Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 92 I 191



92 I 191

33. Arrêt du 21 septembre 1966 dans la cause Hoirie Malatesta contre
Carrosserie de Sécheron SA et Commission genevoise de recours pour la
limitation du droit de résiliation Regeste

    Mieterschutz. Geschäftsräume.

    1.  Kündigung wegen Bedarfs des Eigentümers an Geschäftsräumen. An
diesen Bedarf ist kein strengerer Massstab anzulegen als an den Bedarf
nach Wohnungen (Erw. 2).

    2.  Spekulative Verursachung des Eigenbedarfs? Eine solche liegt
hier nicht vor, wo der Eigentümer seine eigenen Räume dazu benützen will,
darin selber zusammen mit einem Verwandten ein ähnliches Unternehmen wie
dasjenige des Mieters zu betreiben (Erw. 3).

    3.  Wenn der Bedarf des Eigentümers ernsthaft ist und er ihn nicht
spekulativ verursacht hat, sind die in Frage stehenden Interessen des
Vermieters und des Mieters nicht gegeneinander abzuwägen (Erw. 4).

Sachverhalt

                        Résumé des faits:

    A. - L'hoirie Malatesta est propriétaire d'un immeuble à caractère
industriel qui est loué depuis 30 ans environ à la "Carrosserie de Sécheron
SA". L'hoirie se compose de la veuve Malatesta, d'une fille et de deux
fils, Melchior et Alphonse; ce dernier a un fils, Michel, qui a passé
avec succès ses examens professionnels de tôlier-carrossier en 1963.

    L'hoirie a dénoncé le bail de la Carrosserie de Sécheron SA pour le 31
août 1965. Elle a l'intention de créer elle-même un atelier de carrosserie
avec la collaboration de Michel Malatesta. A cet effet, les membres de
l'hoirie et Michel ont constitué une société en nom collectif qui a été
inscrite au registre du commerce et dont le but est "la création d'un
atelier de carrosserie et le commerce d'accessoires s'y rattachant". La
convention de constitution de la société prévoit qu'Alphonse, Melchior et
Michel Malatesta consacreront tout leur temps à l'entreprise, à l'exclusion
de toute autre activité, et géreront ensemble la société. Cette dernière
a acquis un important équipement de carrosserie et s'est fait ouvrir un
crédit bancaire pour couvrir les frais d'installation et les premiers
frais d'exploitation.

    La locataire a fait opposition à la résiliation du bail. La Commission
de première instance pour la limitation du droit de résiliation a déclaré
le congé injustifié. Cette décision a été confirmée par la Commission
cantonale de recours, qui a retenu notamment les deux arguments suivants:

    a) l'hoirie Malatesta aurait en quelque sorte créé, au profit d'un
proche parent, le besoin dont elle se prévaut, dans le dessein de reprendre
un jour l'entreprise de l'intimée;

    b) il serait choquant de chasser une entreprise importante et prospère,
installée là depuis près de 30 ans, pour la voir remplacée par une autre
entreprise semblable, de création toute récente, "et cela pour la seule
raison plus ou moins valable qu'il a plu à l'un des propriétaires de
l'immeuble de choisir pour son fils, comme par hasard, une même activité
lucrative"; au surplus, la reprise par l'hoirie Malatesta des locaux
occupés par la locataire risquerait, en raison de la pénurie de locaux
de remplacement, de conduire celle-ci à la ruine économique.

    B.- Agissant par la voie du recours de droit public pour violation de
l'art. 4 Cst., l'hoirie Malatesta requiert le Tribunal fédéral d'annuler la
décision de la Commission de recours et de déclarer le congé justifié. Elle
soutient que c'est uniquement sur la base de l'art. 35 lettre c de
l'ordonnance du Conseil fédéral du 11 avril 1961 que l'affaire doit
être jugée et non pas sur la base de la lettre f de ce même article,
disposition qui, de l'avis de la Commission de recours, n'aurait pas
permis de justifier le congé. La recourante fait grief à la Commission
de recours d'avoir gravement violé la disposition de l'art. 35 lettre c
par une décision insoutenable tant en fait qu'en droit.

    C.- La Carrosserie de Sécheron SA conclut au rejet du
recours. Reprenant les arguments des Commissions de première instance
et de recours, elle estime que l'hoirie recourante a créé elle-même le
besoin qu'elle invoque et cela en vue de reprendre unjour l'entreprise
de sa locataire. Elle affirme que l'obligation qui lui serait faite de
s'en aller serait de nature à entraîner sa ruine.

    La Commission de recours se réfère simplement aux considérants de la
décision attaquée.

