Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 93 II 504



93 II 504

62. Extrait de l'arrêt de la Ie Cour civile du 28 novembre 1967 dans la
cause Lamar SA contre Parke Davis & Company et consorts. Regeste

    1. Art. 50 Abs. 1 OG

    Zulässigkeit der Berufung gegen Zwischenentscheid (Erw. 1).

    2. Patentrecht.

    a)  Art. 112 lit. a PatG. Massgebendes Recht für die Beurteilung der
Gültigkeit vor dem Inkrafttreten des PatG vom 25. Juni 1954 erteilter
Patente (Erw. 3).

    b)  Art. 4 Abs. 1 PatG von 1907. Verfahren für die Herstellung eines
Naturerzeugnisses auf chemischem Wege (Antibiotikum):

    -  Neuheit des Verfahrens (Erw. 3 a).

    - Neuheit des Ausgangsstoffes und des Endstoffes (Erw. 3b).

    - Erfindungshöhe (Erw. 4).

    - Nichtigkeit von Patenten für Verfahren, die aufeinanderfolgende
Etappen der Herstellung des Endstoffes darstellen (Erw. 5).

Sachverhalt

    A.- Parke, Davis & Company (en abrégé: Parke Davis) a déposé, en 1948
et 1949, six demandes de brevets suisses, avec priorité de brevets pris aux
Etats-Unis d'Amérique, concernant des procédés de fabrication synthétique
du chloramphénicol. Il s'agit d'un antibiotique, nouveau à l'époque, isolé
à partir du produit issu des transformations organiques que provoque un
micro-organisme nommé streptomyces venezuelae. Parke Davis a analysé ce
corps, nommé alors chloromycétine, en a déterminé la structure chimique
et réalisé la synthèse. Chacun de ces six brevets concerne une étape
de ladite synthèse; les cinq premières de ces étapes aboutissent à un
produit intermédiaire, la sixième au chloramphénicol lui-même, selon le
tableau suivant:
                  Date de
          Date de l'enregis-      Priorité   Procédé

    Numéro        dépôt   trement

    282.086       14. III.49      15.IV.52        USA 24.VIII.48
                  (Passage de la substance I à la substance II)

    271.929       14. III.49      30.XI.50        USA 24.VIII.48
                  (Passage de la substance II à la substance III)

    314.008 21. X.53      31.V.56 USA 26.I.53
                  (Passage de la substance II à la substance III)

    282.733       14. III.49      15.V.52 USA 24.VIII.48
                  (Passage de la substance III à la substance IV)

    318.194       9.VII.53        31.XII.56       France 28.XI.52
                  (Passage de la substance IV à la substance V)

    278.776       15.XII.48       31.X.51 USA 16.III.48
                  (Passage de la substance V à la substance VI)

    B.- Le 23 janvier 1961, Parke Davis a assigné Lamar SA, dont le siège
est à Lugano, et sa succursale d'Avully (Genève) devant la Cour de Justice
de Genève. Elle concluait à ce qu'il plaise à la cour:

    1. Constater que la défenderesse a violé les brevets prémentionnés;

    2. Interdire à la défenderesse de fabriquer selon les procédés
couverts par lesdits brevets, livrer, vendre ou mettre en circulation le
chloramphénicol ainsi fabriqué;

    3. Condamner la défendresse à payer à la demanderesse 2 000 000 fr. à
titre de dommages-intérêts.

    C.- La défenderesse a conclu au rejet de la demande et
reconventionnellement, à titre principal: à la nullité des brevets
Nos 282.086, 271.929, 314.008, 282.733, 318.194 et 278.776, à titre
subsidiaire: à ce qu'une licence simple d'exploitation lui soit accordée
pour ceux des brevets susvisés qui n'auraient pas été déclarés nuls.

