Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 131 I 333



131 I 333

34. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public dans la cause Société
coopérative d'habitation Lausanne contre Conseil communal de Lausanne
(recours de droit public)

    1P.293/2004 du 31 mai 2005

Regeste

    Art. 26, 27 und 49 BV; Gemeindereglement zur Benützung von Wohnungen,
die mit Unterstützung der Stadt Lausanne erstellt oder renoviert worden
sind.

    Art. 11 des Gemeindereglementes erlaubt den Behörden, für 15
% der Wohnungen in jedem subventionierten Gebäude die Mieter zu
bestimmen. Diese Regelung steht weder mit dem Bundesrecht (E. 2) noch
mit der Eigentumsgarantie (E. 3) oder der Wirtschaftsfreiheit (E. 4)
im Widerspruch.

Sachverhalt

    A.- Le 30 mars 2004, le Conseil communal de Lausanne a adopté un
règlement communal sur les conditions d'occupation des logements construits
ou rénovés avec l'appui financier de la commune de Lausanne (ci-après:
RCO). Il a pour objet de favoriser la stabilité et la mixité dans le
parc des immeubles à loyers subventionnés et sociaux, et s'applique à
tous les logements construits ou rénovés avec un appui financier des
pouvoirs publics communaux et dont le loyer est soumis au contrôle des
autorités cantonales ou communales (art. 1). Il prévoit notamment à qui les
logements peuvent être loués, et fixe des limites de revenu et de fortune
(en renvoyant au règlement cantonal du 24 juillet 1991 sur les conditions
d'occupation des logements construits ou rénovés avec l'appui financier
des pouvoirs publics - ci-après: RCOL), ainsi que certaines conditions
de résiliation et de prolongation du bail (art. 5-8). Les articles 11 à
13 de ce règlement ont la teneur suivante:

      Chapitre III. Dispositions spéciales pour les autorités et pour le

      propriétaire Attribution de logements Mixité et stabilité Art. 11-

      1 Le choix des locataires dans un immeuble est réservé aux autorités

      compétentes pour 15 % du nombre total de logements ou de pièces de

      chaque immeuble.  2 Le propriétaire peut, en contrepartie et dans

      la même proportion de 15 %, conserver des locataires ne répondant

      pas ou plus aux conditions d'occupation sous réserve des articles

      8, 9 et 10 du présent règlement.  Cellule logement Art. 12- 1 Les

      locataires choisis par les autorités peuvent être pris en charge par

      la cellule logement constituée au sein de la Direction de la sécurité

      sociale et de l'environnement qui peut être appelée à intervenir,

      tant sur le plan social que sur tous les aspects financiers

      du bail.  2 L'organisation de la cellule logement est réglée par

      voie de directives.  Chapitre IV. Dispositions d'assouplissement -

      Dérogations Dérogations - mesures d'assouplissement Art. 13- 1 Dans

      les cas où le locataire est choisi en application de l'art. 11

      ou dans d'autres cas justifiés, des dérogations peuvent être

      appliquées aux réglementations sur les conditions d'occupation en

      fonction notamment de la situation du logement dans le quartier,

      de sa qualité, de sa surface, de son loyer, de la durée du bail,

      de la situation personnelle et familiale du locataire.  2 Les

      assouplissements portent sur les règles relatives à la résiliation

      du bail et au montant des suppléments de loyers.  3 Les modalités

      et conditions de dérogations spécifiques seront fixées par voie

      de directives.  4 Les normes cantonales relatives aux logements

      construits en application de la Loi du 9 septembre 1975 sur le

      logement demeurent réservées.

    B.- La Société coopérative d'habitation Lausanne a formé un recours
de droit public contre le RCO. Elle demande principalement l'annulation
de ce règlement, subsidiairement de son seul art. 11.

    Le Tribunal fédéral a rejeté le recours.

Auszug aus den Erwägungen:

                          Extrait des considérants:

Erwägung 2

    2.  La recourante invoque le principe de la primauté du droit fédéral
(art. 49 Cst.). Selon elle, la possibilité pour l'autorité de forcer
le bailleur à conclure avec une personne déterminée serait contraire au
principe du consentement mutuel comme condition de conclusion d'un contrat
de bail. Il s'agirait d'une intervention dans les rapports directs entre
les parties au contrat de bail, prohibée par la jurisprudence (ATF 119
Ia 348). Si les relations ainsi imposées entre bailleur et locataire ne
devaient pas constituer un contrat de bail, il s'agirait d'une réquisition
par l'autorité communale, elle aussi contraire au droit fédéral.

