Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 88 II 492



88 II 492

69. Arrêt de la IIe Cour civile du 27 décembre 1962 dans la cause St. et
G. contre X. Regeste

    Art. 314 Abs.2ZGB. Erhebliche Zweifel über die Vaterschaft des
Beklagten. Beweiswert der Bestimmung des Blutfaktors Duffya für den
Ausschluss der Vaterschaft.

Sachverhalt

    A.- Demoiselle G., née en 1941 - actuellement mariée St.  -, a donné
naissance le 16 octobre 1958 à une fille qu'elle appela M. Par mémoire
du 21 septembre 1959, la mère et la fille ouvrirent devant le Tribunal
civil du district de Porrentruy une action en paternité, sans effets
d'état civil, contre X.

    Le Tribunal a chargé le Dr Hässig, directeur du service de transfusion
sanguine de la Croix-Rouge suisse à Berne, de procéder à l'expertise du
sang de la mère, de la fille et du père présumé. Dans un rapport du 28
avril 1960, l'expert a déclaré que "sur la base de la détermination
des groupes sanguins classiques, des sous-groupes de A: Al et A2,
des facteurs sanguins M, N et S, des facteurs rhésus Cw, C, c, D, E,
e, des facteurs P et K, ainsi que sur la base de la détermination des
groupes d'haptoglobine Hp1 et Hp2, le défendeur X. ne peut être exclu
comme père de l'enfant M. G. Par contre, une exclusion est possible sur
la base de la détermination du facteur sanguin Duffya (Fya)". Il ajoute:
"Sa paternité serait en contradiction avec les lois de l'hérédité du
système du facteur sanguin Duffya".

    A la demande du Tribunal, l'expert a déposé, le 29 juin 1960 en
allemand et le 10 septembre suivant en traduction française, un rapport
complémentaire exposant la valeur médico-légale, qui doit être attribuée au
facteur Duffya, pour exclure la paternité en l'état actuel de la science.

    B.- Par jugement du 30 janvier 1962, le Tribunal du district de
Porrentruy a débouté les parties demanderesses de leurs conclusions. Il
a admis que X. avait eu des rapports sexuels avec demoiselle G. pendant
la période légale de la conception et a écarté l'exception d'inconduite
soulevée par le défendeur. Mais, se ralliant aux conclusions de l'expert
Dr Hässig, il a considéré que la présomption légale de l'art. 314 al. 1 CC
était détruite, parce que le résultat de l'expertise permettait d'élever
des doutes sérieux sur la paternité du défendeur, conformément à l'art. 314
al. 2 CC.

    Saisie d'un appel des demanderesses, la Cour d'appel du canton de
Berne confirma, par arrêt du 11 juillet 1962, le jugement de première
instance en adoptant les mêmes motifs.

    C.- Les demanderesses ont recouru en réforme au Tribunal fédéral en
concluant à l'annulation de l'arrêt et au renvoi de la cause à l'autorité
cantonale pour nouvelle décision avec suites de frais. Elles attaquent
l'arrêt entrepris, parce qu'il a admis l'existence d'un doute sérieux
concernant la paternité de X. au seul vu de la détermination du facteur
sanguin Duffya. A leur avis, la thèse des juges cantonaux est contraire
à la jurisprudence du Tribunal fédéral en la matière et, partant, elle
viole l'art. 314 al. 2 CC.

    D.- Le défendeur-intimé conclut au rejet du recours. Il ne remet
pas en cause l'arrêt cantonal en tant que celui-ci a admis les rapports
sexuels avec demoiselle G. pendant la période légale de la conception,
mais demande la confirmation de l'arrêt en application de l'art. 314
al. 2 CC, compte tenu de la détermination du facteur sanguin Duffya.

Auszug aus den Erwägungen:

                      Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- Selon les constatations de fait de la juridiction cantonale,
qui lient le Tribunal fédéral, X. a eu des rapports sexuels avec la
mère durant la période légale de la conception et il n'a pas prouvé que
celle-ci ait vécu dans l'inconduite. Il y a donc présomption de paternité
selon l'art. 314 al. 1 CC, à moins que des faits établis ne permettent
d'élever des doutes sérieux sur la paternité du défendeur (Art. 314 al. 2
CC). Comme la preuve d'une cohabitation avec un autre homme pendant la
période critique n'a pas été apportée, la seule question qui se pose est
de savoir si le défendeur peut se fonder sur la détermination des groupes
et facteurs sanguins, pour élever des doutes sérieux sur sa paternité.

