Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 139 III 60



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Urteilskopf

139 III 60

9. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit civil dans la cause A. contre X.
SA (recours en matière civile)
4A_163/2012 du 27 novembre 2012

Regeste

Wirkungen eines Gesamtarbeitsvertrags (Art. 357 OR); Gleichbehandlungsklausel;
Vertrag zugunsten Dritter (Art. 112 OR).
Auslegung einer Gleichbehandlungsklausel in einem Unternehmens-GAV als echter
Vertrag zugunsten der nicht als Gewerkschaftsmitglieder organisierten
Arbeitnehmer, die damit über ein eigenes Recht gegenüber dem Arbeitgeber
verfügen (E. 5).

Sachverhalt ab Seite 61

BGE 139 III 60 S. 61

A. X. SA est une entreprise active dans le domaine du nettoyage d'avions. Elle
a conclu deux conventions collectives de travail (ci-après: CCT) avec le
Syndicat suisse des services publics (SSP): la CCT pour le personnel mensualisé
et la CCT pour le personnel auxiliaire.
Selon l'art. 1 de la CCT pour le personnel mensualisé, celle-ci est applicable
à tout le personnel de X. SA Genève - sauf aux cadres (al. 3) - travaillant
selon des horaires irréguliers et avec un taux d'occupation d'au moins 50 %; ce
personnel reçoit un salaire mensuel (al. 1). Selon l'art. 1 de la CCT pour le
personnel auxiliaire, celle-ci s'applique à tout le personnel auxiliaire de X.
SA Genève; le personnel auxiliaire est rémunéré à l'heure.
X. SA a engagé A. comme nettoyeuse auxiliaire. A l'origine, la durée
hebdomadaire du travail était fixée à 15 heures. A partir d'une date
indéterminée, A. a été amenée à travailler environ 30 heures par semaine de
manière régulière; tel était le cas entre janvier 2004 et juin 2009.
A. a toujours été payée à l'heure. Son salaire de base ainsi que la
rémunération des heures de nuit et du dimanche ont été augmentés à chaque fois
en fonction des majorations prévues dans la CCT pour le personnel auxiliaire.
A. a adhéré au SSP le 1^er décembre 2008.

B. Par demande déposée le 21 août 2009, A. a ouvert action en paiement contre
X. SA. Elle réclamait en particulier un montant de 80'807 fr. représentant la
différence entre le salaire perçu de janvier 2004 à juin 2009 et le salaire
calculé conformément à la CCT pour le personnel mensualisé. L'employée
soutenait en effet que la CCT pour le personnel mensualisé lui était applicable
dès lors qu'elle travaillait à plus de 50 %.
Par jugement du 19 juillet 2010, le Tribunal des prud'hommes du canton de
Genève a rejeté la demande sur ce point. Statuant le 20 février 2012 sur appel
de A., la Chambre des prud'hommes de la Cour de justice du canton de Genève a
confirmé le jugement de première instance.

C. A. a interjeté un recours en matière civile.
Le Tribunal fédéral a admis le recours et renvoyé la cause à la cour cantonale
pour nouvelle décision. Dans un considérant non publié, il
BGE 139 III 60 S. 62
a reconnu tout d'abord que la recourante entrait dans le champ d'application
personnel de la CCT pour le personnel mensualisé. L'arrêt a été rendu à la
suite d'une délibération en séance publique.
(résumé)

Erwägungen

Extrait des considérants:

5. Il convient à présent d'examiner si la CCT pour le personnel mensualisé est
applicable à la relation de travail liant les parties et, en particulier, si la
recourante peut fonder sa prétention salariale sur cette convention collective
pour la période antérieure à son adhésion au syndicat.

