Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 132 III 758



Urteilskopf

132 III 758

  91. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile dans la cause X. contre
Société Anonyme du Journal de Genève et de la Gazette de Lausanne (recours
en réforme)
  4C.235/2006 du 23 octobre 2006

Regeste

  Art. 741 Abs. 2 OR; Abberufung eines Liquidators.

  Begriff der wichtigen Gründe, die es dem Richter erlauben, den Liquidator
gemäss Art. 741 Abs. 2 OR abzuberufen (E. 3.3). Prüfung der verschiedenen
Elemente, aus denen eine objektive Gefahr abgeleitet werden kann, dass die
Liquidationshandlungen nicht korrekt vorgenommen werden (E. 3.5). Insgesamt
betrachtet rechtfertigen diese Umstände im vorliegenden Fall die Abberufung
des Liquidators (E. 3.6).

Sachverhalt ab Seite 758

  X. détient deux actions de la Société Anonyme du Journal de Genève et de
la Gazette de Lausanne (ci-après: SAJGGL).

  En 1997, X. et d'autres actionnaires minoritaires ont tenté en vain de
s'opposer à la cessation de la parution du Journal de Genève et Gazette de
Lausanne et à la création subséquente du quotidien Le Temps.

  La SAJGGL s'est depuis lors transformée en une société holding. Sa
principale activité était de détenir 47 % du capital-actions de la SA Le
Temps. Elle possédait par ailleurs une créance postposée de 6 millions de
francs contre cette société.

  B. était administrateur de la SAJGGL et de la SA Le Temps. Disposant d'une
signature collective à deux, il a signé, avec une autre personne, la
convention de postposition de la créance de la SAJGGL, agissant tant pour
cette dernière que pour la SA Le Temps.

  Lors de l'assemblée générale de la SAJGGL du 4 juillet 2000, alors que la
situation comptable de la société correspondait à celle visée à l'art. 725
al. 1 CO, B. a recommandé aux actionnaires de ne pas en tirer de
conséquences et de ne pas aviser le juge.

  A la suite d'une offre d'achat lancée en février 2001, le 80 % des actions
de la SAJGGL a été regroupé en mains de quelques actionnaires alliés à un
groupe de banquiers privés. Ces actionnaires majoritaires ont délégué au
conseil d'administration de la SAJGGL le soin de les représenter lors des
assemblées générales de la société.

  Le 31 mai 2001, la SAJGGL a vendu à trois actionnaires sa participation de
47 % du capital-actions de la SA Le Temps, ainsi que sa créance postposée
pour le prix de 11 millions de francs. Cette vente était soumise à
l'approbation de l'assemblée générale.

  Lors de l'assemblée générale de la SAJGGL du 22 juin 2001, il a notamment
été décidé, à la majorité absolue, de ratifier la vente conclue le 31 mai
2001, de dissoudre la SAJGGL et de nommer B. en qualité de liquidateur.

  Depuis le 22 juin 2001, la SAJGGL n'a pratiquement plus exercé d'activité.

  A la suite de procédures introduites par X. notamment et qui sont
actuellement pendantes, la vente par la SAJGGL du 47 % du capital-actions de
la SA Le Temps, ainsi que la dissolution et la liquidation subséquente de la
SAJGGL sont pour l'instant bloquées.

  Les actionnaires candidats au rachat du capital-actions de la SA Le Temps
n'ont payé à la SAJGGL qu'une partie des 11 millions de francs stipulés; le
solde du prix de vente a été garanti à première demande par des billets à
ordre émis par lesdits actionnaires, qui n'ont pas été acquittés. Ce montant
a été comptabilisé dans les livres de la SAJGGL.

  Lors d'une assemblée générale du 11 février 2004, les comptes pour les
exercices 2001 et 2002 de la SAJGGL ont été approuvés et la décharge du
liquidateur a été votée. A cette occasion, B. a considéré que les conditions
mises à la réalisation de la convention du 31 mai 2001 étaient réunies, de
sorte que celle-ci était devenue exécutoire.

  Le 25 juin 2004, A. a déposé une demande de renseignements et de
consultation de pièces à l'encontre de la SAJGGL, qui a été admise par la
Cour de justice.

