Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 132 I 249



Urteilskopf

132 I 249

  27. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile dans la cause X. SA contre Y.
et Cour de justice du canton de Genève (recours de droit public)
  4P.143/2006 du 11 septembre 2006

Regeste

  Art. 9 BV. Zivilprozess. Einrede der Nichtigkeit der Vorladung;
Rechtsmissbrauch.

  Die Klägerin liess die Vorladung an die Kanzlei des Anwalts des Beklagten
zustellen, als dieser dort noch kein Zustellungsdomizil gewählt hatte. Der
Beklagte erhob die Einrede der Nichtigkeit nach kantonalem Recht, obwohl er
die Vorladung erhalten hatte. Im angefochtenen Entscheid wurde die Einrede
gutgeheissen, mit der Folge, dass auf die anhängig gemachte Klage nicht
einzutreten war und der Arrest, der mit dieser prosequiert werden sollte,
dahinfiel. Dieser Entscheid ist willkürlich, da die Einrede
rechtsmissbräuchlich war.

Sachverhalt

  A.- Le 23 avril 2004, à la requête de la société française X. SA qui se
disait créancière de Y. pour le montant de 1'758'947 fr. 50, avec intérêts
au taux de 5 % par an dès le 24 janvier 2004, le juge compétent a autorisé
le séquestre des biens de toute nature qu'une banque de Genève détenait au
nom ou pour le compte du débiteur, à concurrence des valeurs précitées. Une
poursuite pour dettes fut immédiatement entreprise afin de valider cette
mesure conservatoire.

  Sans succès, par la voie de l'entraide judiciaire internationale, l'office
des poursuites a tenté de notifier le commandement de payer au domicile
présumé de Y., d'abord en France, puis aux Etats-Unis d'Amérique. La
notification est finalement intervenue par une publication dans la Feuille
d'avis officielle du canton de Genève, le 23 février 2005.

  Par lettre du 7 mars 2005, Me Z., avocat à Genève, s'est adressé à
l'office pour faire savoir que Y. le chargeait de former opposition totale
dans la poursuite.

  B.- Au greffe du Tribunal de première instance, le 22 avril 2005, X. SA a
déposé une assignation dirigée contre Y. Selon les conclusions présentées,
celui-ci devait être condamné au paiement des sommes garanties par le
séquestre. Le document indiquait l'adresse du défendeur aux Etats-Unis, là
où le commandement de payer n'avait pas pu être notifié, et il indiquait
aussi que le défendeur était représenté par Me Z., "en l'étude de qui il
[avait] élu domicile".

  L'assignation fut complétée par l'indication du jour et de l'heure de
l'audience d'introduction, qui était fixée au 15 septembre 2005, puis
signifiée à l'étude de Me Z.

  Celui-ci s'est présenté à l'audience d'introduction et s'est constitué
pour le défendeur. Avant toute autre exception ou défense, au nom de son
mandant, il a requis le tribunal de constater la nullité de l'assignation.
Il faisait valoir que le défendeur n'avait précédemment pas élu domicile
auprès de lui et que, sur ce point, le document contenait donc une
indication fausse.

  Le Tribunal de première instance a statué sur l'incident par jugement du
17 novembre 2005. Il a débouté le défendeur. Le vice de l'assignation était
incontesté. Néanmoins, cet acte était parvenu à son destinataire, lequel
avait pu prendre pleinement connaissance de la demande dirigée contre lui et
se faire représenter à l'audience d'introduction. Ses intérêts propres
étaient donc saufs. Par ailleurs, le vice ne portait atteinte à aucun
intérêt public.

  Le défendeur ayant appelé à la Cour de justice, celle-ci s'est prononcée
le 7 avril 2006. Elle a constaté l'absence d'élection de domicile avant
l'audience d'introduction. Elle a considéré que dans l'assignation, la
société demanderesse s'était délibérément prévalue d'une élection de
domicile inexistante pour s'affranchir des règles concernant les
significations à l'étranger. Conférer un effet guérisseur à la présence du
défendeur à l'audience d'introduction, par son avocat, avalisait une
tactique du fait accompli et éludait les règles de procédure qui
s'imposaient à la demanderesse. Le respect de ces règles pouvait d'ailleurs
être exigé sans formalisme excessif. La Cour de justice a donc accueilli
l'appel et constaté que l'assignation était nulle.