    D.- Le brevet No 318.194 appartenant aux Laboratoires français de
chimiothérapie, dont Parke Davis a obtenu une licence exclusive, Lamar SA a
contesté la qualité de la demanderesse pour agir du chef de ce brevet. Les
Laboratoires français de chimiothérapie sont alors intervenus dans la
procédure et ont pris les conclusions suivantes au regard de ce brevet:
Plaise à la Cour de justice:

    1. Dire que la défenderesse a violé les droits
exclusifs des demanderesses découlant du brevet No
318.194; 2. Interdire à la défenderesse de fabriquer du
L-pseudo-1-paranitrophényl-2-aminopropane-1,3-diol en recourant à
l'opération couverte par le brevet No 318.194, vendre ou mettre en
circulation ledit produit ainsi fabriqué;

    3. Condamner la défenderesse à payer aux demanderesses 500 000 fr. à
titre de dommages-intérêts.

    Les Laboratoires français de chimiothérapie ont, depuis lors, pris le
nom de Compagnie française Chimio. Ils ont en outre transféré leur brevet
(No 318.194) à Roussel Uclaf, laquelle est également intervenue au procès,
reprenant la place de Chimio avec l'accord de la défenderesse.

    E.- La Cour de justice a commis conjointement comme experts: Arigoni,
professeur de chimie organique à l'EPF, Combe, chef de section au Bureau
fédéral de la propriété intellectuelle et Posternak, professeur de chimie
biologique à l'Université de Genève. Les experts ont déposé leur rapport,
daté des 13, 16 et 17 mars 1964.

    F.- A la requête des demanderesses, statuant par voie provisionnelle,
le 2 juillet 1964, la Cour de justice à interdit à Lamar SA de fabriquer
ou mettre en circulation du chloramphénicol en recourant aux opérations
décrites dans les brevets Nos 278.776, 314.008 et 318.194 en imposant
aux demanderesses de fournir des sûretés, la possibilité étant cependant
donnée à Lamar SA d'éviter ladite défense 10 en déposant une somme de
100 000 fr. ou en fournissant un engagement bancaire de ce montant, 2o
en versant tous les six mois - ou en faisant garantir par une banque -
une somme égale à 4% du prix de vente par Lamar des produits vendus ou
fabriqués par elle et dans la fabrication desquels sont intervenues des
opérations protégées par les trois brevets susmentionnés, les montants
entrant en ligne de compte étant déterminés par un tiers.

    Lamar a utilisé la possibilité offerte et le système de garanties
prescrit a été appliqué.

    G.- Le 21 octobre 1966, la Cour de justice de Genève, statuant sur
une partie des points litigieux, a:

    1. Débouté Lamar SA de ses conclusions en nullité des brevets suisses
Nos 282.086, 271.929, 314.008, 282.733, 318.194 et 278.776;

    2. Dit que Lamar SA s'est rendue coupable de violation des droits
des demanderesses découlant des brevets susdits; 3. Interdit à Lamar SA
de fabriquer, livrer, vendre ou mettre en circulation du chloramphénicol
en recourant à l'une ou l'autre des opérations couvertes par ces brevets
ou du L-pseudo-1-paranitrophényl-2-aminopropane-1,3-diol en recourant à
l'opération couverte par le brevet 318.194;

    4. Autorisé les demanderesses à publier le dispositif cidessus dans
cinq journaux à leur choix, aux frais de la défenderesse, à concurrence
de 300 fr. au maximum pour chacune des cinq parutions;

    5. Débouté Lamar SA du chef de ses conclusions tendant à l'octroi
d'une licence en vertu de l'art. 37 LBI;

    6. Déclaré irrecevable le chef de ses conclusions tendant à l'octroi
d'une licence en vertu de l'art. 36 LBI;

    7. Ordonné la confiscation du chloramphénicol et du
Lpseudo-1-paranitrophényl-2-aminopropane-1,3-diol se trouvant chez la
défenderesse ou lui appartenant, fabriqué en violation des droits des
demanderesses;

    8. Dit que les dépôts constitués en vertu de l'ordonnance du 2 juillet
1964 resteront bloqués jusqu'à droit connu sur les dommages-intérêts
réclamés.

