Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 139 IV 294



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Urteilskopf

139 IV 294

45. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public dans la cause Y. contre
Banque X. et Ministère public de la Confédération (recours en matière de droit
public)
1C_545/2013 du 11 juillet 2013

Art. 84 und 93 BGG; Art. 80e Abs. 2 lit. b IRSG; Einsicht der
Privatklägerschaft in die Akten der Strafuntersuchung; Gewährleistung der
Vorschriften über die internationale Strafrechtshilfe.
Der Beschwerdeweg nach Art. 84 BGG steht offen, wenn die der Privatklägerschaft
gewährte Einsicht in die Strafuntersuchungsakten die Gefahr nach sich zieht,
dass Informationen an die ersuchende ausländische Behörde gelangen könnten,
bevor die zuständige schweizerische Rechtshilfebehörde über die Zulässigkeit
einer solchen Information entschieden hat (E. 1).
Angesichts des Risikos einer verfrühten Kenntnisnahme von Informationen ist
hier im aktuellen Zeitpunkt keine vollständige Einsichtnahme in die Akten
zulässig, selbst wenn sich diese auf die Rechtsvertreter der Privatklägerschaft
beschränkt (E. 4).

Sachverhalt ab Seite 295

BGE 139 IV 294 S. 295

A. Le Ministère public de la Confédération (MPC) mène (...) une enquête pénale
contre Y. et Z., pour blanchiment d'argent. Il leur est reproché d'avoir commis
des détournements au préjudice de la Banque X., pour environ 430 millions de
francs dont une partie serait parvenue en Suisse. La Banque X. s'est constituée
partie plaignante les 5 et 14 juin 2012 et a demandé l'accès au dossier.
Par décision du 3 juillet 2012, le MPC a admis la qualité de partie plaignante
de la Banque X., considérant qu'une enquête était ouverte en Russie pour (...)
gestion déloyale. Y. et Z., soit ses anciens président et vice-président, se
voyaient reprocher d'avoir accordé des prêts injustifiés dont ils auraient
eux-mêmes bénéficié. Les intérêts de la banque avaient ainsi directement été
lésés. Le droit de consulter le dossier lui a également été reconnu, sans
restriction.

B. Par décision du 15 mai 2013, la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral
(TPF) a partiellement admis le recours formé par Y. La reconnaissance de la
qualité de partie plaignante était justifiée, les actes de blanchiment pouvant
porter atteinte aux intérêts patrimoniaux de la banque (...). S'agissant du
droit d'accès au dossier, la Cour des plaintes a considéré que la Banque X.
était notoirement liée à l'Etat russe. Une procédure pénale était ouverte en
Russie pour les mêmes faits, et des demandes d'entraide judiciaire avaient été
formées par les autorités russes et suisses. Il existait dès lors un risque
concret que la partie admise à la procédure communique à l'étranger des
renseignements requis par voie d'entraide. Un simple engagement de la partie en
cause n'était pas suffisant, car il ne liait pas l'Etat étranger. En revanche,
le droit de consulter le dossier pouvait être limité aux seuls conseils de la
banque, avec l'engagement
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formel et sans réserve de ceux-ci de ne pas transmettre de renseignements à la
banque ou à des tiers. Cela permettait l'avancement de la procédure pénale et
le respect du droit d'être entendu de la partie plaignante. L'obligation de
garder le secret devait être assortie de la menace des peines prévues à l'art.
292 CP.

C. Par acte du 27 mai 2013, Y. forme un recours en matière de droit public par
lequel il demande l'annulation de la décision de la Cour des plaintes et la
suspension du droit d'accès au dossier de la Banque X., jusqu'à décision de
clôture de la procédure d'entraide judiciaire. (...)
Le Tribunal fédéral a admis le recours.
(extrait)

Erwägungen

Extrait des considérants:

1. Le recours est formé contre une décision rendue dans le cadre d'une
procédure pénale, de sorte qu'il devrait en principe être soumis aux art. 78
al. 1 et 79 LTF (recours en matière pénale, limité aux seules mesures de
contrainte). Le recours est toutefois formé, en l'espèce, pour violation des
règles sur l'entraide judiciaire internationale en matière pénale. L'accès au
dossier accordé à la partie plaignante comporterait en effet le risque de
transmission de renseignements à la Fédération de Russie, avant même que
l'autorité suisse d'entraide ait statué sur l'admissibilité d'une telle
transmission. La décision attaquée est elle-même fondée sur les art. 80e al. 2
let. b et 65a al. 3 EIMP (RS 351.1), dispositions relatives à la présence de
fonctionnaires étrangers et au risque de transmission de renseignements
touchant le domaine secret. Selon la jurisprudence, la décision par laquelle
l'autorité d'exécution refuse de limiter le droit d'une partie de consulter le
dossier de la procédure pénale nationale connexe à la procédure d'entraide,
doit être considérée comme rendue en application de l'EIMP (ATF 127 II 198
consid. 2a p. 201-203; arrêt 1A.63/2004 du 17 mai 2004). C'est donc le recours
en matière de droit public selon l'art. 84 LTF qui entre en considération dans
un tel cas. Pour le surplus, le recourant ne remet pas en cause l'autre aspect
de la décision attaquée, soit l'admission de la banque en qualité de partie
plaignante.

