Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 132 II 305



Urteilskopf

132 II 305

  28. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit public dans la cause
Département fédéral des finances contre 2'206 agriculteurs suisses ainsi que
Commission fédérale de recours en matière de responsabilité de l'Etat (recours
de droit administratif)
  2A.321/2004 du 11 avril 2006

Regeste

  Art. 74 Abs. 2 BV; Art. 3 Abs. 1 VG; Art. 1a Abs. 1 und 2, Art. 9 und 10 Abs.
1 TSG; Verantwortlichkeit des Bundes für die von ihm getroffenen Massnahmen bei
der Bekämpfung des sog. "Rinderwahnsinns"; keine widerrechtlichen
Unterlassungen unter dem Gesichtswinkel des Vorsorgeprinzips.

  Begriff der Widerrechtlichkeit im Sinne von Art. 3 Abs. 1 VG (Zusammenfassung
der Rechtsprechung; E. 4.1). Art. 9 TSG konkretisiert implizit das
Vorsorgeprinzip (Vorbeugeprinzip), welches die Verantwortlichkeit des Bundes
nach sich zieht, falls er nicht alle Massnahmen trifft, die nach dem Stand der
Wissenschaft und der Erfahrung angezeigt erscheinen, um das Auftreten und die
Ausdehnung der in Frage stehenden Tierseuche zu verhindern (E. 4.2 und 4.3);
besondere Umstände, die dabei zu beachten sind (E. 4.4).

  Vorliegend vorgeworfene Handlungen bzw. Unterlassungen: zu spätes Verbot der
Verfütterung von Tiermehl an Wiederkäuer (E. 5.1); zu spätes Verbot des Imports
von Tiermehl aus Grossbritannien (E. 5.2); zu spätes Verbot der Einfuhr von
Tiermehl jeglicher Herkunft (E. 5.3); verspätete Massnahmen zur Verhinderung
der "Kreuzkontamination" von Tiermehlen in Futtermittelmühlen und bei Züchtern
(E. 5.4).

Sachverhalt

  A.- L'encéphalopathie spongiforme bovine (ci-après également citée par
l'acronyme ESB), communément appelée "maladie de la vache folle", a été
diagnostiquée pour la première fois en Grande-Bretagne en novembre 1986. Les
autorités britanniques ont annoncé cette épizootie lors de la 56e Session
générale de l'Office international des épizooties (OIE) qui s'est tenue du 16
au 20 mai 1988 à Paris (cf. rapport final du 6 juillet 1988). La maladie se
caractérise par une diminution de la productivité et des troubles de
comportement des animaux infectés, comme l'anxiété ou l'agressivité. Dès son
apparition, elle a été rapprochée de la tremblante (en anglais: "scrapie"), une
autre forme d'encéphalopathie spongiforme connue de longue date en Europe,
particulièrement au Royaume-Uni, qui se manifeste sporadiquement et atteint les
moutons et les chèvres. Parmi les encéphalopathies

spongiformes touchant l'homme, la maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ) est la
plus importante.

  Le 18 juillet 1988, les autorités britanniques ont décrété l'interdiction
d'utiliser des protéines dérivées de ruminants dans les aliments pour ruminants
en Angleterre, en Ecosse et au Pays de Galles (en anglais, mesure dite de "feed
ban"). En effet, selon les premières études épidémiologiques menées sur le
sujet, les farines de viande et/ou d'os issues de ruminants malades, notamment
de moutons atteints de la tremblante (ci-après: les farines animales) ont, dès
la fin de l'année 1987, été identifiées comme étant le mode de transmission de
la maladie le plus vraisemblable; des études réalisées en 1988 mettaient par
ailleurs en évidence un probable lien entre la tremblante du mouton et l'ESB et
laissaient entrevoir que le délai d'incubation de la maladie était relativement
long (cf. rapport final précité de l'OIE du 6 juillet 1988). En revanche, faute
d'indices probants, l'hypothèse d'une contamination directe entre ruminants
(contamination horizontale) ou de vache à veau (contamination verticale) a
rapidement été écartée, de même qu'a été jugé quasi nul ou du moins peu
vraisemblable le risque de transmission de la maladie de l'animal à l'homme
(zoonose); cette dernière conclusion reposait sur l'extrapolation de ce que
l'on savait de la tremblante du mouton, maladie qui, dans des conditions
naturelles, ne passait que rarement à d'autres espèces (théorie de la barrière
des espèces) et n'avait, semble-t-il, encore jamais été transmise à l'homme
jusqu'ici (cf. rapport Southwood du 3 février 1989, p. 9-18; sur la théorie de
la barrière des espèces, cf. le rapport de la Conférence de l'OIE sur l'ESB des
28 et 29 septembre 1990, Paris, p. 22-23 ad appendix III). Néanmoins, dès
novembre 1990, l'Angleterre et le Pays de Galles, puis l'Ecosse en janvier
1991, ont décidé de retirer du commerce destiné à l'alimentation humaine
certains abats (cerveau, foie, intestins ...) provenant de bovins âgés de plus
de six mois à titre de mesure de précaution supplémentaire ("ultra
precautionary measure"; cf. rapport de la Conférence annuelle de l'OIE, Paris,
mai 1990, ad n. 9).

  Après une forte et constante augmentation d'année en année, avec un pic de
37'056 unités en 1992, le nombre de nouveaux cas d'ESB a commencé dès 1993 à
diminuer en Grande-Bretagne, ce qui a permis aux scientifiques de déterminer
que le délai d'incubation moyen de la maladie était d'environ cinq ans,
correspondant au temps écoulé depuis l'interdiction d'utiliser les farines
animales pour l'alimentation des ruminants. De l'apparition de la maladie
jusqu'au milieu

de l'année 1996, quelque 160'000 vaches atteintes d'ESB ont, au total, été
recensées en Grande-Bretagne.

  B.- Entre-temps, l'ESB s'est répandue en Irlande, en 1989, puis elle a touché
l'Europe continentale: d'abord la Suisse et le Portugal, en 1990, puis la
France, en 1991, et ensuite, mais dans des proportions semble-t-il moins
importantes, au moins au début, d'autres pays (comme l'Allemagne, l'Italie, la
Belgique, le Danemark ...).

  L'Union européenne, ses Etats membres, ainsi que les autres pays concernés
ont chacun pris les mesures qu'ils jugeaient utiles pour enrayer le
développement de la maladie. A titre d'exemples, l'instruction du cas a montré
que la France avait interdit l'importation de farines animales destinées aux
bovins dès le 13 août 1989 pour celles en provenance de Grande-Bretagne et dès
le 15 septembre suivant pour celles en provenance d'Irlande du Nord et de la
République irlandaise, moyennant certaines exceptions pour l'alimentation des
porcs et de la volaille; que ce même pays avait par ailleurs interdit
l'utilisation de farines animales pour l'alimentation des bovins à compter du
24 juillet 1990; que l'Allemagne n'avait plus délivré d'autorisation pour
l'importation de farines animales britanniques dès le mois de mai 1989; que les
Pays-Bas avaient interdit l'utilisation de farines animales de ruminants
destinées à des ruminants (ou à des bovins, le point n'est pas clair) dès le
1er août 1989; que la Norvège et l'Autriche en avaient fait de même dès
respectivement les 28 juin et 28 novembre 1990; que l'Allemagne, l'Italie,
l'Espagne et le Portugal n'avaient interdit l'utilisation de farines animales
pour l'alimentation des ruminants que peu avant ou après une décision du 27
juin 1994 (94/381/CE) de la Communauté européenne interdisant aux Etats membres
d'utiliser des farines animales pour l'alimentation des ruminants, sous réserve
de farines animales exemptes de protéines de ruminants; et, enfin, que le 27
juillet 1994 (94/474/CE), la Communauté européenne avait également interdit au
Royaume-Uni, sous réserve là aussi de certaines exceptions, d'exporter des
farines animales de ruminants, avant de soumettre ce pays, par décision du 27
mars 1996 (96/239/CE), à un embargo total sur l'exportation de tout produit
obtenu à partir d'animaux de l'espèce bovine et sur les farines animales
provenant de mammifères, y compris en direction de pays tiers, "afin d'éviter
des détournements de trafic".

  C.- En Suisse, compte tenu des informations disponibles et des études menées
en Grande-Bretagne, l'Office vétérinaire fédéral (OVF)

a estimé, dans un premier temps, que le problème de l'ESB présentait un
caractère spécifiquement britannique et qu'un risque de contamination en Suisse
était peu probable, en raison de la réunion de certaines conditions et
circonstances jugées propres à la Grande-Bretagne (forte densité de population
ovine; présence marquée de la tremblante du mouton; utilisation de déchets de
moutons pour la fabrication de farines animales; modification des procédés de
stérilisation des farines animales, avec notamment, au début des années
quatre-vingt, un abaissement du traitement thermique au-dessous des 130 degrés
pendant 20 minutes prescrits en Suisse). Hormis une information dispensée aux
vétérinaires sur les caractéristiques de la maladie et la mise en place d'un
laboratoire de référence à la faculté de médecine vétérinaire de l'Université
de Berne, aucune mesure particulière n'a été arrêtée en Suisse jusqu'à la
mesure de "feed ban" prise par le Royaume-Uni le 18 juillet 1988. A cette date,
l'OVF a soumis l'importation de bovins et de produits issus de ces animaux en
provenance de Grande-Bretagne à un régime d'interdiction de fait, en ce sens
qu'il n'a plus délivré les autorisations requises pour de telles importations.
Il a par la suite formalisé cette mesure en promulguant l'ordonnance -
aujourd'hui encore en vigueur - du 13 juin 1990 (1/90) interdisant
temporairement l'importation de ruminants et de produits issus de ces animaux
en provenance de Grande-Bretagne (RS 916.443.39).

  Le 2 novembre 1990, le premier cas d'ESB a été constaté en Suisse; son
origine la plus vraisemblable a immédiatement été attribuée à des farines
animales contaminées importées de Grande-Bretagne.

  Le 8 novembre suivant, l'OVF a déclaré impropres à la consommation humaine
les organes et les tissus d'animaux de l'espèce bovine âgés de plus de six mois
susceptibles de contenir l'agent infectieux de l'ESB (soit les organes à risque
tels que cervelle, moelle épinière, intestins, rate ...), afin de prévenir
l'hypothétique risque de transmission de la maladie à l'homme, même si ce
risque était alors toujours jugé très faible. A côté de cette mesure de
précaution pour la santé humaine recommandée par l'OIE (cf. rapport établi à
l'occasion de la Conférence de l'OIE sur l'ESB des 28 et 29 septembre 1990,
Paris, p. 1), l'OVF a par ailleurs édicté, également dans la ligne des
recommandations de l'OIE (cf. rapport précité, p. 5 ss), des mesures immédiates
de lutte contre l'ESB avec effet au 1er décembre 1990 soit, en particulier,
l'obligation pour les éleveurs d'annoncer les cas suspects, l'interdiction
d'utiliser des farines animales dans

la fabrication et la commercialisation d'aliments destinés aux ruminants ainsi
que dans l'alimentation des ruminants, et l'obligation d'abattre et d'incinérer
les animaux atteints de la maladie.

  Les farines animales n'ont, en revanche, pas été interdites pour
l'alimentation des autres animaux de rente (principalement le porc et la
volaille); elles ont cependant été soumises, dès le 1er janvier 1991, à de
nouvelles conditions d'importation, à savoir qu'elles devaient désormais être
fabriquées selon les standards en vigueur en Suisse, notamment par rapport aux
exigences de thermisation (température de 130 degrés pendant 20 minutes ou de
120 degrés pendant 30 minutes). Ces dernières exigences ont été renforcées dès
le 1er mars 1993 (température de 133 degrés sous une pression de 3 bars pendant
20 minutes) afin de réduire encore le risque de présence de matières
infectieuses dans les farines.