  Lors de l'assemblée générale du 23 juin 2005, il a notamment été décidé de
réduire le capital social de la SAJGGL par remboursement de 8 fr. 50 par
action, de donner la décharge au liquidateur et de nommer C. en qualité
d'organe de révision. B. a pris part au vote. Cette réduction était
justifiée par le fait que, n'exerçant plus aucune activité commerciale, la
SAJGGL était surcapitalisée, ce qui entraînait des frais inutiles. Elle
devait s'effectuer par un versement en espèces aux actionnaires et par
compensation partielle de la créance des actionnaires repreneurs des actifs
de la SAJGGL à hauteur de 6'187'312 fr. 50 Pour ces derniers, la réduction
envisagée avait donc pour effet de compenser partiellement le paiement du
prix de vente avec le remboursement de leurs actions.

  Un groupe d'actionnaires minoritaires comprenant X. a déposé une action en
justice tendant à l'annulation de la décision de réduire le capital social.
Cette procédure est actuellement pendante.

  Le 28 octobre 2005, X. a actionné la SAJGGL en concluant notamment à la
révocation pour justes motifs de B. de ses fonctions de liquidateur. Débouté
par le Tribunal de première instance et, sur appel, par la Cour de justice
(arrêt du 18 mai 2006), X. recourt en réforme au Tribunal fédéral.

Auszug aus den Erwägungen:

                        Extrait des considérants:

Erwägung 3

  3.  Le demandeur se plaint d'une violation de l'art. 741 al. 2 CO. Il
reproche en substance à la cour cantonale d'avoir rejeté sa demande tendant
à la révocation du liquidateur, en examinant isolément chacun des
comportements de ce dernier, sans procéder à l'appréciation de la situation
dans son ensemble, et en niant que ces différentes circonstances puissent
constituer des justes motifs au sens de l'art. 741 al. 2 CO.

  3.1  Les divers comportements du liquidateur mis en évidence par le
demandeur sont intervenus postérieurement à l'entrée en vigueur, le 1er
juillet 1992, du nouveau droit de la société anonyme, de sorte que le
nouveau droit est applicable (ATF 132 III 564 consid. 4.1). Toutefois, comme
l'art. 741 al. 2 CO actuel correspond à l'art. 741 al. 1 aCO, la doctrine et
la jurisprudence rendues sous l'empire de l'ancien droit gardent leur
pertinence (arrêt du Tribunal fédéral 4C.139/2001 du 13 août 2001, consid.
2).

  3.2  Alors que la légitimation active appartient à tout actionnaire, seule
la société et non le liquidateur possède la légitimation passive

(BÜRGI/NORDMANN-ZIMMERMANN, Commentaire zurichois, n. 5 ad art. 741 aCO;
MEIER-HAYOZ, Die richterliche Ernennung von Liquidatoren bei der
Aktiengesellschaft, RSJ 46/1950 p. 213 ss, 218). C'est donc à juste titre
que le demandeur a introduit son action à l'encontre de la SAJGGL.

  3.3  L'art. 741 al. 2 CO prévoit qu'à la requête d'un actionnaire et s'il
existe de justes motifs, le juge peut révoquer des liquidateurs et, au
besoin, en nommer d'autres. Cette disposition a pour but de protéger les
intérêts de la minorité (STÄUBLI, Commentaire bâlois, n. 11 ad art. 741 CO;
BÖCKLI, Schweizer Aktienrecht, 3e éd., Zurich 2004, § 17 n. 40).

  Par justes motifs, il faut entendre toutes circonstances desquelles on
peut déduire objectivement que la liquidation ne sera pas exécutée de
manière régulière, de telle sorte que les intérêts des actionnaires et de la
société pourraient être mis en péril ou lésés. Il peut s'agir par exemple de
l'incapacité d'un liquidateur, de sa négligence, de son absence, de son
manque de probité ou encore de sa dépendance prévisible à l'égard d'une
majorité qui prendrait des décisions abusives (arrêts du Tribunal fédéral
4C.92/2005 du 19 juillet 2005, publié in SJ 2006 I p. 134 ss, consid. 2.1 et
4C.139/2001 précité, consid. 2a, ainsi que la référence à
BÜRGI/NORDMANN-ZIMMERMANN, op. cit., n. 9 ad art. 741 aCO). Il peut aussi y
avoir un juste motif lorsqu'un liquidateur occupe une double fonction, par
exemple liquidateur de la société dissoute et administrateur d'une société
nouvellement créée qui doit reprendre les valeurs patrimoniales de
l'ancienne société (STÄUBLI, op. cit., n. 11 ad art. 741 CO) ou si un
liquidateur est en conflit avec un actionnaire ou un groupe d'actionnaires
(MEIER-HAYOZ, op. cit., p. 217).

