Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 83 III 82



83 III 82

23. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour civile du 28 mars 1957 dans la
cause Masse en faillite Nachimson contre Hentsch & Cie. Regeste

    Anfechtungsklage. Art. 288 SchKG.

    Anfechtung einer nachträglich zur Sicherstellung eines Blankokredites
erfolgten Pfandbestellung. Dem betreffenden Gläubiger erkennbare Absicht
des Schuldners, ihn zu begünstigen.

Sachverhalt

    A.- La société en nom collectif Hentsch & Cie exploite une banque à
Genève. Elle a été en relations d'affaires suivies avec Bezabel-Charles
Nachimson, importateur de vins à Genève. Dès 1946, elle lui a ouvert un
compte destiné à l'escompte d'effets de commerce et un crédit en compte
courant. Le montant maximum des crédits qu'elle lui a consentis au moyen de
ces deux comptes a varié au cours des années. Sur demande de sa créancière,
Nachimson a liquidé le compte en blanc, à la fin de 1950. Au mois d'août
1951, la banque Hentsch & Cie a accordé à Nachimson un nouveau crédit
provisoire en blanc de 50 000 fr., garanti par un billet à ordre. Ce
crédit a été porté par la suite à 75 000 fr. et sa durée prorogée au 15
septembre 1952, moyennant signature d'une traite de ce montant.

    Le 1er mars 1952, la presse genevoise a publié des informations
selon lesquelles Nachimson était l'objet de poursuites pénales pour
fraude douanière. Nachimson a été effectivement écroué à la prison de
St-Antoine du 10 au 18 mars 1952. Le 11 mars 1952, G. Rieder qui était
son principal employé s'est rendu chez Hentsch & Cie: il a donné au
représentant de la banque des explications sur l'affaire dans laquelle
Nachimson se trouvait impliqué, l'a tranquillisé sur la liquidité de
l'entreprise et lui a déclaré que le crédit en blanc serait garanti
par un gage à constituer sur la maison de Nachimson. Par lettre du même
jour il a confirmé l'entretien en ces termes: "Nous vous remettrons 120
000 fr. cédules en second rang sur la villa de Monsieur C. Nachimson
à Bellerive. Nous vous prions de bien vouloir patienter une dizaine de
jours pour la remise de ces cédules, ceci pour nous laisser le temps de
les établir". La notice interne rédigée par le représentant de Hentsch &
Cie après l'entrevue avec Rieder contient en particulier ce qui suit:

    "Inculpation de M. N. peut se résumer ainsi:

    Affaire Valais, pas très grave ...

    Affaire comptabilité et tenue de cave: faute administrative certaine
ne pouvant qu'entraîner une amende.

    Affaire Falsification de Mistelle: la plus importante et pouvant
entraîner d'une part une amende de plus d'un million et d'autre part le
retrait de la patente d'importateur."

    Par décision du 13 mars 1952, la Chambre des tutelles de Genève
a admis la requête de dame Nachimson du 11 mars 1952 tendante à ce
qu'elle soit autorisée à créer conjointement et solidairement avec son
mari six cédules hypothécaires de 20 000 fr., soit au total 120 000 fr.,
sur l'immeuble de Collonge-Bellerive appartenant en copropriété aux deux
époux, pour garantir un crédit ouvert dans un établissement bancaire.

    Nachimson n'a par la suite pas remis à Hentsch & Cie les sûretés
constituées par les cédules hypothécaires dont Rieder avait parlé le 11
mars 1952. Pour payer divers créanciers et désintéresser la banque, il a
envisagé, d'accord avec celle-ci, de vendre la villa de Bellerive. Il n'a
cependant pas réalisé l'opération, mais s'est fait au contraire consentir
par une autre banque un prêt de 200 000 fr. sur cet immeuble pour régler
certaines dettes.

    Le 10 avril 1952, René Nachimson a remis en nantissement à Hentsch &
Cie septante-quatre actions Cives pour garantir le crédit ouvert à son
père. La banque Hentsch & Cie a continué par la suite ses pourparlers
avec Nachimson au sujet de la fourniture de sûretés. N'ayant pas obtenu
satisfaction, elle a commencé, au mois de juillet 1952, à s'inquiéter
sérieusement. Elle a prié René Nachimson d'obtenir une réponse de son père
quant aux garanties attendues et a dépêché des représentants auprès de
celui-ci. Elle a finalement obtenu que Nachimson lui remît en nantissement
du madère et du porto encavés au port-franc de Genève.