  En dépit de toutes ces mesures, un cas d'ESB chez un bovin né après
l'interdiction d'utiliser des farines animales a été identifié pour la première
fois en 1993 (cas dit de "BAB", pour l'expression anglaise "born after ban").
Il n'y a pas eu de cas de "BAB" l'année suivante. En revanche, 6 cas ont été
constatés en 1995 et 7 en 1996.

  D.- Le 20 mars 1996, les autorités britanniques ont rendu publique
l'existence d'un risque de transmission de la maladie à l'homme, de récents
travaux scientifiques ayant révélé la plausibilité d'une telle hypothèse lors
de la réunion d'un certain nombre de conditions, soit lorsque le sujet infecté
présentait des prédispositions, que la source infectieuse était d'une intensité
suffisante, et que la voie de l'infection était appropriée. Quelques jeunes
patients étaient décédés en Grande-Bretagne et en France des suites d'une
variante de la MCJ (vMCJ) présentant des similitudes avec l'ESB. La publication
de cette nouvelle a provoqué une brutale et importante chute de la consommation
de viande de boeuf en Europe et en Suisse.

  A la suite de ces informations, outre des mesures financières en vue de
soutenir le marché de la viande bovine, le Conseil fédéral a déclaré impropres
à l'alimentation humaine, dès le 1er mai 1996, notamment la cervelle, la moelle
épinière, les yeux, le thymus, la rate et les intestins (organes et tissus
vivants à risque) des animaux sains de l'espèce bovine âgés de plus de six
mois. Il a aussi décidé que les organes et tissus vivants à risque de toutes
les vaches abattues devaient, également à partir du 1er mai 1996, être
incinérés et ne pouvaient plus être valorisés (recyclés) en aliments pour
animaux. Cette

dernière mesure visait à réduire le risque de contamination croisée par les
moulins, soit le mélange partiel involontaire qui, lors de la fabrication de
concentrés pour animaux, pouvait se produire dans les usines entre les farines
destinées à l'alimentation des ruminants (exemptes de protéines animales depuis
l'interdiction du 1er décembre 1990) et les farines destinées à l'alimentation
des porcs et de la volaille (pouvant encore contenir des protéines animales
potentiellement contaminées); ce type de contamination avait en effet été
identifié comme étant probablement la principale cause expliquant les cas dits
de "BAB", en ce sens que des résidus contaminés contenus dans les secondes
farines pouvaient contaminer les premières s'ils passaient, même en quantités
infimes, dans celles-ci.

  De son côté, l'Assemblée fédérale a adopté, sur proposition du Conseil
fédéral, un arrêté fédéral urgent (RO 1996 p. 3485) prévoyant un certain nombre
de mesures, dont l'obligation, à partir du 1er octobre 1996, d'identifier,
d'abattre et d'éliminer, moyennant une indemnisation de la Confédération, tous
les animaux de rente de l'espèce bovine nés avant le 1er décembre 1990 dans une
exploitation où un cas d'ESB avait été identifié. Il s'agissait, par ces
mesures, d'une part, de rendre le cheptel bovin suisse indemne d'ESB et,
d'autre part, d'atténuer les conséquences économiques de la maladie, en
rétablissant la confiance des consommateurs et en obtenant la levée des
restrictions et interdictions d'importation décidées par de nombreux pays à
l'encontre des produits suisses à base de boeuf (cf. Message du 16 septembre
1996 concernant des mesures temporaires destinées à combattre l'ESB dans le
cheptel bovin suisse et à en atténuer les conséquences économiques, ainsi que
le prélèvement temporaire d'une taxe supplémentaire sur le lait, in FF 1996 IV
1289, p. 1292 s. et 1296).

  A fin 1996, la maladie avait été constatée en Suisse sur 230 vaches, soit: un
cas en 1990, 9 en 1991, 15 en 1992, 29 en 1993, 63 en 1994, 68 en 1995 et 45 en
1996; sur ces chiffres, on comptait quatorze cas dits de "BAB" selon la
répartition mentionnée supra lettre C in fine, soit un en 1993, 6 en 1995 et 7
en 1996. Après les mesures prises en 1996, la maladie a évolué de la manière
suivante (total des nouveaux cas cliniques constatés avec, pour chaque année,
le nombre de cas dits de "BAB" entre parenthèses): 38 en 1997 (21), 14 en 1998
(10), 25 en 1999 (23) et, enfin, 13 en 2000 (13), dont deux cas concernaient
pour la première fois des bovins nés après les mesures adoptées en 1996; à ces
chiffres s'ajoutaient encore 25 cas

pour l'année 1999 et 7 cas pour l'année 2000 détectés grâce à l'introduction,
en 1999, d'un nouveau test de dépistage mis au point par la société zurichoise
Prionics AG (ci-après cité: le test de dépistage Prionics).

  En juin 2000, les autorités ont décidé, d'entente avec les milieux concernés,
notamment les producteurs de farines, de nouvelles mesures destinées à mettre
fin à la contamination croisée dans les moulins soit, notamment, la séparation
des filières et des établissements de production de farines; ces nouvelles
mesures ont été appliquées dès le mois de novembre suivant. Ce même mois de
novembre, l'OVF a proposé au Conseil fédéral d'étendre aux porcs et à la
volaille l'interdiction d'utiliser des farines animales pour l'alimentation,
ceci afin d'éradiquer le problème de la contamination croisée chez les
éleveurs, en particulier dans les exploitations mixtes (p. ex. bovines et
porcines); le Conseil fédéral a donné suite à cette proposition le 20 décembre
2000, en modifiant en conséquence l'ordonnance du 27 juin 1995 sur les
épizooties (OFE; RS 916.401) avec effet au 1er mars 2001 (RO 2001 p. 259).

  E.- Sur ces entrefaites, 2'206 agriculteurs suisses ont saisi le Département
fédéral des finances (DFF), par écritures des 19 mars/7 avril 1997, de deux
demandes - qui ont par la suite été jointes - en dommages-intérêts contre la
Confédération suisse. Pour l'essentiel, ils reprochaient à l'OVF et à l'Office
fédéral de l'agriculture (OFAG) de n'avoir pas adopté en temps utile les
mesures propres à empêcher la propagation de l'ESB en Suisse et, par voie de
conséquence, d'être responsables des pertes qu'ils avaient subies en raison de
la chute des prix du bétail de boucherie et d'élevage. Ils fondaient leurs
prétentions sur la loi fédérale du 14 mars 1958 sur la responsabilité de la
Confédération, des membres de ses autorités et de ses fonctionnaires (loi sur
la responsabilité, LRCF; RS 170.32) en relation avec différentes législations,
notamment la loi du 1er juillet 1966 sur les épizooties (loi sur les
épizooties, LFE; RS 916.40). Ils imputaient aux offices fédéraux mis en cause
les omissions suivantes: déficience de l'information fournie aux agriculteurs;
tardiveté de la décision interdisant l'utilisation des farines animales pour
l'affouragement des ruminants; absence de mesures en vue de détruire les stocks
de farines animales destinées aux ruminants après l'interdiction de leur
utilisation; absence de mesures en vue d'empêcher que des farines animales en
provenance de Grande-Bretagne n'arrivent en Suisse de manière détournée, via
des pays tiers, sous de nouvelles

indications d'origine et de qualité (importations dites indirectes);
insuffisance des mesures prises pour prévenir le risque de contamination
croisée des farines dans les moulins et chez les éleveurs. Les agriculteurs
mettaient également en cause l'Office fédéral des affaires économiques
extérieures (OFAEE), entre-temps devenu le Secrétariat d'Etat à l'économie
(seco), pour avoir prétendument fait pression sur les autres offices fédéraux
incriminés afin d'empêcher puis de retarder la mise en oeuvre de mesures
strictes d'importation de farines animales étrangères à des fins de politique
commerciale.

  Les offices fédéraux incriminés ont dénié toute responsabilité, en expliquant
que, dès l'apparition de l'ESB en Grande-Bretagne, ils avaient pris toutes les
mesures utiles pour prévenir la propagation de cette maladie en Suisse
(surveillance active de la maladie; interdiction d'importer des farines
animales de Grande-Bretagne ...), si bien qu'il n'y avait pas d'acte illicite
de leur part. Ils ont notamment justifié le choix de ne pas avoir formellement
interdit dès 1988 l'importation de bovins et de produits issus de ces animaux
en provenance de Grande-Bretagne par le risque de mesures de rétorsion
commerciales britanniques qu'une telle interdiction aurait fait peser sur la
Suisse, le régime d'interdiction de fait mis en place leur apparaissant à cet
égard une mesure suffisante et plus judicieuse du point de vue de la
proportionnalité. Comme preuve de la pertinence et de l'efficacité des mesures
prises, ils ont notamment produit un rapport spécial des 20 et 26 avril 1996 de
la Commission des Communautés européennes classant la Suisse dans les pays à
faible incidence de l'ESB au sens du Code zoosanitaire de l'OIE. En toute
hypothèse, ils niaient l'existence d'un rapport de causalité entre le dommage
et les actes illicites allégués, en soutenant que la chute des cours de la
viande de boeuf était due exclusivement à l'annonce britannique de la possible
transmission de l'ESB à l'homme.

  Par décision du 12 février 1999, le Département fédéral des finances
(ci-après cité: le Département) a rejeté les prétentions des agriculteurs, au
motif que les demandes d'indemnisation étaient tardives, qu'il n'y avait pas
d'acte illicite et que, de toute façon, un rapport de causalité, même
naturelle, faisait défaut entre les prétendues omissions des offices fédéraux
incriminés et le dommage allégué.

  F.- Sur recours des agriculteurs, la IIe Cour civile du Tribunal fédéral a,
par arrêt du 18 janvier 2000 (ATF 126 II 63), annulé la décision précitée du
Département et renvoyé le dossier à l'autorité

inférieure pour nouvelle décision dans le sens des considérants. Le tribunal a
notamment considéré que les agriculteurs n'avaient eu connaissance du dommage
que tardivement, si bien que leurs prétentions n'étaient pas périmées, et que
les mesures prévues par la loi sur les épizooties ne visaient pas seulement des
objectifs sanitaires, soit la préservation de la santé humaine et animale, mais
répondaient également à des préoccupations d'ordre économique, telle que, dans
le cas d'espèce, la préservation de la valeur économique du bétail. Le
Département était dès lors invité à compléter l'instruction du cas sur un
certain nombre de points, puis à rendre une nouvelle décision.

  G.- Par ordonnance de procédure du 14 mai 2001, le Département a limité
l'objet de la contestation à la seule question de l'illicéité des actes ou
omissions reprochés à la Confédération, à l'exclusion des autres conditions de
la responsabilité (causalité, dommage).

  En plus des griefs précédemment allégués, les demandeurs ont invoqué la
responsabilité de la Confédération pour la seconde chute des prix de la viande
bovine survenue dès novembre 2000 et ont augmenté en proportion leurs
conclusions en dommages et intérêts, reprochant notamment aux autorités de
n'avoir pas mis en place un test de dépistage systématique de l'ESB pour les
animaux abattus, d'avoir toléré, de manière contraire aux normes en vigueur,
une "thermisation insuffisante des aliments étrangers" destinés aux ruminants
et, enfin, d'avoir tardé à prendre les mesures propres à éradiquer tout risque
de contamination croisée, soit la politique qualifiée de "tolérance zéro";
cette politique impliquait notamment l'interdiction de fabriquer, sur un même
site de production, des farines destinées aux ruminants et des farines
destinées aux porcs et à la volaille (problème de la contamination croisée dans
les moulins), ainsi que l'interdiction d'utiliser des farines animales pour
alimenter tous les animaux de rente (problème de la contamination croisée chez
les éleveurs).