  C.- Agissant par la voie du recours de droit public, X. SA requiert le
Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt de la Cour de justice. Invoquant l'art. 9
Cst., elle soutient que cette autorité a arbitrairement méconnu les limites
de son pouvoir d'examen définies par le droit cantonal. Elle soutient en
outre que l'exception de nullité de l'assignation, soulevée par le
défendeur, procédait d'un abus de droit, et que, au regard de cette
situation, la Cour de justice l'a accueillie arbitrairement.

  Le Tribunal fédéral admet le recours et annule l'arrêt attaqué.

Auszug aus den Erwägungen:

                        Extrait des considérants:

Erwägung 4

  4.  Aux termes de l'art. 72 al. 1 LPC/GE, une cause est introduite en
justice par le dépôt de l'assignation au greffe du tribunal saisi. Parmi
d'autres indications, l'assignation doit contenir "à peine de nullité" les
noms, prénoms et domicile ou résidence des parties (art. 7 al. 1 let. b
LPC/GE). De plus, selon la jurisprudence cantonale, si l'une des parties a
élu domicile auprès d'un tiers, notamment auprès d'un avocat, il est aussi
obligatoire de l'indiquer dans le document, toujours "à peine de nullité"
(BERNARD BERTOSSA/LOUIS GAILLARD et al., Commentaire de la loi de procédure
civile du canton de Genève du 10 avril 1987, n. 4 ad art. 7 LPC/GE). En
l'occurrence, l'arrêt attaqué fait grief à la recourante d'avoir au
contraire indiqué une élection de domicile qui n'existait pas.

  L'assignation est ensuite l'objet de démarches qui comprennent, en
particulier, sa signification à chacune des parties autres que celle qui l'a
déposée. Si l'une d'elles a un domicile élu, la signification est faite à ce
domicile (art. 17 al. 1 LPC/GE). S'il n'y a pas de domicile

élu et que la partie est une personne physique dont le domicile effectif et
le lieu d'activité professionnelle se trouvent à l'étranger, la
signification est faite au Procureur général; ce magistrat procède ensuite
selon les règles du droit international pour obtenir la signification de
l'acte par les autorités du lieu de domicile (art. 15 et 18 LPC/GE).

  Outre cette réglementation, la loi prescrit diverses modalités pour les
significations et elle délimite les possibilités de remettre l'acte à
certains tiers plutôt qu'à la partie elle-même, lorsque celle-ci ne peut pas
être atteinte (art. 14, 16, 17 al. 2, art. 19 à 23 LPC/GE). Si une
assignation a été signifiée d'une manière contraire aux dispositions
légales, la signification doit être refaite mais l'instance reste liée (art.
24 et 28 LPC/GE); si cependant l'assignation même se révèle nulle en raison
d'un défaut de son contenu, selon l'art. 7 LPC/GE, l'instance n'a pas été
liée et la demande est jugée irrecevable (art. 80 let. a, art. 81 let. a
LPC/GE; BERTOSSA/GAILLARD, op. cit., n. 2 ad art. 28 LPC/GE). L'arrêt
présentement attaqué constate la nullité de l'assignation; il en résultera
donc l'échec de l'introduction de la cause en justice et la caducité du
séquestre obtenu par la recourante (art. 280 LP).

Erwägung 5

  5.  Aux termes de l'art. 2 CC, chacun est tenu d'exercer ses droits selon
les règles de la bonne foi (al. 1) et l'abus manifeste d'un droit n'est pas
protégé par la loi (al. 2). Ces principes régissent non seulement le droit
civil fédéral mais aussi le droit de procédure civile; cependant, en tant
que celui-ci est édicté par les législateurs des cantons, l'interdiction de
l'abus de droit appartient aux règles du droit cantonal (ATF 83 II 345
consid. 2 p. 348; voir aussi ATF 126 I 165 consid. 3b p. 166).

