Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 132 III 661



Urteilskopf

132 III 661

  79. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile dans la cause Gypsy
International Recognition and Compensation Action (GIRCA) contre
International Business Machines Corporation (IBM) (recours en réforme)
  4C.113/2006 du 14 août 2006

Regeste

  Internationales Privatrecht; Rechtswahl.

  Bestimmung des auf die zivilrechtliche Verjährung einer Forderung aus
unerlaubter Handlung anwendbaren Rechts (E. 2).
  Art. 60 Abs. 2 OR und Art. 75bis StGB; längere strafrechtliche
Verjährungsfrist; Übergangsbestimmung.
  Art. 60 Abs. 2 OR lässt die Berücksichtigung ausländischen Strafrechts
nicht zu (E. 4.2).

  Unverjährbar sind nur Straftaten, die bei Inkrafttreten von Art. 75bis
StGB nicht bereits verjährt waren (E. 4.3).

  Vereinbarkeit dieses Prinzips mit dem internationalen Recht (E. 4.4).

Sachverhalt

  Dès 1936, la société "International Business Machines Corporation (IBM)"
(ci-après: IBM), dont le siège est aux Etats-Unis, a disposé d'un
établissement à Genève.

  Gypsy International Recognition and Compensation Action (ci-après: GIRCA)
est une association dont le but est d'entreprendre toute action de toute
nature, y compris sur le plan judiciaire, dans les domaines politique,
social, économique, culturel ou juridique aux fins notamment d'obtenir toute
compensation pour les préjudices individuels, familiaux et communautaires
résultant de politiques ou de faits discriminatoires et/ou racistes, en
particulier des événements de la période nazie entre 1933 et 1945.

  En 2002, cinq tsiganes qui ont été internés durant la seconde Guerre
mondiale dans des camps de concentration et dans des ghettos, où ils ont
perdu plusieurs membres de leur famille proche, ont cédé à GIRCA tous leurs
droits à l'encontre du groupe IBM à Genève.

  Le 31 janvier 2002, GIRCA a déposé une demande en dommages-intérêts et en
réparation du tort moral devant les autorités judiciaires genevoises à
l'encontre d'IBM. Elle soutient que des actes commis à Genève entre 1935 et
1945 au sein de l'établissement genevois propriété d'IBM New York auraient
été constitutifs de complicité de crimes contre l'humanité commis par les
nazis, en Allemagne et dans les territoires occupés.

  Les parties ont convenu devant le juge de faire tout d'abord porter la
cause sur l'exception d'incompétence ratione loci et sur celle de
prescription soulevées par IBM.

  Le 22 décembre 2004, le Tribunal fédéral a confirmé un arrêt de la Cour de
justice qui admettait la compétence ratione loci des autorités judiciaires
genevoises (ATF 131 III 153).

  Le 28 avril 2005, le Tribunal de première instance a admis l'exception de
prescription formée par IBM et a débouté GIRCA de toutes ses conclusions. Ce
jugement a été confirmé par la Cour de justice le 17 février 2006.

  Contre cet arrêt, GIRCA interjette un recours en réforme au Tribunal
fédéral, tendant à ce qu'il soit dit et constaté que son action dirigée
contre IBM n'est pas prescrite.

Auszug aus den Erwägungen:

                        Extrait des considérants:

Erwägung 2

  2.  La cause revêt indéniablement des aspects internationaux, notamment
parce que la défenderesse a son siège aux Etats-Unis, de

sorte que le Tribunal fédéral, saisi d'un recours en réforme, doit vérifier
d'office et avec un plein pouvoir d'examen le droit applicable (ATF 131 III
153 consid. 3), sur la base du droit international privé suisse, en tant que
lex fori (cf. ATF 130 III 462 consid. 4.1).

  Lorsqu'elle a statué dans la même cause sur la question de la compétence
ratione loci des autorités judiciaires suisses, la Cour de céans a appliqué
la LDIP, en tant que droit actuel, même si les faits sur lesquels se
fondaient les prétentions émises par GIRCA s'étaient déroulés entre 1935 et
1945 (ATF 131 III 153 consid. 3). La question litigieuse est désormais
différente, car elle porte sur le fond du litige, plus particulièrement sur
la prescription de l'action. Comme les actes que GIRCA reproche à IBM
d'avoir commis sont antérieurs à l'entrée en vigueur de la LDIP, le 1er
janvier 1989, il faudrait en principe se demander, en vertu de l'art. 196
al. 1 LDIP, si le droit applicable doit être envisagé en regard de
l'ancienne LRDC (RS 2 p. 727) ou de la LDIP.