  La crainte qu'un liquidateur ne remplisse pas régulièrement sa fonction
sera d'autant plus fondée qu'il a déjà violé ses devoirs (arrêts précités
4C.92/2005, publié in SJ 2006 I p. 134 ss, consid. 2.1, et 4C.139/2001,
consid. 2a). A l'instar d'un administrateur, le liquidateur dispose d'une
marge de manoeuvre étendue, qui est toutefois limitée par le fait qu'il doit
garantir les intérêts de la société, et non agir dans son propre intérêt ou
dans celui d'actionnaires déterminés ou de tiers. L'art. 717 CO lui est
applicable, de sorte qu'il doit veiller à un traitement égal de tous les
actionnaires (cf. art. 717 al. 2 CO; STOFFEL, FJS 403 p. 10). Le respect de
cette exigence pose problème en cas de conflit d'intérêts (RIEK, Das
Liquidationsstadium

bei der AG, thèse Zurich 2003, p. 60) et la jurisprudence considère qu'en
présence d'un tel conflit, il faut, contrairement à la règle habituelle,
présumer que le liquidateur a agi contrairement à ses devoirs (arrêt
4C.139/2001 précité, consid. 2a/bb in fine).

  On peut ajouter que les justes motifs doivent résider dans la personne du
liquidateur. Ainsi, il peut être tenu compte, lors de l'application de
l'art. 741 al. 2 CO, du fait qu'un liquidateur a déjà adopté par le passé un
comportement non conforme à ses fonctions pour la société, peu importe qu'il
n'ait alors pas agi en tant que liquidateur, mais par exemple en qualité de
dirigeant (cf. arrêt 4C.139/2001 précité, consid. 3b).

  Pour déterminer s'il existe des justes motifs de révocation au sens de
l'art. 741 al. 2 CO, le juge doit faire usage de son pouvoir d'appréciation.
Il appliquera les règles du droit et de l'équité (art. 4 CC), en tenant
compte de toutes les circonstances particulières du cas concret (arrêts
précités 4C.92/2005, publié in SJ 2006 I p. 134 ss, consid. 2.1, et
4C.139/2001, consid. 2b). Comme chaque fois qu'une question relève du
pouvoir d'appréciation du juge, le Tribunal fédéral ne revoit qu'avec
réserve la décision d'équité prise en dernière instance cantonale et
n'intervient que si le juge a excédé ou abusé de son pouvoir d'appréciation.
Tel est notamment le cas si la décision attaquée s'appuie sur des faits qui,
dans le cas particulier, ne devaient jouer aucun rôle ou lorsqu'elle ignore
des éléments qui auraient absolument dû être pris en considération; le
Tribunal fédéral redresse en outre les décisions rendues en vertu d'un
pouvoir d'appréciation lorsqu'elles aboutissent à un résultat manifestement
injuste ou à une iniquité choquante (ATF 132 III 49 consid. 2.1 p. 51, 109
consid. 2 p. 111 s. et les arrêts cités).

  3.4  En l'espèce, la cour cantonale n'a pas examiné dans leur ensemble les
différents motifs de révocation avancés par le demandeur. Elle les a
analysés individuellement, parvenant à la conclusion qu'aucun d'eux n'était
constitutif de justes motifs au sens de l'art. 741 al. 2 CO. Comme le relève
pertinemment la défenderesse, on ne peut, dans ce cas, faire grief aux juges
cantonaux de n'avoir pas procédé à un examen d'ensemble des différents
comportements reprochés au liquidateur, dès lors qu'ils n'ont pas retenu le
moindre indice d'un risque que la liquidation ne soit pas exécutée
régulièrement. On ne se trouve donc pas dans la situation où la cour
cantonale aurait émis des doutes quant à certains comportements du
liquidateur qui, pris

isolément, ne lui auraient pas paru suffisamment graves pour justifier sa
révocation, mais ne les aurait pas envisagés globalement. La critique du
demandeur concernant l'absence d'appréciation d'ensemble de la situation
dans l'arrêt attaqué tombe par conséquent à faux.

  3.5  En revanche, il faut se demander si, comme le soutient le demandeur,
la cour cantonale a violé l'art. 741 al. 2 CO en niant, sur la base des
faits constatés, l'existence de justes motifs de révocation. Lors de cet
examen, les événements qualifiés de déterminants par l'actionnaire
minoritaire seront passés en revue.

