Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 85 II 350



85 II 350

56. Arrêt de la IIe Cour civile du 12 novembre 1959 dans la cause Chemins
de fer fédéraux contre dame Dupertuis. Regeste

    Haftpflicht der Eisenbahnunternehmungen. Art. 1 und 5 EHG.

    1.  Verhältnismässige Bedeutung des Verschuldens des Opfers, des
Verschuldens der Bahnunternehmung und der besondern Betriebsgefahr.

    Verteilung der Beweislast.

    Ursache und Wirkung; Tat- und Rechtsfrage (Erw. 1 und 2).

    2.  Schuld des Opfers, das seinen Platz im Zuge zu früh verlassen
hat, um sich auf die offene Plattform zu begeben, und sich anschickt,
über das Trittbrett vor dem Anhalten des Zuges auszusteigen (Erw. 4).

    3.  Würdigung der Schuld des Opfers und der zu Ungunsten der
Unternehmung sprechenden Umstände, wenn die unmittelbare Unfallursache
nicht bekannt ist.

    Irrtümer und Fehler der Unternehmung als mögliche Unfallursachen
(Erw. 5).

    4.  Berechnung des im Zeitpunkt des Urteils sicher gegebenen
Schadens. Welche Rolle spielt dabei das Alter des Opfers? (Erw. 6).

    5.  Beachtung der Regel, wonach der Richter nicht mehr, als was
verlangt wird, zusprechen darf (Erw. 7).

Sachverhalt

    A.- Le 22 février 1955, dame Marcelle Dupertuis, alors âgée de 52 ans,
se rendit à Monthey chez son fils. Le soir, à 19 h. 55, elle prit le train
pour Massongex. Il avait plu et neigé dans la journée; il faisait froid.
Le train, qui avait 5 minutes de retard, se composait d'une locomotive,
d'un fourgon postal, de quatre voitures de IIIe classe - dont seules les
deux premières furent ouvertes aux voyageurs - et de vingt-trois wagons
de marchandises. Dame Dupertuis prit place dans le premier compartiment
de la voiture suivant immédiatement le fourgon. Cette voiture, d'ancien
modèle, était du type à plates-formes ouvertes. La répartition du
matériel roulant dans la composition du train n'était pas absolument
conforme aux prescriptions de freinage du règlement sur la circulation
des trains, prescriptions destinées d'une part à assurer un freinage
suffisant, d'autre part à rendre moins brusques les réactions qui en
résultent inévitablement dans les longs trains de marchandises. A dire
d'expert, le déséquilibre d'une personne debout peut être provoqué,
indépendamment des à-coups, par l'effet du freinage proprement dit,
du moins si l'on ne se tient pas solidement à des barres d'appui par la
partie supérieure du corps. En outre, les chocs qui peuvent se produire
entre véhicules ne se répercutent pas nécessairement jusqu'à l'avant
du train. L'appareil enregistreur, situé dans la locomotive, peut, tant
pour ce motif qu'en raison de sa construction, en ignorer l'un ou l'autre;
il n'est pas lui-même à l'abri des dérangements.

    Dame Dupertuis, une habituée de la ligne St-Gingolph -St-Maurice,
avait exprimé quelquefois la crainte de n'avoir pas le temps de descendre
du train à Massongex avant qu'il ne reparte, l'arrêt étant généralement
court. Des voyageurs ont rapporté un incident à ce sujet, mais les
nombreux employés interrogés ont déclaré que le trafic s'était toujours
déroulé régulièrement.

    Ce soir-là, au moment où le train ralentissait en vue de la halte,
le conducteur Nicolas Guenot passa dans la première voiture de voyageurs
et s'y fit présenter les titres de transport de dame Dupertuis et d'une
demoiselle Georgette Gay. On ignore s'il a laissé la porte ouverte en
sortant. Peu avant que le train n'entrât en gare, dame Dupertuis quitta sa
place, s'avança sur la plate-forme et se mit à descendre le marchepied. A
cet instant précis, la vitesse du train était réduite à 16,5 km/h. La
passagère, corpulente et peu souple, tomba, deux à trois mètres avant le
quai, sur le talus bordant la voie, recouvert d'une couche de neige de 30
cm. Elle ne put se dégager et les roues du wagon passèrent sur ses jambes,
que l'on dut amputer au-dessus du genou. Elle est totalement invalide
pour le reste de ses jours.

