Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 92 II 335



92 II 335

50. Arrêt de la Ire Cour civile du 6 décembre 1966 dans la cause Béard
contre Union de banques suisses. Regeste

    Anweisung.

    1.  Vertragsschluss; Anweisung oder Bezeichnung einer Zahlstelle? (Erw.
2).

    2.  Verpflichtung des Angewiesenen, der dem Anweisungsempfänger die
Annahme ohne Vorbehalt erklärt. Begriff der Einrede, die sich "aus dem
Inhalt der Anweisung selbst" ergibt, Art. 468 Abs. 1 OR (Erw. 3-5).

    3.  Bereicherungsanspruch des Angewiesenen gegenüber dem
Anweisungsempfänger: Fehlen eines Rechtgrundes, Bereicherung (Erw. 6).

Sachverhalt

    A.- Le 2 août 1957, les époux Marguerite et Henri Béard ont acheté
25 jeux à René Deillon, au prix de 6 000 fr. par appareil. La convention
prévoyait un versement initial de 2 000 fr., à la livraison. Le solde
devait faire l'objet d'un contrat de financement avec l'Union de banques
suisses (UBS), succursale de Bulle, à qui il serait payé par acomptes
mensuels de 200 fr. au minimum. Les parties convenaient en outre d'établir
un contrat distinct pour chaque appareil.

    Quatre jeux avaient été achetés la veille déjà, dont l'un au prix de
5 000 fr. Le vendeur se réserva de céder ses droits à l'UBS. Six nouveaux
contrats identiques furent passés le 14 août (celui du 12 décembre n'est
pas en cause).

    Le 8 juillet 1964, le Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg a admis
une action rédhibitoire intentée par les acheteurs. Il a condamné le
vendeur à restituer les acomptes déjà versés (27 800 fr.). Le 9 décembre,
celui-ci a été déclaré en faillite.

    Deillon avait cédé à l'UBS les soldes restant à percevoir sur le
prix des appareils vendus après le paiement de l'acompte initial. Ces
cessions furent notifiées aux époux Béard par la banque, qui leur fit
signer des "billets de prêt" à ordre prévoyant des échéances successives
(cf. art. 1023 al. 2 et 1098 CO). Les débiteurs cédés ont versé 7 800
fr. avant de notifier au cessionnaire leur intention de ne pas maintenir
le contrat de vente en raison des défauts constatés.

    Quant aux acomptes initiaux, dame Béard avait promis à Deillon de les
lui verser en les prélevant sur sa part à la succession de son père. Mais
il fut convenu qu'elle s'acquitterait directement auprès de la banque, qui
avait ouvert au vendeur un compte courant pour lui permettre d'acheter les
jeux qu'il revendait. Dame Béard consentit en outre une "cession" de ses
droits successoraux en faveur de l'UBS, à qui l'exécuteur testamentaire
versa 20 000 fr., crédités sur le compte de Deillon.

    B.- Les époux Béard ont actionné l'UBS en remboursement de 27 800 fr.;
ils contestent en outre devoir le solde en souffrance des "billets de
prêt" (32 631 fr. 50). La défenderesse, qui ne critique pas la rescision
de la vente, a conclu au rejet de la demande et au paiement de 32 665
fr. 25. Suspendue par accord des parties devant le Tribunal civil de
l'arrondissement de la Sarine, la cause a été reprise, par prétérition
d'instance, devant la Cour civile du Tribunal cantonal.

    Le 29 mars 1966, cette juridiction a condamné la défenderesse
à restituer 7 800 fr. avec intérêt à 5% dès le 6 décembre 1958, sous
déduction du dividende afférent à la créance produite par les demandeurs
dans la faillite de Deillon; elle a constaté en outre que le solde impayé
n'était pas dû. S'agissant en revanche des acomptes initiaux (20 000 fr.),
elle a rejeté l'action en répétition: le vendeur n'a pas cédé sa créance
à la banque; si dame Béard s'est chargée d'en payer à celle-ci le montant,
prélevé sur sa part successorale, c'est en vertu d'une assignation, et la
défenderesse a reçu le versement pour le compte de son propre débiteur,
Deillon, qui en a été crédité.

    C.- Agissant par la voie du recours en réforme, les demandeurs prient
le Tribunal de leur allouer la somme de 20 000 fr. L'intimée conclut au
rejet du recours.

