Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 133 III 462



Urteilskopf

133 III 462

  58. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit civil dans la cause X.
contre Réseau hospitalier fribourgeois (recours en matière civile)
  4A_61/2007 du 13 juin 2007

Regeste

  Haftung des Staates für die Tätigkeit von Spitalärzten; Rechtsweg;
entgangene Chance.

  Die Beschwerde in Zivilsachen steht offen gegen in Anwendung von
kantonalem öffentlichem Recht ergangene Entscheide über die
Verantwortlichkeit des Gemeinwesens für rechtswidrige Handlungen von in
öffentlichen Spitälern angestellten Ärzten (Art. 72 Abs. 2 lit. b BGG; Art.
31 Abs. 1 lit. d BGerR; E. 2.1).

  Die Übernahme der Theorie der entgangenen Chance in das schweizerische
Recht erscheint mindestens problematisch. Die Ablehnung dieser Theorie
stellt insofern keine willkürliche Anwendung des kantonalen Rechts über die
Verantwortlichkeit des Staates für medizinische Tätigkeiten dar (E. 3 und
4).

Sachverhalt

  A.

  A.a Le 22 décembre 1995, vers 3 heures 30, X. s'est présenté au service
des urgences de l'Hôpital cantonal de Fribourg (ci-après: l'Hôpital
cantonal). Il souffrait de céphalées violentes, aiguës et persistantes
malgré la prise de six aspirines, ainsi que de nausées, vomissements et
douleurs abdominales au niveau épigastrique. Le médecin assistant de garde
qui a examiné X. a posé le diagnostic d'un état grippal et d'une sensibilité
épigastrique probablement due à l'absorption des analgésiques. Il a
administré au patient des médicaments antidouleur.

  Vers 6 heures 30, incommodé par le bruit qui régnait dans le service des
urgences et estimant n'être pas pris en charge correctement, X. a émis le
souhait de rentrer chez lui et déclaré qu'il allait mieux. Le médecin
assistant ne s'est pas opposé au départ du patient, mais lui a conseillé de
consulter son médecin traitant dans la matinée.

  A 9 heures 55, X. a été réadmis en urgence à l'Hôpital cantonal; il se
trouvait dans un état stuporeux. Le diagnostic de méningite bactérienne à
pneumocoques a été rapidement établi. Un traitement par antibiotiques a été
entrepris sans délai. L'évolution de la maladie s'est caractérisée par des
complications neurologiques et cardio-vasculaires sévères, nécessitant une
réanimation neurologique, respiratoire et cardiaque prolongée. X. est sorti
du coma le 28 décembre 1995; il est resté hospitalisé jusqu'au 8 février
1996. A l'heure actuelle, il souffre de séquelles neurologiques, sous forme
d'une surdité bilatérale totale sur lésion bilatérale de l'oreille interne.

  A.b A la suite d'une plainte de X., une procédure pénale a été ouverte
contre le médecin assistant qui avait reçu le patient lors de sa première
admission aux urgences. Le Juge d'instruction a ordonné une expertise
judiciaire. Selon le rapport établi par des médecins de l'Institut de
médecine légale de l'Université de Lausanne, l'état du patient n'a pas été
apprécié conformément aux règles de l'art et le médecin assistant a commis
une faute, qui n'est toutefois pas dans un lien de causalité avec les
séquelles neurologiques subies par X. Les experts précisaient à cet égard
que la méningite en cause comportait en elle-même un risque élevé de
mortalité et de séquelles neurologiques; il était ainsi impossible
d'affirmer dans le cas particulier

que la prescription plus précoce d'antibiotiques aurait permis d'éviter les
séquelles neurologiques que présentait le patient.

  Le 18 novembre 1997, le Juge d'instruction a rendu une ordonnance de
non-lieu. X. a recouru contre cette ordonnance. A cette occasion, il a
produit une contre-expertise privée établie par un professeur de la faculté
de médecine de Rouen, également chef de la clinique neurologique du Centre
hospitalier universitaire de ladite ville. D'après l'expert privé, le
médecin assistant a méconnu le diagnostic de méningite à pneumocoques; le
retard dans le diagnostic et, partant, dans le traitement de la maladie a
provoqué pour X. une perte de chance réelle, en augmentant le risque de
complications, en particulier de surdité.

