Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 83 II 525



83 II 525

72. Arrêt du 26 novembre 1957 dans la cause Dunand contre Société
immobilière Royaga SA Regeste

    Liegenschaftsverwaltung. Rechtsnatur des Vertrags; vorzeitige
Aufhebung.

Sachverhalt

    A.- Dunand exploite à Genève une agence immobilière, où il s'occupe en
particulier de gérances d'immeubles. Le 30 juin 1953, il offrit à Bogliano,
parmi plusieurs autres - et pour le prix de 135 000 fr. - un immeuble sis
au no 12 de la rue Royaume, propriété de la Société immobilière Royaga SA
L'offre précisait: "Cet immeuble ne peut être vendu que pour autant qu'un
engagement de régie nous soit consenti". Après différentes tractations
qui portèrent notamment sur la convention relative à la gérance et d'où
il ressort que Bogliano agissait pour un tiers, la vente fut conclue le
2 février 1954. Elle porta sur les actions de Royaga SA Une assemblée
de cette société, tenue le même jour et présidée par Bogliano, entérina
la démission de Dunand comme administrateur et appela Bogliano aux
fonctions de seul administrateur engageant la société par sa signature
individuelle. Le procès-verbal porte en outre: "A l'unanimité l'assemblée
prie son Président de conclure la convention de régie dont il vient de lui
être donné lecture, avec la Régie Dunand". Après cette assemblée, Dunand
et Bogliano signèrent cette convention, par laquelle Royaga SA confiait à
Dunand la gérance de l'immeuble sis au no 12 de la rue Royaume "pour une
durée de dix ans, à dater du 1er février mil neuf cent cinquante-quatre,
aux conditions énoncées dans le tarif de l'Association professionnelle des
gérants d'immeubles de Genève". Il était spécifié que les actionnaires
de Royaga SA souscrivaient à la convention "pour s'engager à l'imposer
aux acquéreurs futurs des actions de ladite société". L'art. 5 avait la
teneur suivante:

    "En cas de retrait de la gérance de l'immeuble de l'Agence immobilière
Dunand avant le 31 décembre 1963, une indemnité lui serait versée à la
reddition du dossier, égale à la commission de régie prise sur l'état
locatif plein de l'immeuble rénové, multipliée par le nombre d'années
restant à courir jusqu'au 31 décembre 1963."

    Le 16 juillet 1955, Bogliano, en sa qualité d'administrateur de Royaga
SA, écrivit à Dunand dans les termes suivants:

    "Je vous avais indiqué que la Société immobilière Royaga cherchait
à conclure un emprunt second rang; je vous avais demandé d'examiner la
possibilité de trouver dans votre clientèle l'occasion d'effectuer un
placement de cette nature. Vous m'avez répondu que vous n'aviez rien en
vue et que de toute manière il vous était impossible de faire quoi que
ce soit dans la situation actuelle.

    Par l'intermédiaire de la Régie Bordier, j'ai pu trouver le second
rang recherché. Mais la condition posée au prêt hypothécaire serait que
la Régie Bordier ait la régie de l'immeuble.

    Je n'ignore pas que le 2 février 1954 la S.I. Royaga a conclu avec
vous un contrat de Régie de dix ans.

    Or, renseignement pris, j'apprends qu'un contrat de régie - s'il n'est
pas accompagné d'une prestation spéciale, tel qu'un prêt par exemple -
est résiliable en tout temps et sans indemnité. Il paraît qu'un semblable
contrat constitue un contrat de mandat, dont l'essence même est la faculté,
pour chaque partie, de pouvoir, en tout temps, le résilier.

    Dans ces conditions, je me vois dans l'obligation de dénoncer le
contrat de régie et de vous prier de transmettre tous les documents à
la Régie Bordier, rue du Vieux Collège, 8, à Genève, pour que celle-ci
puisse reprendre la suite de cette affaire.

    Croyez bien que je regrette cette décision; j'avais, d'ailleurs,
eu l'impression que vous ne vous intéressiez pas aux soucis qui sont
les miens."

    Le 21 juillet 1955, Dunand répondit que pour trouver des fonds
la gérance avait besoin de connaître quelles garanties représenterait
l'immeuble rénové: rendement locatif fixé par le contrôle des prix, montant
et conditions de l'emprunt en premier rang. Pourvu qu'on lui fournisse
ces précisions, Dunand se déclarait prêt à procurer à Royaga SA les fonds
dont elle avait besoin. Il rappelait ensuite qu'il n'avait accepté de
vendre ses actions que moyennant un accord lui réservant la gérance de
l'immeuble et informait son correspondant qu'en cas de résiliation du
contrat du 2 février 1954, il réclamerait une indemnité de 8909 fr. de
par l'art. 5 dudit contrat.