  Cette question délicate n'a cependant pas à être tranchée, faute d'intérêt
pratique (cf. KNOEPFLER/SCHWEIZER/OTHENIN-GIRARD, Droit international privé
suisse, 3e éd., Berne 2005, n. 204d in fine). En effet, selon l'ancien
droit, la jurisprudence admettait que la partie demanderesse puisse choisir
le droit du lieu de l'acte illicite (ATF 113 II 476 consid. 3a et les arrêts
cités). La LDIP prévoit, pour sa part, que les parties peuvent, après
l'événement dommageable, convenir à tout moment de l'application du droit du
for (cf. art. 132 LDIP). L'élection de droit peut intervenir en cours de
procès, à condition que les parties expriment clairement leur volonté réelle
d'appliquer le droit suisse (cf. art. 116 al. 2 et 3 LDIP; arrêts du
Tribunal fédéral 4C.135/1995 du 6 février 1996, consid. 3a non publié à
l'ATF 122 III 73 et 4C.410/2005 du 1er juin 2006, consid. 2). Tel est le cas
en l'espèce, dès lors que GIRCA a choisi de fonder ses prétentions sur le
droit suisse et qu'IBM a accepté de raisonner en suivant cette législation.
Que l'on applique la LRDC ou la LDIP, la créance invoquée est donc soumise
au droit suisse et, par voie de conséquence, la question de la prescription
(art. 60 CO) l'est également (cf. ATF 99 II 315 consid. 2 pour l'ancien
droit; art. 148 al. 1 LDIP). Il convient au surplus d'observer qu'aucune
convention internationale en vigueur en Suisse ne contient de disposition
spéciale réglant le droit applicable à la prescription civile d'une créance
reposant sur un acte illicite (cf. art. 1 al. 2 LDIP).

Erwägung 3

  3.  Le litige revient à déterminer si l'arrêt entrepris retient à juste
titre que les actes de complicité de crimes contre l'humanité que GIRCA
reproche à IBM d'avoir commis entre 1935 et 1945 sont atteints par la
prescription.

  3.1  Pour aboutir à cette conclusion, la cour cantonale a en substance
appliqué l'art. 60 al. 2 CO et a examiné si, sur la base des faits allégués
par GIRCA, le délai de prescription de la loi pénale réservé par cette
disposition était ou non expiré. Après avoir survolé la position de la
communauté internationale, les conventions internationales en vigueur
prévoyant l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité et résumé
certaines décisions judiciaires étrangères confirmant le caractère de jus
cogens des règles sur la répression des crimes contre l'humanité pouvant
entraîner leur imprescriptibilité, les juges ont examiné la situation en
vertu du droit suisse. Ils ont considéré que les actes reprochés à la
défenderesse, qui s'étaient déroulés entre 1935 et 1945, étaient déjà
atteints par la prescription absolue lors de l'entrée en vigueur de l'art.
75bis CP. Cette disposition ne permettait donc pas de déclarer non prescrits
les faits reprochés à IBM. En outre, l'imprescriptibilité ne pouvait être
retenue sur une autre base, de sorte que le jugement déboutant GIRCA de ses
conclusions devait être confirmé.

  3.2  La demanderesse formule quatorze griefs contre l'arrêt entrepris
fondés pour l'essentiel sur les règles et principes issus du droit
international. En résumé, elle critique le fait que la cour cantonale ait
appliqué la prescription pénale issue du droit suisse. Elle soutient que les
juges ont méconnu la portée de l'art. 60 al. 2 CO, qui devait conduire à
l'application de la prescription de plus longue durée issue du droit pénal
étranger et, plus particulièrement, du principe reconnu par la coutume
internationale et le jus cogens, de l'imprescriptibilité des crimes contre
l'humanité.

Erwägung 4

  4.

  4.1  Selon l'art. 60 al. 1 CO, l'action en dommages-intérêts ou en
paiement d'une somme d'argent à titre de réparation morale se prescrit par
un an à compter du jour où la partie lésée a eu connaissance du dommage
ainsi que de la personne qui en est l'auteur, et, dans tous les cas, par dix
ans dès le jour où le fait dommageable s'est produit. L'alinéa 2 de cette
disposition prévoit toutefois que, si les dommages-intérêts dérivent d'un
acte punissable soumis par les lois pénales à une prescription de plus
longue durée, cette prescription s'applique à l'action civile.

  En l'occurrence, il n'est pas douteux que le délai maximum de dix ans
prévu à l'art. 60 al. 1 CO est dépassé. Le fait que la défenderesse soit une
personne morale n'empêche pas l'application de l'art. 60 al. 2 CO (cf. ATF
122 III 5 consid. 2b p. 7). Il n'est en outre pas contesté que les faits
déterminants en droit civil et en droit pénal se rapportent aux mêmes actes
(ATF 127 III 538 consid. 4b p. 540). Il convient donc d'examiner si
l'application de la prescription pénale de plus longue durée prévue à l'art.
60 al. 2 CO aurait dû conduire la cour cantonale à conclure que l'action en
responsabilité de GIRCA n'était pas prescrite.

