Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 91 II 25



91 II 25

4. Arrêt de la Ie Cour civile du 16 mars 1965 dans la cause Alex Martin
SA contre Association suisse des fabricants de cigarettes. Regeste

    Art. 2, 4, 5 Abs. 1 u. Abs. 2 lit. c, 6 Abs. 1, 23 BG über Kartelle
und ähnliche Organisationen (KG), vom 20. Dezember 1962; Art. 28 ZGB,
Art. 41 OR.

    1.  Das KG hat keine rückwirkende Kraft (Erw. 1).

    2.  Wer Vorkehren trifft, durch die ein Dritter in der Ausübung
des Wettbewerbs erheblich behindert wird (Art. 4 KG), hatzu beweisen,
dass diese Vorkehren im Sinne von Art. 5 KG ausnahmsweise zulässig sind
(Erw. 2).

    3.  Beispiel eines Kartells, das durch Rationalisierung der Verteilung
einer Ware auf der Grosshandelsstufe die Förderung einer im Gesamtinteresse
erwünschten Struktur im Sinne von Art. 5 Abs. 2 lit. c KG anstrebt
(Erw. 3).

    4.  Prüfung der Verhältnismässigkeit der Mittel, die das Kartell
zur Erreichung seines als zulässig befundenen Ziels anwendet. Die
benachteiligenden Vorkehren sind nur zulässig, soweit sie notwendig
sind, um den Zusammenhalt des Kartells zu sichern. Sie sind dagegen
unzulässig, wenn sie darüber hinaus darauf abzielen, einen Aussenseiter zu
verdrängen oder ihn zu einem mit der Verbandsregelung übereinstimmenden
wirtschaftlichen Verhalten zu zwingen, d.h. ihn vom Wettbewerb
auszuschliessen (Erw. 4 und 5).

    5.  Anspruch auf Feststellung der Unzulässigkeit und auf Unterlassung
der benachteiligenden Vorkehren (Erw. 6).

    6.  Schadenersatzpflicht auf Grund von Art. 41 ff. OR; Verschulden
setzt nicht Bewusstsein der Rechtswidrigkeit voraus (Erw. 7).

Sachverhalt

    A.- Au niveau de la production, le commerce des cigarettes indigènes
est dominé par l'Association suisse des fabricants de cigarettes (en abrégé
ASFC). Les grossistes spécialistes de la branche du tabac sont groupés
en une autre association. Ils vendent, outre des cigarettes, des cigares
et du tabac pour la pipe. En dehors de l'association des grossistes,
d'autres organismes occupent une place dans le commerce en gros des
cigarettes. Ce sont l'Union suisse des coopératives de consommation,
les centrales des sociétés d'achat et certains détaillants spécialistes.

    En 1956, les groupements de l'industrie et du commerce des cigarettes
demandèrent à l'Institut d'organisation industrielle de l'Ecole
polytechnique fédérale de leur présenter un programme de réorganisation
de la distribution. Ledit institut déposa le 28 février 1957 un rapport
dans lequel il montre que la distribution était irrationnelle. La
marge commerciale - gros et détail - était plus grande en Suisse qu'en
Allemagne, en Hollande et en Belgique, trois pays où le marché est
également libre. Les frais de distribution étaient anormalement élevés,
parce que fabriques, grossistes et magasins spécialisés se concurrençaient
pour livrer aux détaillants. Ceux-ci recevaient des visites de voyageurs
de commerce selon une fréquence hors de proportion avec leurs besoins. Ils
obtenaient des rabais ou des remises occultes de la part des grossistes,
qui se faisaient une concurrence intense. Du moment que le prix de vente
au détail est obligatoire et qu'il doit être indiqué sur l'emballage
(art. 87 et 94 de l'ordonnance du Conseil fédéral du 30 décembre 1947
réglant l'imposition du tabac), les détaillants profitaient seuls de
cette concurrence. Ils jouissaient de la même marge de rabais, quelle
que fût l'importance de leur commande. Il en résultait un émiettement
des commandes entre les nombreux voyageurs. Chaque facture comprenait un
nombre d'articles très grand pour un montant très faible. Cela provoquait
un gaspillage des frais de distribution.

    Pour remédier à la situation, l'institut proposait diverses mesures
de rationalisation, notamment une répartition de la distribution au stade
du commerce de gros, une réduction des marges des grossistes, des remises
progressives aux détaillants, selon l'importance de leur commandes, la
création d'un pool d'une durée provisoire de cinq ans pour faciliter la
transition et stabiliser dans une certaine mesure les positions du marché.

    B.- En 1958, l'ASFC et l'Association des grossistes spécialistes de
la branche du tabac sont convenues d'arrêter une organisation nouvelle
du marché de la cigarette, qui est entrée en vigueur entre le 1er août et
le 1er octobre 1958. Elles n'ont pas signé un contrat écrit, mais se sont
entendues pour adopter des accords et règlements internes: convention de
l'ASFC, règlement d'exécution de cette convention, règlement du commerce
de gros de la branche du tabac, règlement de la caisse de compensation
du chiffre d'affaires des grossistes de la branche du tabac.