  Les offices ont derechef nié toute responsabilité, y compris en relation avec
la seconde crise de la vache folle, en soutenant que celle-ci était due au
scandale causé par certaines révélations dans des pays voisins de la Suisse, en
particulier en France et en Allemagne, et que la mise en place d'un test de
dépistage systématique pour les animaux de boucherie n'était pas une mesure
indiquée, vu son efficacité limitée, son coût important, et l'hostilité qu'elle
suscitait chez

la plupart des organisations paysannes; en revanche, le retrait des organes à
risque de la chaîne alimentaire leur paraissait une mesure plus sûre et plus
judicieuse pour protéger la santé des consommateurs. Ils affirmaient également
que les taux de contamination admis dans les aliments sortant des moulins
étaient conformes aux recommandations du "Scientific Steering Committee" de
l'Union européenne (état septembre 1998). Enfin, ils soulignaient que des
mesures avaient été prises en juin 2000 pour mettre fin à la contamination
croisée dans les moulins (soit, notamment, la séparation dès le mois de
novembre 2000 des filières ou des établissements de production de farines) et
que, dès mars 2001, tous les animaux de rente, et plus seulement les ruminants,
ne pouvaient plus être affouragés avec des farines animales, ce qui devrait
mettre un terme au problème de la contamination croisée chez les éleveurs.

  Par décision du 22 octobre 2002, le Département a rejeté la demande, en
estimant que les offices incriminés avaient pris en temps utile les mesures
commandées par l'état de la science et des connaissances pour empêcher
l'apparition puis la propagation de l'ESB en Suisse. En particulier, il a
considéré comme suffisant et proportionné aux circonstances le régime
d'interdiction de fait d'importer des farines animales britanniques mis en
place dès 1988 et l'interdiction d'affourager les ruminants avec des farines
animales décrétée dès novembre 1990.

  H.- Les agriculteurs ont recouru contre la décision précitée du Département.
Pour l'essentiel, ils ont repris les griefs précédemment invoqués, en
introduisant dans leur réflexion sur la responsabilité de la Confédération le
principe de précaution. A leurs yeux, la prise en compte de ce principe
essentiel en matière de santé publique aurait dû conduire les offices mis en
cause à prendre plus tôt les mesures que nécessitait la lutte contre l'ESB.

  Le Département a conclu au rejet du recours, en relevant que le principe de
précaution n'apportait pas de changement substantiel par rapport au principe de
la proportionnalité qui avait encadré les mesures prises par la Confédération
pour faire face à la crise de la vache folle.

  Par décision du 29 avril 2004, la Commission fédérale de recours en matière
de responsabilité de l'Etat (ci-après: la Commission de recours) a admis le
recours des agriculteurs, annulé la décision attaquée, et renvoyé la cause au
Département pour reprise de l'instruction

sur les questions de la causalité et du dommage et nouvelle décision au sens
des considérants. A la lumière des principes de développement durable, de
précaution et de proportionnalité, la Commission de recours a jugé que, dans sa
gestion de la crise de la vache folle, la Confédération avait commis cinq
omissions illicites en prenant tardivement les mesures indiquées par les
circonstances à différentes époques, à savoir:
  (1) dès fin juillet début août 1988 au plus tard et cela jusqu'au 1er
décembre 1990 (soit du moment où les autorités britanniques ont décrété la
mesure de "feed ban" jusqu'à ce qu'une telle mesure ait été arrêtée en Suisse),
elle aurait dû interdire l'affouragement de farines animales aux ruminants afin
"d'éviter, autant que faire se pouvait, le développement de l'ESB en Suisse",
car la nécessité de cette mesure était alors "scientifiquement établie";
  (2) dès fin juillet début août 1988 au plus tard et cela jusqu'au 14 juin
1990 (soit du moment où les autorités britanniques ont décrété la mesure de
"feed ban" jusqu'à ce que les autorités suisses aient légalement décrété
l'interdiction d'importer des farines animales britanniques), elle aurait dû
formellement interdire l'importation de farines animales britanniques, et ne
pas se contenter d'une simple interdiction de fait, car une telle mesure
n'était pas suffisamment efficace pour empêcher la propagation de l'ESB en
Suisse;
  (3) durant la même période que sous chiffre (1), elle aurait également dû
interdire l'importation de toute farine animale, britannique ou non, afin de
prévenir le risque que des farines animales britanniques soient importées par
le truchement d'autres Etats (importations indirectes);
  (4) du 1er juillet 1998 au plus tard et cela jusqu'au 1er novembre 2000, elle
avait commis une omission illicite en différant les mesures dites de "tolérance
zéro" pour mettre fin aux contaminations croisées dans les moulins, car ce
problème, pour lequel existaient "des suspicions scientifiques sérieuses"
depuis 1996, exigeait dès le mois de janvier 1998 au plus tard une prise de
conscience des autorités devant se traduire par des mesures dans un délai de
six mois, compte tenu "d'un temps d'adaptation raisonnable";
  (5) du 1er novembre 1998 au 1er mars 2001, elle avait commis une omission
illicite en différant l'interdiction de distribuer des farines animales à tous
les animaux de rente, car une telle mesure, destinée à empêcher les
contaminations croisées chez les éleveurs, aurait pu

et dû être prise au plus tard quatre mois après la mise en place de la
politique de tolérance zéro dans les moulins.

  En revanche, la Commission a écarté les autres griefs soulevés par les
agriculteurs.

  I.- Agissant par la voie du recours de droit administratif, la Confédération,
par le Département fédéral des finances, demande au Tribunal fédéral d'annuler,
sous suite de frais et dépens, la décision précitée de la Commission de recours
et de rejeter l'action en dommages et intérêts formée par les agriculteurs.

  Dans leur réponse, les agriculteurs concluent au rejet du recours sous suite
de frais et dépens.

  Le Tribunal fédéral a admis le recours, annulé la décision attaquée et
confirmé la décision du Département du 22 octobre 2002.

Auszug aus den Erwägungen:

                        Extrait des considérants:

Erwägung 4

  4.

  4.1  La condition de l'illicéité au sens de l'art. 3 al. 1 LRCF, que traduit
de manière peu heureuse l'expression "sans droit" (cf. PIERRE WESSNER, Au menu:
boeuf, salades et fromages contaminés ou la notion d'illicéité dans tous ses
états, in Gastronomie, alimentation et droit, Mélanges en l'honneur de Pierre
Widmer, Zurich 2003, p. 243 ss, p. 253 et les références citées à la note de
bas de page 44), suppose que l'Etat, au travers de ses organes ou de ses
agents, ait violé des prescriptions destinées à protéger un bien juridique.
Selon les circonstances, un excès ou un abus du pouvoir d'appréciation conféré
par la loi peut réaliser cette condition (cf. ATF 118 Ib 473 consid. 2b p. 476;
116 Ib 193 consid. 2b p. 196). La jurisprudence a également considéré comme
illicite la violation de principes généraux du droit (cf. ATF 118 Ib 473
consid. 2b; 116 Ib 193 consid. 2a p. 195; 107 Ib 160 consid. 3a p. 163/164),
telle l'obligation, pour celui qui crée une situation dangereuse, de prendre
les mesures propres à prévenir un dommage (cf. ATF 89 I 483 consid. 6e p. 493).
Une omission peut aussi, le cas échéant, constituer un acte illicite, mais il
faut alors qu'il existât, au moment déterminant, une norme juridique qui
sanctionnait explicitement l'omission commise ou qui imposait à l'Etat de
prendre en faveur du lésé la mesure omise; un tel chef de responsabilité
suppose donc que l'Etat ait eu une position de garant vis-à-vis du lésé et que
les prescriptions qui déterminent la nature et l'étendue de ce devoir aient été
violées (cf.

ATF 123 II 577 consid. 4d/ff p. 583; 118 Ib 473 consid. 2b p. 476/477; 116 Ib
367 consid. 4c p. 374; JOST GROSS, Schweizerisches Staatshaftungsrecht, 2e éd.,
Berne 2001, p. 164, 175/176).

  Si le fait dommageable consiste dans l'atteinte à un droit absolu (comme la
vie ou la santé humaines, ou le droit de propriété), l'illicéité est d'emblée
réalisée, sans qu'il soit nécessaire de rechercher si et de quelle manière
l'auteur a violé une norme de comportement spécifique; on parle à ce propos
d'illicéité par le résultat (Erfolgsunrecht). Si, en revanche, le fait
dommageable constitue une atteinte à un autre intérêt (par exemple le
patrimoine), l'illicéité suppose qu'il existe un "rapport d'illicéité", soit
que l'auteur ait violé une norme de comportement ayant pour but de protéger le
bien juridique en cause; c'est ce que l'on appelle l'illicéité par le
comportement (Verhaltensunrecht) (cf. ATF 118 Ib 473 consid. 2b; WESSNER, op.
cit., p. 249/250; JOST GROSS, op. cit., p. 170/171, 175 ss). La simple lésion
du droit patrimonial d'un tiers n'emporte donc pas, en tant que telle, la
réalisation d'un acte illicite; il faut encore qu'une règle de comportement de
l'ordre juridique interdise une telle atteinte et que cette règle ait pour but
la protection du bien lésé (ibidem). Lorsque l'illicéité reprochée procède d'un
acte juridique (une décision, un jugement ...), seule la violation d'une
prescription importante des devoirs de fonction est susceptible d'engager la
responsabilité de la Confédération (cf. ATF 123 II 577 consid. 4d/dd p. 582;
118 Ib 163 consid. 2 p. 164).

  4.2  Les faits tenus pour illicites dans la décision attaquée consistent tous
en des omissions: les offices fédéraux mis en cause n'auraient, dans l'exercice
de leurs fonctions respectives, pas pris suffisamment tôt un certain nombre de
mesures d'interdiction propres à empêcher le préjudice qu'ont subi les
demandeurs du fait de l'apparition et de la propagation de l'ESB en Suisse et
de la chute des prix du bétail de boucherie et d'élevage qui s'en est suivie
(sur le détail des omissions reprochées, cf. supra let. H de l'état de fait).
C'est donc seulement si la recourante était tenue de prendre les mesures
d'interdiction prétendument omises et si cette obligation avait notamment pour
but de protéger la valeur économique du bétail que sa responsabilité peut être
engagée.

  Le Tribunal fédéral a déjà tranché, dans la présente affaire, que la loi sur
les épizooties avait également pour but, outre la poursuite de motifs d'ordre
sanitaire, de protéger les agriculteurs contre les atteintes

susceptibles de leur causer un dommage de nature patrimoniale (cf. ATF 126 II
63 consid. 3a p. 67 ss). L'existence d'une norme protectrice en faveur des
demandeurs a dès lors force de chose jugée et il n'y a pas lieu d'y revenir
(cf. 125 III 421 consid. 2a p. 423; 116 II 220 consid. 4a). Les différentes
obligations de la Confédération en matière de lutte contre les épizooties
reposent sur le principe suivant, énoncé en tête du chapitre III de la loi, à
l'art. 9 LFE: "La Confédération et les cantons prennent toutes les mesures qui,
d'après l'état de la science et de l'expérience, paraissent propres à empêcher
l'apparition et la propagation d'une épizootie"; jusqu'à une modification
entrée en vigueur le 1er septembre 1995 (RO 1995 p. 3711, 3715), seules les
mesures de nature à empêcher la propagation d'une épizootie, à l'exception de
celles propres à en empêcher l'apparition, étaient expressément visées par la
disposition précitée (RO 1966 p. 1621, 1623). Il s'ensuit que, durant la
période déterminante pour le cas d'espèce (soit de fin juillet 1988 à mars
2001), la recourante avait en principe l'obligation, et non simplement la
faculté, de prendre les mesures indiquées par les circonstances pour empêcher,
sinon l'apparition, du moins la propagation de l'ESB; dans cette mesure, sa
responsabilité peut être engagée en cas de violation de cette obligation
assimilable à une omission illicite.

