Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 134 I 214



Urteilskopf

134 I 214

25. Extrait de l'arrêt de la Cour de droit pénal dans la cause X. et consorts
contre Grand Conseil du canton de Genève (recours en matière de droit public)
6C_1/2008 du 9 mai 2008

Regeste

Art. 27 BV; Wirtschaftsfreiheit; Bettelei. Die Ausübung der Bettelei wird durch
Art. 27 BV nicht gewährleistet (E. 3).

Regeste

Art. 10 Abs. 2 BV; Recht auf persönliche Freiheit; Bettelei. Die Bettelei fällt
unter den Schutzbereich des Grundrechts der persönlichen Freiheit im Sinne von
Art. 10 Abs. 2 BV (E. 5.3).

Regeste

Art. 10 Abs. 2 und Art. 36 Abs. 1-3 BV; Art. 11A Abs. 1 des Gesetzes des
Kantons Genf vom 30. November 2007 betreffend Änderung des Strafgesetzes des
Kantons Genf vom 17. November 2006; Verbot der Bettelei; Vereinbarkeit mit dem
Grundrecht der persönlichen Freiheit. Das in einem kantonalen formellen Gesetz
geregelte Verbot der Bettelei beruht auf einer ausreichenden gesetzlichen
Grundlage (E. 5.5). Eine Reglementierung der Bettelei rechtfertigt sich durch
das öffentliche Interesse an der Eindämmung der Gefahren, die sich aus der
Bettelei für die öffentliche Ordnung, Sicherheit und Ruhe ergeben können, sowie
zum Schutz namentlich der Kinder und im Kampf gegen menschliche Ausbeutung (E.
5.6). Das Verbot der Bettelei ist im konkreten Fall verhältnismässig (E. 5.7).

Sachverhalt ab Seite 215

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Le 30 novembre 2007, le Grand Conseil du canton de Genève a adopté une loi,
sous-intitulée mendicité et numérotée 10106, modifiant la loi pénale genevoise
du 17 novembre 2006, par laquelle il a notamment introduit dans cette dernière
un nouvel article 11A, dont l'alinéa 1 dispose que "celui qui aura mendié sera
puni de l'amende". La loi ainsi adoptée (ci-après: loi n° 10106) a été publiée
dans la Feuille d'avis officielle du canton de Genève du 10 décembre 2007, en
vue de l'exercice du droit de référendum. Ce dernier, dont le délai venait à
échéance le 21 janvier 2008, n'ayant pas été utilisé, la loi n° 10106 a été
promulguée par le Conseil d'Etat le 28 janvier 2008, son entrée en vigueur
étant fixée au 29 janvier 2008.
Par acte remis à la poste le 24 janvier 2008, X., Y. et Z. forment un recours
en matière de droit public au Tribunal fédéral contre la loi n° 10106.
Invoquant une violation des art. 27, 7 et 10 Cst. ainsi que de l'art. 8 CEDH,
elles concluent à l'annulation de l'art. 11A al. 1 de cette loi.
Le Grand Conseil genevois conclut au rejet du recours.

Auszug aus den Erwägungen:

Extrait des considérants:

3. La liberté économique est garantie par l'art. 27 Cst., qui précise qu'elle
comprend notamment le libre choix de la profession, le libre accès à une
activité économique lucrative privée et son libre
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exercice. Cette garantie protège toute activité économique privée, exercée à
titre professionnel et tendant à la production d'un gain ou d'un revenu (ATF
130 I 26 consid. 4.1 p. 40; ATF 128 I 19 consid. 4c/aa p. 29, ATF 128 I 92
consid. 2a p. 94/95 et les arrêts cités).
Au vu de cette définition, la mendicité ne constitue manifestement pas une
activité protégée par l'art. 27 Cst. Elle se résume à solliciter une aide,
généralement financière, sans contre-prestation. Il ne s'agit en aucun cas
d'une activité à caractère lucratif, soit d'une activité par laquelle une
personne, physique ou morale, participe, par l'engagement de sa force de
travail et de son capital, aux échanges économiques, en vue de fournir des
services ou de créer des produits, moyennant des contre-prestations (cf. ATF
115 V 161 consid. 9a p. 170/171). En tant qu'il sanctionne la mendicité, l'acte
attaqué ne viole donc pas la liberté économique. Le grief doit dès lors être
rejeté.
(...)