    La halte était éclairée. Le freinage, régulier, entraîna un
ralentissement relativement uniforme, dont la courbe oscillatoire,
à l'analyse, n'a pas permis de révéler un mouvement brusque du train
immédiatement avant la chute fatale. On ne peut, disent les experts
commis, prouver un à-coup.

    B.- Par demande du 17 décembre 1955, la victime de l'accident a réclamé
aux CFF une indemnité de 57 500 fr. avec intérêts à 5% dès cette date. La
Cour civile du Tribunal cantonal vaudois, par jugement des 10/11 juin
1959, a fixé le dommage total à 61 006 fr. 45 et en a alloué les 2/3 à la
demanderesse (40 671 fr.), avec intérêts à 5% portant sur 3571 fr. dès
le 17 décembre 1955, 8540 fr. dès le 15 avril 1957 et 28 560 fr. dès le
1 er juin 1959. Les frais et dépens furent mis à la charge des défendeurs.

    C.- Déboutés, les CFF ont recouru en réforme au Tribunal fédéral en
requérant leur libération totale.

    L'intimée a conclu au rejet du recours et, par recours joint, à
l'admission en plein de ses conclusions initiales.

Auszug aus den Erwägungen:

                     Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- Aux termes de l'art. 1er de la loi fédérale du 28 mars 1905 sur
la responsabilité civile des entreprises de chemin de fer, de bateaux à
vapeur et des postes (LRC), "toute entreprise de chemin de fer répond
du dommage résultant du fait qu'une personne a été tuée ou blessée au
cours de la construction, de l'exploitation ou des travaux accessoires
impliquant les dangers inhérents à celle-ci, à moins que l'entreprise ne
prouve que l'accident est dû à la force majeure, à la faute de tiers ou
à celle de la victime". Pour que la faute du lésé entraîne la libération
de l'entreprise de chemin de fer, il faut qu'elle constitue sinon la
cause exclusive du dommage, du moins sa cause prépondérante (RO 72 II
203, 75 II 73, 84 II 388; arrêt Bujard, du 19 juin 1958). La faute est
prépondérante lorsque l'attitude critiquable est tellement imprévisible,
d'après l'expérience de la vie, que l'entreprise de chemin de fer n'avait
pas à envisager cette éventualité. Si elle concourt avec une ou plusieurs
fautes de l'entreprise, ou que celle-ci doive répondre d'un danger spécial,
la responsabilité dite causale reste engagée, mais il y a lieu à réduction
de l'indemnité (art. 5 LRC; RO 55 II 339, 66 II 201, 68 II 266).

    Selon la jurisprudence (RO 22 1093, 23 I 635, 68 II 267; arrêts
Bujard cité et Cavadini, du 15 mars 1951), lorsqu'il n'est possible
d'établir exactement aucune des circonstances dans lesquelles l'accident
s'est produit et qu'on ne peut faire à cet égard que des suppositions,
l'entreprise de chemin de fer ne se libère de sa responsabilité qu'en
prouvant qu'il y a eu faute de la victime, quelles que soient les
hypothèses qu'on puisse raisonnablement retenir pour expliquer l'accident.

    Ces circonstances, cause de l'accident, sont fixées par le juge
du fait. C'est une question de droit, toutefois, de dire si elles
sont en relation de causalité adéquate, c'est-à-dire, juridique,
avec l'événement. C'est le cas de tous les faits qui, d'après le
cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, sont propres à
contribuer à la survenance du dommage, si bien qu'une personne normale
l'eût prévue ou l'eût crue possible. Il ne saurait y avoir rupture du
lien de causalité que s'il est prouvé que le dommage est, en réalité,
survenu d'autre manière (VON TUHR, traduction Thilo/de Torrenté, I p.
75, 82; RO 83 II 410 consid. 1).

Erwägung 2

    2.- Il est constant, en l'espèce, que l'accident s'est produit au
cours de l'exploitation du chemin de fer. Les circonstances de l'accident
n'ont pas pu être toutes absolument élucidées; certaines, toutefois,
l'ont été suffisamment.