    H.- Lamar SA a recouru en réforme contre cet arrêt.  Elle conclut à
ce qu'il plaise au Tribunal fédéral:

    Principalement: 1. Annuler l'arrêt attaqué;

    2. Renvoyer la cause à l'autorité cantonale pour que celle-ci invite
les experts à répondre à cinq nouvelles questions (que la recourante
formule), puis déboute Lamar SA de ses conclusions et, statuant sur la
demande reconventionnelle, prononce la nullité des brevets suisses Nos
282.086, 271.929, 314.008, 282.733 et 278.776; subsidiairement accorde à
Lamar SA, en vertu des art. 37 et 40 LBI, une licence simple d'exploitation
pour ceux des brevets susmentionnés qui n'auraient pas été déclarés nuls;

    3. Débouter les intimées de toutes autres ou contraires conclusions.

    Subsidiairement:

    Pour le cas où le Tribunal fédéral estimerait pouvoir, en vertu
de l'art. 67 OJ, élucider lui-même les questions techniques par la voie
de l'expertise, la recourante prend aussi des conclusions analogues.

    I. - Les intimées concluent au rejet du recours.

Auszug aus den Erwägungen:

                      Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- Il s'agit, en l'espèce, d'une décision préjudicielle, qui porte
en particulier sur la validité des brevets litigieux et leur violation
par la défenderesse, non pas, en revanche, sur les dommages-intérêts qui
pourraient être dus, suivant la réponse donnée à ces deux questions. Le
recours en réforme contre les décisions incidentes n'est recevable
qu'exceptionnellement, lorsqu'une décision finale peut ainsi être provoquée
immédiatement et que la durée et les frais de la procédure probatoire
seraient si considérables qu'il convient de les éviter en autorisant le
recours immédiat au tribunal (art. 50 al. 1 OJ). Tel est le cas, selon
la jurisprudence constante, lorsque la décision préjudicielle rendue
par l'autorité cantonale sur une question de fond est de telle nature
que le litige serait terminé dans l'hypothèse où le Tribunal fédéral
trancherait différemment le point litigieux (RO 91 II 62, consid. 3 et
les arrêts cités).

    Supposé qu'en l'espèce, la cour de céans doive admettre le recours en
ce sens que, conformément aux conclusions de Lamar SA, elle prononce la
nullité des brevets litigieux, son arrêt mettrait fin, définitivement,
à la contestation. Il s'ensuit que, d'après la jurisprudence précitée,
le recours est recevable.

    Peu importe, à cet égard, que, selon le système du recours en réforme,
Lamar SA eût dû recourir principalement à la réforme et subsidiairement
à la nullité, alors qu'elle a fait l'inverse.

Erwägung 2

    2.- La recourante n'a pas soulevé à nouveau, devant le Tribunal
fédéral, à l'appui de ses conclusions en nullité des brevets, le moyen
pris de l'art. 16 ch. 8 LBI 1907 (resté applicable de par l'art. 112
lit. a LBI). Il suffit, sur ce point, de la renvoyer aux considérants de
l'arrêt attaqué, qui ne sont en rien contraires au droit fédéral.

Erwägung 3

    3.- La recourante allègue en revanche la nullité des brevets Nos
282.086 (passage de la substance I à la substance II), 271.929 (passage de
la substance II à la substance III), 282.733 (passage de la substance III
à la substance IV) et 278.776 (passage de la substance V à la substance
VI). Ces quatre brevets sont tous antérieurs au 1er janvier 1956, date
d'entrée en vigueur (sous réserve de son titre IV) de la loi du 25 juin
1954 (LBI); leur validité et, partant, leur nouveauté continuent par
conséquent à relever de la loi du 21 juin 1907 (art. 112 lit. a LBI,
précité), soit de son art. 4.