  4.3  Outre la loi sur les épizooties, la Commission de recours a également
fondé sa décision sur les principes de développement durable et de précaution.

  En matière d'environnement et d'aménagement du territoire, l'art. 73 Cst.
consacre la notion de développement durable dans les termes suivants: "La
Confédération et les cantons oeuvrent à l'établissement d'un équilibre durable
entre la nature, en particulier sa capacité de renouvellement, et son
utilisation par l'être humain." La notion figure également se manière expresse
à l'art. 2 al. 2 Cst. au titre des buts généraux poursuivis par la
Confédération ainsi qu'à l'art. 104 al. 1 Cst. consacré à l'agriculture. On
peut aussi y voir une référence dans l'affirmation, en préambule de la
Constitution fédérale, "du devoir d'assumer (des) responsabilités envers les
générations futures", ainsi que dans l'engagement "en faveur de la conservation
durable des ressources", énoncé à l'art. 2 al. 4 Cst., ou encore, quoique de
manière plus implicite, dans toute une série d'autres dispositions
constitutionnelles (cf. les art. 54 al. 2, 75 al. 1, 76 al. 1, 77 al. 3, 78 al.
4 ou 79 Cst.).

  Notion complexe au contenu et aux contours encore flous, le développement
durable engage notamment les autorités à tenir compte des implications à la
fois économiques, sociales et écologiques de certaines politiques, par exemple
en matière d'agriculture (cf. art. 1er al. 2 de l'ordonnance du 7 décembre 1998
sur l'évaluation de la durabilité de l'agriculture [RS 919.118]). Pour l'heure,
le concept revêt un caractère essentiellement programmatique et n'a pas valeur
d'un droit constitutionnel qui pourrait être directement invoqué comme tel
devant les tribunaux; son indétermination et sa complexité appellent au
contraire une concrétisation légale (cf. HERIBERT RAUSCH/ARNOLD MARTI/ALAIN
GRIFFEL, Umweltrecht: ein Lehrbuch, Zurich 2004, n. 31 p. 13/14; DANIEL
JOSITSCH, Das Konzept der nachhaltigen Entwicklung [Sustainable Development] im
Völkerrecht und seine innerstaatliche Umsetzung, in DEP 1997 p. 118; BERND
MARQUARDT, Die Verankerung des Nachhaltigkeitsprinzips im Recht Deutschlands
und der Schweiz, in DEP 2003 p. 201 ss, 208 ss, 207 et 217; KLAUS
VALLENDER/RETO MORELL, in Die Schweizerische Bundesverfassung, St. Galler
Kommentar des Schweizerischen Verfassungsrechts, Bâle/Genève/Munich 2003, ch.
55, 90, 229 ss; AUBERT/MAHON, Petit commentaire de la Constitution de la
Confédération suisse, Zurich/Bâle/Genève 2003, n. 6 ad art. 73 Cst.).

  Sous sa dimension écologique, une politique de développement durable implique
notamment de faire une place importante au principe de précaution qui, selon la
définition la plus couramment utilisée et la plus largement admise, postule
qu'en cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l'absence de certitude
scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard
l'adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de
l'environnement (cf. principe 15 de la Déclaration finale du 13 juin 1992 de la
Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement qui s'est
tenue à Rio). On pourrait se demander si ce principe, aujourd'hui implicitement
consacré à l'art. 74 al. 2 Cst. en matière d'environnement (cf.
RAUSCH/MARTI/GRIFFEL, op. cit., n. 43; ANNE PETITPIERRE-SAUVAIN, Fondements
écologiques de l'ordre constitutionnel suisse, in Droit Constitutionnel suisse,
Zurich 2001, n. 18 et 19 § 36; ALEXANDRE FLÜCKIGER, in La preuve juridique à
l'épreuve du principe de précaution, in Revue européenne des sciences sociales,
tome XLI, 2003, n° 128 p. 107 ss, p. 113/114), vaut également et, le cas
échéant, de la même manière dans les domaines voisins telles la santé humaine
ou animale ou la sécurité

alimentaire (en ce sens, cf. FLÜCKIGER, ibidem), singulièrement s'il revêt le
caractère d'une simple faculté, en ce sens que la Confédération peut prendre
des mesures de précaution mais n'y est pas tenue (allant dans ce sens, cf. art.
148a al. 1 de la loi fédérale du 29 avril 1998 sur l'agriculture [LAgr; RS
910.1]) ou si, au contraire, il s'apparente à une véritable obligation lui
imposant d'adopter de telles mesures dans certaines circonstances (allant dans
ce sens, cf. art. 2 al. 1 et 6 de la loi fédérale du 21 mars 2003 sur
l'application du génie génétique au domaine non humain [LGG; RS 814.91]). Il
n'est pas nécessaire d'examiner plus avant ces questions, car l'art. 9 LFE se
présente comme une concrétisation implicite du principe de précaution; en
effet, cette disposition engage clairement les autorités compétentes à agir,
même en cas d'incertitude scientifique, pourvu que les mesures envisagées
"paraissent propres" à empêcher l'apparition ou la propagation d'une épizootie
d'après l'état de la science et de l'expérience et que, conformément au
principe de la proportionnalité (cf. art. 5 al. 2 Cst.), leur coût soit en
rapport avec le bénéfice escompté (cf. art. 10 al. 1 LFE).

  En résumé, les principes de développement durable et de précaution ne
servent, dans le cas d'espèce, que de cadre général pour interpréter et
appliquer l'art. 9 LFE.

  4.4  Comme l'ont retenu les premiers juges, la responsabilité de la
Confédération doit s'examiner en fonction de la situation régnant au moment
déterminant - en particulier sur le plan des connaissances scientifiques -,
soit lorsque les omissions prétendument illicites ont été commises (cf. ATF 118
Ib 473 consid. 7 p. 482; BEATRICE Wagner Pfeifer, Haftungsrisiken durch
rückwirkende Anwendung umweltrechtlicher Normen?, in Risiko und Recht, Festgabe
zum Schweizerischen Juristentag 2004, Bâle/Berne 2004, p. 535 ss, 540 s.).
Comme tout examen rétrospectif, cet exercice est difficile et délicat, car il
implique de faire abstraction de ce que l'on sait aujourd'hui à propos de l'ESB
et de ses conséquences et de se replacer dans le contexte de l'époque.

  Il y a également lieu, dans cet examen, de tenir compte des difficultés
propres à la gestion d'une crise aussi délicate que l'ESB: les offices mis en
cause devaient en effet suivre l'évolution de la maladie non seulement en
Suisse, mais aussi à l'étranger, ainsi que, dans la mesure du possible,
s'informer des actions qui y étaient menées, tout en se tenant au courant des
nouvelles connaissances scientifiques

et des recommandations émises par certains organismes internationaux, comme
l'OIE; en outre, ces offices se trouvaient aux prises avec de nombreux acteurs
aux intérêts parfois contradictoires (les éleveurs d'animaux de rente alimentés
par des farines animales ainsi que les différentes organisations les
représentant; les fabricants et les importateurs de farines destinées à
l'alimentation animale ainsi que tous les intermédiaires de la filière; les
consommateurs ...); enfin et surtout, ils devaient souvent agir rapidement,
sous la pression des événements, et sans toujours disposer de toutes les
connaissances scientifiques nécessaires à une bonne et saine appréciation des
choses (cf. WESSNER, op. cit., p. 253 et la référence à l'ATF 118 Ib 473).

  Il découle de ces contingences qu'on ne saurait exiger de la Confédération
qu'elle prît, pour faire face à la crise de la vache folle, en toute
circonstance et en toute occasion, les meilleures décisions au meilleur moment,
car cela reviendrait à la placer dans une situation quasi impossible puisque,
quoi qu'elle eût pu faire ou s'abstenir de faire, elle se fût exposée au risque
d'être toujours responsable, soit d'avoir agi trop tard ou trop mollement,
comme il lui est fait grief dans le présent cas, soit d'avoir agi trop tôt ou
de manière trop incisive, comme il lui a été fait grief dans une autre
situation de crise en relation avec les mesures édictées par l'Office fédéral
de la santé publique (OFSP) pour empêcher la propagation en Suisse du syndrome
respiratoire aigu sévère (connu sous l'acronyme de SRAS) apparu en Asie (cf.
ATF 131 II 670). Il s'impose dès lors d'admettre que les offices fédéraux mis
en cause disposaient, à l'époque des faits litigieux, d'une certaine liberté
d'action pour faire face à la crise, soit d'une marge d'appréciation
relativement importante dans le choix aussi bien des mesures à prendre que de
leur moment. Les mesures qui, au vu de l'ensemble des circonstances, en
particulier de l'état des connaissances au moment déterminant, se situent à
l'intérieur de cette marge, n'engagent dès lors pas la responsabilité de la
Confédération et ne donnent lieu à aucune indemnisation, même si,
rétrospectivement, elles ne s'avèrent pas optimales voire même se révèlent
insuffisantes.

  Il faut aussi avoir à l'esprit qu'avant toute mesure, la Confédération était
tenue de veiller à ce que son action recueillît une certaine adhésion, sinon de
l'opinion publique, du moins des personnes directement touchées par les mesures
envisagées soit, en particulier, les milieux paysans, les filières de
conditionnement et de distribution

de la viande ou encore les fabricants et les distributeurs de farines pour
animaux. A cette fin, les autorités devaient notamment informer les uns et les
autres de la situation et de son évolution ainsi que les consulter aussi
régulièrement que possible au fur et à mesure des nouveaux développements, en
leur soumettant leurs plans d'action voire en s'enquérant de leur avis sur les
mesures à prendre. A défaut, les mesures décidées risquaient de ne pas être
correctement appliquées voire d'être purement et simplement éludées et,
finalement, de rester sans effet ou de n'avoir qu'un effet limité. C'est là une
autre restriction importante à la marge de manoeuvre des autorités concernées
dont il faut tenir compte dans l'examen du cas, car cette restriction est
potentiellement de nature à expliquer, du moins pour partie, le temps pris pour
arrêter et appliquer certaines décisions, notamment celles portant sur les
mesures les plus incisives. L'implication le plus tôt et la plus large possible
des milieux concernés dans le processus d'analyse et de gestion des risques est
d'ailleurs reconnue comme un élément primordial pour garantir une certaine
efficience et efficacité à la mise en place de mesures de précaution (cf. Le
principe de précaution en Suisse et au plan international, rapport de synthèse
du groupe inter-départemental "Principe de précaution", établi en août 2003
sous la direction de l'OFSP, en collaboration notamment avec l'OVF, l'OFAG et
le seco, publié sur l'internet à l'adresse suivante:
www.bag.admin.ch/themen/strahlung/00053/02644/index.html?lang=fr, p. 6).