  Par arrêt du 14 mai 1999, la Chambre pénale du Tribunal cantonal du canton
de Fribourg a rejeté le recours de X. Ce dernier a interjeté un recours de
droit public au Tribunal fédéral, qui l'a rejeté en date du 30 septembre
1999 (arrêt 1P.383/1999).

  A.c Par requête du 23 décembre 1996, X. avait présenté à l'Hôpital
cantonal ses prétentions, qu'il chiffrait à 2'875'041 fr. D'entente entre
les parties, cette procédure avait été suspendue jusqu'à droit connu dans la
procédure pénale.

  L'Hôpital cantonal a rejeté les prétentions de X. dans une décision du 19
octobre 2001.

  B.- Le 19 avril 2002, X. a déposé une action de droit administratif,
concluant à ce que l'Hôpital cantonal soit condamné à lui verser un montant
à arrêter à dire d'expert sur la base d'un préjudice total de 2'916'042 fr.,
avec intérêts à 5 % dès le 22 décembre 1996. L'Hôpital cantonal a conclu au
rejet de l'action.

  Le 1er janvier 2007, la loi du 27 juin 2006 concernant le Réseau
hospitalier fribourgeois (LRHF; RSF 822.0.1) est entrée en vigueur. Elle a
abrogé la loi sur l'Hôpital cantonal. Le Réseau hospitalier fribourgeois
(ci-après: RHF) est un établissement de droit public doté de la personnalité
juridique, qui réunit les structures hospitalières publiques existant dans
le canton de Fribourg, dont l'Hôpital cantonal, à l'exception de l'Hôpital
psychiatrique.

  Par arrêt du 12 février 2007, la Ire Cour administrative du Tribunal
administratif du canton de Fribourg a d'abord constaté que le RHF avait
succédé à l'Hôpital cantonal dans la procédure ouverte contre celui-ci, puis
a rejeté l'action introduite par X. En substance, l'autorité

cantonale a laissé ouverte la question de l'illicéité du comportement
reproché au médecin assistant; elle a retenu en effet qu'un lien de
causalité naturelle entre l'acte illicite invoqué et le dommage subi par le
patient n'était pas établi avec une haute vraisemblance, ce qui excluait la
responsabilité du RHF.

  C.- X. (le demandeur) a interjeté un "recours en matière de droit public".

  Le RHF (le défendeur) a proposé le rejet du recours dans la mesure où
celui-ci était recevable.

Auszug aus den Erwägungen:

                        Extrait des considérants:

Erwägung 2

  2.  Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des
recours qui lui sont soumis (cf. ATF 132 I 140 consid. 1.1 p. 142; 132 III
291 consid. 1 p. 292).

  2.1  Le litige porte sur la responsabilité d'un hôpital public envers un
patient pour les actes d'un médecin, employé de l'établissement. Selon la
jurisprudence, les soins dispensés aux malades dans les hôpitaux publics ne
se rattachent pas à l'exercice d'une industrie (cf. art. 61 al. 2 CO), mais
relèvent de l'exécution d'une tâche publique (ATF 122 III 101 consid. 2a/aa
p. 104). En vertu de la réserve facultative prévue à l'art. 61 al. 1 CO, les
cantons sont donc libres de soumettre au droit public cantonal la
responsabilité des médecins engagés dans un hôpital public, pour le dommage
ou le tort moral qu'ils causent dans l'exercice de leur charge (même arrêt,
consid. 2a/bb p. 104/105). Le canton de Fribourg a fait usage de cette
possibilité. La responsabilité de l'Hôpital cantonal - actuellement du RHF -
pour le préjudice que ses employés causent de manière illicite à autrui dans
l'exercice de leurs fonctions est régie par la loi fribourgeoise du 16
septembre 1986 sur la responsabilité civile des collectivités publiques et
de leurs agents (LResp/FR; RSF 16.1; actuellement, art. 41 LRHF).