5.1 Selon l'art. 357 al. 1 CO, les clauses normatives de la convention
collective de travail - dont notamment celles relatives au salaire - n'ont en
principe d'effet direct et impératif qu'envers les employeurs et travailleurs
qu'elles lient, c'est-à-dire les employeurs qui sont personnellement parties à
la convention, les employeurs et les travailleurs qui sont membres d'une
association contractante (art. 356 al. 1 CO), ou encore les employeurs et les
travailleurs qui ont déclaré se soumettre individuellement à la convention (
art. 356b al. 1 CO). En outre, le champ d'application de la CCT peut être
étendu par décision d'une autorité cantonale ou fédérale (art. 1 de la loi
fédérale du 28 septembre 1956 permettant d'étendre le champ d'application de la
convention collective de travail [LECCT; RS 221.215.311]); en ce cas, les
clauses conventionnelles s'appliquent également aux employeurs et travailleurs
auxquels elle est étendue. En tant qu'ils dérogent à des clauses impératives,
les accords entre employeurs et travailleurs liés par la CCT sont nuls et
remplacés par ces clauses, sauf si les dérogations sont stipulées en faveur des
travailleurs (art. 357 al. 2 CO).
Par ailleurs, un employeur, lié ou non, peut convenir avec un travailleur non
lié d'incorporer la CCT dans le contrat individuel de travail; il faut que les
parties manifestent, fût-ce tacitement, la volonté réciproque et concordante de
le faire. La CCT ne produit alors pas directement un effet normatif puisque
l'employeur conserve, en principe, la faculté de résilier le contrat de travail
et d'en conclure un nouveau qui déroge aux clauses normatives de la convention
en défaveur du travailleur. Le travailleur peut néanmoins exiger le respect de
la CCT en réclamant l'exécution des clauses de son contrat de travail qui
reprennent les dispositions conventionnelles (effets dits indirects de la CCT;
ATF 123 III 129 consid. 3c p. 135).
BGE 139 III 60 S. 63
Un autre cas de figure se présente lorsque la CCT contient une clause faisant
obligation aux employeurs liés par elle d'appliquer ses dispositions normatives
à tous leurs employés, qu'ils soient membres d'une association de travailleurs
ou non (clause d'égalité de traitement ou clause d'extension). Selon la
jurisprudence, le travailleur non organisé ne peut déduire d'une telle clause
aucune prétention civile à l'encontre de l'employeur, qui n'engage sa
responsabilité qu'envers les parties à la CCT s'il n'applique pas la clause
d'égalité de traitement (ATF 81 I 1 consid. 4 p. 3 ss; ATF 123 III 129 consid.
3 p. 131 ss). Dans le dernier arrêt cité, le Tribunal fédéral a refusé de
remettre en cause le principe posé dans le premier arrêt, lequel se fonde sur
le texte légal et sur la volonté exprimée en son temps par le législateur
fédéral (ATF 123 III 129 consid. 3b/aa p. 133); en particulier, il a rejeté
l'argument tiré de l'art. 112 al. 2 CO relatif à la stipulation pour autrui
parfaite, en précisant qu'il ne s'agissait que d'une présentation différente du
grief touchant la portée des clauses d'égalité de traitement et que, de toute
manière, une stipulation pour autrui parfaite ne conférait pas au travailleur
le droit d'actionner directement son employeur puisque que celui-ci n'est pas
une "partie" au sens de l'art. 112 al. 2 CO (même arrêt consid. 3d p. 136).