  D'une manière générale, on peut partir de l'idée que plus les mesures
envisagées étaient de nature à porter gravement atteinte à des libertés
fondamentales ou des intérêts importants, plus elles étaient susceptibles de
requérir un temps de préparation et d'adaptation important pour être comprises
et acceptées et finalement mises en oeuvre. Inversement, plus les risques
redoutés apparaissaient potentiellement graves et imminents, moins il était
possible de tergiverser et plus des mesures s'imposaient à bref délai qui
pouvaient, si nécessaire, être incisives, la gravité des risques envisagés
devant notamment s'apprécier en fonction de la probabilité de leur réalisation
et de la nature des biens juridiques menacés. En définitive, seule une
soigneuse pesée des intérêts en présence effectuée dans le cadre du principe de
proportionnalité permet de déterminer a posteriori à quel moment des mesures
devaient être prises et quelles elles devaient être. Conformément au principe
de précaution conçu dans une perspective de développement durable (supra
consid. 4.3), cette

pesée des intérêts doit être la plus large possible et ne pas se limiter aux
seuls aspects écologiques, mais également intégrer des considérations
économiques voire sociales.

  4.5  C'est à la lumière des considérations qui précèdent que doit
s'interpréter l'art. 9 LFE et s'analyser l'éventuelle responsabilité de la
Confédération pour les cinq omissions qui lui sont reprochées.

Erwägung 5

  5.

  5.1  La première omission illicite retenue dans le jugement attaqué qu'il
convient d'examiner porte sur la période allant de fin juillet début août 1988
au 1er décembre 1990.

  Selon la Commission de recours, la Confédération aurait dû, au plus tard une
dizaine de jours après la mesure de "feed ban" décidée par les autorités
britanniques le 18 juillet 1988, prendre une mesure similaire et interdire
l'utilisation de farines animales dans l'alimentation des ruminants. Cette
omission illicite a donc perduré, d'après les premiers juges, jusqu'à ce qu'une
telle mesure soit prise avec l'entrée en vigueur, le 1er décembre 1990, de
l'ordonnance du 29 novembre 1990 concernant des mesures immédiates contre
l'encéphalopathie spongiforme des ruminants (RO 1990 p. 1920).

  Même si les connaissances sur l'ESB étaient encore relativement ténues et
lacunaires durant la période considérée, la maladie était néanmoins déclarée
depuis près de deux ans au Royaume-Uni et les premières études épidémiologiques
menées dès avril 1987 dans ce pays concluaient déjà, en décembre suivant,
qu'elle se rapprochait de la tremblante du mouton, que son délai d'incubation
était relativement long, et que l'hypothèse la plus probable pour expliquer son
apparition tenait dans l'incorporation, dans la ration alimentaire des
ruminants, de farines d'origine animale porteuses du prion infectieux qui
n'avaient pas été décontaminées lors de leur fabrication. Les études réalisées
par la suite ont confirmé ces premiers résultats et conclu que, dans des
conditions naturelles, la maladie ne se transmettait, selon toute
vraisemblance, pas entre animaux (pas de contamination horizontale ou
verticale), ni de l'animal à l'homme (pas de zoonose), la barrière des espèces
semblant alors jouer pleinement son rôle protecteur (cf. rapport Southwood
précité du 3 février 1989). A fin 1990, un total de 24'229 cas d'ESB avaient
été recensés en Grande-Bretagne depuis l'apparition de la maladie en 1986, à
savoir: 442 cas pour les années 1986 et 1987, 2'469 cas pour 1988, 7'137 cas
pour 1989 et 14'181 cas pour 1990; en revanche, excepté

l'Irlande en 1989, la maladie ne s'était encore pas propagée à d'autres pays
durant la période litigieuse.

  Malgré l'absence de données épidémiologiques sûres et complètes lors de la
décision de "feed ban" prise par les autorités britanniques en juillet 1988, il
est certain que les autorités suisses devaient de leur côté, par mesure de
précaution, veiller à ne plus laisser entrer de farines animales en provenance
de Grande-Bretagne, l'hypothèse de leur probable implication dans l'apparition
de l'ESB ayant été posée sur le plan scientifique dès fin 1987 au plus tard.
C'est du reste bien ce que les services compétents ont fait en ne délivrant
plus les autorisations d'importation correspondantes à partir du 18 juillet
1988, mesure équivalant à l'instauration d'une interdiction de fait d'importer
des farines animales britanniques. Les premiers juges ont toutefois estimé que
cette mesure n'était pas suffisante au vu des circonstances, notamment du délai
d'incubation relativement long de l'ESB et des nombreuses incertitudes
scientifiques entourant la maladie. A leur sens, l'interdiction d'alimenter les
ruminants avec des farines animales était une mesure nécessaire pour éviter la
propagation de l'ESB en Suisse, et c'était en se fondant "sur des présupposés
qui se sont révélés faux" que la Confédération s'était abstenue de prendre une
telle mesure: d'une part, l'interdiction de fait d'importer des farines
animales britanniques n'avait pas été une mesure efficace, car elle n'avait pas
bénéficié de la même crédibilité qu'une interdiction légale et n'avait pas
permis d'empêcher les importations parallèles de telles farines (sur ce point,
cf. infra consid. 5.2); d'autre part, bien qu'encore confinée, durant la
période considérée, au territoire du Royaume-Uni puis de l'Irlande dès 1990, la
maladie n'avait alors pas, contrairement à l'appréciation des autorités, un
caractère spécifiquement britannique, en sorte que la mesure de "feed ban"
prise dans ce pays s'imposait pareillement en la Suisse. Et la Commission de
recours de conclure: "A la vérité, le seul élément spécifiquement britannique
était à cette époque une perception aiguë des dangers représentés par l'ESB et
de la nature radicale des mesures qui étaient propres à la faire reculer. Les
autorités britanniques ont fait preuve de sagesse en prenant les mesures
énergiques du 18 juillet 1988 et l'avenir leur a donné raison sur ce point."
  Ces considérations n'emportent pas la conviction, car elles ne font pas
suffisamment la part des choses entre les faits qui étaient connus au moment
déterminant et ceux qui ne l'étaient pas encore. Pour dire si une omission est
illicite, on ne saurait en effet se référer après

coup à l'efficacité des mesures prises pour en justifier la nécessité ab
initio, comme l'a fait la Commission de recours. De même ne peut-on tirer
argument de la propagation de l'ESB sur tout le continent européen dans les
années nonante pour réfuter en bloc la validité de l'appréciation faite
jusqu'en décembre 1990 selon laquelle, sous réserve de ne pas utiliser de
farines animales britanniques, la maladie ne devrait pas se propager en Suisse.
Or, il existait effectivement, à cette époque, un faisceau d'éléments objectifs
et sérieux laissant supposer, comme le soutient la recourante, que l'ESB se
présentait alors comme un problème spécifiquement britannique. Le Royaume-Uni
réunissait en effet un certain nombre de caractéristiques inconnues ailleurs en
Europe, à savoir: la présence d'un important cheptel ovin, le recensement de
nombreux cas de tremblante, l'utilisation de cadavres de moutons pour la
fabrication des farines animales, y compris celles destinées aux bovins et,
enfin et surtout, l'adoption, dès le début des années quatre-vingt, de
standards de sécurité inférieurs à ceux appliqués jusque-là en matière de
stérilisation pour produire de telles farines (cf. supra état de fait let. C).
Du reste, la thèse selon laquelle l'apparition et la propagation de la maladie
étaient dues à une série de facteurs spécifiques à la Grande-Bretagne n'était
pas seulement partagée par l'OVF et ses spécialistes, mais aussi par les
experts britanniques (cf. rapport Southwood du 3 février 1989, p. 9-18; lettre
du 14 février 1990 du Directeur de l'office vétérinaire britannique à son
homologue helvétique), ainsi que par de nombreux Etats européens, si l'on en
juge par le fait que les mesures prises dans ceux-ci pour faire face à la crise
n'ont, dans leur ensemble, pas été plus précoces ou plus incisives qu'en
Suisse, la Communauté européenne ayant même attendu le 27 juin 1994 (décision
94/381/CE) pour interdire formellement aux Etats membres d'utiliser des farines
animales dans l'alimentation des ruminants (cf. supra état de fait let. B).

  Par conséquent, il y avait, durant la période litigieuse, suffisamment de
raisons valables pour considérer que seule l'utilisation de farines animales
britanniques présentait un risque sanitaire, à l'exception de celles produites
en Suisse ou dans d'autres Etats selon des procédés éprouvés. A cet égard, il
faut souligner que l'adjonction de farines animales dans l'alimentation des
ruminants, mais aussi des porcs et de la volaille, était alors une pratique
courante qui avait fait ses preuves depuis de nombreuses années en Suisse et en
Europe - et même, semble-t-il, dans le reste du monde (cf. les statistiques

britanniques d'exportation des farines animales) -, sans qu'aucun problème
épizootique du type de celui survenu en Grande-Bretagne ne se fût jusque-là
manifesté. De plus, et ce point est important dans la pesée des intérêts, les
risques pour la santé humaine étaient alors considérés comme nuls ou quasi
inexistants.

  Dans ces circonstances, l'interdiction brutale et générale d'alimenter les
ruminants avec des farines animales serait apparue, à l'été 1988, comme une
mesure sinon inutile, faute de risque clairement défini voire identifié, du
moins excessive compte tenu notamment de ses conséquences économiques pour les
secteurs concernés. En particulier, les producteurs de viande bovine se
seraient trouvés contraints de remplacer du jour au lendemain les farines
animales destinées au bétail par des protéines végétales (soja) d'un coût
sensiblement plus élevé que celles-là, avec à la clé une diminution
significative de leurs revenus; nombreux parmi eux n'auraient dès lors pas été
prêts à admettre une telle contrainte sur la seule base de vagues soupçons ou
d'improbables hypothèses concernant aussi bien les risques sanitaires pour
l'homme que pour les animaux. Par ailleurs, les fabricants de fourrages, en
particulier ceux qui s'étaient spécialisés dans la transformation de protéines
animales auraient, faute de débouchés, vu leur existence compromise, ou
auraient à tout le moins dû consentir des investissements importants pour
s'adapter à la situation nouvelle; non seulement un préjudice économique, mais
aussi des pertes d'emplois étaient dès lors à redouter. De la même manière, les
établissements de destruction de cadavres auraient également subi de notables
préjudices économiques, en raison de l'empêchement de vendre leurs farines pour
la fabrication de fourrages destinés aux ruminants (sur ces aspects, cf.
commentaire de l'OVF sur l'ordonnance concernant des mesures immédiates contre
l'encéphalopathie spongiforme des ruminants, p. 2 et 3).

  En conséquence, il apparaît que la mesure litigieuse ne serait pas allée sans
entraîner une forte résistance des milieux concernés et qu'elle aurait
certainement été mal appliquée quand elle n'aurait pas été éludée, sans compter
qu'elle aurait au surplus été difficile à mettre en oeuvre et à contrôler, ne
serait-ce qu'en raison du fait qu'il existait alors d'importants stocks de
farines animales dans les nombreuses exploitations agricoles présentes en
Suisse, qu'elles soient bovines, porcines, avicoles ou mixtes, et que
l'utilisation de telles farines serait demeurée licite pour l'alimentation des
porcs et de la volaille,

avec tous les risques de confusion et de méprise que cela comportait, voire
même, dans les cas les plus graves, de fraude à la loi.