    La recourante, en revanche, ne conteste plus la nouveauté des brevets
Nos 314.008 (passage de la substance II à la substance III) et 318.194
(passage de la substance IV à la substance V).

    a) Les brevets litigieux ont pour objets des procédés. La cour
cantonale a jugé que ceux dont la nouveauté est encore contestée
aujourd'hui étaient nouveaux quant aux substances de base et d'arrivée et
que cela suffisait du point de vue de l'art. 4 al. 1 LBI 1907, alors même
que le processus suivi n'aurait pas été nouveau. La recourante conteste
cette interprétation de l'art. 4 al. 1 LBI 1907. Elle soutient que lorsque
le brevet a pour objet un procédé, c'est le processus comme tel qui
doit être nouveau et que le produit de départ, pas plus que le produit
d'aboutissement n'en font partie. Autrement, dit-elle, on protégerait
des éléments extrinsèques à l'invention au sens de l'art. 51 LBI.

    Cette objection n'est pas fondée. Un procédé est nouveau, selon
l'art. 4 al. 1 LBI 1907, lorsqu'il n'a été ni décrit, ni divulgué de
manière à pouvoir être exécuté par des hommes de métier. Il peut être
nouveau, bien qu'il soit en lui-même connu, lorsqu'il est appliqué dans
un domaine où il ne l'avait pas été précédemment, par exemple à une
matière inconnue ou même à une matière connue, que personne, cependant,
n'avait songé jusque là à traiter de la sorte; le résultat consiste dans
un effet technique nouveau, c'est-à-dire soit dans un produit nouveau,
soit dans un produit déjà connu, mais obtenu par une application originale
(RO 56 II 141 et les arrêts cités; 89 II 167 consid. 5 a, dernier alinéa).

    La recourante objecte que les critères ainsi admis aboutiraient à
protéger par le brevet tout procédé modifié, appliqué au traitement de
la substance de départ, de sorte qu'il serait impossible de développer un
procédé indépendant pour aboutir à la même substance finale. Du point de
vue de la nouveauté, seul considéré ici, cela est inexact. Le brevet ne
s'oppose pas à l'application d'autres procédés à la substance de départ. Le
procédé, son point de départ et son point d'aboutissement formant un tout
inséparable, ce qui est décisif, c'est qu'à la date du dépôt du brevet,
personne n'ait appliqué le procédé dans les conditions, aux objets et
avec le résultat revendiqués par l'inventeur.

    b) La recourante fait aussi grief aux experts - le jugement attaqué
est muet sur ce point - d'avoir considéré l'"inaccessibilité du produit"
comme un élément de la nouveauté, c'est-à-dire, prétend-elle, d'avoir
admis qu'un produit ne cessait d'être nouveau que dès le moment où l'on
savait comment l'obtenir. Cela est erroné, à son avis, car la connaissance,
antérieure au dépôt du brevet, de la composition d'une substance, serait
destructrice de nouveauté, même si cette substance était inaccessible.

    La conception des experts, touchant la notion juridique de nouveauté,
est sans conséquence; seules peuvent importer leurs constatations de
faits. Or, pour les quatre brevets dont il s'agit les experts - que la
recourante ne contredit nullement - ont fait les constatations suivantes:

    A l'époque du dépôt des brevets Nos 282.086, 271.929 et 282.733,
respectivement le 24 août 1948, date décisive pour la priorité, ni la
substance de départ, ni la substance d'arrivée n'avaient été décrites ou
divulguées en tant que substances. Ne connaissant ni les corps composés
de départ, ni ceux qu'il s'agissait d'obtenir, l'homme du métier ne
pouvait manifestement exécuter aucun des procédés revendiqués. De plus,
la question d'une substance connue, mais inaccessible ne se posait pas.

    Il n'aurait pu en aller autrement que pour le brevet No 278.776, qui
concerne la dernière étape de la synthèse. Or, en tout cas, le produit
de départ était nouveau selon les experts. Point n'est besoin de juger si
cela ne serait pas déjà décisif; comme il ressort des faits constatés par
les experts, le chloramphénicol, produit d'aboutissement, appelé alors
chloromycétine, était également nouveau. D'une part la formule de la
structure chimique du chloramphénicol obtenu par synthèse chimique n'avait
pas été divulguée - elle n'était alors même pas certaine, mais encore
hypothétique pour les chimistes de Parke Davis eux-mêmes. D'autre part,
si quelques indications avaient été données quant aux méthodes de culture
du streptomyces venezuelae, agent producteur naturel de cette substance,
l'essentiel était inconnu. Aucune indication n'avait paru touchant ce
micro-organisme, qui n'avait pas été décrit. Il ne correspondait à aucune
des nombreuses espèces de streptomyces alors connues. Les experts estiment
"exclu que l'homme du métier, ni même le spécialiste en microbiologie
soient en mesure de trouver ce micro-organisme et de l'identifier".