Auszug aus den Erwägungen:

                      Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- L'intimée est tenue de restituer son enrichissement en vertu
des règles sur la répétition de l'indu dans la mesure où elle a reçu des
paiements en qualité de cessionnaire des droits de Deillon issus de la
vente rescindée, soit comme créancière putative d'une dette inexistante
(art. 169 CO). Le remboursement de la somme de 7 800 fr. est acquis,
faute d'un recours sur ce point du jugement attaqué. Il incombait aux
recourants, qui allèguent un enrichissement sans cause, d'établir que le
droit aux acomptes initiaux, lequel compétait originairement au vendeur,
a été également cédé à l'intimée, par un acte d'attribution en la forme
écrite requise par la loi (art. 165 al. 1 CO). Selon la Cour cantonale,
cette preuve a échoué. Comme les recourants eux-mêmes l'ont admis dans
leurs réclamations adressées au vendeur, la banque a reçu le paiement de
20 000 fr. pour le compte de son propre débiteur, Deillon, dont elle a
crédité le compte. Peu importe que dame Béard leur ait transféré à tous
deux une part successorale (au demeurant, elle en serait la cédante;
partant, elle ne saurait tirer de cette cession les exceptions qu'elle
fait valoir en qualité de débiteur cédé: art. 169 CO).

Erwägung 2

    2.- Selon les constatations du jugement déféré, dame Béard a promis
à Deillon, qui l'y a autorisée, de se libérer de la dette touchant les
acomptes initiaux en versant directement à la banque une somme de 20 000
fr. prélevée sur une part successorale qui venait de lui échoir. Ce serait
peut-être là une convention constitutive d'un domicile de paiement, si la
recourante n'avait signifié son acceptation à l'intimée, lui garantissant
en outre l'exécution de cet engagement par une "cession" de ses droits
dans la succession de son père. On se trouve dès lors en présence
d'une assignation au sens des art. 466 sv. CO: le vendeur (assignant)
a autorisé les acheteurs, unis en une société simple pour l'acquisition
et l'exploitation des jeux (assignés solidaires), à remettre pour son
compte une somme d'argent à la banque (assignataire), qui avait mandat de
la percevoir en son propre nom. Par l'acceptation expresse de dame Béard,
un rapport d'obligation est né entre elle et l'intimée (art. 468 al. 1 CO;
RO 73 II 46).

Erwägung 3

    3.- L'engagement de l'assigné à l'égard de l'assignataire a sa source
dans une manifestation de volonté distincte, l'acceptation notifiée par
le premier au second. Il est indépendant du contenu et des effets tant
de l'assignation elle-même, soit de l'autorisation de payer en mains
tierces, que du rapport entre l'assignant et l'assigné, qui a donné lieu à
l'assignation (GAUTSCHI, no 2 a ad art. 468 CO). L'assigné est tenu selon
les termes de sa déclaration, telle qu'elle pouvait être comprise de bonne
foi par l'assignataire. Partant, il ne peut refuser de s'exécuter en tirant
argument de ses relations avec l'assignant, notamment du rapport qui a
motivé l'assignation (RO 49 II 53). Il ne se trouve pas en effet, comme
dans le cas de la cession, en présence du transfert de son obligation,
opéré sans son consentement par le créancier, dont l'acte d'attribution
ne saurait altérer sa position de débiteur. Il assume au contraire une
dette nouvelle, dont la doctrine dominante enseigne qu'elle est abstraite
(cf. OSER/SCHÖNENBERGER, nos 15 ad art. 466 et 7 ad art. 468; BECKER,
nos 6 ad art. 466 et 12 ad art. 468; JÄGGI, nos 109 ad art. 965; GAUTSCHI,
no 3 c ad art. 468; LEHMANN, dans Enneccerus-Kipp-Wolff, 15e éd., 1958 §
205; STAUDINGER, 10e éd., Anm. 6 ad § 264 BGB).

Erwägung 4

    4.- Le Tribunal fédéral a restreint la portée du principe en
donnant une acception large aux "exceptions résultant... du contenu de
l'assignation", que l'assigné peut opposer à l'assignataire en vertu de
l'art. 468 al. 1 CO (RO 17 p. 493 consid. 7; 21 p. 1149/50 consid. 6;
43 II 675 consid. 2). Lorsque la délégation ne porte pas sur une somme
d'argent abstraite, mais sur une dette du délégué envers le délégant,
lorsqu'elle tend notamment à faire payer par le premier (au délégataire) le
prix d'une chose que le second lui a vendue, elle implique la condition que
cette obligation existe réellement. Dans une telle hypothèse, l'assigné
n'est tenu envers l'assignataire qu'autant qu'il doit le prix de vente
à l'assignant. Partant, il peut opposer à l'assignataire le défaut
d'exécution de la vente.