    La commune relève que l'aide au logement constitue une tâche publique
de l'Etat - soit du canton et des communes - figurant notamment à
l'art. 67 de la constitution vaudoise (Cst./VD). L'obligation d'accepter
certains locataires ne serait qu'une modalité de la mise en oeuvre du
subventionnement, sous la forme d'une charge. Le contrat de bail serait
ainsi un instrument de réalisation du droit public.

    2.1  Le droit fédéral prime d'emblée et toujours le droit cantonal
dans les domaines placés dans la compétence de la Confédération et
que celle-ci a effectivement réglementés (art. 49 al. 1 Cst.; art. 2
Disp. trans. aCst.). Les règles cantonales qui seraient contraires
au droit fédéral, notamment par leur but ou par les moyens qu'elles
mettent en oeuvre, doivent ainsi céder le pas devant le droit fédéral. Ce
principe n'exclut cependant toute réglementation cantonale que dans
les matières que le législateur fédéral a réglées de façon exhaustive,
les cantons restant au surplus compétents pour édicter, quand tel n'est
pas le cas, des dispositions de droit public dont les buts et les moyens
envisagés convergent avec ceux prévus par le droit fédéral (ATF 130 I
82 consid. 2.2 p. 87, 169 consid. 2.1 p. 170, 279 consid. 2.2 p. 283,
et les arrêts cités). Si donc, dans les domaines régis en principe par
le droit civil fédéral, les cantons conservent la compétence d'édicter
des règles de droit public en vertu de l'art. 6 CC, c'est à condition
que le législateur fédéral n'ait pas entendu régler une matière de façon
exhaustive, que les règles cantonales soient motivées par un intérêt
public pertinent et qu'elles n'éludent pas le droit civil, ni n'en
contredisent le sens ou l'esprit (ATF 130 I 169 consid. 2.1 p. 170; 129
I 330 consid. 3.1 p. 334, 402 consid. 2 p. 404, et les arrêts cités). Le
Tribunal fédéral examine librement la conformité d'une règle de droit
cantonal ou communal au droit fédéral (ATF 130 I 96 consid. 2.3 p. 98;
128 I 46 consid. 5a p. 54; 128 II 66 consid. 3 p. 70, et les arrêts cités).

    2.2  Fondée sur ces principes, la jurisprudence admet qu'il est
interdit aux cantons d'intervenir dans les rapports directs entre les
parties au contrat de bail, réglés exhaustivement par le droit fédéral
(ATF 117 Ia 328 consid. 2b p. 331; 113 Ia 126 consid. 9d p. 143). Les
cantons demeurent cependant libres d'édicter des mesures destinées à
combattre la pénurie sur le marché locatif, par exemple en soumettant à
autorisation la démolition, la transformation et la rénovation de maisons
d'habitation (ATF 89 I 178). Si l'institution d'un contrôle permanent
et général des loyers est incompatible avec le droit fédéral (ATF 116 Ia
401 consid. 4b/aa, et les arrêts cités), il est possible en revanche de
conditionner l'autorisation de rénover des logements à un contrôle des
loyers pendant une durée de dix ans (ATF 101 Ia 502). Le Tribunal fédéral
a rappelé à cette occasion que les dispositions cantonales qui soumettent à
une autorisation les transformations de maisons d'habitation et imposent un
contrôle des loyers ne sont en principe pas contraires aux règles du droit
civil fédéral qui régissent les rapports entre bailleurs et locataires.

    Dans la perspective de la lutte contre la pénurie de logements
locatifs, il n'est pas non plus contraire au droit fédéral de soumettre
à autorisation l'aliénation d'appartements, qu'il s'agisse de ventes de
lots de PPE ou de donations. Il en va de même en cas d'avancement d'hoirie,
de partage ou de liquidation d'un régime matrimonial, pour autant que ces
aliénations aient pour conséquence la transformation d'un appartement
offert en location en logement soumis au régime de la propriété par
étages. La réglementation doit toutefois permettre une pesée suffisante
des intérêts en présence (ATF 113 Ia 126).

    La jurisprudence tient aussi pour conformes au droit fédéral et à la
constitution les normes imposant au propriétaire une réaffectation forcée
de ses locaux à l'usage d'habitation, voire l'expropriation temporaire
de l'usage des appartements locatifs laissés abusivement vides (ATF 119
Ia 348; arrêt 1P.664/1999 du 1er septembre 2000, RDAF 2002 I p. 25). Ces
normes poursuivent un but d'intérêt public évident, suffisamment important
pour justifier des restrictions au droit de propriété, à la liberté
économique et à l'application de certaines règles de droit civil fédéral
(ATF 116 Ia 401 consid. 9 p. 414/415; 113 Ia 126 consid. 7a p. 133;
111 Ia 23 consid. 3a p. 26).