  Il est vrai que, comme le relèvent les intimés, lors de sa session du 28
novembre au 1er décembre 1989 à Paris, la Commission pour la fièvre aphteuse et
autres épizooties de l'OIE avait invité les Etats membres notamment à
"envisager d'interdire la distribution aux ruminants de protéines issues de
ruminants et rendre obligatoire la déclaration des cas suspects." Ce n'était
toutefois là qu'une invitation parmi de nombreuses autres recommandations
(comme celles d'encourager les études scientifiques sur l'ESB ou d'informer les
milieux concernés) qui, au surplus, était rédigée sur un mode peu directif et
n'avait visiblement pas un caractère prioritaire. En outre, il n'apparaît pas
que de nouvelles connaissances scientifiques, notamment par rapport à celles
qui figuraient dans le rapport Southwood, eussent alors motivé une telle
recommandation; or, ce rapport, qui faisait autorité à l'époque, ne préconisait
l'interdiction d'utiliser des farines animales dans l'alimentation des
ruminants que pour un temps limité, essentiellement afin de signifier aux
industriels britanniques qu'ils devaient abandonner leurs anciennes méthodes de
production, notamment en matière de stérilisation, et qu'ils devaient désormais
veiller à fabriquer et commercialiser des farines animales exemptes du prion de
l'ESB (cf. rapport précité, p. 17). A contrario, on peut déduire que le rapport
Southwood précité ne proscrivait pas l'utilisation de farines produites selon
des standards de sécurité élevés. Du reste, la recommandation litigieuse de
l'OIE n'a pas été suivie d'effet dans la Communauté européenne ni dans de
nombreux Etats membres (tels l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne ou le Portugal;
cf. supra état de fait let. B), et il est frappant de constater qu'elle n'était
déjà plus d'actualité lors de la Conférence de l'OIE qui s'est tenue à Paris
les 28 et 29 septembre 1990, soit moins d'une année après qu'elle eut été
formulée par la Commission pour la fièvre aphteuse; dorénavant, il était
seulement mentionné à l'adresse des pays indemnes d'ESB qu'il "pourrait être
utile d'exclure de la ration alimentaire des ruminants les tissus qui, chez
l'animal infecté, sont les plus susceptibles de contenir l'agent causal en
quantités importantes."
  En définitive, il faut convenir qu'en ne prenant la mesure litigieuse
qu'après l'onde de choc provoquée par l'apparition du premier cas d'ESB en
Suisse en novembre 1990, les autorités sont demeurées dans le cadre de la marge
d'appréciation qui doit leur être reconnue

(cf. supra consid. 4.4), d'autant qu'elles ne sont pas restées inactives dans
l'intervalle, mais ont pris un certain nombre de dispositions allant dans le
sens des recommandations de l'OIE. En particulier, elles n'ont pas seulement
immédiatement interdit, comme on l'a vu, l'importation de farines animales
britanniques, mais elles ont également informé les vétérinaires cantonaux sur
l'état de la situation et les mesures à prendre et ont encore suivi
attentivement l'évolution de la maladie, notamment en créant un laboratoire de
référence à l'Université de Berne et en participant activement à de nombreuses
rencontres internationales sur le sujet.

  Le recours est dès lors bien fondé sur ce point.

  5.2  La deuxième omission illicite retenue dans le jugement attaqué porte sur
la période allant de fin juillet/début août 1988 au 14 juin 1990.

  Selon la Commission de recours, la Confédération aurait dû, également, au
plus tard une dizaine de jours après la mesure de "feed ban" décidée par les
autorités britanniques le 18 juillet 1988, interdire l'importation des farines
animales en provenance de Grande-Bretagne de manière formelle, et ne pas se
contenter d'une interdiction de fait, car une telle interdiction "ne répondait
par définition pas à l'exigence de la légalité appelée à fonder toute
restriction étatique aux libertés individuelles (et) n'était au surplus pas
propre à déployer les effets souhaités, notamment car son défaut de légalité la
privait de la crédibilité nécessaire auprès des exportateurs, importateurs et
producteurs intéressés." Cette omission illicite a perduré, d'après les
premiers juges, jusqu'à ce que la Confédération formalise la mesure litigieuse
dans l'ordonnance précitée du 13 juin 1990 (1/90), entrée en vigueur le jour
suivant, interdisant temporairement l'importation de ruminants et de produits
issus de ces animaux en provenance de Grande-Bretagne.

  Au vu des résultats des premières études épidémiologiques menées sur la
maladie, il est certain que, comme on l'a déjà dit, la Confédération devait,
par mesure de précaution, veiller à ne plus laisser entrer de farines animales
en provenance de Grande-Bretagne en même temps que ce pays en interdisait
l'utilisation sur son territoire, vu la probable implication de ces farines
dans l'apparition et la propagation de l'ESB. C'est du reste bien ce que les
autorités suisses compétentes ont fait en instaurant, dès le 18 juillet 1988,
une interdiction de fait d'importer des farines animales britanniques, à
l'image de ce

que fera l'Allemagne en mai de l'année suivante. La Commission de recours a
toutefois jugé cette mesure inadéquate en raison de son inefficacité, seule une
interdiction légale étant, à ses yeux, de nature à atteindre l'objectif visé.
La Confédération rejette cet argument. Se fondant sur ses statistiques, elle
affirme qu'il n'y a pas eu d'importation de farines animales en provenance de
Grande-Bretagne entre 1986 et 1990.

  Selon les statistiques officielles britanniques, quelque douze tonnes de
farines animales ont été exportées en Suisse et/ou au Liechtenstein en 1986,
sans qu'on connaisse le détail de ce chiffre, notamment la répartition des
farines entre les deux pays concernés. Une lecture en parallèle des
statistiques britanniques et suisses inclinerait donc plutôt à retenir que
seule la Principauté du Liechtenstein a importé des farines animales
britanniques en 1986; la question peut cependant rester ouverte, car l'année en
cause sort de la période litigieuse et il est exclu d'imputer une quelconque
responsabilité à la Confédération pour des faits antérieurs à l'apparition de
la maladie en Grande-Bretagne. En revanche, mis à part 293 kilos en 1990, ce
qui est négligeable, les statistiques britanniques ne font état d'aucune
exportation de farines animales en direction de la Suisse après l'année 1986.
Par rapport à ses proches voisins, celle-ci apparaît même l'un des rares pays à
n'avoir plus importé de farines animales du Royaume-Uni dès 1987 (cf. les
statistiques britanniques se rapportant à la France, à l'Allemagne ou à
l'Italie).

  Par conséquent, l'opinion de la Commission de recours selon laquelle la
mesure en cause n'était pas adéquate se révèle inexacte, du moins en ce qui
concerne l'objectif d'interdire l'importation directe de farines animales
britanniques, la question d'éventuelles importations indirectes de telles
farines et les moyens d'y faire face étant - suivant l'ordre des griefs retenus
dans la décision attaquée - examinée séparément au considérant suivant.

  Sur ce point également, le recours s'avère dès lors bien fondé.

  5.3  La troisième omission illicite retenue dans le jugement attaqué porte
sur la période allant de fin juillet/début août 1988 au 1er décembre 1990.

  La Commission de recours a estimé que la Confédération aurait dû, dans le
même délai d'une dizaine de jours après la mesure de "feed ban" décidée par les
autorités britanniques, soit début août 1988 au plus tard, interdire
l'importation de farines animales en provenance

non seulement du Royaume-Uni, mais également de tout pays d'Europe
continentale. Certes, les premiers juges admettent que la Confédération n'avait
pas de "certitudes, à l'époque, sur le risque exact que pouvaient représenter
des farines animales provenant de pays autres que le Royaume-Uni. Mais la
nature mystérieuse de l'épizootie, l'intuition qu'elle pouvait concerner
l'ensemble de l'Europe et l'interpénétration naturelle des marchés de l'UE,
devaient conduire (ses) offices à la plus grande prudence, doublée de fermeté,
face à des risques d'importations indirectes en provenance du Royaume-Uni." Aux
yeux de la Commission de recours, l'omission de la Confédération a constitué un
comportement illicite engageant sa responsabilité jusqu'au 1er décembre 1990,
date à laquelle sont entrées en vigueur les mesures immédiates de lutte contre
l'ESB comprenant notamment l'interdiction d'utiliser des farines animales pour
alimenter les ruminants.

  Cette appréciation ne convainc pas, car elle tient largement compte de faits
qui n'ont été découverts que postérieurement à la période litigieuse. En effet,
rien dans le dossier ne permet de considérer que le risque de contamination par
des importations indirectes de farines animales britanniques fût déjà connu à
l'été 1988, soit près de deux ans et demi avant même l'apparition du premier
cas d'ESB en Suisse, le 2 novembre 1990. En particulier, il ressort d'un
échange de correspondances du mois de juin 1990 entre l'OFAG et l'OVF que
l'extension de l'interdiction d'importer des farines animales à d'autres Etats
que le Royaume-Uni n'avait alors été envisagée qu'à propos des pays qui avaient
connu des cas de tremblante, sans que le risque des importations indirectes de
farines britanniques fût seulement évoqué. Selon les pièces au dossier, ce
risque - plus précisément le soupçon d'un probable mélange de farines anglaises
avec des farines françaises - n'a été envisagé pour la première fois par les
offices mis en cause qu'au mois de novembre 1990 (cf. fax de l'OVF à l'OFAEE du
23 novembre 1990), soit peu après l'apparition du premier cas d'ESB en Suisse,
le 2 novembre 1990, et peu avant que ne soit promulguée l'interdiction
d'utiliser des farines animales pour l'alimentation des ruminants (ordonnance
du 29 novembre 1990 concernant des mesures immédiates contre l'encéphalopathie
spongiforme des ruminants).

  Mais l'absence d'omission illicite de la Confédération sur ce point suppose
non seulement que ses offices n'aient effectivement pas connu, au moment
déterminant, l'existence des importations indirectes

supposées, mais encore qu'ils n'aient pas dû se douter de ce problème en
faisant preuve de l'attention commandée par les circonstances. Comme elle l'a
toujours soutenu durant la procédure, la recourante fait valoir que ce n'est
qu'après l'apparition du premier cas d'ESB en Suisse en novembre 1990 que
l'hypothèse d'importations indirectes au moyen de nouvelles indications
d'origine et de qualité a été prise en considération et envisagée comme facteur
pouvant expliquer l'apparition et la propagation de la maladie en Suisse; elle
ajoute que ce n'est même qu'à partir de 1994, soit après les premiers cas dits
de "BAB" en 1993, que des études ont validé la vraisemblance de cette hypothèse
(cf. B. HÖRNLIMANN/D. GUIDON/C. GRIOT, Risikoeinschätzung für die
Einschleppung von BSE, in Deutsche tierärztliche Wochenschrift 101 p. 295 ss).
Or, jusqu'en novembre 1990, la Confédération estime qu'elle ne devait pas
envisager une telle hypothèse pour les motifs suivants: elle n'avait pas de
raison de douter de l'authenticité des certificats d'origine accompagnant les
livraisons de farines animales en provenance des pays d'Europe continentale,
telle la France; aucun de ces pays n'avait encore déclaré de cas d'ESB; il n'y
avait alors pas de test pour détecter la présence de l'agent infectieux de
l'ESB dans les farines animales; enfin, l'ESB était, à l'époque, considérée par
les spécialistes comme une maladie spécifiquement britannique.