    Le 22 juillet 1955, Bogliano répondit brièvement qu'il ne servirait
à rien de discuter, qu'il n'entendait pas revenir sur sa décision et il
ajoutait: "Veuillez croire que ce n'est pas de gaîté de coeur que j'agis
ainsi; j'eusse de beaucoup préféré continuer à entretenir les bons rapports
que nous avions ébauchés. Cela s'avère impossible."

    B.- Le 29 septembre 1955, Dunand actionna Royaga SA devant le Tribunal
de première instance de Genève en paiement de 8909 fr. avec 5% d'intérêts
à compter du 16 juillet 1955. Le 29 mai 1956, le tribunal admit la demande,
en bref par les motifs suivants:

    Il s'agit en l'espèce d'un contrat mixte, qui présente certaines
caractéristiques du mandat et du contrat d'entreprise, mais où les rapports
de confiance sont si importants que l'art. 404 CO s'applique. Royaga SA
était fondée à résilier le contrat du 2 février 1954, mais elle l'a fait
en temps inopportun, ce qui l'oblige à payer des dommagesintérêts. La
jurisprudence admet du reste certaines conventions sur ce point, pourvu
que l'indemnité fixée ne soit pas excessive et que la résiliation n'ait
pas été causée par la faute de celui qui s'en plaint. En l'espèce,
Dunand n'a point commis de faute. L'art. 5 de la convention du 2 février
1954 contient une clause pénale; la peine, selon l'art. 161 CO, est due
même si aucun dommage n'est prouvé. Elle n'est d'ailleurs pas excessive,
de sorte qu'il n'y a pas lieu de la réduire.

    C.- Statuant, le 21 mai 1957, sur appel de Royaga SA, la Cour de
justice de Genève débouta Dunand de sa demande. Les motifs de son arrêt
se résument comme il suit:

    Il s'agit, en l'espèce, non pas d'un contrat d'entreprise, mais d'un
mandat, qui, selon l'art. 404 CO, disposition de droit strict, était
révocable en tout temps. Comme clause pénale liant les parties pour dix
ans, l'art. 5 du contrat du 2 février 1954 est donc nul. Supposé même
que la résiliation fût intervenue en temps inopportun, l'art. 404 al. 2
CO ne conférerait en tout cas au demandeur que le droit au remboursement
des frais exposés en vue de l'exécution. Or, le demandeur ne réclame rien
à ce titre. Il conclut au paiement du gain manqué, lequel n'est jamais
dû en matière de mandat. "Le fait, d'ailleurs non démontré, que l'intimé
aurait vendu l'immeuble en cause sous condition d'obtenir la gérance
de celui-ci pour dix ans, ne saurait avoir pour effet de donner à la
convention de régie, soit plus précisément à son art. 5, une validité
que la loi conteste impérativement dès l'instant que le contrat doit
s'interpréter comme un mandat."

    D.- Contre cet arrêt, Dunand a formé un recours en réforme. Il conclut
à ce qu'il plaise au Tribunal fédéral condamner l'intimée à payer au
recourant la somme de 8909 fr., la condamner en outre à payer tous frais
et dépens aussi bien des instances cantonales que de l'instance fédérale.

    E.- L'intimée conclut au rejet du recours.

Auszug aus den Erwägungen:

                      Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- Comme l'a admis la Cour de justice, le contrat relatif à la
gérance d'immeubles, conclu le 2 février 1954, ne constitue pas un contrat
d'entreprise. Dans un tel contrat, l'une des parties s'engage à exécuter un
ouvrage (art. 363 CO), c'est-à-dire à procurer à l'autre partie, par son
travail et sous sa propre responsabilité, un certain résultat matériel
ou immatériel, mais objectivement constatable. C'est partant de cette
définition large de l'ouvrage visé par l'art. 363 CO que le Tribunal
fédéral a rangé dans la catégorie du contrat d'entreprise le contrat
d'insertion d'annonces (RO 59 II 261 ss.), et que l'on peut y ranger le
contrat par lequel un fournisseur de courant électrique s'oblige à éclairer
certaines rues ou à chauffer certains locaux (RO 48 II 370 ss.). Cependant,
lorsque, comme en l'espèce, l'une des parties s'engage envers l'autre à
gérer un immeuble, elle ne s'oblige qu'à fournir une certaine activité
avec une certaine diligence, non pas un certain résultat que l'on pourrait
considérer comme un ouvrage.