    Reprenant les principales suggestions de l'institut d'organisation
industrielle, la nouvelle organisation comprend, en bref, les mesures
décrites ci-après.

    a) La clientèle a été répartie entre les fabricants et les
grossistes. Les fabricants ne livrent plus qu'aux grossistes, aux
centrales des sociétés d'achat et aux détaillants spécialisés, définis
désormais selon des critères précis arrêtés par l'ASFC. Les grossistes
livrent à tous les autres clients. De ce fait, le nombre des clients de
l'industrie a diminué (1541 en 1959 contre 2029 en 1957), tandis que la
part du chiffre d'affaires total des fabriques de cigarettes qui est
réalisée par les grossistes a augmenté (81,54% en 1962 contre 76,21%
en 1957). Corrélativement, les marges des grossistes ont été réduites.

    b) Le commerce de gros a aboli la marge fixe de 20% sur le prix de
vente aux détaillants et introduit une marge progressive de 15 à 22,5%
selon le montant de la commande, afin d'amener le détaillant à concentrer
ses commandes. Il a restreint les crédits et les délais de paiement
accordés jusque-là aux détaillants.

    c) Les grossistes ont créé une caisse temporaire de compensation du
chiffre d'affaires, appelée "pool". C'est un accord de contingentement,
assorti d'une bonification aux grossistes qui n'ont pas atteint le
contingent et de pénalités pour ceux qui le dépassent. Le quota est calculé
selon la part moyenne de chaque grossiste à la distribution de cigarettes
en Suisse pour tous les membres du pool. On prit d'abord comme référence
la moyenne des années 1955 à 1957, puis le chiffre d'affaires moyen des
trois dernières années civiles. La pénalité (3%, puis dès 1961, 3,75%)
n'est pas appliquée aux grossistes qui dépassent leur quota de 20%, si
leur chiffre d'affaires n'excède pas 500 000 fr., et de 10% s'il n'est
pas supérieur à 1 200 000 fr. De plus, le mode de calcul du quota permet
à chaque grossiste d'augmenter son chiffre d'affaires dans les mêmes
proportions que le total des ventes des fabriques en Suisse - qui s'est
fortement accru depuis 1957 - sans modifier la position respective des
membres du pool.

    Créé pour cinq ans, jusqu'au 31 août 1963, le pool a été prorogé, avec
des modifications réglementaires, jusqu'au 31 décembre 1964 en tout cas.

    d) La caisse de compensation des ducroires, alimentée par des
versements des fabricants, supporte la moitié de la remise de 1 à
3% accordée à certains gros acheteurs collectifs (Union suisse des
coopératives de consommation, sociétés d'achat, centrales d'achat des
grands magasins); l'autre moitié du rabais est supportée par le grossiste
vendeur.

    e) Les membres de l'ASFC consentent aux grossistes qui ont adhéré
au règlement du commerce de gros de la branche du tabac et au réglement
de la caisse de compensation du chiffre d'affaires (pool), les avantages
suivants:

    - une remise de 2% sur les prix facturés;

    - une bonification dite rabais de fonction de 0,75% à 1,5% sur les
prix facturés, selon l'importance du chiffre d'affaires (montant net
des factures):

    de 500 000 à 1 200 000 fr.:   0,75%

    de 1 200 000 à 6 000 000 fr.: 1,25%

    plus de 6 000 000 fr.:        1,5%.

    La caisse de compensation des ducroires, qui est une institution de
l'association des grossistes, ne sert ses prestations qu'aux maisons qui
y sont affiliées.

    C.- En dépit de résistances initiales, la nouvelle réglementation du
marché des cigarettes a été adoptée par les grossistes. La quasi-totalité
d'entre eux - 129 maisons sur 131 - y ont adhéré. L'une des deux
maisons dissidentes, Alex Martin SA, à Fribourg, a repris une entreprise
individuelle fondée en 1880, qui faisait à l'origine le commerce de tabac
au détail; aujourd'hui, elle exploite principalement un commerce de tabac
en gros. Elle n'a pas voulu adhérer au pool, parce que les années 1955 à
1957 prises comme référence initiale étaient très défavorables pour elle.
Plus tard, lorsque les trois dernières années civiles furent choisies comme
déterminantes, elle exigea que seuls les six derniers mois précédant son
entrée dans le pool fussent considérés comme référence. Les pourparlers
ayant échoué de ce fait, Alex Martin SA persista dans son refus d'adhérer
à la nouvelle réglementation. Elle ne bénéficia par conséquent jamais de la
remise de 2% sur les prix facturés. En revanche, les membres de l'ASFC lui
accordèrent tout d'abord le rabais de fonction de 0,75%, puis de 1,25%,
vu l'augmentation de son chiffre d'affaires. Ils cessèrent toutefois de
le faire à partir du 31 mars 1961, en invoquant la nouvelle convention
passée entre eux le 15 décembre 1960. Cette mesure supplémentaire a été
prise sous la pression des grossistes.

    Malgré ses marges de grossiste réduites par les conditions nouvelles du
marché et les prix discriminatoires qui lui étaient facturés, Alex Martin
SA a continué de faire bénéficier les détaillants des anciennes conditions,
à savoir un rabais de 20% quel que soit le montant de la commande. Elle
a encore surenchéri sur les rabais accordés aux clients pour paiement
comptant. Grâce à sa politique d'expansion, elle a fortement augmenté son
chiffre d'affaires, qui a passé d'environ 750 000 fr. en 1957 à plus de 3
500 000 fr. en 1962. Durant le même temps, le chiffre global des ventes
de cigarettes indigènes augmentait dans la proportion de trois à cinq,
passant de 300 à 500 millions de francs en chiffre rond.

    Alex Martin SA a produit une expertise privée selon laquelle elle
subirait une perte annuelle de l'ordre de 13 à 15 000 fr. si son chiffre
d'affaires était demeuré au niveau de 1958; ce rapport concerne toutes
les ventes et non la seule branche des cigarettes.