  Certes, comme l'ont relevé les premiers juges, les chiffres des exportations
de farines animales britanniques vers certains pays européens ont plus que
doublé entre 1988 et 1989, notamment en direction de la France (cf.
statistiques britanniques précitées). C'est d'ailleurs l'un des principaux
éléments qui a finalement conduit les experts à retenir l'hypothèse de
l'importation indirecte de farines animales britanniques via ces pays au moyen
de nouvelles indications d'origine et de qualité ou/et - la chose n'est
aujourd'hui encore pas claire - de fausses déclarations (cf. B. HÖRNLIMANN/D.
GUIDON/C. GRIOT, loc. cit.). Ces chiffres ne pouvaient toutefois, par
définition, pas être connus en août 1988 déjà. Quoi qu'il en soit, on ne voit
objectivement pas sur la base de quels indices la Confédération aurait dû être
amenée à se douter que des farines animales contaminées continuaient d'être
exportées depuis la Grande-Bretagne dans des Etats membres de la Communauté
européenne après le mois de juillet 1987. A cet égard, on ne peut passer sous
silence le fait que la Communauté européenne et ses Etats membres eux-mêmes
n'ont alors pas envisagé une telle hypothèse (cf. le rapport du Parlement

européen du 7 février 1997 sur les allégations d'infraction et de mauvaise
administration dans l'application du droit communautaire en matière d'ESB, sans
préjudice des compétences des juridictions communautaires et nationales,
A4-0020/97, ch. 2.3 et passim; ce rapport est disponible sur le site internet
du parlement européen à l'adresse suivante: www.europarl.eu.int) et que la
Communauté européenne n'a semble-t-il pas pris de mesures spécifiques pour
prévenir le risque des importations indirectes avant sa décision du 27 mars
1996 (96/239/CE) imposant au Royaume-Uni un embargo total sur l'exportation de
tout produit obtenu à partir d'animaux de l'espèce bovine, y compris en
direction de pays tiers, "afin d'éviter des détournements de trafic".

  Dans ces conditions, on ne saurait reprocher à la recourante de n'avoir pas
pris dès l'été 1988 des mesures pour empêcher des importations indirectes de
farines animales britanniques, faute d'indices laissant entrevoir une telle
pratique ou même seulement en supposer le risque. Du moment que, comme on l'a
vu (supra consid. 5.1), les farines animales produites hors du Royaume-Uni
selon des standards de sécurité élevés et des méthodes éprouvées pouvaient
raisonnablement être considérées comme exemptes de danger, il n'y avait pas
plus de raison d'interdire l'importation de telles farines que d'en interdire
l'utilisation. Pour les mêmes raisons qu'exposées plus haut, une telle mesure
apparaissait en effet disproportionnée au vu des risques sanitaires peu clairs
voire inexistants censés la justifier, surtout qu'elle ne touchait pas
seulement les producteurs de viande bovine et les filières associées, comme
dans le cas de l'interdiction des farines animales pour l'alimentation des
ruminants, mais également les éleveurs de porcs et de volaille qui auraient dû
subitement s'adapter et, en particulier, trouver d'autres substituts pour
alimenter leurs animaux. La mesure aurait à l'époque été d'autant plus mal
comprise et mal appliquée que l'ESB n'avait eu de conséquences sanitaires - et
ce fait semble aujourd'hui encore exact - sur aucune exploitation porcine ou
avicole, y compris au Royaume-Uni.

  Pour le surplus, ni la "nature mystérieuse" de l'ESB ni "l'intuition" que la
maladie pouvait concerner toute l'Europe n'étaient des éléments suffisants pour
légitimer une mesure aussi incisive que l'interdiction générale d'importer des
farines animales: en effet, des risques reposant sur de simples intuitions,
spéculations ou hypothèses dénuées de fondement scientifique objectif ou
sérieux ne sont, en principe, pas de nature à justifier des mesures de
précaution (cf.

NICOLAS DE SADELEER, Les principes du pollueur-payeur, de prévention et de
précaution, Bruxelles 1999, p. 172 et la référence citée). A cela s'ajoute que,
comme le soutient la recourante, des risques aussi peu clairs n'étaient selon
toute vraisemblance pas suffisants pour justifier l'interdiction ici litigieuse
sous l'angle des règles du commerce international (cf. la décision de l'organe
d'appel de l'OMC du 16 janvier 1998 rendue sur appel des Communautés
européennes, des Etats-Unis et du Canada, dans l'affaire des mesures
communautaires concernant les viandes et les produits carnés [hormones],
AB-1997-4, ad ch. XI et XII; DE SADELEER, op. cit., p. 144 s.; STÉPHANIE
GANDREAU/RACHEL VANNEUVILLE, Le principe de précaution saisi par le juge
administratif. Enjeux politiques et sociaux de la mobilisation juridique du
principe de précaution, mai 2004, rapport publié sur le site internet du
Ministère [français] de l'écologie et du développement durable à l'adresse
suivante: www.ecologie. gouv.fr/article.php3?id_article=4421, sous la rubrique
"Documents liés", p. 66; pour une critique de la jurisprudence de l'OMC, cf.
MAI-ANH NGO, L'article 5 § 7 de l'accord SPS: outil de protectionnisme ou
protection?, avril 2005, article publié sur le site internet du Groupe de
recherche en droit, économie, gestion, Centre national de la recherche
scientifique, Université de Nice, à l'adresse suivante: www.idefi.cnrs.fr, sous
la rubrique "Documents de travail").

  Il s'ensuit que la Confédération pouvait, du moins jusqu'en décembre 1990, se
limiter à interdire l'importation de farines animales en provenance de
Grande-Bretagne, tout en continuant à suivre attentivement, comme elle l'a
fait, l'évolution de la maladie en Suisse et à l'étranger, puis en adaptant ses
mesures au gré des nouveaux développements.

  5.4  Les deux dernières omissions reprochées à la Confédération sont
étroitement liées, en ce sens que, comme l'a relevé la Commission de recours,
elles résultent du fait que des farines animales infectées ont continué à
pouvoir être utilisées dans l'alimentation des porcs et de la volaille après
leur interdiction pour les ruminants en décembre 1990. C'est en effet au
contact de telles farines que des fourrages destinés à l'alimentation des
bovins, exempts de protéines animales depuis l'interdiction précitée, ont
malgré tout encore été contaminés par la suite. Les farines pouvaient notamment
entrer en contact et se mélanger lors de leur fabrication dans les usines
(contamination croisée dans les moulins; infra consid. 5.4.1) ou lorsqu'elles
étaient utilisées par les paysans, notamment dans les exploitations

où se côtoyaient des ruminants et d'autres animaux de rente (contamination
croisée chez les éleveurs; infra consid. 5.4.2).

  5.4.1  Selon le jugement attaqué, le phénomène de la contamination croisée
dans les moulins engage la responsabilité de la Confédération pour la période
allant du 1er juillet 1998 au 1er novembre 2000.

  La Commission de recours a estimé que l'apparition des cas dits de "BAB" dès
1993 était la démonstration que les mesures prises jusque-là n'étaient pas
suffisantes pour juguler la maladie. D'autres mesures s'imposaient, surtout
après la révélation de la possible transmission de la maladie à l'homme en
1996, d'autant qu'à cette date il existait déjà, d'après le jugement attaqué,
des "suspicions scientifiques sérieuses sur le caractère potentiellement
infectieux des mélanges qui se produisaient (dans les moulins)". Au vu de ces
éléments, les offices auraient dû prendre conscience du problème et "en tirer
les déductions nécessaires" au plus tard au début de l'année 1998. Toutefois,
compte tenu d'un "temps d'adaptation raisonnable" et de l'opposition des
milieux intéressés, y compris paysans, on pouvait admettre, concèdent les
premiers juges, que les mesures propres à empêcher la contamination croisée
dans les moulins fussent repoussées un certain temps, mais pas au-delà du 1er
juillet 1998. A compter de cette date, le report de telles mesures s'est
apparenté à une omission illicite qui a duré jusqu'à ce que celles-ci soient
finalement devenues effectives en novembre 2000, conformément à une décision
prise conjointement en juin 2000 par la Confédération et les milieux concernés
(mesure dite de tolérance zéro dans les moulins).

  La Confédération conteste cette appréciation. Elle rappelle qu'avant même
l'apparition des premiers cas de "BAB", elle avait déjà pris de très nombreuses
mesures pour réduire les risques d'infection des ruminants par les fourrages et
que, à la suite de l'apparition du premier cas de BAB en 1993, des recherches
avaient immédiatement été entreprises pour en déterminer l'origine; mais,
précise toutefois la recourante, ce n'est qu'en 1996 que l'on découvrit que le
prion était très résistant et très virulent, en ce sens qu'il pouvait passer au
travers des procédés de stérilisation, y compris des nouvelles exigences de
thermisation, et que l'ingestion d'un demi-gramme de tissu infectieux suffisait
pour qu'un bovin contracte la maladie. La recourante souligne encore qu'elle
n'est pas restée inactive à la suite de ces nouvelles découvertes et qu'elle a
derechef pris un grand

nombre de mesures pour réduire encore les risques de contamination, notamment
dès le mois de mai 1996. Vu le délai d'incubation de la maladie, elle estime
néanmoins qu'elle ne pouvait pas vérifier avant 2000 ou 2001 l'efficacité de
ces nouvelles mesures et qu'elle n'avait dès lors pas à prendre d'autres
mesures dans l'intervalle, d'autant que la situation allait s'améliorant depuis
1995. Ce n'est, poursuit la recourante, que lorsque deux cas d'ESB sur des
bovins nés après les mesures prises en mai 1996 se sont déclarés, en octobre
2000, que de nouvelles mesures pour lutter contre les contaminations croisées,
notamment dans les moulins, ont dû être envisagées. Or, elle rappelle qu'à
cette époque, d'entente avec les milieux concernés, elle avait déjà arrêté en
juin 2000 les mesures propres à éviter ce mode de transmission; comme celles-ci
impliquaient de nouvelles méthodes de fabrication des farines, notamment la
séparation des filières de production, elles ne sont devenues effectives que
dès le mois de novembre suivant.

  Au cours des années nonante, la situation a considérablement évolué après la
survenance du premier cas d'ESB en Suisse en novembre 1990 qui a été suivie
d'une constante augmentation des cas déclarés jusqu'en 1995 (9 cas en 1991, 15
en 1992, 29 en 1993, 63 en 1994 et 68 en 1995), avec, dans l'intervalle,
l'apparition en 1993 du premier cas de "BAB", puis la révélation, en mars 1996,
du probable risque de transmission de la maladie à l'homme sous la forme d'une
variante de la maladie de Creutzfeldt-Jacob (vMCJ). L'année 1996 est une année
charnière pour deux autres raisons encore: premièrement, comme l'a rappelé la
Confédération, c'est en 1996 qu'aussi bien la résistance du prion (soit sa
capacité à supporter des températures de stérilisation élevées) que sa
virulence (soit sa capacité à infecter même en infimes quantités des animaux
sains) ont été découvertes; secondement, selon les pièces au dossier, c'est
également durant l'année en cause que le problème - ici litigieux - des
contaminations croisées a semble-t-il été sérieusement envisagé pour la
première fois comme hypothèse pour expliquer certains nouveaux cas de "BAB"
(cf. le texte de l'exposé présenté le 30 mai 1996 par des membres de l'Institut
de Virologie et d'Immunoprophylaxie de Mittelhäusern, in Epidémiologie et santé
animale 30/1996 p. 77-84, 78), même si ce n'est apparemment qu'en septembre
1999 qu'une étude de l'OVF a validé cette hypothèse; cette étude a en effet
conclu que les récents cas de "BAB" étaient selon toute vraisemblance dus aux
contaminations croisées dans les moulins et chez les éleveurs.