1.1 Selon l'art. 84 LTF, le recours est recevable à l'encontre d'un arrêt du
TPF en matière d'entraide judiciaire internationale si celui-ci a pour objet la
transmission de renseignements concernant le
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domaine secret. Il doit toutefois s'agir d'un cas particulièrement important
(al. 1). Un cas est particulièrement important notamment lorsqu'il y a des
raisons de supposer que la procédure à l'étranger viole des principes
fondamentaux ou comporte d'autres vices graves (al. 2). Ces motifs d'entrée en
matière ne sont toutefois pas exhaustifs et le Tribunal fédéral peut être
appelé à intervenir lorsqu'il s'agit de trancher une question juridique de
principe ou lorsque l'instance précédente s'est écartée de la jurisprudence
suivie jusque-là (ATF 133 IV 215 consid. 1.2 p. 218). En vertu de l'art. 42 al.
2 LTF, il incombe au recourant de démontrer que les conditions d'entrée en
matière posées à l'art. 84 LTF sont réunies (ATF 133 IV 131 consid. 3 p. 132).

1.1.1 En l'occurrence, l'arrêt attaqué ne porte pas directement sur la
transmission de renseignements touchant le domaine secret. Toutefois, le risque
évoqué à la fois par le recourant et par la Cour des plaintes se rapporte bien
à une telle transmission prématurée. Dans un tel cas, la jurisprudence (rendue
sous l'empire de l'ancienne loi fédérale d'organisation judiciaire mais qu'il y
a lieu de confirmer en application de la LTF) considère que le recours immédiat
est possible, comme le prévoit l'art. 80e al. 2 let. b EIMP en cas
d'intervention d'enquêteurs étrangers (ATF 127 II 198 consid. 2b p. 204; cf.
également arrêt 1C_596/2012 du 28 novembre 2012 excluant le recours lorsque des
précautions suffisantes sont prises à cet égard).
L'art. 93 al. 2 LTF exclut certes le recours contre toutes les décisions
incidentes (à l'exception des décisions de saisie, aux conditions de l'art. 93
al. 1 LTF). Toutefois, une remise prématurée d'informations à l'étranger peut
avoir, dans son résultat, les mêmes effets qu'une décision finale. Cela
justifie un recours immédiat.

1.1.2 La présente cause porte par ailleurs sur une question de principe, dès
lors que la solution adoptée par la Cour des plaintes pour prévenir un
détournement des règles sur l'entraide judiciaire, apparaît nouvelle et se
distingue en particulier du cas où l'accès au dossier est accordé à un Etat
étranger (ATF 127 II 198). Cela justifie l'intervention d'une seconde instance
de recours.

1.2 S'agissant d'un recours en matière de droit public, la qualité pour agir du
recourant ne doit pas s'examiner sous l'angle de l'art. 81 LTF, mais de l'art.
89 LTF et des dispositions sur l'entraide judiciaire. Or, en tant que titulaire
de comptes bancaires saisis par le MPC, et au sujet desquels des renseignements
figurant dans le dossier de la procédure pénale sont susceptibles de parvenir à
la
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connaissance de l'Etat étranger, le recourant a qualité pour agir (art. 21 al.
3, 80h let. b EIMP et 9a let. a OEIMP [RS 351.11]).
Il y a donc lieu d'entrer en matière.
(...)