    Il ne s'agit pas non plus d'un mandat proprement dit, parce que
le contrat portant sur la gérance d'un immeuble, qu'il soit ou non
conclu pour une durée certaine, est en tout cas limité, non pas par
l'accomplissement de la tâche qu'assume le mandataire, mais bien par
l'écoulement du temps. De ce point de vue donc et sauf le cas où les
parties l'ont d'emblée conçu comme un accord de nature purement passagère
et portant sur certaines opérations déterminées, il se présente soit
comme un contrat de travail, soit comme un contrat sui generis qui,
ayant pour objet l'exécution d'un certain travail, serait en principe
soumis aux règles du mandat (art. 394 al. 2 CO).

    Point n'est besoin cependant de rechercher laquelle de ces deux
possibilités est donnée en l'espèce. Que ce soit l'une ou l'autre, la
résiliation anticipée du contrat tout au moins ne pouvait avoir lieu que
selon les règles spéciales au contrat de travail (art. 352 ss. CO). Car
les principes qui régissent la révocation du mandat (art. 404 CO) ne
sauraient s'appliquer à un contrat qui, comme celui dont l'objet est
la gérance d'un immeuble, est conclu à temps. Il en va ainsi d'autant
plus que, dans le contrat de gérance d'immeubles, chacune des parties a
juridiquement un intérêt égal au maintien du contrat, l'une s'assurant
le travail de l'autre, laquelle se fait promettre une rémunération.

    C'est ainsi du reste que, bien avant la promulgation de la loi
fédérale du 4 février 1949 sur le contrat d'agence (art. 418 a à 418
v CO), le Tribunal fédéral avait rangé ce type de convention au nombre
des contrats sui generis soumis principalement aux règles du mandat; il
appliquait toutefois les règles du contrat de travail à la résiliation
pour de justes motifs lorsque les parties avaient entendu se lier pour un
temps assez long (art. 352 CO; RO 29 II 104 ss.; 40 II 392; 54 II 380;
60 II 336; 78 II 36/7; BECKER, comm. ad art. 319, n. 27, ad art. 394,
n. 8; OSER/SCHÖNENBERGER, comm. ad art. 319 CO, n. 36 i.f.). Sur ce
dernier point, en particulier, la loi précitée a entériné la règle
jurisprudentielle (art. 418 r CO). En l'absence d'une disposition légale,
le Tribunal fédéral a du reste adopté la même solution, s'agissant du
contrat de représentation exclusive conclu pour une durée prolongée (RO
60 II 335/6; cf. RO 78 II 33, 36/7; WEIL, Die vorzeitige Aufhebung des
Alleinvertretungsvertrages, RSJ t. 32, 1935/6 p. 295/6).

Erwägung 2

    2.- Il faut dès lors examiner si, le 16 juillet 1955, la défenderesse
avait de justes motifs de résilier sans délai, selon l'art. 352 CO,
le contrat qu'elle avait conclu pour dix ans.

    La question appelle manifestement la négative. Aucune circonstance,
en particulier, n'autorisait la société Royaga à invoquer la moralité ou
la bonne foi pour ne plus exécuter le contrat (art. 352 al. 2 CO). Elle ne
prétend pas elle-même que, dans l'exercice de la gérance proprement dite,
le demandeur ait violé en quoi que ce soit les devoirs que lui imposaient
la convention, la loi ou les usages locaux; c'est bien plutôt le contraire
qui ressortirait de sa lettre du 22 juillet 1955.

    Comme dans sa lettre du 16 juillet 1955, elle y allègue uniquement que
le demandeur ne lui a pas procuré l'emprunt hypothécaire en second rang
qu'elle désirait souscrire. Mais elle ne s'est elle-même pas risquée à
prétendre, dans les lettres précitées, que le demandeur se serait engagé
à réaliser le simple voeu qu'elle avait exprimé sur ce point. Le contrat
relatif à la gérance ni les autres pièces du dossier ne contiennent aucun
indice d'une telle promesse. Aussi bien le Tribunal de première instance
a-t-il expressément jugé qu'aucun engagement de ce genre n'a jamais existé
et la Cour de justice ne l'a pas contredit. Supposé même que le demandeur
eût promis de procurer les fonds et ne se fût pas exécuté, la défenderesse,
avant de résilier le contrat, aurait dû tout au moins, d'une part, fournir
à Dunand les renseignements indispensables pour la conclusion de l'emprunt
projeté, renseignements qu'il avait demandés dans sa lettre du 21 juillet,
d'autre part, l'interpeller formellement en lui rappelant son obligation,
le mettre en demeure de l'exécuter et lui fixer un délai convenable pour
ce faire.