  3.5.1  Le demandeur invoque tout d'abord le fait que B. ait recommandé,
lors de l'assemblée générale du 4 juillet 2000, d'adopter les comptes de
1999, malgré la situation de surendettement de la défenderesse.

  Sur ce point, le demandeur présente sa propre version des événements,
s'écartant des constatations cantonales, ce qui n'est pas admissible dans un
recours en réforme. Il a en effet été retenu que la société n'était pas
surendettée, de sorte que l'on ne voit manifestement pas qu'en recommandant
de ne pas aviser le juge, B. ait violé l'art. 725 al. 2 CO. Selon l'arrêt
attaqué, la situation comptable de la défenderesse correspondait à celle
visée par l'art. 725 al. 1 CO et, contrairement à ce que soutient le
demandeur, les faits constatés ne permettent pas d'en conclure que B. aurait
méconnu les exigences de cette disposition le 4 juillet 2000.

  3.5.2  Le demandeur se prévaut du fait que le liquidateur lui ait caché
certaines informations auxquelles il avait droit en tant qu'actionnaire, ce
que la Cour de justice a du reste admis, par arrêt du 6 janvier 2005.

  Les juges cantonaux ont estimé que, puisque le demandeur avait finalement
obtenu les renseignements auxquels il avait droit, cette circonstance
n'avait pas à être prise en compte. De plus, ils discernaient mal que l'on
puisse en déduire un risque, même abstrait, que les opérations de
liquidation ne se déroulent pas correctement, ce que l'appelant n'expliquait
pas.

  Une telle appréciation ne saurait être confirmée. En effet, il apparaît
que le liquidateur a manqué à son devoir d'information envers un actionnaire
minoritaire (cf. art. 697 CO) et qu'un appel au juge a été nécessaire pour
que cet actionnaire puisse obtenir les renseignements auxquels il avait
droit. Un tel élément est objectivement de

nature à susciter un doute sur la capacité ou la volonté du liquidateur à
remplir régulièrement sa fonction envers les actionnaires minoritaires dans
le futur, peu importe qu'en définitive le demandeur ait obtenu les
informations qu'il requérait.

  3.5.3  Selon le demandeur, la cour cantonale aurait dû tenir compte du
cumul de fonctions de B., en relation avec la signature de la convention de
postposition entre la défenderesse et la SA Le Temps.

  Il ressort des constatations cantonales que B., alors qu'il était
administrateur de la défenderesse et de la SA Le Temps, a signé au nom des
deux sociétés une convention de postposition portant sur une créance de 6
millions de francs détenue par la défenderesse. Pour les juges cantonaux, la
mise en danger des intérêts de la société créancière ou de ceux des
actionnaires n'a pas été rendue vraisemblable, car B. n'avait pas signé seul
cette convention. En outre, les deux sociétés étaient étroitement liées, la
défenderesse possédant 47 % de la SA Le Temps.

  Cette position méconnaît la portée d'une déclaration de postposition. Le
créancier qui accepte la postposition, s'il ne renonce pas à sa créance, se
déclare tout de même prêt, en cas de faillite ou de liquidation, à n'être
désintéressé qu'après tous les autres créanciers
(FORSTMOSER/MEIER-HAYOZ/NOBEL, Schweizerisches Aktienrecht, Berne 1996, § 50
n. 215; BÖCKLI, op. cit., § 13 n. 792). Dès qu'une postposition est mise en
place par une même personne, agissant en tant qu'organe des deux personnes
morales parties à la convention, il y a conflit d'intérêts potentiel
(WITMER, Der Rangrücktritt im schweizerischen Aktienrecht, thèse Saint-Gall
1999, p. 128; cf. arrêt du Tribunal fédéral 5C.137/2000 du 29 août 2000,
consid. 4b et c), avec le risque que l'une des parties soit privilégiée par
rapport à l'autre (FORSTMOSER/MEIER-HAYOZ/NOBEL, op. cit., § 30 n. 124).