  Un abus de droit peut être réalisé lorsqu'une institution juridique est
utilisée dans un but étranger à celui qui est le sien (ATF 126 I 165 consid.
3b p. 167; 125 V 307 consid. 2d p. 310). Par exemple, dans le domaine de la
procédure civile, le Tribunal fédéral a jugé qu'il était abusif d'invoquer,
à l'appui d'une exception d'incompétence, une clause contractuelle
d'élection de for désignant un lieu où aucune des parties n'avait plus de
domicile, de résidence ni d'établissement. A supposer que le défendeur eût
de meilleures chances d'obtenir gain de cause à ce for plutôt que devant le
juge effectivement saisi, cette espérance n'était pas digne de considération
(ATF 56 I 443 p. 448/449; voir aussi, concernant l'exception d'incompétence,
ATF 79 II 7 consid. 3 p. 16). Le Tribunal fédéral a aussi jugé que

les procédés purement dilatoires ne sont pas protégés par la loi; c'est
pourquoi, selon les circonstances, la proposition de concordat présentée par
le failli ne suspend pas la réalisation des biens (ATF 120 III 94 consid. 2c
p. 97). En droit civil, il y a abus de droit lorsque, notamment, le vice de
forme d'un contrat est invoqué dans un but étranger aux intérêts que la
forme méconnue tend à protéger (ATF 104 II 99 consid. 4c p. 107; 112 II 330
consid. 3 p. 335; voir aussi ATF 129 III 493 consid. 5.1 p. 497); ce cas est
transposable à la procédure civile car il peut survenir que l'une des
parties invoque abusivement un vice de forme commis par l'autre partie.

  Dans le domaine de la procédure, l'interdiction de l'abus de droit peut
être rapprochée de l'interdiction du formalisme excessif. Celle-ci
appartient au droit constitutionnel fédéral et elle vise l'autorité saisie
plutôt que les parties au procès. Le formalisme excessif, que la
jurisprudence assimile à un déni de justice contraire à l'art. 29 al. 1
Cst., est réalisé lorsque des règles de procédure sont appliquées avec une
rigueur que ne justifie aucun intérêt digne de protection, au point que la
procédure devient une fin en soi et empêche ou complique de manière
insoutenable l'application du droit (ATF 130 V 177 consid. 5.4.1 p. 183; 128
II 139 consid. 2a p. 142). L'excès de formalisme peut résider dans la règle
de comportement qui est imposée au plaideur ou dans la sanction qui est
attachée à cette règle (ATF 125 I 166 p. 170 consid. 3a; 121 I 177 p. 179
consid. 2b/aa).

Erwägung 6

  6.  Le Tribunal fédéral s'est prononcé sur la portée de notifications
irrégulières au regard de l'art. 64 LP. Selon la jurisprudence, faute
d'intérêt juridiquement pertinent, le destinataire d'un acte de poursuite
n'est pas autorisé à porter plainte au seul motif que l'acte a été remis à
une personne qui n'avait pas qualité pour le recevoir, s'il lui est
néanmoins parvenu et qu'il s'est trouvé en mesure d'exercer ses droits (ATF
61 III 157 consid. 1 p. 158/159; 88 III 12 consid. 1 p. 15 in medio; 112 III
81 consid. 2b p. 84; voir aussi ATF 120 III 114 consid. 3b p. 116 et 128 III
465 consid. 1 p. 466). En droit administratif fédéral, il est aussi admis
qu'une notification défectueuse produit ses effets si elle a atteint son but
en dépit de l'irrégularité; on rattache ce principe aux règles de la bonne
foi (ATF 111 V 149 consid. 4c p. 150; voir aussi ATF 122 I 97 consid. 3a/aa
p. 99 in medio). Ce même principe est parfois admis en doctrine (RIO KAMBER,
Das Zustellungswesen im schweizerischen Zivilprozess, thèse Zurich 1957, p.
106) et consacré par la législation ou la jurisprudence de divers cantons
(YVES DONZALLAZ, La notification en droit interne suisse,

Berne 2002, ch. 1200 p. 566), mais il est aussi contesté: reconnaître un
effet guérisseur au succès factuel d'une notification viciée peut avoir pour
conséquence que le respect des exigences légales soit peu à peu abandonné,
ces dernières étant réduites à de simples règles d'ordre et les justiciables
étant déchus du droit d'obtenir des communications transmises par la voie et
selon les modalités légales (DONZALLAZ, loc. cit., ch. 1201;
BERTOSSA/GAILLARD, op. cit., n. 4 ad art. 7 LPC/GE, approuvant la
jurisprudence de la Cour de justice qui rejette ledit principe).