  Même si le droit public (cantonal) est applicable à la responsabilité du
défendeur, il n'en demeure pas moins que la matière est connexe au droit
civil. Rendu en application de normes de droit public dans une matière
connexe au droit civil, l'arrêt attaqué peut faire l'objet d'un recours en
matière civile, conformément à l'art. 72 al. 2 let. b de la loi du 17 juin
2005 sur le Tribunal fédéral (LTF; RS 173.110). Cette analyse est confirmée
par l'art. 31 al. 1 let. d du règlement du Tribunal fédéral (RTF; RS
173.110.131), qui attribue à la première

Cour de droit civil du Tribunal fédéral les recours en matière civile
relatifs à la responsabilité de l'Etat pour les activités médicales.

  Le demandeur a intitulé son mémoire "recours en matière de droit public".
Cette écriture sera convertie d'office en recours en matière civile, dans la
mesure où elle en remplit les autres conditions de recevabilité (cf., sous
l'ancien droit de procédure, ATF 131 III 268 consid. 6 p. 279).

  2.2  Interjeté par la partie qui a succombé dans ses conclusions en
paiement (art. 76 al. 1 LTF) et dirigé contre une décision finale (art. 90
LTF) rendue par une autorité cantonale de dernière instance (art. 75 al. 1
LTF) dans une affaire pécuniaire dont la valeur litigieuse atteint le seuil
de 30'000 fr. (art. 74 al. 1 let. b LTF), le recours est en principe
recevable, puisqu'il a été déposé dans le délai (art. 100 al. 1 LTF) et la
forme (art. 42 LTF) prévus par la loi.

  2.3  Le recours peut être interjeté pour violation du droit suisse tel
qu'il est délimité à l'art. 95 LTF, soit le droit fédéral (let. a), y
compris le droit constitutionnel, le droit international (let. b), les
droits constitutionnels cantonaux (let. c), les dispositions cantonales sur
le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations
populaires (let. d) et le droit intercantonal (let. e). Sauf dans les cas
cités expressément à l'art. 95 LTF, le recours ne peut pas être formé pour
violation du droit cantonal en tant que tel. En revanche, il est toujours
possible de faire valoir que la mauvaise application du droit cantonal
constitue une violation du droit fédéral, en particulier qu'elle est
arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. ou contraire à d'autres droits
constitutionnels (Message du 28 février 2001 concernant la révision totale
de l'organisation judiciaire fédérale, FF 2001 p. 4133). A cet égard, le
Tribunal fédéral n'examinera le moyen fondé sur la violation d'un droit
constitutionnel que si le grief a été invoqué et motivé de manière précise
(art. 106 al. 2 LTF).

  2.4  Le Tribunal fédéral conduit son raisonnement juridique sur la base
des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut
s'en écarter que si les faits ont été établis de façon manifestement
inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2
LTF). Le recourant qui entend contester les constatations de l'autorité
précédente doit expliquer de manière circonstanciée en quoi les conditions
de l'exception prévue par l'art. 105 al. 2 LTF sont réalisées, faute de quoi
il n'est pas possible de tenir compte d'un état de fait qui diverge de celui
contenu dans la décision

attaquée (cf. ATF 130 III 138 consid. 1.4 p. 140). Aucun fait nouveau ni
preuve nouvelle ne peut être présenté à moins de résulter de la décision de
l'autorité précédente (art. 99 al. 1 LTF).

  2.5  Enfin, le Tribunal fédéral ne peut aller au-delà des conclusions des
parties (art. 107 al. 1 LTF). Toute conclusion nouvelle est irrecevable
(art. 99 al. 2 LTF).

Erwägung 3

  3.

  3.1  Le Tribunal administratif a rejeté les conclusions du demandeur
tendant à l'octroi de dommages-intérêts calculés en fonction de la perte
d'une chance. Partant, il a refusé d'ordonner une expertise médicale tendant
à déterminer dans quelle mesure le retard dans le traitement a diminué les
chances du patient de guérir sans séquelles.