4. Le recourant se plaint d'une violation des art. 65a et 80d EIMP, ainsi que
du principe de proportionnalité. Il relève que dans de précédentes décisions,
un Etat étranger (la Tunisie, arrêt TPF 2012 48) s'était vu reconnaître l'accès
au dossier de procédures pénales en Suisse moyennant l'engagement de ne pas
utiliser les renseignements pour des procédures dans cet Etat, alors que dans
une autre cause, un autre Etat (l'Egypte) s'était vu opposer un refus. En
l'occurrence, la solution adoptée ne permettrait pas de prévenir le
contournement des règles de l'entraide judiciaire. Les avocats étant tenus
d'informer leur client en temps utile, de manière complète et exacte, une
obligation de maintenir le secret serait contraire aux règles sur le contrat de
mandat, ainsi qu'aux art. 12 de la loi fédérale du 23 juin 2000 sur la libre
circulation des avocats (LLCA; RS 935.61) et 27 Cst. L'engagement de
confidentialité n'aurait pas le même poids qu'une garantie étatique, s'agissant
des conséquences d'une fuite. L'intérêt de la partie plaignante à pouvoir
accéder immédiatement au dossier ne serait dès lors pas établi. La suspension
de la procédure pénale constituerait une mesure moins incisive au regard de
l'atteinte potentielle à la sphère privée.

4.1 Selon l'EIMP, l'entraide judiciaire ne peut être accordée par la Suisse,
pour autant que les conditions légales soient remplies, qu'après l'entrée en
force de l'ordonnance de clôture (art. 80d EIMP). Avant cela, aucun
renseignement, document ou information ne peut être transmis à l'Etat
requérant. L'art. 65a EIMP permet d'autoriser la présence d'enquêteurs
étrangers aux actes d'entraide et la consultation du dossier. Toutefois, cette
présence ne peut avoir pour conséquence que des faits ressortissant au domaine
secret soient portés à leur connaissance avant que l'autorité compétente ait
statué sur l'octroi et l'étendue de l'entraide (al. 3). L'autorisation
d'assister aux actes d'entraide et de consulter le dossier est soumise aux
restrictions découlant du principe de la spécialité (art. 67 al. 3 EIMP).
Lorsque l'autorité étrangère est autorisée à consulter un dossier suisse en
dehors d'une procédure d'entraide, son attention est attirée sur ces points (
art. 34 al. 2 OEIMP).

4.2 Comme le relève l'Office fédéral de la justice (OFJ), les dispositions sur
le droit d'accès au dossier dans la procédure pénale (art. 101,
BGE 139 IV 294 S. 299
107 ss CPP) doivent s'appliquer dans le respect des principes applicables en
matière d'entraide judiciaire (cf. art. 54 CPP). La jurisprudence a souligné
maintes fois ce principe, en insistant sur la nécessité d'éviter tout risque de
dévoilement intempestif d'informations en cours de procédure (cf. ATF 127 II
104 consid. 3d p. 109; ATF 125 II 238), au regard notamment des principes de la
spécialité et de la proportionnalité. Lorsque la procédure d'entraide et la
procédure pénale sont si étroitement liées qu'elles en deviennent indistinctes,
les moyens de preuve recueillis dans le cadre de la deuxième pourraient être
transmis de manière informelle, par l'un ou l'autre des participants à la
procédure pénale, avant toute décision sur la clôture de la procédure
d'entraide. L'autorité d'instruction qui conduit les deux procédures de front
doit prendre en compte les intérêts de l'une comme de l'autre. Elle doit
ménager les droits des parties à la procédure pénale (notamment le droit
d'accès au dossier découlant du droit d'être entendu), sans compromettre une
correcte exécution de la demande d'entraide judiciaire.
La jurisprudence du Tribunal fédéral considère que le droit de consulter le
dossier, en particulier lorsque la partie plaignante est un Etat, peut être
limité ou suspendu dans toute la mesure nécessaire pour préserver l'objet de la
procédure d'entraide. L'autorité d'instruction peut, lorsque cela est possible,
examiner chaque pièce du dossier pour déterminer si sa consultation est
admissible. Elle peut également suspendre le droit de consulter le dossier
jusqu'au prononcé d'une ordonnance de clôture ou en permettre l'accès au fur et
à mesure qu'elle rend des ordonnances de clôture partielle. La jurisprudence
envisage aussi la possibilité - utilisée par le TPF en d'autres occasions -
d'obtenir un engagement formel de l'Etat étranger de ne pas utiliser dans sa
propre procédure les renseignements obtenus dans le cadre de la consultation du
dossier pénal (ATF 127 II 198 consid. 4c p. 207).