    2.3  L'ensemble des réglementations cantonales précitées, qui
soumettent à autorisation les ventes d'appartements, imposent une certaine
affectation ou limitent les loyers, porte une atteinte évidente à la
liberté contractuelle. Le droit public peut en effet interdire, ou au
contraire imposer la conclusion de contrats entre certaines personnes,
sans que cela ne viole en soi le droit fédéral. La liberté contractuelle,
énoncée à l'art. 19 CO, bénéficie certes de la protection assurée par
le principe de primauté du droit fédéral (ATF 102 Ia 533 consid 10a
p. 542). Elle n'est toutefois pas illimitée: elle est notamment soumise
aux restrictions qui sont réservées aux al. 1 et 2 de l'art. 19 CO,
ainsi qu'à l'art. 20 CO. Certaines dérogations à cette liberté peuvent
aussi se justifier, notamment dans le domaine du logement (ATF 113 Ia 126
consid. 8c p. 139). Faute de prétendre que la réglementation attaquée
serait contraire aux dispositions spéciales régissant le bail à loyer,
l'argumentation de la recourante fondée sur le respect du droit fédéral
n'a pas de portée propre par rapport à celle qui est tirée de la garantie
de la propriété, respectivement de la liberté économique (cf. ATF 102 Ia
533 consid. 10a p. 542).

Erwägung 3

    3.  Invoquant la garantie de la propriété (art. 26 Cst.), la recourante
estime que l'art. 11 RCO instituerait un droit de réquisition en faveur
de l'Etat, de nature expropriatoire. Il s'agirait d'une restriction
grave qui devrait être prévue dans une loi au sens formel. La loi
vaudoise sur l'expropriation exigerait d'ailleurs aussi une base légale
formelle. L'art. 12 du règlement cantonal sur les conditions d'occupation
des logements construits ou rénovés avec l'appui des pouvoirs publics
(RCOL) ne serait pas suffisamment précis pour permettre à l'autorité de
choisir et d'imposer 15 % des locataires de certains immeubles.

    Pour la commune, l'art. 11 RCO ne constituerait pas une atteinte à la
garantie de la propriété puisqu'il s'agit de la contrepartie d'un avantage
accordé par l'Etat, librement accepté par son bénéficiaire. Adopté par
le parlement communal, le RCO serait, en dépit de sa dénomination, une
loi au sens formel. La compétence communale dans ce domaine reposerait
sur l'art. 67 Cst./VD, les art. 2, 3 et 22 de la loi vaudoise sur le
logement (LL), concrétisée par l'art. 12 RCO. Les conventions conclues
entre propriétaires, commune et canton prévoiraient l'application du
règlement et des prescriptions communales; elles prévoient aussi que le
bailleur n'a qu'un droit de proposition: l'autorité - soit la commune
- peut, selon ces conventions, décider si le candidat peut être admis
à conclure le bail. En signant ces conventions, la recourante aurait
donc renoncé à son droit de choisir librement ses locataires, et accepté
l'adoption par la commune d'autres prescriptions particulières. A titre
subsidiaire, la commune soutient que l'atteinte au droit de propriété
ne serait pas grave puisque le propriétaire perdrait tout au plus son
droit de proposition; les conditions du bail resteraient les mêmes. Par
conséquent, l'examen du Tribunal fédéral serait limité à l'arbitraire.

    3.1  Selon l'art. 26 al. 1 Cst., la propriété est garantie. L'art. 26
al. 2 Cst. pose le principe de la pleine indemnisation en cas
d'expropriation ou de mesure équivalente. Dans sa fonction individuelle,
la garantie de la propriété protège les droits patrimoniaux concrets
du propriétaire: celui de conserver sa propriété, d'en jouir et
de l'aliéner. Les mesures de contrôle des loyers (ATF 116 Ia 401),
d'affectation forcée au logement, d'expropriation du droit d'habitation
(ATF 119 Ia 348), d'autorisation d'aliénation, de démolir ou de
transformer un immeuble (ATF 113 Ia 126) portent toutes atteinte à l'une
des prérogatives découlant du droit de propriété. Il n'en va pas évidemment
de même de la disposition attaquée: le droit de conserver et d'aliéner
n'est pas touché; en outre, dans la mesure où le bailleur est de toute
façon soumis à un contrôle des loyers, et où le locataire doit remplir des
conditions de revenus et de fortune fixées dans la réglementation et être
de surcroît agréé par l'autorité avant la signature du bail, le fait de
se voir imposer un locataire plutôt qu'un autre n'a guère d'incidence sur
le revenu qui pourra être retiré de l'appartement loué. Certes, l'art. 11
RCOL permettra d'imposer des locataires présentant une garantie moindre
de solvabilité. Toutefois, ces locataires pourront bénéficier d'une aide
personnalisée de la commune, susceptible de pallier cet inconvénient.

