Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 88 II 417



88 II 417

59. Arrêt de la Ire Cour civile du 23 octobre 1962 dans la cause Landis
contre Crédit Suisse SA Regeste

    Werkhaftung.

    1.  Tat- und Rechtsfrage beim Anlage- und Unterhaltsmangel (Art. 58
OR).

    2.  Anlagemangel die Ausstattung der Schalterhalle einer Bank mit
einem Bodenbelag aus harten und polierten, schlüpfrigen Steinplatten.

Sachverhalt

    A.- La banque Crédit Suisse SA, à Zurich, est propriétaire de
l'immeuble bâti sis rue du Lion d'Or no 5, à Lausanne, où se trouvent les
bureaux de sa succursale. Le bâtiment comporte un hall, auquel le public
a accès, dallé de pierre calcaire de Laufon, très dure et assimilable
au marbre. Ce sol est poli au moyen d'un produit spécial, mélangé avec
un antidérapant. Il est nettoyé et récuré avec de l'eau additionnée d'un
détergent qui élimine les dépôts sales, terreux ou graisseux.

    Le 1er juillet 1957, vers 11 heures, Georges Landis, né en 1897,
directeur d'une assurance de protection juridique, qui avait affaire
dans les bureaux du Crédit suisse, glissa dans le hall et tomba. Sa chute
causa une rupture musculaire à la face postérieure de la cuisse droite.

    Deux experts ont examiné le sol du hall du Crédit suisse, l'un avant
l'ouverture de l'action, l'autre au cours de l'instance cantonale.

    L'expert hors procès, mis en oeuvre à la requête de Landis, a
constaté que le sol a subi les effets d'une longue usure. La surface des
dalles n'est plus rigoureusement plane aux endroits où se concentre la
circulation. Des craquelures, qui tiennent à la structure de la pierre,
s'y sont marquées. Ces constatations n'influent pas sur le risque
de glissade. La surface de la pierre reste en effet partout également
lisse. Comparé au sol d'autres établissements auxquels le public a accès,
celui du Crédit suisse n'est pas exceptionnellement glissant. Il est
entretenu de façon à diminuer le plus possible le risque de glissade,
qu'aucun produit d'entretien ne peut éliminer complètement.

    Quant à l'expert judiciaire, il relève que dans de nombreux bâtiments
de banques, d'administrations ou de grands commerces, en Suisse et
à l'étranger, le sol des vestibules et halls intérieurs est formé de
dallages en pierre dure, généralement des calcaires de qualité, dont le
marbre. Ces matériaux sont recherchés pour leur forte résistance à l'usure
et surtout pour la beauté de leurs surfaces polies. Le dallage du hall du
Crédit suisse est encore en bon état. Les marques d'usure, plus nettement
visibles dans la zone proche des guichets, créent de faibles inégalités
qui ne présentent aucun inconvénient, mais plutôt un léger avantage
pour la sécurité de la marche. Le traitement appliqué, qui entretient
la propreté et la beauté du sol, n'est pas, en tant qu'antidérapant,
suffisamment efficace pour supprimer le danger de glissade. Aucun produit
ne se trouve dans le commerce qui éliminerait sûrement ce risque, inhérent
à toute surface de pierre finement polie. La méthode employée au Crédit
suisse n'est cependant pas la meilleure. D'autres traitements, appliqués
ailleurs, donnent une sécurité plus grande aux passants, mais atténuent
légèrement le brillant du dallage.

    B.- Se fondant sur l'art. 58 CO, Landis assigna le Crédit suisse
en paiement de 15 000 fr. à titre dommagesintérêts pour frais médicaux,
incapacité de travail temporaire et invalidité partielle.

    Statuant le 14 juin 1962, la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois
débouta le demandeur et admit les conclusions libératoires du Crédit
suisse. Après avoir procédé à une inspection locale, la Cour a considéré
que le sol en question n'était pas plus glissant que celui de nombreux
autres locaux accessibles au public, et qu'il était entretenu de façon à
parer efficacement au risque, d'ailleurs minime, de glissade. Niant dès
lors la responsabilité du Crédit suisse, la Cour n'a pas statué sur le
dommage subi par Landis ni sur sa réparation.

    C.- Landis recourt en réforme, en reprenant ses conclusions
initiales. Subsidiairement, il demande le renvoi de la cause à l'autorité
cantonale pour fixer le montant des dommages-intérêts qui lui sont
dus. Il soutient que le sol litigieux présente un vice de construction,
parce qu'il est glissant, et que son entretien ne suffit pas à mettre
les usagers à l'abri du danger de glissade.

    La société intimée Crédit Suisse SA conclut au rejet du recours. Elle
relève que les moyens du recourant concernent surtout des points de fait.
Elle en conteste aussi le bien-fondé.

Auszug aus den Erwägungen:

                      Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- L'art. 58 CO rend le propriétaire d'un bâtiment responsable
du dommage causé par des vices de construction ou par un défaut
d'entretien. Ces deux notions relèvent à la fois du fait et du droit. Le
Tribunal fédéral est lié aux constatations de fait de l'autorité cantonale
(art. 63 al. 2 OJ) touchant la nature et la configuration du sol, ainsi que
son état à l'endroit et le jour où s'est produit l'accident. Sont aussi des
points de fait les constatations relatives aux effets que l'état du sol a
causés dans le cas particulier ou qu'il pouvait normalement entraîner. En
revanche, le Tribunal fédéral revoit librement l'appréciation juridique
de ces circonstances de fait au regard de l'art. 58 CO (RO 57 II 50). Il
examine notamment si l'autorité inférieure est partie d'une notion exacte
du vice de construction et du défaut d'entretien.