5. Selon l'art. 10 al. 2 Cst., tout être humain a droit à la liberté
personnelle, notamment à l'intégrité physique et psychique et à la liberté de
mouvement.

5.1 Le droit à la liberté personnelle est une garantie large, qui inclut toutes
les libertés élémentaires dont l'exercice est nécessaire à l'épanouissement de
la personne humaine et dont devrait disposer tout être humain afin que la
dignité humaine ne soit pas atteinte par le biais de mesures étatiques (ATF 133
I 110 consid. 5.2 p. 119 et les arrêts cités). Le caractère disparate de
l'abondante casuistique à laquelle a donné lieu cette garantie a fait ressortir
que sa portée ne peut être définie de manière générale, mais doit être
déterminée de cas en cas, en tenant compte des buts de la liberté, de
l'intensité de l'atteinte qui y est portée ainsi que de la personnalité de ses
destinataires (ATF 133 I 110 consid. 5.2.2 p. 120).

5.2 En disposant que "celui qui aura mendié sera puni de l'amende", l'art. 11A
al. 1 de la loi n° 10106 rend la mendicité illicite et revient donc à
l'interdire. La question est donc de savoir si une telle interdiction constitue
une atteinte à la liberté personnelle et, dans l'affirmative, si cette atteinte
représente une restriction admissible de cette liberté.

5.3 Le fait de mendier consiste à demander l'aumône, à faire appel à la
générosité d'autrui pour en obtenir une aide, très généralement sous la forme
d'une somme d'argent. Ses causes et ses buts
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peuvent être divers. Le plus souvent, il a toutefois son origine dans
l'indigence de la personne qui mendie, parfois aussi de ses proches, et vise à
remédier à une situation de dénuement. Ainsi défini, le fait de mendier, comme
forme du droit de s'adresser à autrui pour en obtenir de l'aide, doit
manifestement être considéré comme une liberté élémentaire, faisant partie de
la liberté personnelle garantie par l'art. 10 al. 2 Cst.

5.4 A l'instar de tout autre droit fondamental, la liberté personnelle n'a pas
une valeur absolue. Une restriction de cette garantie est admissible, si elle
repose sur une base légale, qui, en cas d'atteinte grave, doit être prévue dans
une loi au sens formel (ATF 132 I 229 consid. 10.1 p. 242), si elle est
justifiée par un intérêt public ou par la protection d'un droit fondamental
d'autrui et si elle respecte le principe de la proportionnalité (art. 36 al.
1-3 Cst.; ATF 133 I 27 consid. 3.1 p. 28/29; ATF 130 I 65 consid. 3.1 p. 67 et
les arrêts cités).

5.5 Il est à juste titre incontesté que l'interdiction de mendier découlant de
la disposition litigieuse, qui figure dans une loi, repose sur une base légale
suffisante.