    Il ne s'agit donc pas, comme la recourante semble le suggérer, d'une
substance connue, parce que décrite et que l'homme de métier serait en
principe capable de découvrir sur la base de la description; il ne pouvait
même pas l'identifier. Elle existait dans la nature et la demanderesse l'a
découverte par un travail patient, systématique, minutieusement organisé
et qui a sans doute requis des moyens importants; mais la découverte est
demeurée secrète. La substance était donc manifestement nouvelle au sens
de l'art. 4 LBI 1907, même considérée dans son état naturel; elle n'avait
pas été divulguée, pas plus, du reste, que sa structure chimique.

Erwägung 4

    4.- A l'exception du brevet No 318.194, dont elle reconnaît la
validité, la recourante dénie le niveau inventif aux autres brevets
en cause. Elle ne conteste pas que, dans leur ensemble, ces brevets,
relatifs à la synthèse chimique du chloramphénicol, aient réalisé un
progrès technique d'une grande portée. Elle prétend, en revanche, que
chacun d'eux, pris en soi, n'est pas le produit d'une idée créatrice
excédant ce qui était à la portée d'un homme du métier ayant une bonne
formation.

    Selon la jurisprudence, le niveau inventif suppose une idée créatrice
et la réalisation d'un progrès technique (RO 81 II 298; 89 II 166
consid. 5). L'idée créatrice doit être, dans l'état de la technique,
hors de portée d'un homme du métier jouissant d'une bonne formation. On
considérera donc l'état de l'ensemble de la technique à la date de la
priorité et l'on recherchera si, vu cet état, la combinaison des solutions
partielles et des travaux déjà connus ne guidait pas l'homme du métier
vers la solution, par un processus de réflexion usuel, sans qu'un effort
intellectuel particulier fût nécessaire; le niveau inventif ne sera
atteint que si cet homme ne pouvait parvenir à la solution que par un
effort exceptionnel, qui justifie le monopole de quinze ans, attaché au
brevet (RO 81 II 298; 89 II 109 consid. 4).

    a) Pour le brevet No 278.776, relatif au passage de la substance V à la
substance VI (chloramphénicol), la cour cantonale a constaté souverainement
que le processus protégé - dichloracétylation - est, en lui-même, tout à
fait banal du point de vue chimique. Mais elle a considéré que, le produit
de départ et la substance obtenue étant nouveaux, il n'était pas possible,
pour l'homme du métier, de réaliser, par des moyens à sa portée, cette
première synthèse chimique d'un produit naturel qu'il ignorait.

    La recourante s'élève contre cette conception. Elle soutient que
l'effort inventif doit s'apprécier au regard du procédé en soi, l'homme
du métier étant censé connaître les éléments du problème, c'est-à-dire la
substance de départ et celle d'aboutissement, même lorsqu'il s'agit de
la première synthèse d'un produit naturel inconnu du public; autrement,
affirme-t-elle, on protègerait une découverte et non une invention.

    b) Par un homme du métier, les experts ont dit qu'il fallait entendre
un chimiste de recherche disposant d'une bonne formation générale,
travaillant en laboratoire et connaissant l'ensemble des travaux publiés
avant la date de priorité; qu'il ne fallait pas l'assimiler en revanche
à celui qui, effectivement, a réalisé la synthèse, soit à l'équipe
de chercheurs de la demanderesse. Il s'agit donc, en l'espèce, d'un
homme qui ne connaissait pas la structure chimique du chloramphénicol,
laquelle, à la date de la priorité, était encore totalement inconnue, de
même que l'était la substance de départ pour le procédé qui fait l'objet
du brevet. Cette opinion est certaine.

    c) Bien que le brevet litigieux concerne un procédé, l'invention ne
saurait consister dans le procédé en soi, indépendamment des substances
de départ et d'aboutissement, mais seulement dans l'application d'une
technique à un objet déterminé. S'il en allait autrement, on ne pourrait
protéger aucune invention qui ferait d'un procédé connu une application
toute nouvelle.