    Dans un memorandum du 30 juillet 1952 remis à René Nachimson à
l'intention de son père, la banque Hentsch & Cie envisageait la faillite
de celui-ci et notait que son compte laissait un découvert de l'ordre de
150 000 fr.

    La faillite de Nachimson a été prononcée par jugement du 14 novembre
1952. L'administration de la faillite a admis la créance de la banque
Hentsch & Cie de 119 033 fr., représentant le solde du compte courant,
avec le nantissement constitué pour la garantir sur septante-quatre actions
Cives; elle a en revanche colloqué en cinquième classe la créance de 73
803 fr. 45 résultant du compte des effets escomptés et contesté le droit
de gage sur les vins "comme non justifié et en tout cas révocable au sens
des art. 285 et ss. LP".

    La banque Hentsch & Cie a ouvert action en modification de l'état
de collocation pour faire reconnaître son droit de gage et sa production
complémentaire de 1764 fr. 05. La masse en faillite a conclu à libération,
faisant valoir que le nantissement invoqué par la demanderesse constituait
un acte révocable en vertu des art. 287 ch. 1 et 288 LP.

    Le 27 septembre 1955, le Tribunal de première instance de Genève a
admis l'action de Hentsch & Cie.

    B.- Saisie d'un appel interjeté par la masse en faillite, la Cour
de justice du canton de Genève a confirmé ce jugement, par arrêt du 12
octobre 1956, considérant que le droit de gage litigieux ne tombait sous
le coup ni de l'art. 287 ch. 1 ni de l'art. 288 LP.

    C.- La masse en faillite a recouru en réforme au Tribunal fédéral en
reprenant ses conclusions libératoires. La banque Hentsch & Cie conclut
au rejet du recours.

Auszug aus den Erwägungen:

                       Extrait des motifs:

Erwägung 3

    3.- Pour qu'un acte soit révocable en vertu de l'art. 288 LP, il faut,
d'une part, que le débiteur ait eu l'intention de porter préjudice à ses
créanciers ou de favoriser certains d'entre eux au détriment des autres
et, d'autre part, que le bénéficiaire ait pu le reconnaître.

    a) Il est de jurisprudence constante (RO 40 III 207 et les arrêts
cités, 41 III 74, 55 III 87) que l'intention dolosive du débiteur doit
être considérée comme établie lorsqu'il a pu et dû prévoir que l'acte
incriminé aurait pour effet naturel de porter préjudice aux créanciers
ou de favoriser certains d'entre eux au détriment des autres; il n'est
pas nécessaire que le débiteur ait agi dans le but de porter atteinte
aux droits des créanciers ou d'avantager certains d'entre eux, mais
il suffit qu'il ait pu et dû se rendre compte que son acte aurait
normalement cette conséquence. Selon les constatations de fait des
deux juridictions cantonales, Nachimson était insolvable en mars 1952
à l'époque où a été faite l'offre de constituer un gage en garantie du
crédit ouvert en blanc quelques mois plus tôt; il l'était également en
août 1952 lorsque le nantissement du madère et du porto a été opéré. Son
passif dépassait dans une telle mesure son actif, qu'il ne pouvait pas
ne pas être conscient de son insolvabilité, bien que sa comptabilité ait
été déficiente; en effet, lors de la faillite, sa situation, dont il n'a
été ni allégué ni établi qu'elle eût été plus obérée que dans les mois
précédents, présentait environ 890 000 fr. d'actif contre 1900 000 fr.
de passif en chiffre rond. Etant insolvable et conscient de cet état,
Nachimson pouvait et devait se rendre compte que la constitution d'un
gage en faveur de l'intimée, offerte en mars puis effectuée en août
1952, était préjudiciable à ses autres créanciers et qu'elle favorisait
indûment la bénéficiaire. L'intention frauduleuse du débiteur requise par
l'art. 288 LP doit être ainsi considérée en l'espèce comme donnée aussi
bien au moment de l'offre du gage qu'à celui de sa constitution.