  3.2  Le demandeur reproche à la cour cantonale d'avoir refusé de manière
arbitraire d'appliquer à son cas la théorie de la perte d'une chance. Avec
le Tribunal administratif, il admet qu'un lien de causalité naturelle entre
l'acte illicite reproché au médecin assistant et le préjudice résultant de
la surdité n'est pas établi. Il fait valoir toutefois que, dans la théorie
dont il se prévaut, la relation de causalité naturelle doit exister entre
l'acte illicite et la perte d'une chance, soit, en l'espèce, entre le retard
pris dans le traitement de la méningite et la diminution des chances du
patient de guérir sans séquelles; dans cette perspective, la perte d'une
chance ne constitue pas un aspect de la causalité, mais bien un dommage à
indemniser. S'appuyant sur l'avis de plusieurs auteurs, qu'il considère
comme majoritaires, le demandeur soutient que la théorie de la perte d'une
chance s'applique en droit suisse, même si elle n'est pas expressément
prévue dans la loi. Il fait observer également que la perte d'une chance est
indemnisée dans le domaine des marchés publics et en cas d'atteinte à
l'avenir économique. Enfin, selon le demandeur, priver le lésé du droit à
obtenir réparation de la perte d'une chance aboutit à un résultat
arbitraire; ainsi, la victime ayant perdu une chance de guérison de 60 %
obtient l'indemnisation de la totalité de son dommage alors que le patient
ayant perdu une chance de guérison de 40 % ne reçoit rien.

Erwägung 4

  4.

  4.1  Aux termes de l'art. 6 al. 1 LResp/FR, les collectivités publiques
répondent du préjudice que leurs agents causent d'une manière illicite à
autrui dans l'exercice de leurs fonctions. La responsabilité de la
collectivité publique est donc engagée lorsque les trois conditions
suivantes sont remplies: un acte illicite, un dommage et un rapport

de causalité entre ceux-ci. En abandonnant l'exigence de la faute de
l'auteur du dommage, la LResp/FR institue un régime de responsabilité
exclusive de l'Etat, de type objectif ou causal, avec la possibilité d'une
action récursoire contre l'agent gravement fautif, au sens de l'art. 11
LResp/FR. Pour le surplus, l'art. 9 LResp/FR renvoie aux dispositions du
code des obligations, applicables à titre de droit cantonal supplétif, en
particulier à la détermination du préjudice et à la fixation de l'indemnité;
dans cette mesure, il convient dès lors de se référer aux principes
régissant la responsabilité civile dans la jurisprudence fédérale.

  4.2  La question de l'acte illicite a été laissée ouverte par la cour
cantonale, qui a nié la responsabilité du défendeur en raison de l'absence
d'un lien de causalité naturelle entre l'attitude reprochée au médecin
assistant et le dommage, compris comme les séquelles subies par le
demandeur. Le Tribunal administratif s'est fondé sur l'expertise judiciaire
ordonnée dans le cadre de la procédure pénale, dont il ressortait que la
méningite à pneumocoques comportait en elle-même un risque élevé de
mortalité et de séquelles neurologiques et qu'il était impossible de dire,
dans le cas particulier, si la prescription d'antibiotiques quatre ou cinq
heures plus tôt aurait permis d'éviter la surdité dont souffre le demandeur.

  La théorie de la perte d'une chance a été développée pour tenir compte de
situations de ce genre, qui se présentent lorsque le fait générateur de
responsabilité perturbe un processus incertain pouvant produire
l'enrichissement ou l'appauvrissement de la personne concernée (LUC
THÉVENOZ, La perte d'une chance et sa réparation, in Quelques questions
fondamentales du droit de la responsabilité civile: actualités et
perspectives, Colloque du droit de la responsabilité civile 2001, Université
de Fribourg, p. 238); en d'autres termes, l'enjeu total - par exemple, la
guérison totale du malade - est aléatoire de sorte qu'il est impossible de
prouver le lien de causalité naturelle entre le fait générateur de
responsabilité et la perte de l'avantage escompté (CHRISTOPH MÜLLER, La
perte d'une chance, in La réforme du droit de la responsabilité civile, Bâle
2004, p. 171 [ci-après: op. cit. 1]; le même, La perte d'une chance, thèse
Neuchâtel 2002, n. 369 ss, p. 254/255 [ci-après: op. cit. 2]). Selon la
théorie précitée, le dommage réparable consiste dans la perte d'une chance
mesurable de réaliser un gain ou d'éviter un préjudice. Il correspond ainsi
à la probabilité pour le lésé d'obtenir ce profit ou de ne pas subir ce
désavantage (FRANZ WERRO, La responsabilité civile, n. 129, p. 35; THÉVENOZ,