    Dans le domaine de la chimie en particulier, où les procédés techniques
appliqués sont rarement nouveaux, le problème de l'inventeur consiste
dans le choix du produit initial et de la réaction chimique en fonction
du produit final. Du point de vue du niveau inventif, le procédé chimique
est donc inséparable de ces deux produits (F. CUENI, Eigenart und Analogie
chemischer Verfahren mit besonderer Berücksichtigung des pharmazeutischen
Gebietes; Bulletin du groupe suisse de l'AIPPI, 1945, p. 224 s.).

    Le niveau inventif et l'idée créatrice, par conséquent, ne doivent
pas résider exclusivement dans le procédé seul, mais dans l'ensemble
des éléments auxquels ce procédé s'applique. Il ne s'agit pas de juger
si l'homme du métier qui connaîtrait les substances initiale et finale
pourrait, par un effort normal de réflexion, trouver la réaction chimique
nécessaire pour passer de la première à la seconde. Il faut bien plutôt,
partant de l'état des connaissances techniques, à la date de la priorité,
se demander si l'homme de métier serait, de même, capable de poser et de
résoudre le problème dont l'inventeur a trouvé la solution.

    Il s'ensuit que si les éléments auxquels l'inventeur a appliqué ce
procédé étaient totalement inconnus de l'homme de métier, il ne saurait
être question de soutenir que l'invention était à sa portée. Pourvu
qu'un progrès technique nettement établi en découle, il y a invention,
vu l'existence d'une idée créatrice qui n'était pas à la portée d'un
homme du métier (RO 85 II 139 s.; 89 II 167 consid. 5 b).

    Tel est le cas, en l'espèce. La Cour de justice, suivant les experts,
a constaté que la connaissance de la structure de la substance finale -
structure qui était d'ailleurs encore hypothétique à certains égards
lorsque la demanderesse a entrepris ses travaux de synthèse - de
même que le choix de la substance initiale sont l'aboutissement d'une
activité intellectuelle comportant un travail de recherche méthodique
et persévérant, laquel n'était pas à la portée de l'homme du métier. La
synthèse du chloramphénicol procède donc d'un effort intellectuel d'une
qualité particulière; elle ouvre une voie nouvelle dans la thérapeutique,
ce qui équivaut à un progrès technique considérable (RO 85 II 139). C'est
dire qu'il existe une idée créatrice et, partant, que le niveau inventif
est atteint.

    d) Sans doute, ainsi que le relèvent les experts, cette conception
conduit-elle à reconnaître la validité de toute invention d'une substance
jusque là inconnue et qui apporte un progrès technique certain. Cette
conséquence doit être admise. Du reste, dans son arrêt Geigy (RO 89 II
167 consid. 5), le Tribunal fédéral a jugé que pouvait être brevetée
l'application d'un procédé en lui-même banal, du fait que l'inventeur
a prévu que, du résultat de l'opération, pourrait découler un progrès
technique, pourvu que cette prévision n'ait pas été à la portée de l'homme
du métier. En d'autres termes, l'idée créatrice réside dans la prévision
d'un résultat possible. Cela implique que ce résultat soit concevable
pour l'homme du métier. Or tel ne saurait être le cas si cet homme ne
connaît pas la substance finale.

    e) La synthèse du chloramphénicol est le résultat de recherches
systématiques, menées méthodiquement. La protection des résultats acquis
de la sorte est une condition essentielle de la recherche appliquée dans
l'industrie. Une conception par trop étroite de l'invention, ainsi celle
que préconise la recourante pour les besoins de sa cause, permettrait
à des contrefacteurs de dépouiller autrui du fruit de son effort; elle
découragerait la recherche et compromettrait le développement de la
technique, d'autant plus que le contrefacteur aurait, dans la concurrence,
l'avantage de faire l'économie des frais de recherches.