Erwägung 2

    2.- En jurisprudence constante, le Tribunal fédéral admet que l'examen
des groupes sanguins permet d'élever des doutes sérieux sur la paternité
du défendeur seulement s'il exclut cette paternité avec certitude ou
avec une vraisemblance confinant à la certitude (RO 86 II 133 et les
arrêts cités). La question de savoir si ce degré de vraisemblance est
atteint relève des sciences naturelles; ce sont, dès lors, les experts
qui la résoudront, mais le juge du fait appréciera leurs déductions,
dans la mesure où il le pourra. Lorsque le juge cantonal, se fondant sur
l'expertise, a admis que le degré de vraisemblance requis était atteint,
le Tribunal fédéral peut examiner si cette opinion est défendable au vu
des bases sur lesquelles elle repose, ou si elle méconnaît la notion de
certitude exigée par la loi ou de vraisemblance confinant à la certitude
(RO 86 II 320 et les arrêts cités). C'est ainsi que, dans le domaine de
l'exclusion de la paternité sur la base de la détermination des groupes
et facteurs sanguins, le Tribunal fédéral a admis successivement que le
degré de "vraisemblance confinant à la certitude" existait lorsque la
paternité était exclue sur la base des groupes sanguins ABO (en 1935 RO
61 II 72), des facteurs MN (en 1939 RO 65 II 127), des facteurs Rhésus
(en 1953, 1954 et 1961 RO 79 II 17, 80 II 13 et 87 II 12), du facteur Kell
(en 1960 RO 86 II 129) et du facteur sanguin S (en 1962 RO 87 II 281).

    En revanche, le Tribunal fédéral s'est refusé jusqu'ici à considérer
que l'on pouvait élever des doutes sérieux sur la paternité du défendeur
en se fondant sur la détermination du facteur sanguin Duffya. Dans un
arrêt de 1957 (RO 83 II 102) - qui rappelle la jurisprudence antérieure -
le Tribunal fédéral, à la suite d'un rapport du Dr HÄSSIG, n'a pas admis
le doute sérieux de l'art. 314 al. 2 CC, alors que le facteur Duffya,
constaté chez l'enfant, ne se trouvait ni chez la mère ni chez le
père présumé. L'expert avait, en effet, déclaré que cette constatation
permettait de considérer avec une grande vraisemblance que le défendeur
n'était pas le père de l'enfant (sei der Beklagte "mit erheblicher
Wahrscheinlichkeit" als Vater des Kindes auszuschliessen). Le Tribunal
fédéral relevait, en outre, que, dans une étude publiée à fin 1956 dans la
"Medizinische Wochenschrift", WUILLERET, ROSIN et HÄSSIG estimaient que
le caractère toujours héréditaire du facteur Duffya ne pouvait encore
être affirmé avec une certitude absolue, au vu du nombre assez restreint
des analyses faites; les auteurs se bornaient à dire qu'on ne pouvait
plus guère douter de ce caractère héréditaire ("an der Richtigkeit des
dominanten Erbganges dieses Merkmals sei "kaum" mehr zu zweifeln"). Tenant
compte, en outre, d'une enquête faite par la clinique infantile de Bâle
en 1956, qui avait indiqué que la valeur du facteur Duffya pour prononcer
une exclusion de paternité était encore discutée à l'étranger, le Tribunal
fédéral estima que l'exclusion de la paternité sur la base de ce facteur
ne pouvait être affirmée "avec une vraisemblance confinant à la certitude".