    D.- Le 15 décembre 1961, Alex Martin SA fit assigner l'Association des
grossistes spécialistes de la branche du tabac en cessation de boycott
et en dommages-intérêts devant la Cour d'appel de Berne. Le 16 février
1962, elle déposa une demande contre l'ASFC devant le Tribunal civil de
la Sarine, à Fribourg.

    Dans l'instance bernoise, l'association défenderesse contesta sa
responsabilité. Elle prétendit qu'elle n'était pour rien dans les mesures
discriminatoires prises envers la demanderesse. Les parties convinrent
alors de suspendre le premier procès jusqu'à droit connu sur le second.

    L'action introduite devant le Tribunal de la Sarine fut portée, en
vertu d'une convention des plaideurs, devant le Tribunal fédéral statuant
comme juridiction unique.

    E.- Par demande du 6 décembre 1962, Alex Martin SA prit contre
l'ASFC des conclusions tendant à faire constater que la défenderesse
exerce un boycott illicite en interdisant à ses membres de lui livrer
aux mêmes conditions qu'aux signataires du règlement du commerce de
gros et du règlement de la caisse de compensation du chiffre d'affaires
des grossistes (pool) de la branche du tabac. Elle requit en outre la
cessation de ce boycott et l'abstention de toute discrimination future
directe ou indirecte. Elle réclama également des dommagesintérêts par
322 106 fr. 10 (montant précisé dans une écriture du 9 janvier 1963),
avec intérêt à 5% dès le 6 décembre 1962. Elle réserva ses droits quant
à la réparation du dommage postérieur au 31 octobre 1962.

    L'ASFC, défenderesse, conclut au rejet de l'action.

    Le 21 décembre 1962, le Tribunal fédéral déclara la demande recevable
au regard de l'art. 41 litt. c OJ (RO 88 II 383).

    Le juge délégué à l'instruction ordonna une expertise, confiée au Prof.
Jean Golay, à Lausanne, qui déposa son rapport le 18 avril 1964.

    Le 10 novembre 1964, le Tribunal fédéral reconnut à la défenderesse la
qualité d'association au sens des art. 60 ss. CC, et partant la capacité
d'ester en justice (RO 90 II 333).

Auszug aus den Erwägungen:

                      Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- La loi fédérale sur les cartels et organisations analogues du 20
décembre 1962 (loi sur les cartels) est entrée en vigueur le 15 février
1964. Elle ne contient pas de règle transitoire. Son art. 23 déclare
applicables aux cartels, sauf disposition contraire, les normes du code
civil, notamment celles du code des obligations. Il résulte des renvois
successifs à l'art. 1er des dispositions finales et transitoires CO et
à l'art. 1er Tit. fin. CC que la loi sur les cartels n'a pas d'effet
rétroactif.

    La conclusion de la demanderesse qui tend à l'allocation de
dommages-intérêts pour le préjudice subi jusqu'au 31 octobre 1962 doit
être examinée à la lumière du droit ancien.

    Quant aux conclusions en constatation de l'illicéité et en cessation
du boycott, elles doivent être appréciées selon le droit en vigueur au
jour du jugement, qui est déterminant (art. 21 al. 3 PCF, cf. LEUCH,
n. 1 ad art. 160 PC bernois). Le droit nouveau leur est donc applicable.

Erwägung 2

    2.- Les mesures prises d'un commun accord par l'ASFC et par
l'Association des grossistes spécialistes de la branche du tabac à l'égard
d'Alex Martin SA sont propres à influencer le marché des cigarettes par
une limitation collective de la concurrence. L'ensemble de ces mesures
constitue donc un cartel au sens de l'art. 2 de la loi sur les cartels.

    La demanderesse est la victime de discriminations en matière de
prix. Elle paie les marchandises que lui livrent les membres de l'ASFC
2% plus cher que ses concurrents qui ont adhéré à la réglementation de
1958. En outre, elle ne reçoit pas le rabais de fonction de 1,25%,qui
correspondrait à son chiffre d'affaires. Elle ne profite pas non plus de
la caisse de compensation des ducroires. La marge des grossistes étant
de l'ordre de 10%, la différence de prix s'élevant à 3,25% est sensible.

    Les mesures discriminatoires prises par le cartel à l'égard
d'Alex Martin SA tendent à l'entraver notablement dans l'exercice de la
concurrence. Elles sont donc en principe illicites, selon l'art. 4 de la
loi sur les cartels. Au demeurant, la défenderesse admet expressément que
la demanderesse est l'objet d'un boycott. Mais elle prétend qu'il s'agirait
d'un boycott d'alignement qui serait justifié par les circonstances
qu'elle allègue.

    L'art. 5 al. 1 de la loi sur les cartels apporte une exception au
principe en déclarant licites les entraves à la concurrence justifiées par
des intérêts légitimes prépondérants, qui ne restreignent pas la libre
concurrence de manière excessive par rapport au but visé ou du fait de
leur nature et de la façon dont elles sont appliquées. Le texte légal cite
notamment comme exemple d'intérêts légitimes prépondérants les mesures
qui tendent "à promouvoir dans une branche ... une structure souhaitable
dans l'intérêt général" (art. 5 al. 2 litt. c de la loi sur les cartels).

    Il appartient en l'espèce à la défenderesse, qui a décidé les
mesures discriminatoires appliquées par ses membres à la demanderesse,
d'apporter la preuve que le boycott est justifié par des intérêts légitimes
prépondérants, d'une part, et que les moyens utilisés sont adéquats pour
atteindre le but visé, sans être disproportionnés à celui-ci, d'autre part
(art. 8 CC; RO 86 II 378).