    C'est donc sans raisons que la défenderesse a résilié abruptement,
après une année et demie, le contrat qui la liait pour dix ans au
demandeur.

Erwägung 3

    3.- La défenderesse, par ce motif, doit en principe réparation du
dommage qu'elle a ainsi causé. A l'art. 5 du contrat, les parties sont
convenues que si la gérance de la maison était retirée à Dunand avant
la fin du contrat, l'indemnité à verser serait égale au montant de la
rétribution due pour la période restant à courir et calculée sur l'état
locatif plein de l'immeuble rénové, selon le tarif des gérants d'immeubles
genevois. Il s'agit donc là d'un gain manqué. Si l'on part d'un rendement
locatif - pratiquement non contesté - de 23 292 fr. et que, selon le tarif,
on calcule l'indemnité de gérance à 4 1/2% pendant huit ans et demi,
on arrive à un dommage de 8909 fr., somme réclamée par le demandeur.

    Le Tribunal de première instance a admis que l'art. 5 du contrat
constituait une clause pénale. Il s'ensuivrait que le demandeur serait
fondé à réclamer le montant susindiqué même s'il n'avait effectivement
point subi de dommage (art. 161 al. 1 CO). Mais l'indemnité, en revanche,
pourrait être réduite conformément à l'art. 163 al. 3 CO si elle paraissait
excessive. Cependant, il s'agit en réalité non pas d'une clause pénale,
mais, vu la nature de l'indemnité fixée, d'une clause par laquelle les
parties sont convenues qu'en cas de rupture du contrat il y aurait lieu
de payer le gain manqué.

    Sont donc applicables les principes généraux qui régissent le calcul
des dommages-intérêts en cas de rupture du contrat de travail. La perte
de gain doit être remboursée (art. 353 CO), mais sous déduction de ce
que le créancier a épargné en ne fournissant pas les services convenus,
de ce qu'il a effectivement gagné par d'autres travaux et du gain auquel
il a intentionnellement renoncé (art. 332 CO).

    Il aurait appartenu à la défenderesse d'alléguer les causes de
déduction et d'offrir les preuves nécessaires. Elle n'a rien entrepris à
cet égard, et s'est contentée de conclure au déboutement. Cependant, il
est conforme aux données de l'expérience commune qu'une certaine déduction
se justifie. Effectivement, le demandeur peut occuper autrement le temps
qu'il aurait dû consacrer à la gérance dont la défenderesse l'a privé. On
ne sait quand il aurait trouvé une gérance équivalente ou analogue, mais on
ne peut admettre qu'il serait demeuré sans remplacement pendant huit ans et
demi, s'agissant d'un bureau déjà ancien et connu à Genève. Cependant, un
tel bureau emploie du personnel permanent et a des frais fixes qui courent
sans interruption jusqu'au remplacement d'une gérance perdue. Enfin, il
est difficile de dire qu'une affaire tient lieu d'une autre et n'aurait
pas pu s'y ajouter sans augmentation des frais fixes. La réduction,
en définitive, ne peut être fixée qu'ex aequo et bono. La cour l'estime
au tiers de la rétribution tarifée, vu aussi la gravité particulière du
manque de parole dont Royaga SA s'est rendue coupable. Ce sont donc 6000
fr. en chiffre rond que la défenderesse doit au demandeur.

    La solution, du reste, ne serait pas différente si l'on admettait que
l'art. 5 du contrat du 2 février 1954 contient une clause pénale. Dans ce
cas, en effet, il y aurait lieu de réduire, de par l'art. 163 al. 3 CO,
le montant convenu, ce qui conduirait au même résultat que l'application
de l'art. 332 CO.

Entscheid:

              Par ces motifs, le Tribunal fédéral:

    Admet le recours en ce sens que l'arrêt attaqué est réformé, la
demande partiellement admise et la défenderesse condamnée à payer au
demandeur 6000 fr. avec intérêts à 5% l'an à partir du 29 septembre 1955;
rejette la demande pour le surplus.