    Dans un second arrêt, porté en 1960 (RO 86 II 316 ss.), le Tribunal
fédéral s'en est encore tenu à la même attitude sur la question. L'expert
Dr HOLLAENDER, qui connaissait bien l'expression de la jurisprudence
concernant la "vraisemblance confinant à la certitude", n'avait pas
cru devoir l'employer, mais avait jugé que la paternité du défendeur
pouvait être exclue "avec une très grande vraisemblance" (mit sehr
erheblicher Wahrscheinlichkeit). Le Dr HÄSSIG, interrogé également à ce
sujet, avait employé la même expression en ajoutant que le matériel de
biologie héréditaire et les expériences de la technique de détermination
sérologique du système Duffya n'atteignaient pas encore tout à fait le
niveau des expériences complètes faites dans les systèmes ABO, MN et
Rhésus. Bien que ces réserves des hommes de science fussent très ténues,
le Tribunal fédéral les a trouvées suffisantes pour refuser d'admettre
que la vraisemblance confinait à la certitude.

Erwägung 3

    3.- En la présente espèce, le Dr HÄSSIG a constaté que le facteur
Duffya était positif chez l'enfant M. et négatif chez la mère; l'enfant ne
peut donc avoir hérité son facteur positif que de son père. Or le facteur
Duffya étant également négatif chez X., la paternité de celui-ci peut être
exclue. "Sa paternité, ajoute l'expert, serait en contradiction avec les
lois de l'hérédité du système du facteur sanguin Duffya".

    Examinant, dans son rapport des 29 juin/10 septembre 1960, le caractère
héréditaire du facteur Duffya, l'expert Dr HÄSSIG conclut que ce facteur
"est transmis par dominance des parents aux enfants, suivant les lois
mendéliennes de l'hérédité, et cela avec une vraisemblance touchant à
la certitude".

    Toutefois, si le caractère héréditaire du facteur Duffya ne fait plus
aucun doute pour l'expert, celui-ci admet cependant que l'"objection
demeure qu'il pourrait y avoir de très rares cas où le facteur Duffya
serait incomplètement développé, suivant un mécanisme biologique
d'inhibition, chez l'un ou l'autre des parents, au point qu'il serait
impossible d'en faire la détermination sur les globules rouges de la
personne en question, malgré sa disposition héréditaire". Mais selon
l'expert, de tels mécanismes d'inhibition - qui ont été révélés pour
les systèmes ABO et Rhésus - sont si rares qu'ils ne présentent "pas de
signification digne d'être mentionnée en médecine légale".

    Pour conclure, le Dr HÄSSIG déclare qu'une exclusion de la paternité
par le facteur Duffya, déterminé lege artis, atteint aujourd'hui un degré
de sécurité de l'ordre de 999 é équivalant à celui du facteur Rhésus dans
les années 1950-52. C'est ce degré de sécurité qui avait été donné par
l'expert dans différents autres cas où le Tribunal fédéral avait admis les
doutes sérieux de l'art. 314 al. 2 CC, notamment dans l'arrêt RO 86 II 138.

    L'opinion émise par le Dr HÄSSIG confirme l'avis exprimé déjà
précédemment par un autre spécialiste en la matière, le Dr HOLLAENDER,
directeur du centre de transfusion sanguine de la Croix-Rouge suisse
à Bâle, qui déclarait dans un article de la Schweiz. Medizinische
Wochenschrift (88, 1958 p. 19) que "précisément les groupes sanguins,
s'ils sont déterminés lege artis - et du point de vue de la théorie de
l'hérédité, il peut s'agir aussi bien du système ABO que du système Duffy -
offrent au juge pour fonder ses décisions un degré de sécurité tel qu'il
ne saurait en rencontrer que rarement".

    Ces avis d'experts qui paraissent représenter l'opinion actuelle des
milieux scientifiques, font tomber les objections que le Tribunal fédéral
avait encore dans ses précédents arrêts au sujet de la valeur probante de
la détermination du facteur Duffya, pour exclure la paternité. Il faut,
en conséquence, admettre, avec les juges cantonaux, que le fait que
ledit facteur est positif chez l'enfant, alors qu'il est négatif chez
la mère et chez le défendeur, permet d'élever des doutes sérieux sur la
paternité de celui-ci, conformément à l'art. 314 al. 2 CC. Cela étant,
la présomption de l'art. 314 al. 1 CC cesse et l'action doit être rejetée
puisque les demanderesses n'ont invoqué aucun fait de nature à établir
la preuve qui leur incombait, une fois cette présomption détruite.

Entscheid:

Par ces motifs, le Tribunal fédéral,

    Rejette le recours et confirme l'arrêt attaqué.