    Certes on lit dans l'arrêt publié au RO 79 II 50, auquel se
réfère l'intimée, qu'en matière d'excès au sens de l'art. 684 CC,
la distinction entre le fait et le droit, claire en théorie, n'est pas
toujours facile en pratique. Les constatations relatives aux circonstances
de fait sont fréquemment influencées par des conceptions juridiques. Le
Tribunal fédéral doit alors examiner si l'autorité cantonale est partie
de notions juridiques correctes. Il observe une certaine réserve en
présence de notions dont l'application au cas particulier dépend d'une
appréciation. Le juge cantonal, qui a généralement une connaissance
plus exacte des circonstances concrètes, se trouve alors mieux placé
pour apprécier. Cette réserve s'impose notamment lorsqu'il s'agit de
qualifier les émanations d'une entreprise d'un genre spécial, et non
d'une entreprise d'un type déterminé et connu de chacun, dont les effets
peuvent être jugés dans une large mesure selon l'expérience. Le Tribunal
fédéral ne s'écarte alors de la décision cantonale que si elle s'avère
manifestement mal fondée.

    Pareille réserve ne serait pas justifiée, en l'espèce. Il s'agit
d'apprécier la responsabilité du propriétaire d'un bâtiment dont le sol
est dallé de pierre dure, comme la plupart des banques et de nombreux
édifices publics. Le risque de glissade sur un tel dallage peut être
apprécié dans une large mesure selon l'expérience. Le Tribunal fédéral
peut donc examiner librement, sur le vu des faits constatés par l'autorité
inférieure, si le sol en question présente un vice de construction ou un
défaut d'entretien au sens de l'art. 58 CO.

Erwägung 2

    2.- Un ouvrage est défectueux lorsqu'il n'offre pas une sécurité
suffisante pour l'usage auquel il est destiné. Un sol doit être
construit de manière à pouvoir être foulé sans risque de glissade par
les gens appelés à le parcourir normalement et qui usent de l'attention
commandée par les circonstances. Les exigences sont plus sévères pour
les bâtiments publics; des personnes de tout âge et de toute condition,
voire des infirmes, doivent en effet s'y rendre; il y règne en général
une grande activité. Le sol de tels bâtiments doit non seulement être
adapté à n'importe quelles chaussures, mais encore construit et entretenu
de telle manière que même des personnes dont l'habileté corporelle
est diminuée puissent le fouler en toute sécurité sans prêter à leur
marche une attention particulière (RO 57 II 50). Les mêmes qualités sont
requises du sol d'établissements commerciaux auxquels le public a accès,
comme les banques.

    La Cour cantonale a nié que l'utilisation de la pierre calcaire très
dure constitue en soi un vice de construction. Elle s'est fondée sur deux
motifs: le matériau en question est fréquemment utilisé, tant en Suisse
qu'à l'étranger, dans la construction du sol des bâtiments où le public a
accès, d'une part; il présente deux qualités importantes pour un édifice
public, savoir, une apparence somptueuse et une très forte résistance à
l'usure, d'autre part. Ces prémisses sont erronées. Un ouvrage n'est pas
exempt de défaut par le seul fait qu'il a été construit de la manière
usuelle (RO 60 II 223). Il est donc vain de comparer le sol du hall du
Crédit suisse à celui d'autres bâtiments commerciaux auxquels le public a
accès ou à des édifices publics. Quant à l'impression de luxe éveillée par
un matériau, et sa résistance à l'usure, ce sont des avantages secondaires
par rapport à la sécurité des passants, qui l'emporte sur toute autre
qualité lorsqu'il s'agit du sol d'un bâtiment fréquenté.

    La responsabilité de l'intimée dépend du point de savoir si,
objectivement, le dallage visé en l'espèce présente un danger de glissade
pour les usagers. Il faut répondre par l'affirmative. Comme toute
surface dure, lisse et polie, ce sol est glissant. La Cour cantonale l'a
constaté, en relevant que le recourant "a glissé sur un sol glissant de
par sa nature". Le dallage du Crédit suisse présente ainsi un vice de
construction. Pour se soustraire à la responsabilité de l'art. 58 CO,
le propriétaire devait choisir un autre matériau ou prendre des mesures
propres à parer efficacement au risque de glissade. La simple application
d'une substance antidérapante, mélangée au produit utilisé pour entretenir
et polir le sol, s'est avérée insuffisante. En recouvrant les parties du
hall parcourues par les usagers d'un passage de caoutchouc ou d'une autre
matière non glissante, on aurait diminué sensiblement le danger. Le coût
de précautions semblables ne serait pas excessif. Le propriétaire qui
veut donner à son bâtiment une apparence somptueuse doit supporter les
frais nécessaires pour éviter que ce luxe nuise à la sécurité des usagers.

Erwägung 3

    3.- Le dommage subi par le recourant est en relation de causalité
adéquate avec le vice de construction relevé. Un sol glissant augmente en
effet le risque de chutes. Le nombre relativement peu élevé des accidents,
par rapport à celui des personnes qui fréquentent le bâtiment, ne joue
pas de rôle ici.

    L'intimée est dès lors responsable, en vertu de l'art. 58 CO, du
dommage subi par le recourant. La cause doit être renvoyée à l'autorité
cantonale pour fixer le dommage et statuer sur l'étendue de sa réparation.

Entscheid:

Par ces motifs, le Tribunal fédéral

    Admet le recours, annule le jugement rendu le 14 juin 1962 par la Cour
civile du Tribunal cantonal vaudois et renvoie la cause à cette autorité
pour nouvelle décision dans le sens des motifs.