  4.2  Cette question suppose en premier lieu de déterminer si, comme le
soutient GIRCA, l'art. 60 al. 2 CO devait dans le cas d'espèce entraîner
l'application d'une loi pénale étrangère.

  Il est vrai que certains auteurs sont d'avis que l'on ne saurait exclure
l'application du droit pénal étranger dans le cadre de l'art. 60 al. 2 CO
(TAPPY, La prescription pénale de plus longue durée applicable en matière
civile, in Responsabilité civile et assurance, Lausanne 2000, p. 383 ss,
396; SCYBOZ, Deux rapports de l'action en dommages-intérêts ou en réparation
du tort moral avec l'action pénale, in Die Verantwortlichkeit im Recht, vol.
2, Zurich 1981, p. 619 ss, 637), en particulier lorsqu'une infraction a été
commise à l'étranger (cf. art. 3 al. 1 CP), alors que l'action en
responsabilité est soumise au droit suisse (art. 148 al. 1 LDIP; TAPPY, op.
cit., p. 396). La doctrine majoritaire n'envisage, pour sa part, simplement
pas l'éventualité d'une application du droit étranger en relation avec
l'art. 60 al. 2 CO (cf. notamment DESCHENAUX/TERCIER, La responsabilité
civile, 2e éd., Berne 1982, § 20 n. 35 ss; DÄPPEN, Commentaire bâlois, n. 11
ss ad art. 60 CO; OFTINGER/STARK, Schweizerisches Haftpflichtrecht, vol.
II/1, 4e éd., Zurich 1987, § 16 n. 373 ss; REY, Ausservertragliches
Haftpflichtrecht, 3e éd., Zurich 2003, n. 1661 ss; WERRO, La responsabilité
civile, Berne 2005, n. 1454 ss; du même auteur, Commentaire romand, n. 26 ss
ad art. 60 CO). Quelques auteurs critiquent ou s'opposent expressément à une
telle application (cf. BREHM, Commentaire bernois, n. 67b ad art. 60 CO;
STEINER, Verjährung haftpflichtrechtlicher Ansprüche aus Straftat - Art. 60
Abs. 2 OR -, thèse Fribourg 1986, p. 29). Cette dernière position mérite
d'être suivie, car l'art. 60 al. 2 CO n'est pas une règle de droit
international privé permettant un renvoi au droit étranger, mais constitue
une disposition appartenant au droit matériel (cf. en ce sens, STEINER, op.
cit., p. 29 s.). En droit international privé suisse

prévaut le principe selon lequel le bien-fondé d'une prétention et la
question de sa prescription sont régis par le même droit (cf. art. 148 al. 1
LDIP; ATF 99 II 315 consid. 2; 83 II 41 consid. 1 pour l'ancien droit). Il
est donc difficilement concevable que l'art. 60 al. 2 CO, soit une
disposition de pur droit interne, permette de déroger à ce principe en
soumettant la prescription d'une créance que les règles de droit
international privé assujettissent au droit suisse (cf. supra consid. 2), à
un délai de prescription de plus longue durée issu du droit pénal étranger.

  Les griefs formés par la demanderesse qui se dirigent contre le refus de
la cour cantonale de prendre en considération le droit pénal étranger dans
le cadre de l'art. 60 al. 2 CO tombent donc à faux.

  On peut ajouter que la position de GIRCA tendant à l'application du droit
étranger pour régler la question de la prescription n'est pas dépourvue
d'ambiguïté, dès lors que c'est elle-même qui a choisi l'application du
droit suisse pour trancher le bien-fondé de ses prétentions.

  4.3  Le litige revient ainsi à examiner si, en regard du droit pénal
suisse, les actes reprochés à IBM sont ou non atteints par la prescription.

  Cette question est réglée à l'art. 75bis CP, disposition introduite par la
loi fédérale du 20 mars 1981 sur l'entraide internationale en matière
pénale, qui est entrée en vigueur le 1er janvier 1983 (ATF 126 II 145
consid. 4b/aa). Cet article déclare imprescriptibles les crimes contre
l'humanité. A titre de disposition transitoire, le législateur a indiqué que
: "L'article 75bis est applicable lorsque l'action pénale ou la peine n'est
pas prescrite lors de l'entrée en vigueur de la présente modification" (RO
1982 p. 875). Le Conseil fédéral, dans son message du 6 juillet 1977, a
souligné que l'art. 75bis CP ne visait pas la prescription acquise avant
l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions, car une telle solution
serait contraire au principe de la loi la plus favorable, fixé dans le code
pénal, et saperait la confiance dans les lois (FF 1977 II 1217 ss, p. 1227).
Il découle ainsi de la volonté du législateur que seuls les actes qui ne
sont pas atteints par la prescription lors de l'entrée en vigueur de l'art.
75bis CP tombent sous le coup de l'imprescriptibilité (cf. TRECHSEL,
Schweizerisches Strafgesetzbuch, 2e éd., Zurich 2005, n. 7 ad art. 75bis CP;
MÜLLER, Commentaire bâlois, n. 9 ad art. 75bis CP).