5.2 L'art. 1 al. 1 de la CCT pour le personnel mensualisé contient une clause
d'égalité de traitement en tant qu'il prévoit que la convention collective de
travail s'applique à "tout le personnel de l'entreprise", indépendamment d'une
appartenance au syndicat signataire. Contrairement aux cas envisagés dans les
deux arrêts cités plus haut (consid. 5.1), la CCT en cause est une convention
collective d'entreprise, c'est-à-dire qu'elle a été conclue par l'employeur
lui-même, et non par une association d'employeurs. Il y a lieu de rechercher
si, comme la recourante le prétend, cette circonstance a une incidence sur
l'issue de la cause.
La clause d'égalité de traitement (ou d'extension) contenue dans une CCT
s'analyse juridiquement comme une stipulation pour autrui en faveur des
travailleurs non syndiqués (PETER KREIS, Der Anschluss eines Aussenseiters an
den Gesamtarbeitsvertrag, 1973, p. 46). La stipulation pour autrui, au sens de
l'art. 112 CO, est une convention par laquelle un sujet, le stipulant, se fait
promettre par un autre, le promettant, une prestation en faveur d'un tiers, le
bénéficiaire (ATF 117 II 315 consid. 5d p. 320). L'art. 112 CO distingue la
stipulation pour autrui imparfaite (al. 1) de la stipulation pour autrui
parfaite (al. 2
BGE 139 III 60 S. 64
et 3). Dans la première, le bénéficiaire est uniquement destinataire de la
prestation et seul le stipulant peut agir contre le promettant. En revanche,
dans la seconde, stipulant et promettant accordent au tiers le droit d'exiger
directement la prestation et, le cas échéant, d'actionner le promettant (arrêt
4A_627/2011 du 8 mars 2012 consid. 3.5.1; PIERRE ENGEL, Traité des obligations
en droit suisse, 2^e éd. 1997, p. 419 s.). La stipulation pour autrui parfaite
ne se présume pas (ATF 123 III 129 consid. 3d p. 136). Elle peut résulter des
manifestations de volonté concordantes des parties ou de l'usage (art. 112 al.
2 CO; arrêt précité du 8 mars 2012 consid. 3.5.1).
Lorsqu'une CCT passée par des associations contient une clause d'extension,
celle-ci n'est pas de nature normative, mais obligationnelle (VISCHER/ALBRECHT,
Zürcher Kommentar, 4^e éd. 2006, n° 23 ad art. 356b CO; JEAN-FRITZ STÖCKLI,
Berner Kommentar, 1999, n° 16 ad art. 356b CO; ESTHER ANNAHEIM-BÜTTIKER, Die
Stellung des Aussenseiter-Arbeitnehmers im System des
Gesamtarbeitsvertragsrecht, 1990, p. 12; KREIS, op. cit., p. 47). La clause
d'extension concerne uniquement les droits et obligations des parties à la
convention. Le travailleur non lié censé bénéficier de la CCT ne dispose
d'aucun moyen direct de faire respecter la convention à son égard (stipulation
pour autrui imparfaite); il peut uniquement demander que les parties à la CCT
interviennent auprès de l'employeur lié (cf. ATF 81 I 1 consid. 4 p. 4; ATF 123
III 129 consid. 3a p. 132; VISCHER/ALBRECHT, op. cit., n° 23 ad art. 356b CO;
KREIS, op. cit., p. 47).
Il est toutefois possible, dans certains cas, que la clause d'égalité
s'interprète comme une stipulation pour autrui parfaite; le travailleur non
organisé dispose alors d'un droit propre, mais uniquement contre l'association
patronale signataire de la convention, afin qu'elle agisse auprès de son membre
(cf. ATF 123 III 129 consid. 3d p. 136; VISCHER/ALBRECHT, op. cit., n° 23 ad
art. 356b CO; STÖCKLI, op. cit., n° 16 ad art. 356b CO; KREIS, op. cit., p.
47).
Lorsque la clause d'extension figure dans une convention collective
d'entreprise, le promettant n'est pas une association d'employeurs, mais bien
l'employeur lui-même. Si la volonté des parties à la convention est d'accorder
un droit propre au travailleur non syndiqué, rien n'empêche ce dernier, en ce
cas, d'agir directement contre l'employeur pour obtenir le respect de la CCT
(cf. VISCHER/ALBRECHT, op. cit., n° 23 ad art. 356b CO; THOMAS GEISER, Probleme
des Gesamtarbeitsvertragsrechts in der Schweiz, ARV/DTA 2004 p. 139).
BGE 139 III 60 S. 65