Erwägung 3

    3.- a) La nouvelle réglementation du commerce de gros des cigarettes
indigènes impose aux fabricants et aux grossistes une discipline
adoptée en vue de mettre fin au gaspillage des frais de distribution
qu'entraînait la situation antérieure. Inspirée par les conclusions
du rapport de l'Institut d'organisation industrielle, elle a pour but
de rationaliser la distribution. Elle réduit les frais en diminuant le
nombre des visites de voyageurs aux clients, en groupant les commandes et
en fixant des conditions de crédit unifiées, plus strictes. Elle répartit
rationnellement entre les fabricants et les grossistes la distribution
des cigarettes au stade du commerce de gros. Elle a réduit les marges
des grossistes, mais cette réduction a été compensée par une diminution
des frais de distribution. Elle a certes réduit également les marges
des détaillants. L'expert a montré cependant de façon convaincante que
ceux-ci jouissent encore d'une marge appréciable en comparaison de leurs
collègues d'Allemagne, de Belgique et de Hollande, pays connaissant comme
le nôtre un marché libre de la cigarette et non un monopole d'Etat. Il
estime que des économies supplémentaires pourraient être réalisées au
niveau du commerce de détail, en diminuant le nombre des débits - plus
élevé en Suisse que dans les trois pays précités - et en rationalisant la
vente. Or la réduction de la marge laissée aux détaillants est certainement
le moyen le plus efficace de parvenir à ce résultat. Elle ne constitue
donc pas un élément critiquable de la nouvelle réglementation.

    b) Le maintien de l'état antérieur du marché, qui se caractérisait par
une concurrence intense des grossistes allant jusqu'à des remises occultes
consenties aux clients, ainsi que des frais de voyageurs, d'expédition
et de distribution beaucoup trop élevés en raison de l'émiettement des
commandes, aurait probablement fait disparaître plusieurs maisons de gros
moyennes ou petites. Si la disparition d'entreprises marginales n'est
pas nécessairement un mal du point de vue de l'économie générale, elle
présente de graves inconvénients d'ordre social. De plus, elle risquait de
conduire à une situation d'oligopole, voire de monopole défavorable aux
consommateurs. Il est d'ailleurs nettement plus probable que la pression
de la majorité des grossistes, incapables de faire face à un gaspillage
grandissant des frais de distribution, aurait provoqué une augmentation
des marges, au détriment du consommateur qui aurait dû payer un prix
plus élevé.

    c) Grâce à la nouvelle réglementation du marché de gros, le prix
de vente au détail est demeuré stable de 1957 à aujourd'hui, malgré
l'augmentation du coût de la matière première et de la main-d'oeuvre,
tandis que l'indice général des prix à la consommation a augmenté de
17% environ. Sans doute l'augmentation globale de la consommation des
cigarettes - qui a été de l'ordre de 41% en pièces et de 65% en francs
entre 1957 et 1962 - et d'autres facteurs économiques ont-ils aussi
joué un rôle. Néanmoins, l'organisation nouvelle du marché a freiné un
gaspillage manifeste et contribué de la sorte à éviter une hausse du prix
payé par le consommateur. Elle a donc ménagé les intérêts de celui-ci,
tout en favorisant les intérêts des fabricants et des grossistes.

    d) Assurément, l'organisation mise sur pied par le cartel restreint la
liberté d'action des grossistes. Le pool, qui est une mesure auxiliaire
nécessaire pour empêcher les maisons les plus importantes d'accroître
trop rapidement leur chiffre d'affaires au détriment de concurrents moins
puissants sur le marché, restreint fortement les possibilités d'extension
des entreprises. Mais la loi sur les cartels ne prétend nullement
imposer à des entreprises qui n'en veulent pas un régime de concurrence
absolue. Reprenant les conclusions de la Commission d'étude des prix du
Département fédéral de l'économie publique, elle s'attache à réaliser le
postulat économique de la "concurrence possible". Le législateur a voulu
laisser à chacun la faculté de renoncer à certains moyens de concurrence
en se liant par des accords cartellaires, d'une part, et permettre à
l'entrepreneur désireux de pratiquer la concurrence de le faire librement
en ne retenant pour seul critère que sa prestation, d'autre part. Il
s'efforce ainsi de conserver dans l'économie les facteurs capables de
régulariser et d'atténuer les effets nuisibles des cartels. Parmi les
inconvénients à éviter figurent les structures rigides, inappropriées
au développement économique, qui sauvegardent des situations acquises
au détriment de l'esprit d'initiative. Elles engendrent des pratiques
malthusiennes et une sclérose de l'économie qui aboutit, dans les cas
extrêmes, à maintenir des entreprises simplement parce qu'elles existent
déjà ou à leur assurer un rendement déterminé (Message du Conseil fédéral
à l'appui d'un projet de loi sur les cartels et les organisations
analogues du 18 septembre 1961, FF 1961 II p. 549 ss., notamment
p. 556 et p. 584). Du point de vue juridique, le régime économique de la
"concurernce possible" sauvegarde la liberté individuelle en permettant
au concurrent dissident de résister au cartel qui exercerait une pression
économique pour forcer son adhésion ou l'exclure du marché. Il protège
ainsi le droit de la personne au libre exercice de l'activité économique
(Message cité, p. 556).