Auszug aus den Erwägungen:

                      Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- Selon l'art. 35 lettre c de l'ordonnance du Conseil fédéral du 11
avril 1961 concernant les loyers et la limitation du droit de résiliation
(OCL), le congé est justifié "lorsque le propriétaire prouve avoir besoin
d'un logement dans la maison pour lui-même ou pour de proches parents
ou pour l'un de ses employés, pourvu qu'il n'ait pas causé lui-même
le besoin par un acte de spéculation". Le canton de Genève ayant fait
usage de la faculté donnée par l'art. 31 al. 3 OCL, cette disposition
s'applique également aux baux à loyer de locaux commerciaux (art. 2 du
Règlement genevois concernant la limitation du droit de résiliation en
matière de baux, du 13 avril 1962).

Erwägung 2

    2.- La Commission de recours estime que l'hoirie Malatesta n'a pas
un réel besoin des locaux litigieux.

    D'après la jurisprudence du Tribunal fédéral, le besoin personnel du
propriétaire existe dès que celui-ci a des raisons sérieuses d'occuper
les locaux et que, dans les circonstances où il se trouve, ces raisons
doivent être considérées comme valables; point n'est requis qu'il y soit
positivement contraint et ne puisse y renoncer sans éprouver un grave
préjudice (RO 74 I 3 et 99/100).

    a) En l'espèce, l'hoirie propriétaire a l'intention d'utiliser les
locaux pour y faire exploiter un atelier de carrosserie par deux de ses
membres et par un proche parent. Elle a constitué à cet effet une société
en nom collectif qui a été inscrite au registre du commerce; elle a acquis
un important matériel technique de carrosserie; elle a obtenu un crédit
bancaire en vue de couvrir les frais d'installation de la carrosserie et
les premiers frais d'exploitation. Cette intention n'est d'ailleurs pas
contestée; au contraire, l'intimée reproche justement à la recourante
de vouloir ouvrir un atelier de carrosserie afin d'accaparer par là son
personnel spécialisé et sa clientèle.

    On doit donc admettre que l'hoirie propriétaire veut effectivement
utiliser les locaux litigieux pour ses propres besoins et ceux d'un de
ses proches.

    b) La Commission de recours, suivant l'autorité de première instance,
conteste cependant le bien-fondé des raisons invoquées par la bailleresse
pour utiliser elle-même les locaux. Elle relève que Michel Malatesta
- la seule personne de la société en nom collectif qui ait acquis une
formation de carrossier et qui au surplus n'a aucun droit de propriété sur
l'immeuble - est trop jeune pour diriger la partie technique d'un atelier
de carrosserie, et que les deux autres personnes qui y consacreront
toute leur activité ont déjà une situation professionnelle ailleurs;
elle estime dès lors qu'on ne peut parler sérieusement de besoin. Cette
argumentation ne peut se défendre. Les autorités chargées de statuer en
matière de bail ne sauraient en effet exiger, pour admettre que le besoin
de locaux commerciaux ou industriels soit sérieux, des gages de succès
qu'il est impossible de donner au départ. Tout au plus pourraient-elles
nier le caractère sérieux du besoin si la réussite de l'activité envisagée
apparaissait d'emblée comme absolument exclue. Ce qui n'est nullement
le cas en l'espèce: Michel Malatesta est ouvrier carrossier; son père et
son oncle ont tous deux reçu une formation supérieure dans des branches
techniques qui ne sont pas sans rapport avec l'activité d'un atelier de
carrosserie, et leur expérience des affaires et de la conduite du travail
est de nature à assurer à l'entreprise de bonnes chances de succès.

    c) Dans sa réponse, l'intimée prétend que le besoin de locaux
industriels et commerciaux doit être apprécié avec plus de rigueur que le
besoin de logement; elle invoque l'arrêt non publié du 9 octobre 1947,
SA La Tourelle c. W. & Cie (résumé au JdT 1948 I 85). Or le Tribunal
fédéral n'a jamais posé un principe aussi général; il a seulement dit
qu'il n'était pas arbitraire, en cas d'agrandissement d'un commerce,
de n'admettre le besoin que si l'agrandissement apparaissait nécessaire
et urgent (RO 74 I 4, citant l'arrêt RO 73 I 184/5).

    D'ailleurs on était alors sous le régime antérieur à l'OCL du 11 avril
1961. Cette dernière ordonnance a introduit, à côté du régime du contrôle
des loyers, un régime moins sévère de surveillance des loyers, et c'est à
ce dernier régime seul que sont soumis les loyers des locaux commerciaux,
ainsi que le précisent l'art. 8 de l'ordonnance du Conseil fédéral
concernant l'assouplissement du contrôle des loyers, du 23 février 1962,
et à sa suite l'art. 2 du règlement genevois précité, du 13 avril 1962.

    Il n'y a donc pas lieu d'apprécier le besoin de l'hoirie Malatesta
de façon plus rigoureuse que s'il s'agissait du besoin d'un appartement.

    Dès lors, la négation d'un réel besoin des locaux litigieux est
arbitraire.

Erwägung 3

    3.- Toutefois, le congé ne serait pas justifié si le besoin ainsi
reconnu avait été causé par un acte de spéculation.