    Sans doute ressort-il de l'exposé de faits des arrêts cités que
l'assigné avait donné son accord sur le texte même du contrat de vente ou
de lettres de l'assignant qui s'y référaient expressément. Aux yeux du
destinataire, sa déclaration apparaissait ainsi clairement liée au prix
de vente et manifestait le but de l'assignation, qui était le paiement
d'une dette (Anweisung auf Schuld). Cette forme de l'acceptation
est toutefois un aspect contingent des causes jugées, non une exigence
essentielle. Si le droit allemand, pour faciliter la circulation dans le
commerce, ne connaît que l'assignation documentaire, le droit suisse se
contente d'un contrat civil ordinaire, dont la validité n'est soumise
au respect d'aucune forme, et réserve une réglementation spéciale aux
seules assignations qualifiées que constituent la lettre de change
et le chèque. Dès lors, tant l'assignation que l'acceptation peuvent
être verbales, voire résulter d'actes concluants (art. 1er al. 2 CO).
Interprétées comme toute déclaration de volonté, elles ont le sens et la
portée que leur destinataire peut de bonne foi leur donner (RO 87 II 242,
dans le cas d'un accréditif). Si donc l'assignataire doit comprendre que
l'assignation concerne le prix d'une chose vendue, l'acceptation comporte
des réserves implicites qui lui sont opposables aussi bien que si elle
figurait sur le document même de l'assignation.

    Cette jurisprudence est approuvée par BECKER (no 10 ad art.  468) et
OSER/SCHÖNENBERGER (no 32 ad art. 466). Le second observe avec pertinence
qu'on ne saurait objecter la sécurité des transactions à l'assignation
portant sur une dette conditionnelle (titulierte Anweisung), car elle
n'est pas un papier-valeur destiné à circuler. Pour GAUTSCHI (no 4 ad
art. 468), l'étendue des moyens dont l'assigné peut se prévaloir doit
toutefois ressortir, dans un tel cas, du contenu même de l'assignation
ou de réserves formulées lors de l'acceptation.

    Au demeurant, on pourrait se placer sur le terrain de la formation
de la volonté et considérer que la validité et l'exécution correcte de la
vente constituent des éléments nécessaires de l'acceptation, interprétée
de bonne foi par l'assignataire (art. 24 al. 1 ch. 4 CO; dans ce sens,
GAUTSCHI, no 6d ad art. 468).

Erwägung 5

    5.- En l'espèce, l'assignation avait pour cause le paiement partiel du
prix de vente des jeux. Selon le jugement déféré, l'intimée avait accordé à
Deillon un crédit pour lui permettre d'acheter les appareils qu'il revendit
aux recourants. Puis elle s'était fait céder les créances en paiement du
solde du prix et avait exigé des acheteurs qu'ils signent des "billets
de prêt". Elle n'ignorait pas que la somme de 20 000 fr. représentait
l'acompte initial. Bien au contraire, c'est son inquiétude au sujet de ce
paiement, et de son virement par le vendeur au crédit du compte ouvert
chez elle, qui l'inclina à prendre des précautions et à exiger de dame
Béard qu'elle s'acquitte en ses mains. Ce faisant, elle savait donc que
les recourants entendaient se libérer partiellement, par son entremise,
du prix des jeux achetés à Deillon, et que seule l'existence supposée de
cette dette a déterminé l'acceptation. Selon les règles de la bonne foi,
elle devait dès lors considérer que cet engagement était subordonné à la
validité et au maintien de la vente.

Erwägung 6

    6.- Par définition, l'assigné paie pour le compte de l'assignant
(art. 466 CO). Mais la cause de ce paiement, c'est son acceptation, soit
un engagement distinct qu'il a contracté à l'égard de l'assignataire,
quand bien même - c'est la fonction normale de l'assignation - il
éteint une dette de l'assignant; dame Béard a donc exécuté sa propre
obligation. Celle-ci s'étant avérée caduque, vu la résolution de la vente,
son paiement était sans cause et seuls compètent encore à l'intimée les
droits qu'elle déduit, contre l'assignant, de l'ouverture du crédit. Il
y a donc lieu à répétition de l'indu, autant du moins que l'intimée est
enrichie (art. 62, 64 sv. CO). Celle-ci conteste que ce soit le cas,
précisément parce que le paiement devait éteindre la dette de Deillon,
qui serait ainsi seul enrichi.

