
de droit public: éviter l'action populaire. Ici, le cercle des intéressés
habiles à agir est limité aux assureurs qui concluent des assurances dans
le canton de Genève et aux associations dont ils font partie; il n'est donc
pas question d'ouvrir à quiconque la voie du recours de droit public. Point
n'est besoin de se demander si, en faisant concurrence aux particuliers
sans exclure complètement leur activité dans un certain domaine, l'Etat
affecte leurs intérêts juridiquement protégés, puisqu'en l'espèce les
assureurs sont pratiquement éliminés d'un secteur déterminé. Au demeurant,
il est inutile d'examiner si les sociétés d'assurances sont seules touchées
dans leurs intérêts ou si les agents généraux se trouvent aussi dans la
même situation. La Chambre genevoise des agents généraux d'assurances
groupant des sociétés et des agents, cette question peut rester indécise.

    b) Fritz Lüscher est le père de deux enfants qui suivent l'enseignement
secondaire; il est dès lors astreint à payer des primes d'assurance à
l'Etat; d'autre part, il n'est pas exclu qu'il soit astreint un jour à
des versements en faveur d'élèves de l'école primaire ou d'étudiants de
l'université. Sans doute ne soutient-il pas qu'une caisse publique soit
moins solvable qu'une entreprise privée. En revanche, il prétend qu'en
échange de primes inférieures, une compagnie d'assurances offre à telle
catégorie d'assurés des prestations supérieures à celles de la caisse
publique. Peu importe que ces allégations soient exactes ou non: c'est là
une question de fond et non de recevabilité. Il suffit de constater que,
sur la base des mémoires des recourants, Fritz Lüscher est atteint dans ses
intérêts d'une manière effective ou virtuelle; ces intérêts sont protégés
par le principe de la légalité et correspondent à celui de la séparation
des pouvoirs. C'est dire que Fritz Lüscher est habile à recourir.

Erwägung 4

    4.- Abordant l'examen du fond, la Cour de céans doit essentiellement
se demander si l'institution d'une caisse publique d'assurance par le
Conseil d'Etat ne constitue pas une atteinte au principe de la séapration
des pouvoirs.

    Ce principe est violé toutes les fois qu'un organe de l'Etat empiète
sur la sphère d'activité d'un autre, telle que la détermine l'ordre
juridique. En particulier, lorsqu'une mesure étatique est subordonnée à
une base légale en vertu du principe de la légalité (cf. RO 83 I 115),
l'autorité exécutive ne peut édicter des dispositions générales et
abstraites qu'en se fondant sur une loi. Il s'agit dès lors d'examiner si,
en créant une caisse publique pour l'assurance-accidents des élèves et
étudiants, le Conseil d'Etat était soumis à l'exigence de la base légale
et, dans l'affirmative, s'il s'y est conformé.

    a) Il ressort des considérants précédents (consid. 3 a) qu'en
instituant un fonds d'assurance public, le Conseil d'Etat a attribué à
l'Etat un monopole de droit indirect. Or, selon la doctrine, un monopole
doit en principe reposer sur une base légale (BURCKHARDT, Kommentar,
3e éd., p. 230). Cela est vrai en tout cas pour les monopoles de droit,
directs ou indirects (MARTI, op.cit., p. 211, 229). Une base légale étant
donc nécessaire en l'espèce, il reste à décider s'il faut en examiner
l'existence sous l'angle restreint de l'arbitraire ou au contraire exiger
une base claire et nette.

    b) Comme il a eu l'occasion de le préciser à maintes reprises, en
matière de garantie de la propriété notamment, le Tribunal fédéral revoit
en principe sous l'angle de l'arbitraire seulement l'existence de la base
légale cantonale sur laquelle l'autorité fonde ses décisions. Cependant,
lorsqu'il s'agit d'atteinte particulièrement grave à la propriété et à la
liberté individuelle, il a jugé qu'il devait abandonner la réserve dont
il fait preuve habituellement (RO 90 I 39). Il en est de même ici. Sans
doute ne lui incombe-t-il pas de se prononcer sur les avantages et
les inconvénients d'une caisse d'assurance publique par rapport aux
assurances collectives conclues auprès d'assureurs privés. Toutefois,
l'atteinte causée à la liberté économique par la réglementation attaquée
doit être considérée comme sensible, en particulier en raison du grand
nombre d'élèves (près de 40 000) qui sont englobés dans l'assurance
obligatoire de l'Etat et à propos desquels des compagnies d'assurances
sont pratiquement privées de la possibilité de conclure des contrats dans
la branche accidents. Supposé même que cette atteinte ne soit pas assez
grave pour justifier à elle seule l'exigence d'une base claire et nette,
d'autres considérations cependant plaident encore pour cette solution.

    Tout d'abord l'institution d'une caisse publique expose l'Etat à
des risques qui peuvent être importants; les indemnités pour invalidité
permanente totale vont en effet jusqu'à 60 000 fr. par cas, même jusqu'à
100 000 fr. pour les étudiants de l'université. Ensuite, elle entraînera
selon toute vraisemblance, et contrairement à l'avis de l'intimé, une
extension plus ou moins considérable de l'appareil administratif; si
l'Office cantonal des assurances compte actuellement un chef et deux commis
pour s'occuper de tous les problèmes d'assurance dans l'administration,
il semble exclu qu'un personnel si peu nombreux puisse régler en plus
les conséquences financières de tous les accidents subis par les élèves
de l'enseignement public, lequel en compte près de 40 000. Enfin, en
tant qu'il porte sur l'assurance-accidents des élèves et étudiants, le
monopole accordé à l'Etat apparaît comme une innovation, aussi bien dans
le canton de Genève que dans les autres cantons.

    De l'ensemble de ces circonstances, il faut conclure que le Conseil
d'Etat ne pouvait créer une caisse d'assurance publique sans y être
autorisé par la loi d'une façon claire et nette. Or ni les art. 2, 51 et
95 précités de la loi sur l'instruction publique, ni d'autres dispositions
légales ne confèrent au Conseil d'Etat un tel pouvoir. Il s'ensuit que
l'institution d'une caisse publique viole le principe de la légalité et,
partant, celui de la séparation des pouvoirs.

    Au demeurant, même s'il examinait la question sous l'angle restreint de
l'arbitraire, le Tribunal fédéral aboutirait à un résultat identique. En
effet, pour reconnaître au Conseil d'Etat la compétence de créer une
caisse d'assurance publique, il faut s'écarter du texte légal d'une
manière telle qu'un juge ne saurait s'y résoudre, fût-il confiné sur le
terrain de l'arbitraire.

    c) Les dispositions qui instituent la caisse publique d'assurance
doivent donc être annulées parce qu'inconstitutionnelles; cette annulation
entraîne celle des deux règlements du 3 août 1966, qui ont été adoptés
essentiellement en fonction de cette institution et qui trouvent en elle
leur raison d'être (cf. consid. 1 ci-dessus).

Erwägung 5

    5.- Le recours devant être admis - et les règlements annulés - pour
les motifs exposés ci-dessus, il n'est pas nécessaire d'examiner les
autres griefs des recourants.

Entscheid:

Par ces motifs, le Tribunal fédéral:

    Admet le recours dans la mesure où il est recevable; partant, annule:
a) le règlement concernant les prestations aux élèves et étudiants
victimes d'accidents, du 3 août 1966; b) le règlement, de même date,
modifiant le règlement de l'enseignement primaire et le règlement de
l'enseignement secondaire.