  Au gré des développements rappelés ci-avant, la Confédération a pris de
nombreuses mesures pour prévenir les risques sanitaires aussi bien pour l'homme
que pour l'animal; s'agissant des mesures spécifiques de lutte contre l'ESB,
outre celles déjà énumérées ci-avant, on peut encore mentionner: l'obligation
d'incinérer les organes à risque dès le 1er décembre 1990 (RO 1990 p. 1921); la
soumission, dès le 1er janvier 1991, des farines importées aux normes de
fabrication valables en Suisse, notamment en matière de thermisation (cf. FF
1996 V 1296); le renforcement des exigences de thermisation concernant le
traitement des déchets animaux dès le 1er mars 1993 (RO 1993 p. 920); la
destruction des semences et des déchets d'embryons de bêtes atteintes d'ESB dès
le 1er janvier 1994 (RO 1993 p. 3373); l'obligation de retrouver puis
d'éliminer sans délai les descendants directs de bêtes atteintes d'ESB à partir
du 1er octobre 1996 (RO 1996 p. 2559); l'obligation d'incinérer le crâne et les
yeux ainsi que la moelle épinière de tous les animaux dès le 19 décembre 1996
(RO 1997 p. 227); un nouveau renforcement des exigences de thermisation à
partir du 1er juillet 1998 (RO 1998 p. 1575); la mise en place, dès 1999, du
test de dépistage Prionics; l'obligation, à partir du 1er juillet 1999, de tuer
et d'incinérer tous les animaux d'un troupeau nés une année avant ou après la
naissance d'une bête infectée de l'ESB qui appartenait au même troupeau (RO
1999 p. 1523) (pour un exposé plus détaillé de ces mesures et des autres
mesures prises durant cette période, cf. le recours du DFF, p. 15/16, 21 à 30,
et 38/39).

  C'est en tenant compte de l'ensemble de ces mesures ainsi que de l'état de la
situation au moment déterminant que doit s'apprécier l'omission ici reprochée à
la Confédération, soit le fait d'avoir tardé à prendre les dispositions
décidées en juin 2000 pour mettre fin à la contamination croisée dans les
moulins. Or, force est de constater qu'en juillet 1998, soit lorsque la
Confédération aurait déjà dû, selon la Commission de recours, prendre de telles
dispositions, le nombre de nouveaux cas d'ESB accusait une baisse constante
depuis plusieurs années, étant passé de 68 en 1995, à 45 en 1996, 38 en 1997 et
14 en 1998. Certes, la part des cas de "BAB" a - logiquement - augmenté au
cours de ces mêmes années, avec toutefois un recul significatif en 1998 (10 cas
pour cette année-là, contre 23 cas une année plus tôt). Par ailleurs, même si,
comme le soulignent les intimés, des traces de protéines animales étaient
présentes, selon les contrôles effectués entre 1991 et 2000, dans de nombreux
échantillons

prélevés sur des fourrages destinés aux ruminants, il faut constater, avec la
Confédération, que seul un pourcentage très faible de ces mêmes échantillons
(semble-t-il moins de 1 % selon les chiffres officiels) contenaient un degré de
contamination susceptible d'infecter des animaux, soit une teneur en farines
animales supérieure au seuil de tolérance maximal défini par le "Scientific
Steering Committee" de l'Union européenne en septembre 1998 (de 0.5 %).

  Dans ces conditions, la Confédération pouvait raisonnablement compter, en
1998, que les mesures prises jusque-là viendraient à bout de l'épizootie à
relativement courte échéance. Les résultats encourageants obtenus à cette
époque lui permettaient en tout cas de différer pendant un certain temps encore
la décision d'appliquer une tolérance zéro dans les moulins, d'autant que cette
dernière mesure aurait, selon les évaluations de l'OVF, occasionné des coûts
supplémentaires d'élimination des déchets de boucherie de l'ordre de 100
millions de francs par année pour les producteurs (cf. détermination de l'OVF
du 29 juin 2000, p. 104). Mais surtout, le délai d'incubation moyen de la
maladie empêchait la Confédération de valablement mesurer avant l'année 2000
voire 2001 l'efficacité et l'efficience des mesures prises dès 1996; ce n'est
d'ailleurs qu'en octobre 2000 que se sont déclarés les deux premiers cas d'ESB
sur des bovins nés après les mesures prises en mai 1996. Avant cette date, la
Confédération avait d'autant moins de raison de remettre en cause sa stratégie
et les mesures adoptées jusque-là que celles-ci avaient été confirmées par les
conclusions d'une étude privée (cf. rapport du 1er juin 1999 "Risikoabschätzung
TSE" Ernst Basler + Partner AG; voir également le commentaire de l'OVF du 25
août 1999 relatif à ce rapport).

  Certes, il apparaît qu'en 1999 le nombre de nouveaux cas d'ESB a fortement
augmenté, passant à 50 contre 25 une année plus tôt. Même si cette hausse était
due pour la moitié des cas à la mise en place du nouveau test de dépistage
Prionics, de nouvelles mesures s'imposaient à plus ou moins brève échéance,
surtout après la publication en septembre de la même année d'une étude qui
confirmait l'hypothèse, jusqu'ici seulement suspectée, du problème des
contaminations croisées. Au vu, cependant, des circonstances, notamment du
temps nécessaire pour définir et arrêter les mesures utiles avec les milieux
concernés, notamment les fabricants de farines qui devaient consentir des
investissements importants pour modifier leurs moyens

de production (cf. détermination de l'OVF du 29 juin 2000, p. 104), il faut
admettre que le report jusqu'en juin 2000 de la décision litigieuse se situe
encore dans la marge de décision devant être reconnue aux autorités dans le
choix aussi bien des mesures à prendre que de leur moment, afin de tenir compte
de la complexité du cas et des nombreux intérêts en jeu. Par ailleurs, il faut
donner raison à la recourante lorsqu'elle relève que la maladie ne revêtait
alors - et ce fait est encore exact - pas le caractère d'une "épizootie
hautement contagieuse" devant être éradiquée aussi rapidement que possible au
sens de l'art. 1a al. 1 LFE, mais s'apparentait à une "autre épizootie", au
sens de l'art. 1a al. 2 LFE, devant être éradiquée dans la mesure où
l'éradication répond à un besoin sanitaire ou économique et est possible
moyennant des dépenses acceptables. Cette distinction est importante sous
l'angle de la proportionnalité, car elle autorisait la Confédération à différer
les mesures les plus incisives - notamment les moins réversibles - pour se
concentrer sur des dispositions pouvant être facilement révisées ou adaptées en
fonction de leur succès ou de l'évolution de la situation, conformément à une
application raisonnable du principe de précaution (cf. OLIVIER GODARD, Le
principe de précaution doit-il être interdit de la Charte de l'environnement?,
in EDF-Ecole polytechnique, Chaire de développement durable, juin 2004, cahier
n° 2004-008, p. 10; ce document est disponible sur l'internet à l'adresse
suivante: www.ceco. polytechnique.fr, sous la rubrique "Publication"). Il
convient également de relever que, même si elle n'était encore pas totalement
sous contrôle, la situation s'était, comme on l'a vu, nettement améliorée de
1995 à 1998, et que durant l'année 2000, le nombre de nouveaux cas d'ESB a
connu une chute notable après l'augmentation constatée en 1999 (passant de 50
cas en 1999 à 20 cas en 2000, dont 7 dépistés grâce au système Prionics). Du
reste, en juillet 2000, un rapport de l'Union européenne ("report on the
Assessment of the Geographical BSE-Risk of Switzerland") classait la Suisse
dans les pays à faible incidence d'ESB (rapport précité, p. 47), en relevant,
s'agissant plus particulièrement du problème des contaminations croisées, que
même si celui-ci restait le risque résiduel d'infection le plus important, il
avait été fortement réduit grâce aux mesures prises en 1996, au point qu'il
était "maintenant peu probable que des farines animales contiennent des
concentrations élevées d'infectiosité de l'ESB" (rapport précité, p. 42). C'est
que les mesures arrêtées en 1996 n'avaient alors, compte tenu du délai moyen
d'incubation

de la maladie, pas encore déployé tous leurs effets; a fortiori en allait-il
des mesures prises par la suite, notamment en 1998.

  En résumé, la date du 1er novembre 2000 retenue pour l'entrée en vigueur
effective du concept de tolérance zéro dans les moulins décidé en juin 2000
n'est pas critiquable, compte tenu aussi bien des adaptations techniques et des
investissements nécessités par la mesure en cause que du fait que les premiers
cas d'ESB postérieurs aux mesures de 1996 se sont déclarés seulement en octobre
2000.

  5.4.2  Selon le jugement attaqué, le problème de la contamination croisée
chez les éleveurs engage la responsabilité de la Confédération pour la période
allant du 1er novembre 1998 au 1er mars 2001.

  La Commission de recours a en effet estimé qu'en même temps qu'elle aurait dû
prendre les mesures pour faire face à la contamination croisée dans les
moulins, la Confédération aurait également dû décréter l'interdiction
d'utiliser des farines animales dans l'alimentation de tous les animaux de
rente, afin d'empêcher le risque de contamination croisée chez les éleveurs.
Toutefois, une telle interdiction touchait une multitude d'intérêts privés, et
notamment renchérissait les coûts de l'alimentation des porcs et de la volaille
et contraignait les fabricants et les négociants de farines animales à trouver
de nouveaux débouchés. Elle pouvait donc, d'après les premiers juges, être
différée un certain temps, mais au plus tard jusqu'au 1er novembre 1998, soit
quatre mois après que des mesures auraient dû être prises pour contrer la
contamination croisée dans les moulins. Ce délai correspondait au temps qui,
dans les faits, s'était écoulé entre les mesures prises par la Confédération
pour mettre fin à la contamination croisée dans les moulins (novembre 2000) et
celles prises pour mettre fin à la contamination croisée chez les paysans (mars
2001).

  La Confédération objecte, comme elle l'a fait pour le problème de la
contamination croisée dans les moulins, qu'elle n'avait pas à prendre la mesure
litigieuse avant octobre 2000, soit avant que les deux premiers cas de bovins
nés après les mesures prises en mai 1996 ne se fussent déclarés. Or, elle
rappelle que l'OVF a immédiatement proposé au Conseil fédéral, en novembre
2000, d'interdire d'affourager tous les animaux de rente avec des farines
animales, ce qu'a fait cette autorité dans une décision du 20 décembre 2000
entrée en vigueur le 1er mars 2001 (RO 2001 p. 259).

  Pour les mêmes motifs que ceux développés au considérant qui précède (notable
amélioration de la situation depuis l'année 1995; raisons sérieuses de penser
que l'épizootie allait se résorber à relativement bref délai; impossibilité de
mesurer l'efficacité et l'efficience des mesures prises en 1996 avant l'année
2000 ou 2001; absence jusqu'en octobre 2000 de cas d'ESB nés après l'adoption
de ces mesures ...), la Confédération a correctement exercé ses responsabilités
en décidant la mesure litigieuse en décembre 2000. A cela s'ajoute que le
rapport précité du 1er juin 1999 "Risikoabschätzung TSE" jugeait, sur la base
de critères sanitaires et économiques, que l'interdiction d'affourager tous les
animaux de rente avec des farines animales était une "mauvaise" mesure (rapport
précité, p. 46). Compte tenu des importantes conséquences économiques de cette
mesure pour les acteurs concernés, son entrée en vigueur le 1er mars 2001, soit
un peu plus de deux mois après son adoption et peu avant une décision
comparable prise par l'Union européenne (cf. art. 7 et annexe IV, ch. 1 du
Règlement [CE] n° 999/2001 du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001
fixant les règles pour la prévention, le contrôle et l'éradication de certaines
encéphalopathies spongiformes transmissibles), se situe, là encore, dans la
marge d'appréciation dévolue à la Confédération.

  5.4.3  Pour ces motifs, aucune omission illicite ne peut être reprochée à la
Confédération en relation avec les problèmes de contaminations croisées dans
les moulins ou chez les éleveurs.