    L'une d'elles est la faute causale de la victime, que les CFF estiment
avoir démontrée. Si l'intimée, néanmoins, prétend la totalité du dommage,
on peut raisonnablement admettre qu'il lui incombe de prouver que le
rapport de causalité entre cette faute et l'accident a été rompu. Si tel
est le cas, la jurisprudence précitée des arrêts RO 22 1093, 23 I 635, 68
II 267, Cavadini et Bujard s'applique, vu l'ignorance où l'on se trouve
des autres circonstances - immédiates - de l'accident. Si tel n'est pas
le cas, c'est encore aux recourants à établir que la faute de l'intimée
fut prépondérante. Telle est en effet la répartition du fardeau de la
preuve découlant de la responsabilité causale des CFF.

Erwägung 3

    3.- Les recourants reviennent sur les faits. Il suffit de constater
qu'ils n'ont pas prétendu, devant la juridiction cantonale, que l'intimée
avait voulu sauter du train. Certes, le jugement attaqué présume que
les marchepieds étaient glissants; cette hypothèse, toutefois, n'est
pas nécessaire pour justifier la solution à laquelle la juridiction
cantonale a abouti; elle eût d'ailleurs requis une plus grande prudence de
la victime. Quant à la composition du train, les déductions qu'en tire
la Cour cantonale n'importent que pour reconnaître la seule possibilité
d'un danger spécial de l'exploitation, ce qui est exact.

Erwägung 4

    4.- L'intimée s'est rendue coupable d'une faute grave en quittant sa
place trop tôt pour se rendre sur la plateforme ouverte et se mettre
à descendre le marchepied avant l'arrêt du train. Elle a violé le
règlement concernant les transports par chemin de fer et par bateaux
du 24 juin 1949 (ROLF 1949 p. 603, art. 53) et s'est exposée ainsi à
un risque qu'un voyageur raisonnable ne doit pas assumer sans nécessité
(RO 68 II 268). Le temps ne lui manquait pas, malgré son âge et son état
physique, car elle savait, en tant qu'habituée de la ligne, que le service
postal serait assez long. Les agents des chemins de fer ont d'ailleurs
l'obligation de prévoir un arrêt suffisant (RO 84 II 389 in fine). En
outre, si l'intimée avait des craintes, elle eût pu et dû en faire part
au conducteur qui venait de passer dans son compartiment. Son état enfin,
au lieu de l'inciter à descendre trop tôt, eût dû la faire redoubler
de prudence. Sa faute a été causale dans le déroulement de l'accident;
elle a constitué la conditio sine qua non. Certes, il arrive souvent
à des passagers, surtout lorsqu'ils sont jeunes et en parfaite santé,
de se comporter comme l'intimée; ils n'en ont pas pour autant raison,
ni elle non plus; on ne peut exiger du personnel du train qu'il veille
constamment sur les faits et gestes des voyageurs, ni, en l'espèce,
que le conducteur soit resté sur la plate-forme du seul wagon occupé
par l'intimée. On ne voit pas, en outre, ce qui aurait rompu le lien de
causalité, puisqu'aucune autre circonstance de l'accident n'est prouvée.

Erwägung 5

    5.- Il suit de là, certes, vu la faute causale, que la jurisprudence
des arrêts RO 22 1093, 23 I 635, 68 II 267, Cavadini et Bujard n'est pas
applicable, du moins telle qu'elle est formulée. Les recourants doivent
néanmoins établir, s'ils veulent se libérer totalement, que la faute de
la victime fut sinon exclusive, du moins prépondérante. Lorsque, comme en
l'espèce, la suite des événements est inconnue, il convient d'apprécier
les circonstances défavorables à l'entreprise et de déterminer, en rapport
avec elles, la gravité de la faute de la victime. On peut considérer que,
pour cet objet restreint également, la jurisprudence précitée régit le
fardeau de la preuve, et que les recourants doivent démontrer qu'il n'y a
aucune explication plausible qui fasse appel à une faute de leurs agents
ou à un danger spécial inhérent à l'exploitation.