Erwägung 7

  7.  Il est établi que l'assignation déposée le 22 avril 2005 contenait une
indication inexacte, relative à une élection de domicile qui n'existait pas,
et que ce défaut a provoqué une signification incorrecte au regard des art.
17 al. 1, 15 et 18 LPC/GE. Pour apprécier si ce défaut de l'assignation peut
légitimement entraîner l'invalidation de l'instance et, avec elle, la
caducité du séquestre, il faut prendre en considération les intérêts que ces
dispositions ont pour objet de préserver et qui ont été, le cas échéant,
lésés par la signification irrégulière.

  D'une manière générale, les règles sur la signification tendent
principalement à ce que l'acte concerné parvienne sûrement à son véritable
destinataire, même si l'officier public ne le rencontre pas directement, et
à ce que les opérations accomplies dans ce but soient constatées avec
certitude (cf. PIERRE-FRANÇOIS BELLOT, Loi sur la procédure civile du canton
de Genève avec l'exposé des motifs, 4e éd., Genève 1877, p. 23; DONZALLAZ,
op. cit., ch. 21 p. 66). En cas de signification à une personne qui ne peut
pas recevoir l'acte faute d'y être habilitée par la loi ou par une élection
de domicile du destinataire, l'opération ne présente pas de garanties
suffisantes d'efficacité; c'est pourquoi elle est frappée de nullité aux
termes de l'art. 24 LPC/GE.

  Par suite de la signification effectuée à l'étude de Me Z., l'assignation
est parvenue à l'intimé; ce fait est incontesté et il n'existe aucun doute à
ce sujet. Une nouvelle signification du même acte n'aurait donc aucune
utilité; il n'en résulterait que des frais et un retard supplémentaires.
Quant à l'invalidation de l'instance, elle n'a non plus aucune
justification. Elle répond sans doute à un intérêt très important de
l'intimé car celui-ci recouvrerait la libre disposition des biens placés
sous séquestre; cet intérêt n'a cependant aucun rapport avec l'objet des
dispositions transgressées. Auparavant, l'intimé avait aussi intérêt à ce
que l'assignation fût signifiée par l'intermédiaire du Procureur

général et des autorités de son domicile aux Etats-Unis, de sorte que la
recourante se serait heurtée aux délais et aux difficultés déjà rencontrés
lors de la notification du commandement de payer, mais cet intérêt n'était
pas non plus digne de considération. Dans ces circonstances, conformément à
l'opinion de la recourante, l'exception de nullité de l'assignation
procédait d'un abus de droit.

  Pour le surplus, l'intérêt général au respect des lois de procédure ne
permet pas d'imposer des sanctions ayant pour effet de compliquer ou
d'entraver l'action en justice. Il est vrai que les dispositions relatives
aux significations ne tendent pas seulement à leur propre sûreté et
efficacité; le cas échéant, d'autres intérêts sont aussi en jeu. Par
exemple, la faculté d'élire domicile auprès d'un tiers, notamment à
l'adresse professionnelle d'un avocat, permet au plaideur de s'assurer un
conseil plus rapide, de parer au risque que des actes judiciaires ne lui
parviennent pas alors qu'il serait censé les avoir reçus, et de protéger sa
vie privée en s'évitant de recevoir des significations à son domicile
personnel. Si des sanctions doivent être prévues pour préserver des intérêts
de ce genre, qui sont d'ailleurs hors de cause dans la présente affaire,
elles ne peuvent pas consister dans des formalités inutiles et dilatoires,
imposées à la partie en faute, ni dans la perte des mesures conservatoires
que cette partie a éventuellement obtenues.

  En l'occurrence, c'est précisément cette dernière sanction qui est imposée
à la recourante. Compte tenu que la signification par l'intermédiaire de Me
Z. n'avait lésé aucun intérêt public ni aucun intérêt légitime de l'intimé,
elle est caractéristique du formalisme excessif. En accueillant l'exception
de nullité soulevée par cette dernière partie, la Cour de justice a entériné
un abus de droit, ce qui choque le sentiment de la justice et de l'équité.
Son arrêt doit donc être annulé pour violation de l'art. 9 Cst. Il n'est pas
nécessaire d'examiner si de plus, selon l'argumentation de la recourante,
cette autorité a arbitrairement méconnu les limites de son pouvoir d'examen
en cas d'appel d'un jugement rendu en dernier ressort (cf. ATF 132 I 13
consid. 5.2 p. 18).