    Le contingentement relatif institué en l'espèce a le mérite de
la souplesse. Il est calculé actuellement en fonction d'une référence
mobile donnée par le chiffre d'achat moyen des trois dernières années
civiles. Il laisse à chaque grossiste la faculté d'augmenter ses ventes
sans pénalité dans la même proportion que s'accroît la consommation
globale. De plus, le système des pénalités est adouci par une tolérance
de 20%, respectivement 10% du chiffre d'affaires qui ne dépassait pas 500
000 fr., respectivement 1 200 000 fr. durant la période de référence. Il
permet ainsi aux petites et moyennes entreprises de se développer sans
entrave dans une certaine limite. Grâce à ces divers accommodements, le
pool laisse subsister une marge appréciable de concurrence. De l'aveu de la
demanderesse, il n'a pas empêché plusieurs maisons de gros conventionnelles
d'augmenter notablement leur chiffre d'affaires. Même s'il était prorogé
au-delà du 31 décembre 1964, quoique prévu comme une mesure transitoire,
le pool continuerait d'assurer utilement, par une contrainte indirecte,
le respect de la réglementation, sans restreindre de façon intolérable
la liberté des grossistes qui lui ont donné leur adhésion.

    e) En bref, la limitation relative de la concurrence imposée
par le cartel à ses membres rationalise la distribution. Elle a
permis d'économiser des frais inutiles. Elle satisfait les besoins des
consommateurs à des conditions relativement meilleures. Elle tend ainsi à
"produire un effet acceptable du point de vue économique" (Message cité, p.
585). On doit conclure que la nouvelle organisation du commerce de gros des
cigarettes indigènes a créé, de façon encore imparfaite mais en marquant un
progrès réel sur l'ancien état de choses, une structure mieux appropriée
à l'intérêt général. Elle se justifie dès lors par des intérêts légitimes
prépondérants au sens de l'art. 5 al. 2 litt. c de la loi sur les cartels.

Erwägung 4

    4.- Le but visé par le cartel étant reconnu légitime, il reste à
examiner si les discriminations imposées à la maison Alex Martin SA ne
restreignent pas la concurrence de manière excessive par rapport à ce
but ou du fait de leur nature et de la façon dont elles sont appliquées.

    a) La demanderesse est exclue de la caisse de compensation des
ducroires. Il s'agit d'une remise de 1 à 3% que les grossistes accordent
à certains gros acheteurs. Comme le relève l'expert, fabricants et
grossistes ont dû faire cette concession à quelques acheteurs importants,
afin de les gagner comme clients à la nouvelle organisation du marché. La
remise est supportée pour moitié par le grossiste vendeur et pour moitié
par la caisse de compensation des ducroires, alimentée en fait par les
fabricants. Par son origine et par sa fonction, cette caisse fait corps
avec l'organisation nouvelle. Il est dès lors parfaitement normal que
ses prestations soient réservées aux seuls grossistes qui ont adhéré à
la réglementation du marché. Les outsiders qui refusent d'observer les
règles conventionnelles n'y ont pas droit.

    b) Les autres discriminations dont la demanderesse est l'objet sont
l'application du prix de fabrique de base - supérieur de 2% à celui
qui est facturé aux membres de l'organisation nouvelle - et le refus
de la bonification de 0,75% à 1,5% du chiffre d'affaires, dite rabais
de fonction.

    Le cartel qui vise un but reconnu légitime a le droit de prendre
les mesures nécessaires pour l'atteindre. Or les grossistes qui ont
adhéré à la réglementation du marché se sont imposé des restrictions
dans la concurrence. Ils ont adopté des conditions uniformes pour
les livraisons aux détaillants. Ils ont constitué un pool qui éponge
les bénéfices au-delà d'un certain taux d'expansion. Pour sa part, la
demanderesse a usé de son droit en conservant sa liberté. Elle jouit ainsi
d'une capacité de concurrence complète. Elle accorde à ses clients des
conditions qu'elle estime plus avantageuses pour eux et ne se fait pas
faute de le leur rappeler dans ses lettres circulaires. Pratiquant une
politique d'expansion coûte que coûte, elle a réussi à quintupler son
chiffre d'affaires en cinq ans. Elle a sans doute bénéficié de l'abandon
par les fabricants d'une partie de leur clientèle en faveur des grossistes
et de la limitation des possibilités de concurrence que le pool représente
pour ses adhérents.

    Si les fabricants livraient à la demanderesse aux mêmes conditions
qu'aux grossistes conventionnels, ceux-ci n'auraient plus aucun intérêt
à demeurer dans la nouvelle organisation, qui disparaîtrait. Le marché
de la cigarette retomberait dans l'anarchie qui le caractérisait avant
1958. La discrimination de prix pratiquée à l'égard de la demanderesse est
donc fondée dans son principe. Elle apparaît comme la mesure qui, en soi,
porte l'atteinte la moins grave aux intérêts de l'outsider. Elle lui permet
de s'approvisionner sans restriction auprès des entreprises affiliées au
cartel et d'utiliser librement sa pleine capacité concurrentielle. De par
sa nature, elle ne restreint pas la liberté économique de la demanderesse
de manière excessive par rapport au but visé.

    c) Encore faut-il, pour que le boycott demeure licite, que l'ampleur
de la discrimination ne soit pas disproportionnée au but que se propose
le cartel.