5.6 L'autorité intimée expose que l'interdiction de la mendicité a été voulue
en vue de sauvegarder l'ordre public ainsi que d'assurer la sécurité et la
tranquillité publiques, mais aussi dans un but préventif. En substance, elle
explique que la libéralisation récente de la mendicité dans le canton de Genève
a eu pour effet que celle-ci, qui est interdite dans de nombreux autres
cantons, s'y est développée dans des proportions préoccupantes et que la
disposition litigieuse vise à éviter les conséquences négatives de cette
situation, notamment la sollicitation et le harcèlement systématiques de la
population.
On ne saurait nier que la mendicité peut entraîner des débordements, donnant
lieu à des plaintes, notamment de particuliers importunés et de commerçants
inquiets de voir fuir leur clientèle, et incitant les autorités, légitimement
soucieuses de préserver l'ordre public, à réagir. Il n'est en effet pas rare
que des personnes qui mendient adoptent une attitude insistante, voire
harcèlent les passants. Il est par ailleurs fréquent que ceux qui se livrent à
la mendicité s'installent à proximité de stations de paiement, notamment de
bancomats et de postomats, ou d'autres lieux de passage quasi-obligé pour de
très nombreuses personnes, tels que les entrées de supermarchés, les gares ou
d'autres édifices publics. Ces comportements,
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lorsqu'ils deviennent habituels, ce qui n'a rien d'exceptionnel, sont de nature
à provoquer des réactions plus ou moins virulentes, allant du rejet ou de
l'agacement à la réprobation ouverte, voire à l'agressivité. Maintes personnes
les ressentent comme une forme de contrainte ou du moins comme une pression,
qui les incitent à une attitude d'évitement, si ce n'est à des manifestations
d'intolérance. Lorsque le phénomène augmente en intensité - et il n'y a à cet
égard pas de raison de douter de l'importante affluence évoquée par l'autorité
intimée, qui a, précisément pour ce motif, adopté la disposition litigieuse -,
ses conséquences négatives s'accroissent d'autant et il existe alors le risque
de réactions de plus en plus virulentes, susceptibles de dégénérer. On ne peut
non plus perdre de vue les incidences socio-économiques d'une augmentation du
phénomène.
Sous l'angle de l'intérêt public, il faut encore relever qu'il n'est
malheureusement pas rare que des personnes qui mendient soient en réalité
exploitées dans le cadre de réseaux qui les utilisent à leur seul profit et
qu'il existe en particulier un risque réel que des mineurs, notamment des
enfants, soient exploités de la sorte, ce que l'autorité a le devoir d'empêcher
et de prévenir.
Dans ces conditions, il existe un intérêt public certain à une réglementation
de la mendicité, en vue de contenir les risques qui peuvent en résulter pour
l'ordre, la sécurité et la tranquillité publics, que l'Etat a le devoir
d'assurer, ainsi que dans un but de protection, notamment des enfants, et de
lutte contre l'exploitation humaine.

5.7 Pour qu'une restriction d'un droit fondamental soit conforme au principe de
la proportionnalité, il faut qu'elle soit apte à atteindre le but visé, que ce
dernier ne puisse être atteint par une mesure moins incisive et qu'il existe un
rapport raisonnable entre les effets de la mesure sur la situation de la
personne visée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF
132 I 229 consid. 11.3 p. 246; ATF 129 I 12 consid. 9.1 p. 24; ATF 128 I 92
consid. 2b p. 95 et les arrêts cités).