    f) La recourante soutient que la conception ainsi reçue protégerait
la découverte de la substance elle-même. Mais, comme les experts l'ont
montré justement, le brevet ne protège la substance qu'en tant que produit
du procédé breveté. Ce n'est pas parce qu'elle fabrique du chloramphénicol
que la recourante est actionnée; c'est parce que l'intimée allègue qu'elle
le fabrique selon le procédé breveté. Rien ne l'empêche de poursuivre sa
production selon d'autres procédés. Au dire des experts, il en existerait
au moins une douzaine.

    g) Ces motifs entraînent le rejet de l'action tendant à la nullité
du brevet No 278.776.

Erwägung 5

    5.- Pour les brevets Nos 282.086, 271.929 et 282.733, la question
se pose différemment, parce qu'il s'agit de procédés aboutissant à
des substances intermédiaires dans la suite des réactions d'où résulte
finalement le chloramphénicol, c'est-à-dire de procédés assurant le passage
de la substance I à la substance II, puis de celle-ci à la substance III
et de la subsstance III à la substance IV.

    Suivant l'expertise, que résume l'arrêt entrepris, les trois brevets,
groupés en un seul, ce qui aurait été légalement admissible, présenteraient
un niveau inventif suffisant; il en va autrement, en revanche, lorsqu'on
les considère chacun pour soi, comme trois procédés distincts, sans
référence à la synthèse du chloramphénicol. La Cour de justice, vu
l'importance considérable du chloramphénicol, a cependant admis que chacun
de ces procédés, partant d'une substance nouvelle pour aboutir à une autre
substance, également nouvelle, et constituant une des phases nécessaires
de la fabrication du chloramphénicol, est une invention brevetable.

    La recourante le conteste. Elle allègue tout d'abord que le niveau
inventif doit s'apprécier au regard du procédé pris en soi. On a montré,
au considérant 4 ci-dessus, que cet argument était erroné. Mais elle estime
aussi que le niveau inventif doit s'apprécier pour chaque invention, telle
que la revendique le brevet, sans tenir compte d'éléments extrinsèques
à l'invention considérée, éléments constitutifs d'une autre invention,
protégée par un autre brevet.

    a) Dans l'examen de la validité de chacun des brevets, on ne tiendra
aucun compte des mobiles auxquels la demanderesse a obéi en scindant
son invention. L'art. 6 al. 2 LBI 1907 ne l'obligeait pas à cette
fragmentation, ainsi que le relèvent les experts. Si la loi n'autorise,
comme objet du brevet, qu'un seul procédé aboutissant à une seule
substance, il est évident qu'un procédé unique peut comporter plusieurs
étapes. Tant qu'il ne s'agit pas de méthodes parallèles, le principe de
l'unité est sauvegardé.

    b) Il est évident que les revendications et descriptions que comporte
le brevet doivent contenir tous les éléments nécessaires pour juger du
niveau inventif et que, pour constater si les conditions légales sont
remplies à cet égard, on ne saurait avoir recours à des éléments extérieurs
au brevet.

    Or, selon le rapport des experts, dont l'arrêt attaqué fait état
sur ce point, aucun des procédés intermédiaires et brevetés sous les Nos
282.086, 271.929 et 282.733 n'est la manifestation d'une idée créatrice
distincte et emportant un progrès technique. La cour cantonale a suivi
les experts sur ce point, que l'intimée ne conteste pas en principe et
l'on ne voit pas que cette conclusion procède d'une définition erronée
du niveau inventif, partant, d'une violation du droit fédéral.

    Sans doute est-ce l'enchaînement nécessaire des opérations couvertes
par les trois brevets qui constitue l'un des éléments essentiels de
l'ensemble, lequel atteint le niveau inventif. Mais les experts soulignent
- et c'est à juste titre, comme on l'a montré - qu'en prenant trois
brevets distincts et indépendants, l'intimée a détruit, en droit, cet
enchaînement et le niveau inventif, que n'atteignent pas les opérations
partielles. Juridiquement, chacune des opérations demeure isolée; elles
ne forment pas une succession et il n'est pas possible de considérer les
trois brevets comme un ensemble constitutif d'une invention.