4.3 En l'occurrence, il n'est pas contesté que les procédures ouvertes en
Russie (pour les infractions préalables) et en Suisse pour blanchiment d'argent
présentent une étroite connexité, dès lors notamment que les faits poursuivis
(des détournements au préjudice de la banque) et les parties sont les mêmes. Il
est également établi que la banque plaignante est très étroitement liée à
l'Etat russe: elle a été longtemps contrôlée par la ville de Moscou avant
d'être acquise par une banque russe détenue à 75 % par l'Etat, lequel a dû
engager 10 milliards d'euros en 2011 à l'occasion d'un plan de sauvetage. La
Cour des plaintes lui a ainsi reconnu un caractère "quasi-étatique" qui n'est
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pas contesté à ce stade. Pour autant, l'instance précédente relève avec raison
que la banque ne saurait être assimilée à l'Etat requérant. Dès lors, l'octroi
de garanties qui dans certains cas peut se révéler adéquat - en fonction de la
confiance que l'on peut avoir à l'égard des autorités de l'Etat concerné -
n'est en l'occurrence pas envisageable puisque que les autorités russes ne
seraient pas liées par de telles garanties et seraient a priori libres
d'utiliser tous renseignements qui pourraient leur parvenir par une autre voie
que l'entraide judiciaire, notamment par l'entremise d'une partie à la
procédure pénale (arrêt 1A.63/2004 du 17 mai 2004 consid. 2.2).

4.4 Dès lors, le risque de transmission intempestive de renseignements ne
pouvait être prévenu que par une restriction du droit d'accès au dossier.
Contrairement à ce que soutient le MPC, la seule application de la loi (accès
au dossier pénal limité à la défense des intérêts des parties à la procédure,
et application du principe de la spécialité) ne saurait prévenir les risques de
fuites de renseignements et d'utilisation incontrôlée de ceux-ci à l'étranger.
La suspension pure et simple de la procédure pénale en attente de l'issue de la
procédure d'entraide - solution évoquée par le recourant - apparaîtrait par
ailleurs manifestement contraire au principe de célérité (art. 5 CPP).
La Cour des plaintes a estimé que le droit de consulter le dossier pouvait être
limité aux deux avocats de la partie plaignante. Ceux-ci s'étaient engagés par
écrit, personnellement, formellement et sans réserve, à ne pas transmettre ni
rendre accessible à la plaignante ou à des tiers, quelque document que ce soit
issu de la procédure pénale, et ce jusqu'à décision de clôture et d'exécution
complète et définitive de la procédure d'entraide. Cet engagement, complété par
une commination au sens de l'art. 73 al. 2 CPP, permettait de concilier les
différents intérêts en présence.

4.5 Cette opinion ne peut être partagée. En dépit des engagements pris par les
avocats avec l'accord de leur cliente, ceux-ci demeurent tenus par leur devoir
de fidélité qui comprend une obligation d'information, de conseil et de
représentation inhérente au mandat d'avocat. Selon l'art. 398 al. 2 CO, le
mandataire est en effet responsable, envers le mandant, de la bonne et fidèle
exécution du mandat (cf. également art. 12 let. a LLCA). S'il ne s'oblige pas à
un résultat, il doit néanmoins, en vertu de son obligation de diligence,
entreprendre tout ce qui est propre à parvenir à ce résultat. La consultation
du dossier par les seuls avocats leur permet certes de procéder à l'analyse de
la situation. Toutefois, l'avocat s'oblige également à conseiller son
BGE 139 IV 294 S. 301
client, en lui indiquant les diverses options envisageables, les démarches
(judiciaires ou non, urgentes ou non) à accomplir et les chances et risques
liés à chaque option (BOHNET/MARTENET, Droit de la profession d'avocat, 2009,
p. 1086 ss). En l'espèce, dans la mesure où la partie plaignante estime avoir
subi divers détournements de fonds, le mandat des avocats dans la procédure
pénale s'étend nécessairement à la recherche et à la récupération desdits
fonds. En l'occurrence, la localisation des comptes bancaires et de leurs
titulaires et ayants droit constitue manifestement un élément de fait central
pour la défense de la partie plaignante. On ne voit dès lors pas comment les
avocats pourraient défendre efficacement les intérêts de cette dernière sans
lui communiquer, d'une manière ou d'une autre, des données que le dossier pénal
peut contenir à ce sujet. On ne saurait d'ailleurs écarter le risque que les
mandataires commettent involontairement des indiscrétions sur ce point. Or, il
s'agit précisément des renseignements que les autorités russes désirent obtenir
par voie d'entraide judiciaire. Dans de telles circonstances, la solution
adoptée dans la décision attaquée n'apparaît pas adéquate.

4.6 Il y a lieu par conséquent de s'en tenir aux solutions consacrées par la
jurisprudence Abacha (ATF 127 II 198): le Ministère public pourra dans un
premier temps sélectionner les pièces du dossier qui peuvent être révélées à la
plaignante sans compromettre le résultat de la procédure d'entraide. Il pourra,
le cas échéant, rendre des décisions de clôture partielle et ouvrir l'accès au
dossier au fur et à mesure de ces transmissions.