    La Commission de recours estime à cet égard que "l'Hoirie Malatesta a
en quelque sorte créé, au profit d'un proche parent, le besoin dont elle
se prévaut actuellement, dans le dessein de reprendre un jour l'entreprise
de l'intimée" et que "l'intérêt que pourrait avoir l'Hoirie Malatesta à
la résiliation du bail fondée sur l'art. 35, lit. f OCF serait purement
spéculatif et inspiré par une bonne foi douteuse". Bien qu'elle n'emploie
le terme de "spéculatif" que dans l'application de la lettre f de l'art. 35
dont on verra plus loin qu'elle n'entre pas ici en considération, il
ressort de tout le contexte que la Commission de recours considère comme
acte de spéculation les mesures prises par la recourante pour motiver le
besoin allégué.

    a) Prise au sens large où l'entend la jurisprudence, la spéculation
suppose essentiellement un élément malsain et indésirable du point de
vue de l'économie publique (arrêt non publié du 30 septembre 1964 dans la
cause Panorama Immobilien- und Garage AG; BIRCHMEIER, Mietnotrechtserlasse,
p. 33/34).

    En l'espèce, l'hoirie Malatesta a pris des dispositions, d'abord
pour donner au jeune Michel une formation professionnelle solide dans une
branche économique en pleine activité, ensuite pour lui assurer un avenir
intéressant au sein d'une entreprise familiale qui s'exercerait dans les
locaux mêmes dont l'hoirie est propriétaire. On ne peut reprocher à une
famille d'agir de manière à développer à son avantage les moyens qui sont à
sa disposition, ni surtout qualifier de spéculative une telle activité. Au
contraire, il est parfaitement normal et raisonnable qu'un propriétaire
tire le meilleur parti possible des locaux qui lui appartiennent, qu'il
les utilise lui-même plutôt que de les donner en location, surtout si
cette utilisation lui permet de constituer une entreprise familiale
indépendante et assure à un jeune homme un avenir intéressant.

    b) Faisant sienne l'argumentation de la Carrosserie de Sécheron SA,
la Commission de recours voudrait voir un acte de spéculation précisément
dans le fait que c'est vers la profession de carrossier que l'hoirie
Malatesta a orienté le jeune Michel, soit vers l'activité qui est exercée
actuellement par l'intimée dans les locaux litigieux. On ne peut la suivre
sur ce point. Il serait en effet inadmissible de faire, en cette matière,
une distinction selon que les locaux devraient être utilisés pour une même
activité que celle qui s'y exerce déjà ou au contraire pour une activité
différente, et de qualifier de spéculatifle besoin du propriétaire dans
le premier cas, alors que dans tous les autres cas ce besoin devrait être
considéré comme normal et propre à justifier un congé.

    Le Tribunal fédéral a cassé récemment (arrêt non publié du 30 septembre
1964 dans la cause Panorama Immobilien- und Garage AG c. Amag Automobil-
und Motoren AG et Direction de la justice du canton de Zurich) la décision
de l'autorité cantonale et refusé de voir un acte de spéculation dans
l'intention du propriétaire d'occuper lui-même, pour y exploiter un garage
à voitures (Einstellgarage) avec service de lavage et de graissage, des
locaux utilisés par la société locataire pour son service de vente et son
atelier de réparation de voitures. Il est vrai que la société locataire
avait, depuis peu de temps, résilié les contrats de tous ses clients
qui ne faisaient que louer une place de garage, de sorte que l'activité
future du propriétaire n'était pas strictement la même que celle qu'y
exerçait le locataire au moment de la résiliation. Le fait que les deux
activités soient sensiblement les mêmes en l'espèce ne permet pas, pour
les raisons indiquées ci-dessus, de conclure au caractère spéculatif de
l'intention du propriétaire.

Erwägung 4

    4.- Le besoin du propriétaire devant être reconnu comme sérieux et non
causé par un acte de spéculation, les conditions de l'art. 35 lettre c OCL
sont remplies et le congé doit être considéré comme justifié. Dès lors,
l'autorité n'a pas à examiner les conséquences du congé pour le locataire,
ni surtout à mettre en balance les intérêts respectifs du propriétaire
et du locataire, comme le prévoit l'art. 34 OCL, lequel n'est d'ailleurs
pas applicable en régime de surveillance des loyers. Il n'y a pas lieu non
plus d'examiner si le bailleur a un "autre intérêt méritant considération"
et de prendre prétexte de la lettre f de l'art. 35 OCL pour faire malgré
tout la comparaison des intérêts en présence prévue par l'art. 34 pour
le régime du contrôle des loyers uniquement; en le faisant, l'autorité
cantonale est tombée dans l'arbitraire et sa décision doit être annulée.

Entscheid:

              Par ces motifs, le Tribunal fédéral:

    Admet le recours et annule la décision attaquée.