    On ne saurait dès lors accorder une protection distincte et
indépendante à chacune des revendications objets des trois brevets Nos
282.086, 271.929 et 282.733.

    c) Au surplus, si l'on admettait une protection spéciale et distincte
pour chacune de ces étapes du processus de synthèse indépendamment des
autres, le titulaire de ces brevets pourrait revendiquer le monopole du
procédé breveté, supposé même que la substance ainsi obtenue par le procédé
partiel fût employée à d'autres fins que la synthèse du chloramphénicol. Il
obtiendrait donc la protection légale non seulement dans la mesure où
chacune des étapes conduit à cette substance finale, mais encore pour
toutes les applications possibles de chacun des produits intermédiaires,
applications que Parke Davis ignorait lorsqu'elle a acquis la priorité -
et qu'elle ignore peut-être encore aujourd'hui. On fermerait ainsi la
voie qui, à partir des substances intermédiaires II, III ou IV, pourrait
conduire à d'autres inventions. On ne voit pas comment cette conséquence
se justifierait du point de vue légal. Elle ne se produirait du reste pas
dans le cas d'un brevet unique, qui embrasserait l'ensemble des diverses
étapes de la synthèse.

    L'intimée ne saurait objecter que, selon la jurisprudence allemande,
tout procédé chimique partant d'une substance nouvelle pour aboutir à
une substance intermédiaire également nouvelle est protégé (GRUR 1953,
p. 91). Cette décision est fondée sur le principe selon lequel le progrès
technique ou, dans le cas des médicaments, le progrès thérapeutique
réalisé peut justifier la délivrance d'un brevet, abstraction faite du
niveau inventif. Ce principe n'est pas reçu en droit suisse. De plus,
selon cette doctrine, l'effet thérapeutique du produit en soi doit être
clairement démontré pour que le progrès technique soit admis. Or tel
n'est pas le cas pour les produits intermédiaires qui, par eux-mêmes,
ne réalisent pas un tel progrès; la possibilité de breveter le procédé
dont ils résultent est du reste très controversée et non encore résolue en
Allemagne (REIMER, Patentgesetz und Gebrauchsmustergesetz, 2e éd., p. 49,
No 52). La solution donnée par l'autorité administrative allemande ne
saurait donc l'emporter selon le droit suisse, dont les fondements sont
différents. Sans doute a-t-on admis plus haut que le caractère inconnu
des substances initiale et finale confère le droit à la protection,
mais c'est seulement sous la condition que le procédé atteigne un niveau
inventif suffisant (v. ci-dessus, consid. 4, lettre c).

    d) On ne saurait dès lors admettre la validité des brevets Nos 282.086,
271.929 et 282.733.

    6 et. 7. - ...

Entscheid:

              Par ces motifs, le Tribunal fédéral:

    1. Admet partiellement le recours et réforme l'arrêt attaqué en ce
sens que les alinéas 1, 2 et 3 de son dispositif ont la teneur suivante:

    1. Les brevets suisses Nos 282.086, 271.929 et 282.733 sont déclarés
nuls.

    2. Lamar SA est déboutée de ses conclusions en nullité des brevets
suisses Nos 314.008, 318'194 et 278.776.

    3. Lamar SA s'est rendue coupable de violation des droits des
demanderesses découlant des brevets suisses Nos 314.008, 318.194 et
278.776.

    4. Défense est faite à Lamar SA de fabriquer directement ou
indirectement du chloramphénicol en recourant à l'une ou à l'autre des
opérations couvertes par les brevets Nos 314.008, 318.194, 278.776 ou
du "L-pseudo-1-paranitrophényl-2 aminopropane-1,3-diol" en recourant à
l'opération couverte par le brevet No 318.194;

    Confirme, pour le surplus, l'arrêt déféré sauf en ce qui concerne
les dépens et les indemnités pour honoraires d'avocats dans l'instance
cantonale.