op. cit., p. 241). La valeur de la chance perdue représente en principe la
valeur de l'enjeu total (par exemple, le revenu futur du patient entièrement
guéri) multipliée par la probabilité de l'obtenir, déterminée sur la base de
données statistiques (par exemple, des études médicales sur le succès d'une
méthode thérapeutique en fonction du stade de la maladie; THÉVENOZ, op.
cit., p. 241 et 255). Le lien de causalité doit exister entre le fait
imputable à l'auteur et la perte définitive de la chance, par opposition au
dommage final (MÜLLER, op. cit. 1, p. 174 et op. cit. 2, n. 404, p.
274/275).

  En pratique, cette méthode a pour conséquence de limiter la réparation à
la seule partie du dommage qui correspond au degré de probabilité avec
lequel le responsable a causé le préjudice (HERBERT SCHÖNLE, in Perte d'une
chance, Développements récents du droit de la responsabilité civile -
Colloque 1991, p. 163; cf. également PETER GAUCH, Grundbegriffe des
ausservertraglichen Haftpflichtrechts, in recht 14/1996 p. 228 et
OFTINGER/STARK, Schweizerisches Haftpflichtrecht - Allgemeiner Teil, tome I,
n. 42, p. 124). L'idée a été reprise dans l'avant-projet de loi fédérale sur
la révision et l'unification du droit de la responsabilité civile, dont
l'art. 56d al. 2 prévoit que le tribunal peut fixer l'étendue de la
réparation d'après le degré de la vraisemblance (Commentaire abrégé de
l'Office fédéral de la justice, p. 27).

  4.3  Il n'y a apparemment pas de précédent où la théorie de la perte d'une
chance aurait été invoquée devant le Tribunal fédéral. Selon certains
auteurs, un jugement zurichois, confirmé sur pourvoi en nullité cantonal,
s'en est approché dans un cas de diagnostic tardif d'un cancer (WERRO, op.
cit., n. 131, p. 35; THÉVENOZ, op. cit., p. 253; cf. également EMIL W.
STARK, Die "perte d'une chance" im schweizerischen Recht, in Développements
récents du droit de la responsabilité civile - Colloque 1991, p. 108). A y
regarder de plus près, cette décision n'est toutefois pas vraiment
révélatrice d'une tendance en faveur de la théorie de la perte d'une chance.
En effet, l'Obergericht a retenu que les chances de survie du patient
finalement décédé auraient été de 60 % s'il avait été pris en charge
correctement. Il en a conclu qu'un lien de causalité naturelle entre le
diagnostic tardif et la mort du patient existait avec une vraisemblance
prépondérante, appliquant finalement la règle jurisprudentielle habituelle
en matière de causalité naturelle (cf. consid. 4.4.2 ci-dessous). C'est lors
de la fixation de l'indemnité que l'Obergericht a tenu compte des chances de
succès du traitement limitées à 60 % en réduisant les dommages-intérêts de
40 % (jugement du 17 novembre 1988,

publié in ZR 88/1989 n. 66 p. 209; cf. également arrêt du 30 octobre 1989 du
Kassationsgericht, publié in ZR 88/1989 n. 67 p. 216).

  Les auteurs qui se sont penchés sur la théorie de la perte d'une chance se
montrent plutôt favorables à son introduction en droit suisse par la voie
prétorienne, notamment par le biais de l'art. 42 al. 2 CO (BREHM, Berner
Kommentar, n. 56a ad art. 42 CO; WERRO, op. cit., n. 131, p. 35; MÜLLER, op.
cit. 1, p. 175 et op. cit. 2, n. 548 ss, p. 372; THÉVENOZ, op. cit., p.
254/255; PIERRE ENGEL, Traité des obligations en droit suisse, 2e éd., p.
479-481).