    Le Tribunal fédéral a reconnu à l'assigné un droit de répétition
dirigé contre l'assignataire (RO 43 II 676), qui paraît admis par GAUTSCHI
(nos 3 a et dad art. 466, et 6 dad art. 468 CO. Cette solution non
motivée a été corroborée dans une situation analogue par un arrêt qui
a trouvé approbation sur ce point (RO 70 II 271; P. CAVIN, JdT 1945
I 273). Lorsque la caution a payé en ignorant qu'un vice de forme
invalidait son engagement, elle doit diriger son action en répétition
de l'indu contre le créancier, du moins tant que le débiteur principal
peut encore être recherché et n'est donc point définitivement enrichi;
elle a en effet exécuté sa propre obligation. La similitude des deux cas
est frappante: de même que la caution envers le créancier, l'assigné
répond envers l'assignataire d'une dette distincte, dont l'exécution
éteint celle d'un tiers (ici l'assignant, là le débiteur principal); et
si l'assignation - qui peut servir de garantie (cf. RO 73 II 47) - est
issue d'un mandat (OSER/SCHÖNENBERGER, no 9, et GAUTSCHI, rem. prél. 2 b
ad art. 466 CO), l'engagement de la caution résulte aussi, d'ordinaire,
d'un mandat qu'elle assume à l'égard du débiteur principal (P. CAVIN, JdT
1945 I 274 sv.). Dans les deux hypothèses, être payé (soit acquérir une
somme d'argent) en exécution de l'obligation d'un tiers, c'est s'enrichir;
à une créance de valeur économique peut-être douteuse (surtout lorsque,
comme en l'espèce, le débiteur est insolvable), se substitue dans
le patrimoine du créancier une valeur certaine. Ainsi la position de
l'intimée s'était améliorée apparemment par l'adjectio alterius debitoris
que constituait l'acceptation de l'assignée. On ne saurait objecter la
"cession" consentie par dame Béard, et donnée en paiement. Le caractère
abstrait de cette attribution, par laquelle les recourants ont honoré
l'acceptation de l'assignation, ne joue un rôle que si l'effet translatif
comme tel est litigieux; il n'empêche pas la restitution, qui suppose un
transfert régulier. (Sur une conception plus stricte - et apparemment
plus juridique - de l'enrichissement, reçue semble-t-il en Allemagne,
cf. les commentateurs allemands cités au consid. 2 et VON TUHR, Iherings
Jahrbücher für Dogmatik 48, 1904, p. 50 sv.).

Erwägung 7

    7.- Faute d'une constatation contraire, les recourants vivent sous
le régime de l'union des biens. Ce qui échoit à la femme par succession
constitue ses apports (art. 195 CC). Encore que son mari ait seul qualité
pour la représenter dans ses contestations avec des tiers (art. 168 al. 2
CC), il agit donc comme son représentant. Aussi dame Béard, qui a payé des
deniers de la succession de son père, est-elle seule en droit de réclamer
à l'assignataire ce dont il s'est enrichi (RO 51 II 272; 89 II 82; LEMP,
no 11 ad art. 168 CC). Le recours du mari doit dès lors être rejeté.

Entscheid:

Par ces motifs, le Tribunal fédéral:

    1. Rejette le recours d'Henri Béard;

    2. Admet le recours de dame Marguerite Béard et réforme le dispositif
no 1 de l'arrêt déféré en ce sens que l'Union de banques suisses, agence
de Bulle, est condamnée à payer:

    a) à dame Marguerite Béard, demanderesse, la somme de vingt mille
francs plus intérêts à 5% dès le 6 décembre 1958;

    b) aux époux Henri et Marguerite Béard, demandeurs, la somme de sept
mille huit cents francs avec intérêts à 5 % dès le 6 décembre 1958, ce
dans la mesure où tout ou partie de ces montants n'aura pas été versé
aux demandeurs dans la liquidation de la faillite René Deillon.