    Il ressort des faits que diverses possibilités d'accident résultent
d'erreurs ou de fautes de l'entreprise. Il n'est pas exclu qu'elle
ait laissé les marchepieds se verglacer et que des à-coups se soient
produits lors du freinage en raison de la composition du train et des
rapports poidsfrain contraires aux règlements. Peut-être le retard sur
l'horaire a-t-il amené les agents du train à manoeuvrer imprudemment. Une
anomalie lors du freinage n'était même pas nécessaire pour qu'une
personne empruntée, malhabile, paie son tribut aux risques qu'entraîne
l'exploitation d'un chemin de fer.

    Dans ces circonstances, la faute de l'intimée n'apparaît pas
prépondérante. Elle est, certes, grave; l'attitude de l'intimée se
comprend néanmoins dans une certaine mesure; elle a voulu apaiser ses
craintes en se conformant à une habitude courante - encore que dangereuse
et contraire au droit -, qui s'explique par une hâte croissante dans les
manifestations quotidiennes typiques de la vie moderne. C'est sous-estimer
l'erreur de la victime, cependant, que de réduire les obligations des
défendeurs d'un tiers. Une réduction de moitié tient d'autant mieux compte
des circonstances du cas que le jugement attaqué n'impute à l'entreprise,
avec raison, aucune faute en relation certaine avec l'accident.

Erwägung 6

    6.- La Cour cantonale ramène à 3000 fr. par an le préjudice résultant
de l'invalidité totale. Certes il était initialement de 5000 fr., mais
il diminue avec l'âge de la lésée, car celle-ci eût été amenée de toutes
façons à réduire petit à petit son activité économique. On peut donc tenir
pour justifiée la moyenne choisie dans le jugement attaqué. L'intimée
n'ayant que 56 ans lorsque celui-ci fut rendu, on ne peut toutefois
admettre que l'effet de l'âge se fût déjà fait sentir durant les quatre
ans écoulés depuis l'accident; la réparation du dommage certain s'élève
donc à 21 350 fr. (au lieu de 12 810 fr.). Le dommage futur prévisible,
en revanche, la Cour cantonale devait l'apprécier. Le Tribunal fédéral,
comme cour de réforme, ne peut revoir son opinion que si elle viole un
principe juridique, notamment si elle outrepasse le cadre fixé au pouvoir
d'appréciation. Tel n'est pas le cas. Même si elle avait usé ses forces
aux soins du ménage, l'intimée eût certes, avec les années, abandonné ses
occupations accessoires. C'eût été certainement le cas lorsque son mari
aurait atteint l'âge de la retraite; c'est son employeur, en effet, qui
confiait aux époux le gardiennage de l'usine et avait fourni le terrain
où l'intimée élevait ses volailles.

Erwägung 7

    7.- On ne saurait reprocher à l'intimée d'outrepasser ses conclusions -
qu'elle a maintenues au chiffre articulé en première instance (art. 55 OJ)
-, dans les motifs de son recours joint. Certes, ceux-ci la conduisent
à fixer le montant du dommage au-delà des 57 500 fr. demandés. Mais
le Tribunal fédéral ne va pas ultra petita s'il lui accorde moins que
cela. Or l'indemnité allouée se calcule comme suit:
   a) frais. 5 356 fr. 45 b) dommage certain pour perte de gain (5000 fr.
   par an pendant 4 ans, 3 mois et 7 jours) 21 350 fr.  c) perte de gain
   future 42 840 fr.

    69 546 fr. 45 dont la moitié fait 2 678 fr. 25

    10 675 fr.

    21 420 fr.
   soit au total 34 773 fr. 25

Entscheid:

             Par ces motifs, le Tribunal fédéral:

    1. Admet partiellement le recours principal et le recours joint et,
réformant dans cette mesure le jugement de la Cour civile du Tribunal
cantonal vaudois, condamne les Chemins de fer fédéraux, défendeurs et
recourants, à payer à dame Marcelle Dupertuis, demanderesse et intimée,
la somme de 34 773 fr. 25 portant intérêts à 5%:
   a) sur 2678 fr. 25, dès le 17 décembre 1955, b) sur 10 675 fr., dès
   le 15 avril 1957, c) sur 21 420 fr., dès le 1er juin 1959.

    2. Confirme, pour le surplus, le jugement attaqué, notamment en ce
qui concerne les frais de l'instance cantonale.