    La discrimination pratiquée en matière de prix vise à assurer le
maintien de la réglementation, c'est-à-dire la cohésion du cartel. Elle
doit faire en sorte que l'outsider qui bénéficie d'une pleine liberté de
concurrence ne se trouve pas dans une situation privilégiée par rapport
à ses concurrents qui se soumettent à la discipline cartellaire. Il faut
que, tous comptes faits, le grossiste n'ait aucun avantage à rejoindre la
dissidence. Tant qu'elle demeure dans cette limite, une discrimination
en matière de prix n'est pas excessive au sens de l'art. 5 al. 1 de la
loi sur les cartels.

    En revanche, la discrimination sera excessive si, dépassant la limite
ainsi tracée, elle tend à faire en sorte que l'activité de l'outsider
ne soit plus rentable, et partant à rendre impossible la continuation de
cette activité. Quelque légitime que soit son but, un cartel ne saurait
prétendre, ni au nom de l'intérêt particulier des commerçants de la
branche, ni même au nom de l'intérêt général, contraindre un outsider
à adopter un comportement économique conforme à la réglementation
conventionnelle, c'est-à-dire l'exclure de la concurrence. Le cartel
s'efforce d'ordonner la lutte concurrentielle en fonction d'intérêts
privés. Même s'il produit des effets conformes à l'intérêt général, il ne
peut se prévaloir d'une sorte de "suppléance des organes étatiques" pour
obtenir l'adhésion forcée d'un concurrent (contra: DESCHENAUX, L'esprit
de la loi fédérale sur les cartels..., Etudes de droit commercial en
l'honneur de Paul Carry, Genève 1964, p. 220). L'entrave à la concurrence
justifiée par des intérêts légitimes n'est licite que dans la mesure où
elle respecte le droit de la personne au libre exercice de l'activité
économique, qui est l'expression juridique du postulat économique de
la "concurrence possible" voulue par le Iégislateur (cf. consid. 3 d
ci-dessus). Dans un régime de liberté économique, ni l'Etat, ni a plus
forte raison les associations privées ne peuvent obliger une personne à
conformer son comportement en affaires à d'autres règles que celles de
la loi (RO 86 II 370). La demanderesse a le droit de conserver sa liberté
économique, même si l'usage qu'elle en fait n'est pas rationnel.

    Sont dès lors illicites les mesures qui, dépassant le degré nécessaire
pour assurer la cohésion du cartel, tendraient à évincer un outsider ou,
ce qui revient au même, à le contraindre à adhérer au cartel. De telles
mesures seraient aussi graves pour le concurrent visé qu'un refus pur et
simple des livraisons, devant lequel la défenderesse a sagement reculé.

    d) Il est vrai qu'une discrimination limitée au degré nécessaire pour
assurer la cohésion du cartel risque de provoquer, selon les circonstances
économiques, la ruine de l'outsider. Mais elle ne deviendrait pas illicite
de ce fait (cf. RO 76 II 287 consid. 3). L'art. 6 al. 2 in fine de la
loi sur les cartels, qui autorise le juge à ordonner l'admission du
boycotté qui le demande dans le cartel, offre une issue qui permet à
la victime d'une pareille discrimination de sauvegarder son existence
économique. Les entraves à la concurrence proportionnées au but légitime
visé par un cartel demeurent licites, en dépit des effets pernicieux qu'ils
auraient pour l'outsider. Il n'est donc pas nécessaire de se déterminer
sur l'allégation de la demanderesse, selon laquelle la discrimination
dont elle est l'objet conduirait à sa ruine.

Erwägung 5

    5.- Jusqu'au 1er avril 1961, la discrimination pratiquée envers
la demanderesse a consisté uniquement dans l'application de prix de
fabrique de 2% supérieurs à ceux qui étaient facturés aux grossistes
conventionnels. A partir de cette date, les fabricants ont en outre
cessé de lui consentir le rabais de fonction. Cette mesure représente
pratiquement une différence de prix supplémentaire de 1,25%, vu le
chiffre d'affaires d'Alex Martin SA La marge brute des grossistes étant
de l'ordre de 10%, la différence globale de 3,25% réduit cette marge
d'environ un tiers.

    a) Les deux mesures discriminatoires sont de même nature.  Elles
consistent l'une et l'autre dans une réduction de prix. Selon l'expert, la
différence de 2% compense les obligations et les charges assumées par les
grossistes conventionnels, dont les outsiders sont libérés. La bonification
sur le chiffre d'affaires dite rabais de fonction ne correspond pas à un
avantage que le grossiste accorderait au fabricant, par exemple en faisant
des commandes plus importantes. Celles-ci diminueraient les frais de
distribution et de stockage, voire le loyer de l'argent immobilisé. Elles
transféreraient au grossiste une part des charges qui sans cela resteraient
au fabricant. L'outsider qui rendrait le même service à celui-ci pourrait
alors prétendre à la remise compensatoire. Mais le rabais de fonction est
calculé indépendamment du montant de chaque commande. Il dépend uniquement
du chiffre d'affaires global des achats faits par chaque grossiste
conventionnel auprès de la totalité des fabricants. Il représente donc
un avantage consenti aux grossistes importants. Peut-être les fabricants
ont-ils jugé conforme à leur intérêt de réduire le nombre des maisons
de gros en éliminant progressivement les petits grossistes. Peut-être
ont-ils dû faire ici encore une concession aux grossistes importants,
pour les gagner à leurs projets de rationalisation. Quoi qu'il en soit,
la demanderesse ne saurait prétendre au rabais de fonction en raison de
la nature de celui-ci. Seul le montant de la discrimination doit être
considéré.