    3.2  En réalité, l'atteinte résultant de la réglementation contestée
concerne bien d'avantage la liberté du commerce et de l'industrie,
laquelle comprend notamment la liberté de conclure ou non un contrat et
de choisir son cocontractant (ATF 102 Ia 533 consid. 10a p. 542). La
recourante n'invoque certes pas expressément ce droit fondamental,
mais les objections qu'elle fait valoir sous l'angle des art. 26 et
36 Cst. (existence d'une base légale, principe de la proportionnalité)
sont applicables de la même manière à la liberté économique.

Erwägung 4

    4.  Selon l'art. 27 Cst., la liberté économique est garantie
(al. 1); elle comprend notamment le libre choix de la profession,
le libre accès à une activité économique lucrative privée et son libre
exercice (al. 2). Cette liberté protège toute activité économique privée,
exercée à titre professionnel et tendant à la production d'un gain ou
d'un revenu (cf. Message du Conseil fédéral du 20 novembre 1996 relatif
à une nouvelle Constitution fédérale, in FF 1997 I 1 ss, p. 176; ATF 118
Ia 175 consid. 1). La garantie de la liberté contractuelle, consacrée
explicitement aux art. 1 et 19 CO, fait partie intégrante de l'aspect
constitutif de la liberté économique (AUER/MALINVERNI/HOTTELIER, Droit
constitutionnel suisse, Berne 2000, vol. II, p. 318).

    L'art. 36 Cst. exige que toute restriction à une liberté fondamentale
soit fondée sur une base légale, justifiée par un intérêt public ou
par la protection d'un droit fondamental d'autrui, et proportionnée au
but visé. Lorsque la restriction n'est pas grave, la base légale ne
doit pas nécessairement être formelle (art. 36 al. 1, 2e phrase Cst. a
contrario), mais peut se trouver dans des actes de rang infra-légal ou
dans une clause générale, ce que le Tribunal fédéral examine sous l'angle
restreint de l'arbitraire (ATF 129 I 173 consid. 2.2; 126 I 112 consid. 3b;
123 I 112 consid. 7a et les arrêts cités). Pour le surplus, le Tribunal
fédéral vérifie librement si les exigences de l'intérêt public et de la
proportionnalité sont respectées (ATF 130 I 65 consid. 3.3; 128 II 259
consid. 3.3).

    4.1  Il n'est ni contesté, ni contestable que l'art. 11 RCO poursuit
exclusivement un but de politique sociale. Selon la jurisprudence en effet,
les mesures de lutte contre la pénurie de logements et pour la protection
des locataires poursuivent un but de politique sociale (ATF 116 Ia 401
consid. 9c p. 414 et les arrêts cités). En l'occurrence, l'art. 11 RCO
tend notamment à permettre aux catégories les plus défavorisées de la
population d'obtenir un logement à des conditions acceptables. Il s'agit
d'encourager une certaine "mixité résidentielle", en permettant le maintien
des ménages bien intégrés, tout en favorisant l'intégration de ménages en
difficulté dans un environnement plus stable et structuré. L'Etat offre
en contrepartie une garantie financière (loyers non payés et dégâts),
ainsi qu'un suivi social.

    4.2  Contrairement à ce que soutient la recourante, l'atteinte imposée
aux propriétaires par la nouvelle réglementation ne saurait être qualifiée
de grave. Seules le sont, pour ce qui concerne la garantie de la propriété,
les mesures par lesquelles la propriété foncière se trouve enlevée de
force, ou les interdictions et prescriptions qui rendent impossible
ou beaucoup plus difficile une utilisation conforme à la destination
(ATF 115 Ia 365). En matière de liberté économique, constitue une
atteinte grave, par exemple, l'interdiction d'exercer une profession;
en revanche l'obligation de réserver une partie d'un bâtiment à une
affectation déterminée ne constitue pas une atteinte grave (ATF 115 Ia
378 consid. 3b/bb p. 380).