  En l'espèce, il est admis que B. a conclu la convention de postposition en
tant qu'administrateur de la défenderesse et de la SA Le Temps. Peu importe
qu'il n'ait disposé que de la signature collective à deux et que la
défenderesse ait détenu 47 % des actions de la SA Le Temps. Sa
participation, en tant qu'administrateur commun aux deux sociétés, à
l'accord sur la postposition suffit à révéler un conflit potentiel
d'intérêts et, partant, le risque que la défenderesse ait été lésée dans
cette opération. On ignore certes si ce risque s'est concrétisé et cette
question n'a pas à être tranchée dans la présente procédure, qui se limite à
vérifier s'il existe objectivement des

éléments de nature à faire douter de l'objectivité du liquidateur. Dans
cette appréciation, la double fonction exercée par B. ne peut être occultée
en relation avec la postposition.

  3.5.4  C'est en revanche à juste titre que la cour cantonale n'a pas tiré
de conséquence de la participation de B. dans le choix de l'organe de
révision. On ne voit en effet pas en quoi l'on peut mettre en doute
l'objectivité ou l'indépendance d'un liquidateur qui propose une société
qu'il connaît en qualité d'organe de révision. Le risque que le réviseur
proposé se trouve lui-même, en fonction de ses autres engagements, dans une
situation de conflit d'intérêts, ne peut constituer un juste motif de
révocation du liquidateur, sauf si cet élément devait sauter aux yeux de ce
dernier lors de sa proposition. L'arrêt attaqué ne contient pas de faits
permettant de tirer une telle conclusion.

  3.5.5  Le demandeur allègue que le liquidateur a décidé, en février 2003,
de procéder à une exécution partielle de la convention du 31 mai 2001 par
laquelle la défenderesse avait vendu aux actionnaires majoritaires sa
participation de 47 % du capital-actions de la SA Le Temps, ainsi que sa
créance postposée contre cette dernière pour le prix de 11 millions de
francs. Selon le demandeur, B. devait soit ne pas exécuter cette convention,
dont la décision d'approbation par l'assemblée générale le 22 juin 2001 a
fait l'objet de contestations judiciaires encore pendantes, soit l'exécuter
complètement. Il ne pouvait choisir la voie médiane d'une exécution
partielle, favorisant les acheteurs et actionnaires majoritaires.

  La cour cantonale n'a pas examiné cette problématique, considérant que,
comme les décisions prises par l'assemblée générale sont exécutoires dès
leur adoption, nonobstant l'introduction d'une action en annulation, il ne
pouvait être reproché au liquidateur d'avoir exécuté la vente approuvée le
22 juin 2001. Cette argumentation n'est pas pertinente. S'agissant
d'examiner l'existence de justes motifs au sens de l'art. 741 al. 2 CO, il
importe peu de savoir si le liquidateur était ou non en droit d'exécuter la
convention de vente, puisque celui-ci peut être révoqué, même s'il n'a pas
commis de manquements ou de faute (cf. BÜRGI/NORDMANN-ZIMMERMANN, op. cit.,
n. 8 ad art. 741 CO; MEIER-HAYOZ, op. cit., p. 217; MONTAVON, Droit suisse
de la SA, 3e éd., Lausanne 2004, p. 853). Seule importe la question de
savoir si le choix du liquidateur d'exécuter partiellement la convention est
révélateur d'un manque d'objectivité qui risque d'entraver le déroulement
correct de la liquidation.

  Selon l'arrêt attaqué, B. a considéré, lors de l'assemblée générale du 11
février 2004, que la convention de vente du 31 mai 2001 était devenue
exécutoire. Les actionnaires majoritaires acheteurs ont ainsi obtenu les
actions et sont devenus titulaires de la créance postposée, mais n'ont payé
qu'une partie des 11 millions de francs stipulés. Le solde du prix,
s'élevant à 6'854'469 fr. 94 et portant intérêt, a été garanti à première
demande par des billets à ordre émis par les acheteurs et portés au poste
actif "débiteurs" dans les livres de la défenderesse. C'est en raison de la
contestation en justice de la décision de l'assemblée générale d'approuver
cette vente que les acheteurs n'ont pas acquitté l'entier du prix. Le
conseil d'administration de la défenderesse a considéré qu'il n'était pas
adéquat de faire porter aux actionnaires repreneurs la charge de
l'immobilisation de la totalité de l'engagement financier qu'ils avaient
contracté dans la perspective d'une liquidation de la société, alors que le
report de la liquidation, pourtant adoptée par l'assemblée générale,
résultait d'éléments qu'ils ne maîtrisaient pas.