5.7.1 Une restriction du droit de mendier est incontestablement apte à
atteindre le but d'intérêt public visé.

5.7.2 Se pose encore la question de savoir si, pour parvenir à ce but, une
interdiction totale de la mendicité est nécessaire ou si une mesure moins
incisive ne serait pas suffisante.
Le recours évoque d'abord la possibilité d'une limitation géographique ou/et
temporelle de la mendicité, qui pourrait être interdite
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dans certains lieux, voire, en sus, à certaines occasions, ainsi durant les
fêtes de Genève. Il est toutefois plus que probable qu'une telle solution ne
ferait que déplacer le problème. Dans la mesure où la mendicité elle-même ne
serait pas interdite, le nombre de personnes qui s'y adonnent ne diminuerait
pas ou que faiblement. Il en résulterait une concentration de la mendicité dans
les zones où elle serait tolérée, ce qui aurait pour effet d'en accroître les
conséquences négatives dans ces zones et pour la population qui y réside. Il
n'en irait pas différemment si la pratique de la mendicité devait simplement
être exclue en des endroits précis, par exemple devant les banques ou les
bancomats, les bureaux de poste ou les postomats, les autres édifices publics
ou les supermarchés. Dans ce cas, on assisterait à une concentration de la
mendicité à proximité de tels lieux, aux limites du périmètre où elle serait
interdite. Le problème se trouverait ainsi reporté de quelques dizaines de
mètres ou sur une autre frange de la population. Il existerait par ailleurs le
risque que des personnes qui mendient s'installent à l'entrée d'immeubles
locatifs, où leur présence régulière, voire constante, pourrait rapidement ne
plus être tolérée par les habitants de ces immeubles. Quant à une limitation
simplement temporelle de la mendicité, telle que son interdiction durant la
période des fêtes de Genève, elle serait manifestement insuffisante pour
atteindre le but d'intérêt public visé.
Le recours mentionne par ailleurs la possibilité de soumettre la mendicité à
une autorisation. Il est cependant évident que la plupart, voire la grande
majorité, des personnes qui s'adonnent à la mendicité, ainsi les étrangers de
passage ou en situation illégale, ne pourraient bénéficier d'une autorisation,
que bien d'autres ne seraient pas en mesure d'assumer les frais d'une patente
et que d'autres encore préféreraient ne pas la solliciter. La mendicité se
trouverait ainsi, de fait, interdite dans une mesure qui, en définitive, ne
serait pas très éloignée d'une interdiction pure et simple. La solution évoquée
serait en outre susceptible d'engendrer des inégalités entre les personnes
voulant pratiquer la mendicité.
On pourrait éventuellement songer à une solution consistant à interdire, non
pas la mendicité elle-même, mais certaines manières de la pratiquer, telles que
le harcèlement ou les comportements insistants. Une telle solution apparaît
cependant largement illusoire. On voit mal que ceux qui seraient chargés de
faire respecter une telle interdiction puissent assumer cette tâche sans
surveiller en quasi-permanence les personnes qui s'adonnent à la mendicité,
afin de
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s'assurer qu'elles s'abstiennent de tels comportements. Le peu d'efficience
d'un tel contrôle risquerait de vider largement semblable interdiction de sa
substance. Le recours ne propose du reste pas de limiter la mendicité de la
sorte.
A titre subsidiaire, il faut relever que les autorités locales, en l'occurrence
les autorités genevoises, sont mieux à même d'apprécier la situation concrète,
en particulier l'ampleur de la mendicité sur leur territoire, ses incidences et
l'efficacité des mesures à prendre pour atteindre le but d'intérêt public visé.
Dans une certaine mesure, la question revêt en outre une dimension politique,
comme le montrent notamment le ton nourri des débats lors de l'adoption de
l'acte attaqué par le Grand Conseil genevois et la polémique qui l'a précédée.
Même s'il dispose d'un libre pouvoir d'examen, le Tribunal fédéral, en pareil
cas, s'impose une certaine réserve et n'intervient qu'avec retenue. Or, après
qu'il ait été renoncé à réprimer la mendicité, le Grand Conseil genevois a
majoritairement estimé que la situation engendrée par cette renonciation et les
impératifs de l'ordre public justifiaient de la sanctionner à nouveau, donc de
l'interdire.
Sur le vu de ce qui précède, on ne voit pas qu'une mesure moins incisive que
celle qui a été adoptée permette de parvenir efficacement au but d'intérêt
public visé, les solutions envisageables apparaissant insuffisantes.

5.7.3 L'art. 12 Cst., dont peuvent se prévaloir aussi bien les étrangers que
les ressortissants suisses, confère à quiconque est dans une situation de
détresse et n'est pas en mesure de subvenir à son entretien le droit d'être
aidé et assisté et de recevoir les moyens indispensables pour mener une
existence conforme à la dignité humaine. Dans le canton de Genève, ce principe
a trouvé une concrétisation dans la loi du 22 mars 2007 sur l'aide sociale
individuelle (LASI; RSG J 4 04), entrée en vigueur le 19 juin 2007, qui
garantit à toute personne majeure qui en fait la demande de pouvoir bénéficier
d'un accompagnement social (art. 5 al. 1 LASI) et à toute personne qui n'est
pas en mesure de subvenir à son entretien ou à celui des membres de la famille
dont elle a la charge de bénéficier de prestations d'aide financière (art. 8
LASI), dont peuvent aussi bénéficier, bien qu'à des conditions plus
restrictives, les personnes étrangères sans autorisation de séjour (art. 11 al.
3 LASI). Dans la pratique, ces dispositions, qui ont notamment pour but
d'éviter que des personnes
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doivent recourir à la mendicité, ont conduit à la mise en place d'un filet
social. On est fondé à en déduire que, pour la très grande majorité des
personnes qui s'y livrent, l'interdiction de la mendicité ne les priverait pas
du minimum nécessaire, mais d'un revenu d'appoint, même si des exceptions
restent toujours possibles. Dans ces conditions, on ne saurait dire que les
effets d'une interdiction de la mendicité sur la situation des personnes visées
seraient tels qu'ils ne seraient plus dans un rapport raisonnable avec le
résultat escompté du point de vue de l'intérêt public.

5.8 Il découle de ce qui précède, que l'interdiction de la mendicité résultant
de la disposition litigieuse repose sur une base légale suffisante, qu'elle est
justifiée par un intérêt public et qu'elle respecte le principe de la
proportionnalité. Elle constitue donc une restriction admissible de la garantie
de la liberté personnelle. Le grief doit dès lors être rejeté.