    En l'occurrence, l'art. 11 RCO porte certes atteinte à la liberté
contractuelle du bailleur, mais dans une proportion limitée à 15 % des
logements à disposition. La liberté contractuelle se trouve d'ailleurs
déjà fortement limitée dans ce contexte, puisque le choix du locataire
doit respecter des conditions précises de revenu et de fortune, et que le
montant du loyer ne peut lui non plus être fixé librement. L'intervention
de la cellule logement (art. 12 RCO), sur des aspects financiers est,
comme cela est relevé ci-dessous, propre à limiter les risques évoqués par
la recourante (non-paiement de loyers et dégâts). Enfin, la contrepartie
accordée à l'art. 11 al. 2 RCO amoindrit encore les effets prétendus
de l'atteinte. C'est par conséquent sous l'angle de l'arbitraire que le
Tribunal fédéral doit examiner les questions relatives à la base légale
et à la compétence législative de l'autorité communale.

    4.3  La recourante soutient que le règlement attaqué ne pourrait
être qualifié de base légale formelle au sens de l'art. 36 Cst. Seul le
canton serait compétent pour édicter des lois; selon l'art. 4 de la loi
vaudoise sur les communes (LC/VD), le conseil général ou communal pourrait
adopter des "règlements"; ceux-ci devraient, selon l'art. 94 al. 2 LC/VD,
être approuvés par le Conseil d'Etat pour avoir "force de loi", mais cela
ne signifierait pas qu'il s'agirait de lois au sens formel.

    En dépit d'une terminologie qui peut prêter à confusion, l'acte
attaqué a toutes les caractéristiques d'une loi au sens formel: il émane
du parlement communal et est soumis au référendum, comme l'exigent
les art. 142 al. 2 et 147 al. 1 Cst./VD. Dans ces conditions, l'acte
législatif communal offre les mêmes garanties, du point de vue de la
légitimité démocratique, qu'une loi cantonale, et constitue par conséquent
une base légale suffisante (ATF 122 I 305 consid. 5a p. 312; 120 Ia 265
consid. 2a p. 266-267 et les références citées). L'argumentation de la
recourante quant à la nature du règlement attaqué tombe ainsi à faux.

    4.4  La recourante conteste également la compétence de la commune
pour adopter le RCO. L'art. 67 Cst./VD ne permettrait pas aux communes
d'agir par voie législative et de prévoir un droit de disposition sur
des logements construits avec son appui financier. La loi vaudoise sur le
logement ne le permettrait pas non plus. L'art. 12 RCOL prévoit que "si la
situation locale justifie des mesures différentes de celles prévues dans
le présent règlement, la commune peut édicter des prescriptions spéciales
applicables sur l'ensemble du territoire communal, pour autant qu'elle
participe pour les immeubles en cause à l'abaissement des loyers. Ces
prescriptions seront susceptibles de compléter les règles cantonales, ou
de se substituer à celles-ci, après avoir été approuvées par le Conseil
d'Etat". Pour la recourante, une telle délégation, de rang réglementaire,
ne serait pas admissible.

    4.4.1  La Constitution fédérale garantit l'autonomie communale dans
les limites fixées par le droit cantonal (art. 50 al. 1 Cst.). Selon la
jurisprudence, une commune est autonome dans les domaines que le droit
cantonal ne règle pas de façon exhaustive, mais laisse en tout ou en
partie dans la sphère communale en conférant aux autorités municipales
une appréciable liberté de décision (ATF 126 I 133 consid. 2 p. 136;
124 I 223 consid. 2b p. 226 s. et les références citées). L'existence
et l'étendue de l'autonomie communale dans une matière concrète sont
déterminées essentiellement par la constitution et la législation
cantonales, voire exceptionnellement par le droit cantonal non écrit et
coutumier (ATF 122 I 279 consid. 8b p. 290; 116 Ia 285 consid. 3a p. 287;
115 Ia 42 consid. 3 p. 44 et les arrêts cités). Les communes bénéficient
de compétences législatives lorsqu'elles disposent d'un pouvoir normatif
dans un domaine que le législateur cantonal ou fédéral n'a pas réglé
exhaustivement (ATF 115 Ia 42).

    4.4.2  Selon l'art. 138 Cst./VD, outre les tâches propres qu'elles
accomplissent volontairement, les communes assument les compétences que
la constitution ou la loi leur attribuent. Elles veillent au bien-être
de leurs habitants et à la préservation d'un cadre de vie durable
(al 1). L'Etat confie aux communes les tâches qu'elles sont mieux à
même d'exécuter que lui (al. 2). Selon l'art. 139 Cst./VD, les communes
disposent d'autonomie, en particulier dans la gestion du domaine public
et du patrimoine communal, l'aménagement local du territoire et l'ordre
public; l'expression "en particulier" signifie clairement que cette
énumération n'est pas exhaustive. Selon l'art. 2 LC/VD, les communes
exercent les attributions et exécutent les tâches qui leur sont propres,
dans le cadre de la constitution et de la législation cantonales. Cet
article comporte lui aussi une liste d'attributions, plus complète mais
non exhaustive, où ne figure pas la réglementation relative au logement.