5.3 Pour déterminer si la stipulation pour autrui contient un droit en faveur
du tiers bénéficiaire, il y a lieu d'interpréter avant tout la volonté des
parties, ce qui suppose de prendre en considération toutes les circonstances de
l'espèce, dont en particulier les termes utilisés (GONZENBACH/ZELLWEGER/
GUTKNECHT, in Basler Kommentar, Obligationenrecht, vol. I, 5^e éd. 2012, n° 9
ad art. 112 CO).
En l'espèce, la CCT pour le personnel mensualisé indique clairement qu'elle
s'applique sans réserve à tout le personnel de l'entreprise remplissant les
conditions posées, cadres mis à part (art. 1). En outre, l'art. 5 al. 1 CCT
prévoit le prélèvement d'une participation aux frais d'exécution de la
convention collective sur les salaires de tous les travailleurs soumis à ladite
convention, étant précisé que cette participation sera restituée par le
syndicat signataire aux salariés membres de l'association (art. 5 al. 3 CCT).
Les travailleurs non organisés participent donc à la même hauteur que les
employés syndiqués aux frais d'exécution de la CCT. Enfin, l'art. 14 al. 2 CCT
prévoit que la convention et ses annexes font partie intégrante du contrat de
travail. Il faut y voir la volonté des parties à la convention collective de
n'opérer aucune distinction entre travailleurs syndiqués et non syndiqués et,
en particulier, de leur accorder les mêmes droits. Il s'ensuit que la clause
d'égalité de traitement figurant dans la CCT pour le personnel mensualisé doit
être interprétée comme une stipulation pour autrui parfaite en faveur des
travailleurs non syndiqués qui remplissent les conditions personnelles mises à
l'application de la convention.

5.4 Avant le 1^er décembre 2008, la recourante n'était pas membre du SSP. Comme
on l'a vu (consid. 4.3 non publié), elle entre par ailleurs dans le champ
d'application personnel de la CCT pour le personnel mensualisé. Pour la période
de janvier 2004 à novembre 2008, elle dispose en principe envers l'intimée
d'une prétention salariale fondée sur ladite convention en vertu d'une
stipulation pour autrui parfaite.
Cependant, d'après les constatations de la cour cantonale, les parties ont
manifesté tacitement leur volonté réciproque et concordante d'incorporer la CCT
pour le personnel auxiliaire dans le contrat de travail individuel. Il convient
à présent d'examiner l'éventuelle incidence de cette incorporation.
Le travailleur non lié qui peut se prévaloir d'une CCT à la suite d'une
incorporation de la convention dans le contrat de travail dispose d'une
obligation de nature contractuelle (cf. consid. 5.1). Invoquant l'art. 357
BGE 139 III 60 S. 66
al. 2 CO, la recourante voudrait que cet accord des parties soit écarté au
bénéfice de la CCT pour le personnel mensualisé. Selon la disposition
susmentionnée, les accords entre employeur et travailleur liés par la
convention qui dérogent à des clauses impératives de celle-ci sont nuls et
remplacés par ces clauses, sauf si les dérogations sont stipulées en faveur du
travailleur (principe de la clause la plus favorable; cf. STREIFF/VON KAENEL/
RUDOPLH, Arbeitsvertrag: Praxiskommentar zu Art. 319-362 OR, 7^e éd. 2012, n° 3
ad art. 357 CO p. 1467). On peut se demander si le travailleur non syndiqué
dont les droits découlent d'une stipulation pour autrui parfaite est lié au
sens de l'art. 357 al. 2 CO. La réponse à cette question importe toutefois peu.
En effet, s'il ne s'applique pas directement, l'art. 357 al. 2 CO s'applique du
moins par analogie. En effet, en vertu des règles de la bonne foi (art. 2 al. 1
CC), l'employeur ne peut pas, par une stipulation pour autrui parfaite,
accorder aux travailleurs non organisés des droits tirés d'une convention
collective et, par ailleurs, limiter ces droits par le biais d'un accord
contractuel, par exemple en incorporant au contrat de travail les dispositions
moins favorables d'une autre convention.
Il s'ensuit que la recourante peut fonder ses prétentions salariales pour la
période de janvier 2004 à novembre 2008 sur la CCT pour le personnel
mensualisé.

5.5 Il en va a fortiori de même pour la période de décembre 2008 à juin 2009,
pendant laquelle la recourante était liée par la CCT pour le personnel
mensualisé en tant que membre du syndicat signataire.