    b) Pour une maison réalisant un chiffre d'affaires du même ordre
que la demanderesse entre 1959 et 1962 (1,5 million de francs en 1959,
2,5 millions en 1960, 3,32 millions en 1961 et 3,5 millions en 1962),
un calcul schématique montre qu'une différence de prix de 3,25% sur tous
les achats représenterait plus du double de la pénalité de 3,75% qu'un
grossiste conventionnel devrait payer au pool pour le dépassement de
son quota, s'il augmentait son chiffre d'affaires dans la même mesure. En
outre, la discrimination est aggravée par le fait que la différence de prix
s'applique à la valeur globale de tous les achats effectués chaque année,
sans égard à l'augmentation du chiffre de vente global des cigarettes -
environ 12% par an durant la période considérée - qui échappe à toute
pénalité. Elle ne souffre aucune marge de tolérance, contrairement
aux pénalités du pool. Elle subsiste même si le chiffre d'affaires se
stabilise, comme cela est à prévoir pour un outsider dont l'expansion
ne sera pas continue, tandis que les pénalités cesseraient, grâce au
système des références mobiles qui est à la base du contingentement
relatif institué par le pool.

    Toujours selon un calcul schématique, une discrimination limitée à
la différence de 2% sur les prix de fabrique diminuerait certes l'écart
entre l'outsider et le grossiste conventionnel. Elle permettrait néanmoins
au second de dépasser son quota dans une mesure nettement plus grande
que l'accroissement du chiffre d'affaires de l'outsider, jusqu'à ce que
la pénalité à payer au pool atteigne le même montant que la différence
de prix. La différence apparaîtrait de façon plus nette encore si l'on
tenait compte de l'augmentation globale des ventes et de la tolérance
qui adoucit le système des pénalités. Une discrimination aussi marquée
se révèle amplement suffisante pour assurer la cohésion du cartel.

    c) Il est vrai que les grossistes qui ont adhéré au règlement
cartellaire se sont engagés non seulement à participer au pool qui
restreint leurs possibilités d'expansion, mais encore à imposer des
conditions de vente déterminées à leur clientèle. Toutefois, l'outsider
ne peut user de sa liberté qu'en accordant des conditions plus favorables
aux détaillants et en développant son appareil de prospection. Il assume
ainsi des charges qui diminuent encore sa marge déjà réduite, tandis que
la compression des frais résultant du nouvel ordre du marché a amélioré
la situation des grossistes conventionnels, même des petits grossistes.

    d) Sans doute doit-on laisser au cartel qui vise un but légitime et
assure sa cohésion par des moyens adéquats, tels qu'une discrimination
en matière de prix, une certaine latitude dans l'ampleur de la mesure
qu'il a choisi d'appliquer. Le degré de la discrimination nécessaire
sera difficile à déterminer d'emblée. Le pronostic peut être déjoué par
des circonstances imprévues. Le souci d'un effet préventif, voire d'une
intimidation à l'égard des membres du cartel, ne doit pas être négligé. En
l'espèce, cependant, les fabricants et les grossistes conventionnels ont
jugé tout d'abord que la différence de prix de 2% suffirait à assurer la
cohésion et l'efficacité du cartel. Leur prévision s'est réalisée puisque
129 grossistes sur 131 ont adhéré à la réglementation nouvelle. Pendant
deux ans et demi, seule cette mesure a été appliquée. Bien que la
demanderesse ait presque triplé son chiffre d'affaires durant ce temps,
la cohésion du cartel n'a pas été ébranlée. La défenderesse elle-même
n'a pas allégué que l'expansion d'Alex Martin SA exerçât une attraction
sur certains grossistes conventionnels.

    e) L'expert estime qu'en jouissant du rabais de fonction, la
demanderesse obtiendrait une situation qui se rapprocherait par trop de
celle des petits grossistes qui ont adhéré au cartel. Le calcul schématique
démontre cependant que, même réduite à 0,75% (dans le cas du grossiste
conventionnel réalisant un chiffre d'affaires inférieur à 500 000 fr.,
qui ne reçoit aucune bonification), la différence de prix qui subsiste
au détriment de l'outsider demeure appréciable. La même différence de
traitement existe d'ailleurs entre les grands et les petits grossistes à
l'intérieur du cartel. En effet, le système du rabais de fonction variant
de 0 à 1,25%, institué par la défenderesse, favorise incontestablement
les grossistes importants.

    f) Assurément, la demanderesse a conquis le droit au rabais de
fonction en augmentant son chiffre d'affaires grâce à son indiscipline. On
ne peut cependant la pénaliser en lui refusant la bonification par ce
motif. Le commerce des cigarettes étant libre, aucun grossiste ne peut
être contraint à observer d'autres règles que celles de la loi. Mais la
loi sur les cartels sauvegarde justement la liberté des entreprises. Elle
interdit de forcer une entreprise indépendante à adhérer à un cartel,
même si celui-ci se propose un but légitime en instituant un ordre
désirable dans l'intérêt général. Si l'on admettait d'autres mesures de
contrainte que celles qui sont nécessaires pour assurer la cohésion du
cartel, on abandonnerait l'économie de libre marché pour verser dans une
économie dirigée, non par l'Etat, mais par des associations privées. Or
le législateur a rejeté cette solution.

    g) Selon l'appréciation de l'expert, le refus du rabais de fonction
est une mesure discriminatoire "utile et équitable, sinon nécessaire pour
assurer le respect de la réglementation". Toutefois, la différence de 2%
sur le prix de fabrique suffit pour atteindre ce but. La discrimination
supplémentaire appliquée par les fabricants à partir du 1er avril 1961
n'était pas indispensable pour maintenir la cohésion du cartel. Elle semble
plutôt répondre au désir des grossistes d'évincer ou d'assujettir l'un des
rares outsiders, dont la dissidence ne compromet pas l'ordre du marché tel
qu'ils l'entendent. Il faut conclure qu'en l'état, la défenderesse n'a pas
apporté la preuve que la suppression du rabais de fonction accordé à la
demanderesse fût nécessaire pour maintenir la cohésion du cartel. Cette
discrimination supplémentaire est donc illicite.