    L'art. 67 Cst./VD prévoit que l'Etat et les communes, en complément des
démarches relevant de la responsabilité individuelle et de l'initiative
privée, veillent à ce que toute personne puisse disposer d'un logement
approprié à des conditions supportables (al. 1). Ils encouragent la mise
à disposition de logements à loyers modérés et la création d'un système
d'aide personnalisée au logement (al. 2).

    La LL a pour but de promouvoir une politique du logement mettant
notamment à disposition de la population des habitations adaptées à
ses besoins et de favoriser un équilibre démographique satisfaisant des
diverses régions du canton (al. 1). Cette politique est fondée sur la
collaboration de l'économie privée, des communes et de l'Etat. Les communes
doivent suivre en permanence l'évolution du problème du logement sur leur
territoire, et prendre les mesures de prévention et d'exécution nécessaires
pour créer ou maintenir l'équilibre entre l'offre et la demande, notamment
par l'acquisition, la cession et la mise à disposition de terrains à
bâtir, des suggestions aux constructeurs de logements et l'octroi de
garanties financières (prêt, garantie, cautionnement, prise en charge de
l'intérêt; art. 2 LL). Selon l'art. 3 LL, les communes "s'efforcent" de
procurer un logement approprié aux familles et personnes établies sur leur
territoire; elles doivent vouer une attention toute particulière à celles
qui se trouvent privées de logement pour des raisons indépendantes de leur
volonté. Pour sa part, l'Etat assume des tâches de coordination générale,
d'information et des mesures financières directes ou indirectes (art. 8
LL). Ces dernières mesures sont accordées sous la forme de garanties,
d'emprunts, de prêts (art. 13-22 LL), d'exonérations fiscales (art. 23-26
LL) et de prise en charge de l'intérêt ou de l'amortissement (art. 27 ss
LL). En règle générale, les communes participent également aux mesures
financières par la mise à disposition des terrains, ou d'autres facilités
ayant des effets au moins équivalents sur la réduction des charges des
immeubles (art. 14 LL). Les garanties ou les prêts de l'Etat sont en
général subordonnés à une garantie de la ou des communes intéressées
(art. 17 LL). Une convention détermine les droits et obligations de l'Etat,
de la commune et du propriétaire, en particulier s'agissant du contrôle des
loyers (art. 18 LL). Selon l'art. 22 LL, les dispositions d'application
précisent les catégories de logements pouvant bénéficier des mesures de la
loi et fixent les autres conditions, "notamment l'amortissement, ... les
locataires admissibles, le nombre de pièces et de personnes par logement,
le montant du loyer, les limites de revenus, les conditions de domicile,
...". Les communes sont chargées de veiller à la stricte observation des
conditions fixées en application du présent article.

    4.4.3  En vertu de son pouvoir d'exécution (art. 120 al. 2 in fine
Cst./VD et, s'agissant de la LL, art. 37 al. 1 de cette loi), le Conseil
d'Etat a adopté un règlement d'application (RLL) ainsi qu'un règlement
sur les conditions d'occupation des logements construits ou rénovés
avec l'appui financier des pouvoirs publics (RCOL). Ce dernier fixe les
conditions auxquelles doivent satisfaire les locataires d'appartements
construits ou rénovés en application de la LL. Il pose notamment des
conditions personnelles et des limites de revenu et de fortune. L'art. 12
RCOL a la teneur suivante:

      1 Si la situation locale justifie des mesures différentes de celles

      prévues dans le présent règlement, la commune peut édicter des

      prescriptions spéciales applicables sur l'ensemble du territoire

      communal, pour autant qu'elle participe pour les immeubles en cause

      à l'abaissement des loyers.  2 Ces prescriptions seront susceptibles

      de compléter les règles cantonales, ou de se substituer à celles-ci,

      après avoir été approuvées par le Conseil d'Etat.

    4.4.4  La disposition constitutionnelle vaudoise relative au
logement, soit l'art. 67 Cst./VD, institue clairement des compétences
parallèles entre l'Etat et les communes; la constitution place les deux
collectivités sur pied d'égalité dans ce domaine (RECORDON, Tâches de
l'Etat et des communes, in La Constitution vaudoise du 14 avril 2003,
Pierre Moor [éd.], Berne 2004, p. 172). Cela implique déjà en soi un
pouvoir réglementaire, dont la commune de Lausanne avait d'ailleurs déjà
fait usage en édictant des prescriptions spéciales en 1993 (bulletin
du Conseil communal 1993, t. II p. 61 ss). C'est par conséquent à tort
que la recourante se plaint du défaut de base légale formelle, puisque
le règlement litigieux trouve son fondement directement dans le texte
constitutionnel: le droit cantonal de rang inférieur à la constitution,
soit la LL et ses règlements d'application, n'a pas pour objet d'attribuer
une compétence communale, mais uniquement d'en préciser le contenu.