  4.4  Il convient à présent d'examiner si la cour cantonale a fait montre
d'arbitraire en refusant d'envisager le dommage invoqué par le demandeur
sous l'angle de la perte d'une chance.

  4.4.1  En matière d'interprétation et d'application du droit cantonal, y
compris du droit fédéral appliqué à titre de droit cantonal supplétif, il ne
faut pas confondre arbitraire et violation de la loi. Une violation doit
être manifeste et reconnue d'emblée pour être considérée comme arbitraire.
Le Tribunal fédéral n'a pas à examiner quelle est l'interprétation correcte
que l'autorité cantonale aurait dû donner des dispositions applicables; il
doit uniquement se prononcer sur le caractère défendable de l'application ou
de l'interprétation du droit cantonal qui a été faite. Il n'y a pas
arbitraire du fait qu'une autre solution paraît également concevable, voire
même préférable (ATF 132 I 13 consid. 5.1 p. 18; 131 I 217 consid. 2.1 p.
219).

  4.4.2  Au préalable, il y a lieu de rappeler les définitions de la
causalité naturelle et du dommage en droit suisse de la responsabilité
civile, ainsi que les principes applicables à ces notions.

  Un fait est la cause naturelle d'un résultat s'il en constitue l'une des
conditions sine qua non (ATF 128 III 174 consid. 2b p. 177, 180 consid. 2d
p. 184; 122 IV 17 consid. 2c/aa p. 23). En d'autres termes, il existe un
lien de causalité naturelle entre deux événements lorsque, sans le premier,
le second ne se serait pas produit; il n'est pas nécessaire que l'événement
considéré soit la cause unique ou immédiate du résultat (ATF 125 IV 195
consid. 2b p. 197; 119 V 335 consid. 1 p. 337). L'existence d'un lien de
causalité naturelle entre le fait générateur de responsabilité et le dommage
est une question de fait que le juge doit trancher selon la règle du degré
de vraisemblance prépondérante. En pareil cas, l'allégement de la preuve se
justifie par le fait que, en raison de la nature même de l'affaire, une
preuve stricte n'est pas possible ou ne peut être raisonnablement exigée de
celui

qui en supporte le fardeau (ATF 133 III 81 consid. 4.2.2 p. 88; 132 III 715
consid. 3.1 p. 720; 130 III 321 consid. 3.2 p. 324 et les références).

  Pour sa part, le dommage se définit comme la diminution involontaire de la
fortune nette; il correspond à la différence entre le montant actuel du
patrimoine du lésé et le montant que ce même patrimoine aurait si
l'événement dommageable ne s'était pas produit (ATF 132 III 359 consid. 4 p.
366; 129 III 331 consid. 2.1 p. 332; 128 III 22 consid. 2e/aa p. 26; 127 III
73 consid. 4a p. 76). Il peut se présenter sous la forme d'une diminution de
l'actif, d'une augmentation du passif, d'une non-augmentation de l'actif ou
d'une non-diminution du passif (ATF 132 III 359 consid. 4 p. 366; 128 III 22
consid. 2e/aa p. 26; 127 III 543 consid. 2b p. 546).

