Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 88 I 173



88 I 173

29. Arrêt du 19 septembre 1962 dans la cause Chambre genevoise immobilière
contre Conseil d'Etat du canton de Genève. Regeste

    Art. 88 OG. Beschwerdelegitimation der Berufsverbände und der andere
Interessen ihrer Mitglieder wahrenden Verbände.

    Eigentumsgarantie. Öffentlich-rechtliche Eigentumsbeschränkung
(hier: Reglement, welches das Recht zum Abbrechen gewisser
Gebäude beschränkt). Erfordernis der gesetzlichen Grundlage. Begriff
derselben. Einschreiten der Behörden ohne gesetzliche Grundlage gestützt
auf ihre allgemeine Polizeigewalt. Voraussetzungen solchen Einschreitens.

Sachverhalt

    A.- Le 27 octobre 1961, le Conseil d'Etat du canton de Genève a édicté
un règlement sur les démolitions et transformations de maisons d'habitation
(RD). Ce règlement est ainsi conçu:

    "Article 1. - Dans les cas prévus par l'article 1, alinéa 1, lettre c,
de la loi sur les constructions et les installations diverses, du 25 mars
1961, le département des travaux publics peut refuser l'autorisation si
la démolition de maisons destinées à l'habitation n'est pas justifiée
en considération:

    a) de l'état de vétusté des logements;

    b) de la nature et de la destination de la construction à édifier;

    c) du prix des loyers des logements à démolir et de ceux des logements
à construire;

    d) du nombre de logements nouveaux créés par rapport au nombre de
ceux qui existaient avant la démolition.

    L'autorisation de démolir peut en tout cas être refusée aussi longtemps
que le propriétaire n'a pas mis à disposition des locataires des logements
correspondant à ceux qu'ils occupaient dans la construction à démolir,
c'est-à-dire qui, du point de vue de leur surface, du prix des loyers,
des conditions générales d'habitation et d'aménagement, correspondent
aux ressources des locataires, tout en leur permettant, s'il y a lieu,
de continuer dans des conditions normales l'activité professionnelle
qu'ils exerçaient dans la construction à démolir.

    L'autorisation peut également être refusée si des procédures en
évacuation sont entreprises avant que le propriétaire n'ait offert aux
locataires des logements répondant aux conditions prévues à l'alinéa
précédent.

    Art. 2. - Lorsque la transformation d'une maison d'habitation exige
le départ des locataires, les dispositions de l'article 1 du présent
règlement sont également applicables.

    Art. 3. - L'autorisation est accordée ou refusée par le département des
travaux publics sur le préavis du département du commerce, de l'industrie
et du travail.

    Art. 4. - Restent réservées les dispositions légales et réglementaires
relatives notamment à la sécurité des constructions et des chantiers,
à l'occupation du domaine public et à l'urbanisme.

    Art. 5. - La validité du présent règlement est limitée au 31 décembre
1963."

    B.- Agissant par la voie du recours de droit public, la Chambre
genevoise immobilière requiert le Tribunal fédéral d'annuler le règlement
ci-dessus qui, selon elle, viole l'égalité devant la loi, la garantie de
la propriété, la liberté du commerce et de l'industrie et le principe de
la force dérogatoire du droit fédéral.

    Le Conseil d'Etat conteste la qualité de la recourante pour agir. Sur
le fond, il conclut au rejet du recours.

Auszug aus den Erwägungen:

                      Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, les associations dont
le but statutaire est de sauvegarder certains intérêts de leurs membres ont
qualité pour former un recours de droit public, si leurs membres eux-mêmes
sont touchés dans ces intérêts et sont lésés au sens de l'art. 88 OJ
(RO 81 I 120). Contrairement à ce que soutient le Conseil d'Etat, leur
qualité n'est pas subordonnée à la condition qu'elles défendent des
intérêts professionnels. Certes, il s'agit généralement d'intérêts de ce
genre (cf. RO 28 I 240, 33 I 16, 46 I 99, 50 I 71, 54 I 146, 64 I 24,
66 I 262, 72 I 99, 76 I 312, 81 I 120). Toutefois, le Tribunal fédéral
a déjà reconnu la qualité pour recourir à des associations qui visaient
à défendre d'autres catégories d'intérêts, par exemple les intérêts
communs à des propriétaires immobiliers (RO 56 I 266) ou aux personnes
pratiquant certains sports (cf. RO 88 I 18). Ce qui est décisif, c'est
que l'association soit chargée par ses statuts de protéger des intérêts
déterminés de ses membres.

    Dans le canton de Genève, de très nombreux propriétaires immobiliers
se sont groupés pour former la Chambre genevoise immobilière, qu'ils ont
constituée en association au sens des art. 60 ss. CC. Ils sont lésés dans
leurs intérêts de propriétaires par le règlement sur les démolitions,
au moins à titre virtuel, ce qui suffit, puisque l'acte attaqué est un
arrêté de portée générale (RO 85 I 53). L'association qu'ils ont formée
est chargée de défendre ces intérêts. D'après l'art. 3 de ses statuts,
elle a en effet "pour but général la défense de la propriété immobilière
dans le canton de Genève" et "suit, en particulier, les ... procès de
principe utiles à l'économie immobilière". Elle a donc qualité pour former
le présent recours de droit public.