Erwägung 6

    6.- La conclusion 1 de la demande, qui tend à la constatation de
l'illicéité du boycott, doit être admise en application de l'art. 6 al. 1
de la loi sur les cartels, mais seulement dans la mesure où elle vise la
suppression du rabais de fonction. Elle est mal fondée pour le surplus.

    La conclusion 2, qui tend à la cessation du boycott, subira le même
sort, en vertu de la disposition légale précitée.

    Par ses conclusions 3 et 4, la demanderesse requiert que la
défenderesse soit condamnée à faire en sorte que ses membres s'abstiennent
à l'avenir de toute discrimination directe ou indirecte envers elle et
qu'ils lui livrent des marchandises sans entrave. Il est douteux qu'une
requête formulée de façon aussi large et imprécise remplisse les conditions
posées par la jurisprudence pour que le tribunal déclare certains actes
prohibés (cf. RO 56 II 437 et 84 II 457). Quoi qu'il en soit, elle est
excessive. L'admission des conclusions 1 et 2 dans la mesure définie
ci-dessus donne satisfaction à la demanderesse, autant que son action
est fondée.

Erwägung 7

    7.- La conclusion 5 en paiement de dommages-intérêts pour le préjudice
subi du 1er octobre 1958 au 31 octobre 1962, doit être examinée à la
lumière du droit ancien. Les règles dégagées par la jurisprudence sur la
base des art. 28 CC et 41 ss. CO, qui sont applicables en l'espèce, ne
diffèrent pas du droit nouveau. Le Tribunal fédéral a jugé en effet que le
boycott est en principe illicite; il n'est cependant pas contraire au droit
s'il tend à défendre des intérêts légitimes manifestement prépondérants;
les mesures discriminatoires utilisées comme moyen pour atteindre un but
reconnu légitime ne sont toutefois licites que dans la mesure où elles
ne sont pas disproportionnées à ce but; la preuve des faits propres à
conférer un caractère licite au boycott incombe à l'auteur de celui-ci
(RO 86 II 365 et, pour la proportionnalité des moyens, arrêts antérieurs
cités). Au regard de la jurisprudence, la mesure discriminatoire consistant
à refuser le rabais de fonction à la demanderesse doit être déclarée
illicite par les motifs exposés plus haut (cf. consid. 5).

    Selon l'art. 41 CO, auquel renvoie l'art. 28 CC, l'auteur d'un acte
illicite ne peut être condamné à payer des dommagesintérêts que s'il
a commis une faute. La défenderesse a pris volontairement les mesures
discriminatoires appliquées à la demanderesse; elle était consciente des
effets dommageables de ses actes; elle a voulu ce résultat.

    En droit civil, la faute ne suppose pas que l'auteur ait eu conscience
du caractère illicite de son acte (RO 82 II 317; sic: OSER-SCHÖNENBERGER,
n. 60 ad art. 41 CO et BECKER, n. 91 ibid.; contra: VON TUHR/SIEGWART,
§ 47 I p. 365). La défenderesse connaissait d'ailleurs la jurisprudence
rappelée ci-dessus, à laquelle elle s'est référée dans sa lettre du 27
février 1961 à l'association des grossistes. Sachant que la discrimination
est en principe illicite, elle devait examiner les circonstances de
façon approfondie, avec objectivité et prudence, puis s'abstenir de
toute mesure excédant le degré nécessaire pour atteindre le but du cartel
(RO 81 II 128 consid. 5).

    Le montant de l'indemnité sera calculé sur la base du chiffre
d'affaires articulé par la demanderesse, qui est inférieur à celui que la
défenderesse allègue pour la même période du 1er avril 1961 au 31 octobre
1962. Sur la base d'un rabais de fonction de 1,25%, la discrimination
illicite représente une somme de 73 413 fr. 10. L'intérêt à 5% l'an doit
être alloué à la demanderesse, qui le réclame dès le 6 décembre 1962,
date à laquelle elle a déposé sa demande.

    La réparation du dommage postérieur au 31 octobre 1962 est réservée.

Entscheid:

Par ces motifs, le Tribunal fédéral:

    Admet partiellement la demande, en ce sens que:

    a) La discrimination en matière de prix dont Alex Martin SA est
l'objet de la part des membres de l'Association suisse des fabricants de
cigarettes est illicite dans la mesure où est refusé à Alex Martin SA
le bénéfice de la bonification, de 0,75% à 1,5%, prévue par l'art. 13
de la convention conclue entre les membres de l'Association suisse des
fabricants de cigarettes le 15 décembre 1960.

    b) L'Association suisse des fabricants de cigarettes est tenue
d'inviter ses membres à accorder avec effet immédiat à Alex Martin SA la
bonification susdite.

    c) L'Association suisse des fabricants de cigarettes est débitrice
de Alex Martin SA de la somme de 73 413 fr. 10 avec intérêt à 5% dès le
6 décembre 1962.