  A teneur de l'art. 42 al. 2 CO, lorsque le montant exact du dommage ne
peut pas être établi, le juge le détermine équitablement en considération du
cours ordinaire des choses et des mesures prises par la partie lésée. Cette
disposition édicte une règle de preuve de droit fédéral dont le but est de
faciliter au lésé l'établissement du dommage. Elle s'applique aussi bien à
la preuve de l'existence du dommage qu'à celle de son étendue (ATF 122 III
219 consid. 3a p. 221 et les références). L'art. 42 al. 2 CO allège le
fardeau de la preuve, mais ne dispense pas le lésé de fournir au juge, dans
la mesure du possible, tous les éléments de fait constituant des indices de
l'existence du préjudice et permettant l'évaluation ex aequo et bono du
montant du dommage. Les circonstances alléguées par le lésé doivent faire
apparaître un dommage comme pratiquement certain; une simple possibilité ne
suffit pas pour allouer des dommages-intérêts. L'exception de l'art. 42 al.
2 CO à la règle du fardeau de la preuve doit être appliquée de manière
restrictive (ATF 122 III 219 consid. 3a p. 221; cf. également ATF 128 III
271 consid. 2b/aa p. 276/277; FRANÇOIS CHAIX, La fixation du dommage par le
juge [art. 42 al. 2 CO], in Le préjudice - une notion en devenir, Zurich
2005, p. 39 ss, n. 22; WERRO, op. cit., n. 964, p. 245; BREHM, op. cit., n.
52 ad art. 42 CO; ALFRED KELLER, Haftpflicht im Privatrecht, vol. I, 6e éd.,
p. 77).

  4.4.3  Comme déjà relevé, l'application de la théorie de la perte d'une
chance revient, en définitive, à admettre la réparation d'un préjudice en
fonction de la probabilité - quelle qu'elle soit - que le fait générateur de
responsabilité ait causé le dommage. Ainsi, en cas de soins tardifs ou
inappropriés, les ayants droit d'un patient décédé qui avait une chance sur
quatre de survivre à une maladie grave

traitée correctement à temps pourraient prétendre à l'indemnisation de 25 %
du préjudice lié au décès. Pareille conséquence ne concorde pas avec la
conception de la causalité naturelle telle que définie par la jurisprudence
citée ci-dessus (consid. 4.4.2). Dans la situation susdécrite, on saurait
difficilement retenir que l'acte reproché au médecin est, avec une
vraisemblance prépondérante, la cause naturelle de la perte de l'issue
favorable, alors qu'il est établi que la maladie aurait de toute façon
provoqué le décès du patient dans les trois quarts des cas.

  Certes, une manière de contourner cette difficulté consiste à qualifier de
dommage réparable la perte de la chance elle-même. L'assimilation d'une
chance à un élément d'un patrimoine ne se conçoit toutefois pas aisément. Il
ne suffit pas de poser qu'une chance a une valeur économique pour que tel
soit le cas. La chance ne se trouve pas dans le patrimoine actuel dès lors
qu'elle a été perdue. Mais elle ne figure pas non plus dans le patrimoine
hypothétique car, soit elle se serait transformée en un accroissement de
fortune, soit elle ne se serait pas réalisée pour des raisons inconnues. Par
nature, la chance est provisoire et tend vers sa réalisation: elle se
transmuera en un gain ou en rien. Vu son caractère dynamique ou évolutif, la
chance n'est pas destinée à rester dans le patrimoine. Or, la théorie de la
différence, applicable en droit suisse au calcul du dommage, se fonde sur
l'état du patrimoine à deux moments précis; elle ne permet ainsi pas
d'appréhender économiquement la chance perdue (MÜLLER, op. cit. 2, p. 250;
cf., en droit allemand, WALTER MÜLLER-STOY, Schadenersatz für verlorene
Chancen, thèse Freiburg im Breisgau 1973, p. 200).

  Le recours à l'art. 42 al. 2 CO préconisé par d'aucuns n'apparaît guère
plus convaincant. En effet, la faculté pour le juge, dans certains cas, de
retenir l'existence d'un dommage en équité suppose que le préjudice soit
pratiquement certain. Or, précisément, en matière de chance perdue, rien
n'est sûr et tout se pose en termes de vraisemblance et de probabilité, même
inférieure à 50 %.

  Il résulte de ce qui précède que la réception en droit suisse de la
théorie de la perte d'une chance développée notamment par la jurisprudence
française est, à tout le moins, problématique. En l'espèce, le Tribunal
administratif ne saurait se voir reprocher d'avoir manifestement méconnu les
notions juridiques de causalité et de dommage et, partant, d'avoir appliqué
le droit cantonal de manière arbitraire. Par conséquent, le recours sera
rejeté.