    b) Selon la jurisprudence (RO 21 I 286, 25 II 673, 26 II 623, 30 II
164, 32 II 173, 33 II 662, 37 II 310, 40 III 207) le terme "connivence"
qui figure dans le texte français de l'art. 288 LP doit être entendu dans
ce sens que le bénéficiaire a pu et dû prévoir, en usant de l'attention
commandée par les circonstances, que l'opération incriminée aurait pour
conséquence naturelle de porter préjudice aux créanciers ou de le favoriser
au détriment des autres créanciers. En l'espèce, l'intimée pouvait et
devait se rendre compte que la constitution d'un gage en garantie du
crédit en blanc qu'elle avait ouvert à Nachimson entraînerait normalement
une atteinte aux droits des autres créanciers et la favoriserait indûment
par rapport à eux. En 1950, elle avait exigé la liquidation du crédit en
blanc accordé à Nachimson. Par la suite, lorsqu'en 1951 elle a consenti à
lui ouvrir un nouveau compte de ce genre de 50 000 fr. et qu'en février
elle l'a porté à 75 000 fr., elle ne l'a fait que contre remise d'une
traite d'un montant égal à celui du crédit. Il en résulte qu'à cette
époque déjà elle n'avait plus la même confiance qu'auparavant dans la
solvabilité de son débiteur. Au début de mars 1952, quand Nachimson a été
arrêté et que la banque Hentsch & Cie a été informée qu'il était sous
le coup d'une inculpation pouvant entraîner une amende d'un million
de francs et le retrait de la patente d'importateur, elle devait se
rendre compte, avec l'attention commandée par les circonstances, que son
débiteur était financièrement ruiné. La conclusion que Nachimson devait
être tenu désormais pour insolvable a dû alors normalement s'imposer
à l'intimée, d'autant plus qu'avant ces événements qui étaient d'une
gravité particulière pour son débiteur elle n'avait plus une confiance
totale dans la situation de celui-ci, ainsi qu'elle l'avait manifesté par
les conditions mises à l'octroi du crédit en blanc accordé en août 1951
puis renouvelé en février 1952. Par ailleurs, suivant les constatations
de fait du Tribunal de première instance auxquelles la Cour de justice
a déclaré se référer, Nachimson était effectivement insolvable en mars
1952. Grâce aux moyens d'information dont les banques disposent et dont
elles se servent pour se renseigner sur les personnes avec lesquelles elles
traitent, l'intimée pouvait et devait alors se rendre compte de l'état
d'insolvabilité de Nachimson. Ainsi, au moment où un gage lui a été offert,
au début de mars 1952, pour une dette qui ne bénéficiait d'aucune garantie
de nature réelle, la banque Hentsch & Cie, eu égard à l'insolvabilité de
son débiteur, a pu et dû prévoir que sa constitution porterait préjudice
aux autres créanciers et la favoriserait à leur détriment.

    A l'époque où le nantissement du madère et du porto encavés au
port-franc de Genève a été opéré, soit en août 1952, l'intimée était
également consciente de l'insolvabilité de Nachimson. Dans le memorandum
du 7 juillet 1952 qu'elle a établi à l'intention de son débiteur, elle
envisageait en effet la faillite de celui-ci et insistait pour que
ses intérêts fussent sauvegardés en considération de l'effort qu'elle
a fait pour lui "dans les moments les plus difficiles". Le fait que
Nachimson avait pu désintéresser certains créanciers n'était pas de
nature à tranquilliser l'intimée, car elle savait, ainsi qu'il ressort
d'une notice du 4 avril 1952 rédigée par ses services, que ces paiements
n'avaient pu être effectués qu'au moyen d'un prêt accordé par une autre
banque et garanti par une hypothèque de 200 000 fr. Selon la même notice,
la banque Hentsch & Cie était au courant de la situation de Nachimson
auprès d'autres banques envers lesquelles ses engagements, garantis en
partie seulement par des actions Cives dont la valeur était douteuse,
s'élevaient à 240 000 fr.; elle était également informée que son débiteur
avait fait expertiser les bijoux de sa femme pour en déterminer la valeur
vénale, ce qui signifiait manifestement qu'il était aux abois. Il résulte
de ces circonstances que, connaissant la situation de Nachimson, l'intimée
pouvait et devait prévoir, avec l'attention à laquelle elle était tenue,
que le gage constitué en sa faveur porterait nécessairement atteinte
aux droits des autres créanciers et l'avantagerait à leur préjudice.
Cela étant, le nantissement qu'elle s'est fait remettre tombe sous le coup
de l'art. 288 LP, et c'est dès lors à bon droit que l'administration a
refusé de l'admettre. Il s'ensuit que l'action en modification de l'état
de collocation qu'elle a intentée pour faire reconnaître le droit de gage
litigieux doit être rejetée et l'arrêt attaqué, réformé dans ce sens.

    Le droit de gage revendiqué par l'intimée étant soumis à révocation en
vertu de l'art. 288 LP, on peut se dispenser d'examiner si les conditions
d'application de l'art. 287 ch. 1 LP sont réunies en l'espèce.