  Il ressort de ces constatations que le mode d'exécution mis en place par
B. ne lèse pas d'un point de vue strictement comptable la défenderesse, qui
détient une créance garantie envers les acheteurs, mais la prive tout de
même de liquidités. Cependant, les actionnaires majoritaires repreneurs
apparaissent comme privilégiés par cette opération, qui leur a permis de
disposer des actions, sans devoir en payer immédiatement le prix. Du reste,
l'arrêt attaqué a expressément relevé que le conseil d'administration avait
cherché, par ce procédé, à leur éviter d'immobiliser les fonds qu'ils
s'étaient pourtant engagés à verser à la défenderesse dès la remise des
actions, aux termes de la convention de vente. L'exécution partielle de la
convention à l'initiative du liquidateur se révèle ainsi comme un élément
pertinent dans l'appréciation des conditions de l'art. 741 al. 2 CO.

  3.5.6  Le demandeur fait état de la proposition formée par le liquidateur
à l'assemblée générale du 23 juin 2005 de diminuer le capital social de la
défenderesse, ce qui a permis aux actionnaires majoritaires ayant acheté les
actions et la créance postposée de compenser les montants encore dus à la
défenderesse à hauteur de 6'187'312 fr. 50.

  En ce qui concerne la réduction du capital social proposée par le
liquidateur, la cour cantonale a constaté, sur la base des éléments portés
au dossier, que, comme la défenderesse n'exerçait plus d'activité
commerciale, cette opération permettait de supprimer des frais

inutiles et de réduire les impôts. Elle ne portait donc pas atteinte aux
intérêts de la défenderesse ou des actionnaires minoritaires.

  Cette appréciation ne prête, en elle-même, pas le flanc à la critique.
Toutefois, si l'on met la décision de réduire le capital social en parallèle
avec l'exécution partielle de la convention de vente du 31 mai 2001 décidée
par le liquidateur en février 2004 (cf. supra consid. 3.5.5), la proposition
de B. apparaît sous un autre jour. Cette solution s'avère particulièrement
favorable aux actionnaires majoritaires parties à la convention de vente du
31 mai 2001, puisque, par ce biais, ils sont définitivement libérés de
l'obligation de verser à la défenderesse le solde du prix de vente, leur
créance s'éteignant par compensation. En outre, il ne faut pas perdre de vue
qu'une réduction du capital-actions avec remboursement aux actionnaires
constitue, en fait, une liquidation partielle de la société (MONTAVON, op.
cit., p. 390), car elle revient à la vider de sa substance (cf.
FORSTMOSER/MEIER-HAYOZ/NOBEL, op. cit., § 53 n. 29 et 52). Comme la décision
formelle de liquider la défenderesse a été contestée par certains
actionnaires minoritaires et fait l'objet de procédures encore pendantes, on
peut se demander si la proposition du liquidateur ne constitue pas un moyen
détourné de parvenir de facto à un résultat équivalant à la liquidation de
la société. A nouveau, il ne s'agit que d'hypothèses; il n'en demeure pas
moins qu'elles suffisent objectivement à jeter un doute sur la compétence ou
la volonté du liquidateur de mener régulièrement la liquidation.

  3.5.7  Le demandeur ne peut être suivi lorsqu'il déduit de la rémunération
perçue par le liquidateur un indice de son manque d'indépendance. Soumis aux
règles du mandat dans ses rapports avec la société, le liquidateur a droit à
une rémunération pour son activité (FORSTMOSER/MEIER-HAYOZ/NOBEL, op. cit.,
§ 56 n. 56), de sorte que le fait que B. ait perçu 50'000 fr. d'honoraires
annuels n'est nullement suspect. Les décisions du liquidateur de déléguer,
dans le cadre de son mandat, la comptabilité et certaines tâches
administratives à une fiduciaire et de faire appel à une étude d'avocats
pour régler le contentieux judiciaire de la défenderesse ne sont pas
davantage révélatrices d'une quelconque prévention du liquidateur. C'est
ainsi à juste titre que la cour cantonale a estimé que cet élément n'était
pas pertinent en regard de l'art. 741 al. 2 CO.

  3.5.8  Enfin, le demandeur invoque le comportement du liquidateur, qui a
lui-même pris part aux votes concernant le prononcé de sa propre décharge.