Erwägung 2

    2.- a) Le règlement attaqué constitue une restriction de droit
public à la propriété au sens de l'art. 702 CC. De telles restrictions
sont admissibles à la condition notamment qu'elles reposent sur une base
légale. Celle-ci doit se trouver dans une loi au sens matériel du terme,
c'est-à-dire une norme générale et abstraite. Cette norme peut résulter
soit d'une loi proprement dite, soit d'une ordonnance législative édictée
par l'autorité exécutive en vertu d'une délégation du législateur, soit
enfin d'une coutume (RO 74 I 45; cf. aussi RO 87 I 453 et 83 I 113). Les
atteintes au droit de propriété qui ne reposent pas sur une telle base
sont inconstitutionnelles. Il faut cependant faire une exception pour
les empiétements que l'autorité exécutive peut être fondée à apporter
aux libertés individuelles même sans base légale en vertu de son pouvoir
général de police. Ces empiétements sont toutefois subordonnés à diverses
conditions. Ils doivent en particilier être destinés à rétablir l'ordre
public qui a été troublé, ou à le protéger lorsqu'il est menacé, d'une
façon directe et imminente, par un danger sérieux (RO 79 I 235, 67 I 76,
63 I 222, 60 I 121, 57 I 272, 56 I 271, 55 I 237, 20 p. 796).

    b) Le Conseil d'Etat n'allègue pas que la base légale du règlement
attaqué se trouverait dans le droit coutumier. Il soutient tout d'abord
qu'elle est constituée par une loi proprement dite, celle du 25 mars 1961
sur les constructions et les installations diverses (LC), plus spécialement
par son article premier. L'atteinte que les art. 1 et 2 RD portent au droit
de propriété est particulièrement grave et dépasse largement ce qui est
habituel en Suisse. Le Tribunal fédéral examinera donc librement si la
base légale invoquée par le Conseil d'Etat est suffisante (RO 85 I 231,
84 I 175).

    c) Les art. 1 et 2 RD précisent certaines des circonstances dont
l'autorité peut tenir compte lorsqu'elle est sollicitée de permettre la
démolition ou la transformation d'un immeuble. L'art. 1 LC, qui devrait
leur servir de base légale, énumère les "objets soumis à autorisation". Il
y englobe la transformation et la démolition d'un immeuble. Toutefois,
il n'indique pas les conditions dont dépend l'octroi de l'autorisation
nécessaire en pareil cas. Il ne précise pas davantage les critères
selon lesquels l'autorité permettra ou interdira la transformation ou la
démolition. Si les autres dispositions de la LC règlent ces conditions et
critères quand il s'agit de l'autorisation de construire un bâtiment, elles
ne le font pas en ce qui concerne le permis de transformer ou de démolir
un immeuble. Par rapport à l'art. 1 LC et d'ailleurs au regard de cette
loi dans son ensemble, les art. 1 et 2 RD constituent du droit nouveau.
Ils sont donc dépourvus de base légale.

    Le Conseil d'Etat invoque, il est vrai, les art. 13 et 226 LC, qui
l'autorisent à édicter certains règlements. Il y voit une délégation
législative, du cadre de laquelle il affirme n'être pas sorti. Point
n'est besoin de rechercher si la constitution genevoise prohibe ou
non une telle délégation (RO 88 I 33), car les dispositions citées par
l'intimé ne contiennent manifestement aucune délégation législative se
rapportant à la matière du règlement litigieux. Les règlements que le
Conseil d'Etat est autorisé à faire en vertu des art. 13 et 226 LC sont
limitativement énumérés dans ces dispositions. Nul d'entre eux n'a trait
à l'autorisation de démolir ou transformer un immeuble; plusieurs sont au
contraire de simples ordonnances d'application de la LC, par lesquelles
le Conseil d'Etat n'est pas autorisé à créer du droit nouveau.

    D'ailleurs, la LC est une loi de police des constructions et
d'urbanisme. En revanche, le règlement attaqué vise en fait à protéger les
locataires contre une résiliation de leurs baux pour cause de démolition
du bâtiment. En le fondant sur la LC, le Conseil d'Etat a détourné celle-ci
de son but. Il est dès lors tombé dans l'arbitraire (RO 86 I 85/86).

    Certes, l'autorité cantonale allègue qu'il existe à Genève un
véritable état de nécessité qui la contraignait d'agir même sans base
légale, en vertu de son pouvoir général de police. On doit lui concéder
que, dans cette ville, le problème du logement est d'une importance
particulière. Toutefois, il n'est pas grave au point que l'ordre public en
soit troublé ou menacé, d'une façon directe et imminente, par un danger
sérieux. Le Conseil d'Etat ne cite aucun fait dont on pourrait déduire
qu'au moment où il a édicté le règlement attaqué, l'exercice du pouvoir
légal ou les biens juridiques des particuliers, tels que leur vie, leur
santé et leur patrimoine, étaient en péril. Il ne prétend pas non plus
qu'il a été contraint d'adopter ce règlement pour faire face, dans le
problème du logement, à une crise grave, qui aurait éclaté soudainement et
d'une manière imprévisible. Au contraire, comme le confirme le dossier,
le Conseil d'Etat sent depuis longtemps la nécessité de se préoccuper de
la question du logement et notamment du moyen d'empêcher la démolition
d'immeubles encore utilisables. Il lui aurait dès lors été loisible de
mettre en oeuvre la procédure législative et de prendre dans l'intervalle
les mesures d'espèce que les circonstances imposaient. En tout cas,
il ne saurait prétendre aujourd'hui qu'il s'est trouvé en présence d'un
état de nécessité, auquel il pouvait et devait faire face sans base légale.

Erwägung 3

    3.- Le règlement attaqué étant inconstitutionnel déjà parce qu'il est
dépourvu de base légale, il est inutile de rechercher s'il l'est aussi
pour les autres motifs allégués par la recourante.

Entscheid:

Par ces motifs, le Tribunal fédéral

    Admet le recours et annule le règlement genevois du 27 octobre 1961
sur les démolitions et transformations de maisons d'habitation.