Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 90 I 298



90 I 298

45. Extrait de l'arrêt du 7 octobre 1964 dans la cause Watin contre
Ministère public fédéral. Regeste

    Vertrag zwischen der Schweiz und Frankreich über gegenseitige
Auslieferung von Verbrechern, vom 9. Juli 1869; BG betreffend die
Auslieferung gegenüber dem Ausland, vom 22. Januar 1892 (AuslG).

    Begriff des sog. relativ-politischen Delikts.

Sachverhalt

                        Résumé des faits:

    Le 4 mars 1963, la Cour militaire de justice, siégeant au Fort Neuf
de Vincennes (France), a condamné à mort par défaut l'ingénieur agronome
Georges Watin, né le 10 mai 1923 à Duperré (Algérie), ancien responsable
à la mission III de l'O.A.S. (organisation armée secrète). Cet arrêt et
l'acte d'accusation sur lequel il se fonde visent diverses infractions "en
relation avec les événements d'Algérie". Watin est l'un des conjurés qui
ont perpétré contre le Général de Gaulle l'attentat dit du Petit-Clamart,
le 22 août 1962.

    Il fut arrêté le 31 décembre 1963 en Suisse. Son expulsion, ordonnée
par le Conseil fédéral le 17 janvier 1964 (art. 70 Cst.), n'est pas
encore exécutée.

    Le 29 janvier 1964, l'Ambassade de France a présenté une demande
d'extradition (annoncée le 20 janvier). Watin s'y oppose; les actes
qui lui sont reprochés présenteraient un caractère politique et la Cour
militaire de justice serait un tribunal d'exception. Le Tribunal fédéral
a rejeté la demande en admettant le caractère politique prédominant de
la tentative d'assassinat.

Auszug aus den Erwägungen:

                       Extrait des motifs:

    C'est en se plaçant au point de vue suisse et au regard du droit
suisse, sans tenir compte de la loi et de la pratique du pays requérant,
que le Tribunal fédéral examine si un délit est de nature politique (RO 34
I 544 et les arrêts cités). Selon l'art. 10 LE, qui complète le traité,
le tribunal accorde l'extradition, alors même que le coupable allègue
un motif ou un but politique, si le fait pour lequel elle est demandée
constitue principalement un délit de droit commun. Il apprécie dans chaque
cas particulier le caractère de l'infraction selon les faits de la cause
(al. 2). Lié par l'exposé de l'acte de poursuite ou du jugement à la
base de la demande d'extradition lorsqu'il recherche si l'infraction
commise constitue un délit soumis à extradition, il examine en revanche
librement son caractère politique et, notamment, si l'on peut considérer
que les circonstances invoquées à l'appui de l'opposition sont établies
(RO 33 I 188; 59 I 144 in fine; 78 I 46 consid. 2; 79 I 36; 87 I 137/138).

    Selon l'acception reçue par la jurisprudence, sont des infractions
politiques non seulement les actes criminels dirigés contre l'organisation
politique et sociale de l'Etat, les délits politiques purs, mais aussi
ceux qui, tout en constituant en soi des actes relevant du droit commun,
acquièrent cependant un caractère politique prédominant en raison des
circonstances dans lesquelles ils ont été commis, en particulier de leurs
motifs et de leur but (RO 32 I 539; 59 I 145; 77 I 62; 78 I 50). Cette
définition vise les délits politiques relatifs au sens étroit, appelés
aussi délits politiques complexes. S'y ajoutent les délits politiques
connexes - infractions de droit commun commises non pour elles-mêmes, mais
pour préparer ou assurer la réussite d'un délit politique pur (RO 34 I 546)
- et ceux qui sont en rapport de concours idéal avec un semblable délit (RO
50 I 256 consid. 4; 78 I 50). Tous ces actes, où le caractère politique
prédomine, s'inscrivent dans le cadre d'une lutte pour ou contre le
pouvoir, ou tendent à soustraire des personnes à un pouvoir excluant toute
opposition. Ils sont en rapport non pas lointain, mais étroit et direct,
clair et net, avec le but politique visé (RO 34 I 547). L'extradition sera
refusée si le mal causé est proportionné au résultat recherché, si les
intérêts en cause sont suffisamment importants, sinon pour justifier, du
moins pour excuser légalement l'atteinte que l'auteur a portée à certains
biens juridiques. Le Tribunal fédéral n'apprécie pas la valeur objective
de ces intérêts, mais examine comment le coupable voulait les réaliser;
peu importe les chances réelles de succès.

    Selon l'arrêt Ktir (RO 87 I 137), la proportionnalité n'existe,
s'agissant plus spécialement de l'assassinat, que lorsque l'homicide est
le seul moyen de sauvegarder les intérêts supérieurs en jeu et d'atteindre
le but politique recherché. Il est certes conforme à la jurisprudence de
n'extrader que si l'assassinat fut en quelque sorte une ultima ratio. En
effet, le Tribunal fédéral a toujours considéré que l'élément de droit
commun, quel que soit le but visé, pouvait l'emporter sur le caractère
politique en raison de l'atrocité du moyen utilisé (RO 34 I 548/9); selon
les motifs invoqués par le Conseil fédéral à l'appui de l'art. 10 LE, les
autorités suisses condamnent et réprouvent ceux qui ne considèrent pas le
crime comme une ressource extrême, mais comme un moyen de lutte ordinaire,
voire comme unique arme destinée à terroriser les populations. La lettre de
l'arrêt Ktir, toutefois, pourrait incliner à croire que le tribunal statue
d'un point de vue purement objectif. Cela est inexact. Ce qui importe,
c'est l'attitude du coupable. Il n'est pas nécessaire que le moyen utilisé
paraisse à une personne libérée des passions politiques le mieux adapté
ou le seul idoine, comme il ne suffit pas que le but poursuivi soit
préconisé officiellement par un parti. Il faut que l'auteur du crime,
qui tue par conviction politique, ait pu espérer raisonnablement que
son acte aurait pour conséquence, au-delà du résultat immédiat, une
modification de l'organisation politique ou sociale de l'Etat (RO 34 I
546). Il s'ensuit que l'extradition peut être refusée même si l'homicide
n'était pas, en réalité, le seul moyen d'atteindre le but visé. Il suffit
qu'il se soit imposé en fait au coupable comme la mesure la mieux adaptée
aux circonstances, encore que l'intérêt en jeu, en principe, eût pu être
sauvegardé autrement, notamment par une victoire électorale. L'assassinat
peut ainsi apparaître comme la dernière ressource lorsque la personne
visée incarne pratiquement le système politique de l'Etat, en sorte qu'on
puisse penser que sa disparition entraînera une modification de ce système
(RO 34 I 554).

    (En l'espèce, le Tribunal fédéral a admis que l'attentat perpétré,
révolutionnaire dans l'intention de ses auteurs, était de nature à l'être
aussi dans ses conséquences.)