  La cour cantonale a admis à juste titre que B. n'était pas en droit de
participer, en tant que représentant des actionnaires majoritaires, à la
décision de l'assemblée générale du 23 juin 2005 lui donnant décharge (cf.
art. 695 al. 1 CO; ATF 128 III 142 consid. 3; BÖCKLI, op. cit., § 12 n. 437
et 440). Elle n'en a toutefois tiré aucune conséquence, considérant, sur la
base du même raisonnement que celui suivi s'agissant de la violation du
devoir d'information du liquidateur, que, puisque le tribunal avait donné
suite à l'action en annulation des décisions de l'assemblée générale et
corrigé la transgression, les intérêts des actionnaires minoritaires ou de
la société ne paraissaient pas en péril. Comme déjà indiqué (cf. supra
consid. 3.5.2), une telle argumentation n'est pas pertinente s'agissant
d'examiner si, objectivement, on peut douter d'une exécution régulière de la
liquidation. Dès lors que l'exclusion du droit de vote prévue à l'art. 695
al. 1 CO tend notamment à éviter les conflits d'intérêts dans le but de
sauvegarder la capacité de fonctionner de la société et de protéger la
minorité (ATF 128 III 142 consid. 3b p. 145), le liquidateur qui ne s'y
soumet pas peut donner objectivement l'apparence que les intérêts des
actionnaires minoritaires risquent d'être lésés dans la liquidation. La cour
cantonale devait donc tenir compte de cette circonstance dans son
appréciation.

  3.6  Il apparaît ainsi que la cour cantonale n'a pas pris en considération
des éléments qui auraient absolument dû l'être lorsqu'elle a apprécié s'il
existait des justes motifs de révocation du liquidateur au sens de l'art.
741 al. 2 CO. Le recours en réforme n'étant pas ouvert pour se plaindre
uniquement de la motivation de la décision entreprise, encore faut-il
examiner si les circonstances tenues pour pertinentes sous l'angle de l'art.
741 al. 2 CO justifient, envisagées dans leur ensemble, une révocation du
liquidateur.

  En substance, les éléments retenus révèlent tout d'abord que le
liquidateur a manqué à ses obligations par deux fois, la première en
relation avec son devoir d'information envers un actionnaire minoritaire, la
seconde s'agissant du vote de sa décharge. Il a fallu l'intervention du juge
pour redresser ces manquements, qui concernaient le respect de dispositions
tendant notamment à protéger les intérêts des actionnaires minoritaires.
Ensuite, le cumul par B. des fonctions d'administrateur de la SA Le Temps et
d'administrateur, puis de liquidateur de la défenderesse engendre un conflit
potentiel d'intérêts, qui s'est en particulier révélé lors de la conclusion
de la convention de postposition, le liquidateur ayant agi et signé cet acte
en tant que représentant

des deux parties. Enfin, le liquidateur est à l'origine d'opérations ayant
eu pour résultat d'avantager les actionnaires majoritaires, tout en privant
la défenderesse de liquidités et en la vidant de sa substance. Tel a été le
cas lorsqu'il a décidé de n'exécuter que partiellement la convention de
vente du 31 mai 2001 et lorsqu'il a proposé de réduire le capital social de
la défenderesse. On peut déduire de l'ensemble de ces circonstances un
risque objectif que les opérations de liquidation ne se déroulent pas
correctement et que les intérêts des actionnaires minoritaires ou de la
société soient mis en péril ou lésés. Force est donc de constater qu'en ne
retenant pas l'existence de justes motifs de révocation au sens de l'art.
741 al. 2 CO, la cour cantonale a violé cette disposition.

  3.7  Il convient par conséquent d'admettre le recours, d'annuler l'arrêt
du 18 mai 2006 et de prononcer la révocation de B. de sa fonction de
liquidateur de la défenderesse.

  La cause sera par ailleurs renvoyée à l'instance inférieure (art. 64 al. 1
OJ), afin qu'elle nomme, au besoin, un ou d'autres liquidateurs comme le
prévoit l'art. 741 al. 2 in fine CO. Il n'appartient pas à la Cour de céans
de procéder à cette nomination ou de donner des indications à ce sujet, car
la désignation d'un liquidateur par le juge est un acte de juridiction
gracieuse qui échappe à la compétence du Tribunal fédéral statuant sur
recours en réforme (cf. ATF 117 II 163 consid. 1a in fine p. 164). Lors de
ce renvoi, la cour cantonale statuera également à nouveau sur les frais et
dépens de la procédure cantonale (art. 157 et 159 al. 6 OJ).