  Les actes que GIRCA reproche à IBM d'avoir commis se seraient déroulés
entre 1935 et 1945. Il est évident qu'au 1er janvier 1983,

ceux-ci étaient atteints par la prescription (art. 70 ss CP), de sorte qu'en
vertu du système transitoire mis en place par le droit suisse, ces actes ne
sont pas couverts par la règle de l'imprescriptibilité découlant de l'art.
75bis CP. La demanderesse ne peut donc se prévaloir, sur le plan civil,
d'une prescription de plus longue durée découlant du droit pénal suisse (cf.
ATF 126 II 145 consid. 4b/aa in fine).

  Il en découle que l'on ne peut reprocher à la cour cantonale d'avoir violé
l'art. 60 al. 2 CO en considérant, en application du droit pénal suisse, que
l'action de la demanderesse était prescrite.

  4.4  On ne voit pas au surplus que cette conclusion serait contraire au
droit international ou qu'elle irait à l'encontre d'une coutume
internationale, de la Charte de Nuremberg ou de l'opinio juris, comme
l'affirme GIRCA, dans une argumentation au demeurant confuse et dont on
peut, de manière générale, se demander si elle répond aux exigences de
motivation propres à un recours en réforme (art. 55 al. 1 let. c OJ). Cette
question peut demeurer indécise, dès lors que, de toute manière, les
arguments présentés paraissent infondés.

  4.4.1  S'agissant des traités internationaux, il n'apparaît pas que la
Suisse ait ratifié un traité prévoyant l'imprescriptibilité des crimes
contre l'humanité qui l'obligerait à conférer un caractère rétroactif
général à la règle sur l'imprescriptibilité de tels crimes. L'art. 29 du
Statut de Rome de la Cour pénale internationale, entré en vigueur pour la
Suisse le 1er juillet 2002 (RS 0.312.1), garantit seulement, à son article
29, que les crimes relevant de la compétence de la Cour ne se prescrivent
pas. On rappellera du reste que la Suisse n'a ratifié ni la Convention des
Nations Unies sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes
contre l'humanité entrée en vigueur le 11 novembre 1970, ni la Convention
européenne sur l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité et des
crimes de guerre du 25 janvier 1974 qui n'est au demeurant jamais entrée en
force (TRECHSEL, op. cit., n. 8 ad art. 75bis CP). Rien n'indique donc que
l'on se trouverait dans l'hypothèse envisagée par la demanderesse où la
disposition transitoire de l'art. 75bis CP entrerait en conflit avec une
norme de droit international applicable en Suisse.

  4.4.2  GIRCA perd de vue l'objet du litige lorsqu'elle se prévaut de
l'opinio juris et qu'elle fait valoir que l'imprescriptibilité des crimes
contre l'humanité ferait partie du jus cogens et devrait, en tant que
coutume internationale, l'emporter sur le droit positif. En effet, le droit
suisse actuel reconnaît le caractère imprescriptible de tels crimes

à l'art. 75bis CP, ce que l'arrêt attaqué ne remet pas en cause. Seule est
litigieuse la question de l'effet rétroactif de cette disposition à un crime
qui serait déjà prescrit lors de son entrée en vigueur, ce que le droit
suisse exclut expressément. On ne voit pas qu'une telle exclusion irait à
l'encontre de l'opinio juris ou serait prohibée par le jus cogens. Du reste,
en droit international, le principe de l'interdiction de la rétroactivité
des lois est également garanti, sous réserve de l'application de la loi plus
favorable (cf. BREITENMOSER/ RIEMER/SEITZ, Praxis des Europarechts,
Grundrechtsschutz, Zurich 2006, p. 286 s.; NOWAK, U.N. Covenant on Civil and
Political Rights, CCPR Commentary, 2e éd., Kehl 2005, n. 1 ss ad art. 15
CCPR). Or, l'application rétroactive de l'art. 75bis CP dans le cas d'espèce
reviendrait précisément à méconnaître le principe de la lex mitior.

  Dans ces circonstances, le recours ne peut qu'être rejeté.