    La LL confie expressément certaines compétences aux communes, en
particulier à ses art. 2 et 3; les "mesures de prévention et d'exécution
nécessaires" impliquent elles aussi un certain pouvoir réglementaire,
notamment par une intervention sur l'offre et la demande, ce que tend
précisément à faire l'art. 11 RCO. L'ensemble des tâches confiées par
les art. 2 à 7 LL aux autorités communales peuvent impliquer des mesures
coercitives, en particulier à l'égard des bailleurs et propriétaires;
cela suppose naturellement l'adoption de bases légales appropriées. Par
ailleurs, tant la loi que ses règlements cantonaux d'application sont
fondés sur le principe que la commune dispose, à côté de l'Etat, de
certaines prérogatives lorsqu'elle participe financièrement à l'abaissement
des loyers (droit de représentation, art. 24 RLL; participation à la
convention, art. 18 LL et 12 RLL).

    Quant à l'art. 12 RCOL, il permet à la commune qui participe
à l'abaissement des loyers d'adopter des prescriptions spéciales,
si la situation locale le justifie. Le droit cantonal permet ainsi
expressément l'adoption d'une réglementation communale spécifique,
éventuellement même dérogatoire. Certes, il ne saurait être question de
déroger ainsi à la loi formelle: le Conseil d'Etat ne dispose pas d'une
délégation suffisante pour ce faire. En revanche, il peut prévoir une
possibilité de dérogation aux dispositions qu'il a lui-même adoptées,
sous réserve de sa propre approbation. Contrairement à ce que soutient
la recourante, l'art. 12 RCOL ne vise pas uniquement les dérogations aux
conditions de revenus ou de fortune figurant aux articles précédents:
il autorise "des mesures différentes", ce qui comprend également des
prescriptions d'une autre nature. En tant qu'agglomération urbaine,
Lausanne peut en outre se prévaloir d'une situation locale particulière
au sens de l'art. 12 RCOL. Pour le surplus, la recourante ne prétend pas
que l'art. 11 RCO empêcherait d'une manière ou d'une autre l'application
du droit cantonal. Les dérogations figurant dans le règlement communal
(cf. art. 7 et 13), ne visent que des dispositions réglementaires, et
non des normes législatives cantonales.

    Il résulte de ce qui précède que la commune dispose d'une compétence
suffisante pour adopter le règlement litigieux, et que celui-ci n'empiète
pas sur la réglementation cantonale touchant au même domaine. Le grief
doit par conséquent être écarté.

    4.5  La recourante estime que la mesure contestée répondrait certes
à un intérêt public, mais qu'elle serait disproportionnée car la commune
dispose déjà d'un important parc immobilier qu'elle devrait affecter en
priorité à la tâche poursuivie. Les mesures d'allocations personnalisées
au logement prévues dans le RCOL suffiraient à elles seules pour atteindre
le but visé. La recourante invoque enfin l'art. 9 Cst.: on ne saurait
introduire de nouvelles charges et conditions à des subventionnements
qui ont déjà été accordés; l'imposition de charges supplémentaires
(restriction au droit de propriété, risques liés à l'insolvabilité du
locataire choisi par l'Etat, conflits de voisinage), ne serait pas liée
à une prestation fournie par l'Etat.

    4.5.1  L'intérêt public poursuivi par la disposition litigieuse,
tel qu'il est résumé au consid. 4.1 ci-dessus, est indéniable. Pour
ce qui concerne l'art. 11 RCO, il s'agit de permettre une "mixité
résidentielle" en faisant accepter par les bailleurs des ménages
financièrement et socialement défavorisés, "non désirables a priori" en
raison de leurs problèmes financiers ou de comportement (Rapport-préavis
du 25 septembre 2003, p. 5-7). Cette solution tiendrait largement compte
de la pratique actuelle des régies: celles-ci accepteraient actuellement
environ 600 ménages au bénéfice d'une garantie de loyer du Service social,
et il conviendrait de porter ce nombre à environ 900 afin de réduire les
hébergements de secours qui se prolongent faute de logements disponibles,
et d'accepter les "éternels refusés" (idem, p. 7). La disposition
litigieuse permet une intervention coercitive de la part de la commune
qui ne pouvait jusqu'alors compter que sur le bon vouloir des différents
bailleurs. L'art 11 du règlement tend ainsi à assurer un logement décent
aux personnes les plus défavorisées, ce qui correspond à un intérêt public
important. La limitation de l'effet de ghetto et l'introduction d'une plus
grande mixité procède, avec les deux autres moyens que sont les mesures
d'assouplissement et l'allocation au logement, d'un intérêt public plus
général lié à l'intégration durable des ménages défavorisés.

    4.5.2  Contrairement à ce que soutient la recourante, le droit accordé
à l'autorité par l'art. 11 RCO ne va nullement au-delà du but visé:
la proportion de 15 % correspond, selon la commune, aux 900 logements
nécessaires. Même si, actuellement, environ 600 ménages au bénéfice
d'une garantie de loyer du Service social auraient déjà été acceptés par
différentes régies, cela ne change rien au fait que l'autorité communale
doit disposer d'un pouvoir coercitif s'étendant à l'ensemble des besoins,
dont la proportion n'est d'ailleurs pas contestée par la recourante.
Celle-ci ne saurait non plus exiger que la ville de Lausanne affecte à
cette tâche l'intégralité des quelque 724 logements dont elle dispose dans
les 200 immeubles dont elle est propriétaire. L'objectif du règlement
est précisément d'éviter un regroupement systématique des ménages en
difficulté. L'intervention de l'Etat et des communes, en complément des
démarches relevant de la responsabilité individuelle et de l'initiative
privée, correspond par ailleurs au principe posé à l'art. 67 Cst./VD.

    La recourante soutient également que l'intervention de la cellule
logement, selon l'art. 12 RCO, suffirait à assurer le relogement des
personnes concernées. Selon l'art. 4 de la directive n° 6 adoptée le
19 août 2004 par la Municipalité (la directive), le bénéficiaire doit
être en mesure de respecter les normes posées par le droit du bail et
les règles et usages locatifs. Cette disposition a notamment pour but
d'éviter que les locataires imposés par l'autorité ne soient d'emblée
exposés au risque d'une résiliation pour justes motifs. Cette précaution
ne suffit pas à elle seule pour éviter les difficultés insurmontables que
peuvent rencontrer certaines personnes pour se loger, en particulier les
"éternels refusés" dont fait état la commune.

    L'intervention de la cellule logement est en revanche de nature
à amoindrir considérablement les dommages qui pourraient résulter de
l'acceptation forcée de certains locataires. A cet égard, la directive
précitée constitue un indice sérieux quant à la manière dont l'art. 12
RCO sera interprété et appliqué. Selon cette dernière disposition, les
locataires choisis par les autorités peuvent être pris en charge par la
cellule logement qui peut être appelée à intervenir, "tant sur le plan
social que sur tous les aspects financiers du bail". Selon l'art. 6
de la directive, la cellule logement s'assure de la solvabilité des
locataires, en matière de paiement du loyer, de garantie de loyer ainsi que
d'assurance responsabilité civile; elle peut demander au Service social
de s'acquitter directement en mains du bailleur; elle analyse, en fin
de bail, les prétentions du bailleur, établit avec lui le décompte des
frais en cas de dégâts hors normes et participe pour 50 % aux montants
non couverts par les assurances et garanties; une participation plus
importante peut être négociée dans les cas exceptionnels. Ainsi décrite,
l'intervention de la cellule logement diminue sensiblement les risques
évoqués par la recourante, lesquels n'apparaissent guère plus graves
qu'avec n'importe quel locataire remplissant les conditions d'accès à un
logement subventionné.

    Enfin, la possibilité de conserver 15 % de locataires ne répondant
pas ou plus aux conditions d'occupation, soit notamment en raison de
revenus ou de fortunes supérieurs aux barèmes, constitue une contrepartie
adéquate puisque ces locataires présentent des garanties de solvabilité
a priori supérieures.

    Le mécanisme instauré par les art. 11 à 13 RCO apparaît en définitive
comme un tout cohérent, à la fois nécessaire et adéquat pour parvenir
aux buts recherchés. Le principe de la proportionnalité est respecté.

    4.6  La recourante invoque enfin l'interdiction de l'arbitraire et la
protection de la bonne foi. Selon elle, il ne serait pas possible de poser
de nouvelles charges ou des obligations supplémentaires à une subvention
déjà accordée, à moins que cela ne soit justifié par des prestations
effectivement de l'Etat. L'argument doit être écarté: en l'absence de
droit acquis, ni la protection de la bonne foi, ni l'interdiction de
l'arbitraire ne s'opposent à une modification législative éventuellement
plus contraignante pour les propriétaires.