Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 131 I 217



131 I 217

24. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public dans la cause V.
contre Tribunal cantonal du canton de Fribourg (recours de droit public)

    1P.285/2004 du 1er mars 2005

Regeste

    Art. 9 BV, Art. 25 URG/FR; Verbeiständung in Strafsachen; staatliche
Entschädigung des amtlichen Verteidigers bei notwendiger Verteidigung
eines nicht bedürftigen Beschuldigten.

    Der amtliche Verteidiger steht bei notwendiger Verteidigung
zum Beschuldigten und zum Staat, der ihn ernannt hat, in einem
öffentlichrechtlichen Verhältnis (E. 2.4). Es ist daher ausgeschlossen,
den Verteidiger das Risiko der Nichtzahlung seines Honorars allein tragen
zu lassen. Die Auslegung von Art. 25 URG/FR, nach welcher der notwendige
Verteidiger sich zwecks Eintreibung seines Honorars unmittelbar an
den Beschuldigten zu wenden hat, wenn dieser nicht bedürftig ist, ist
willkürlich (E. 2.5).

Sachverhalt

    Par arrêt du 17 février 1998, la Chambre d'accusation du Tribunal
cantonal du canton de Fribourg a nommé Me V., avocat, en qualité de
défenseur d'office de P. dans une procédure pénale ouverte contre ce
dernier des chefs d'obtention frauduleuse d'une constatation fausse,
d'usage de faux et de complicité d'usage de faux en matière fiscale. Le
prévenu a été condamné en première instance par jugement du Tribunal
pénal de l'arrondissement de la Gruyère du 25 janvier 2001. La Cour
d'appel pénal du Tribunal cantonal du canton de Fribourg (ci-après:
le Tribunal cantonal) a partiellement admis le recours en appel formé
contre ce jugement au terme d'un arrêt rendu le 10 décembre 2002.

    Le 15 mai 2003, V. a transmis au Tribunal cantonal sa liste de frais
pour les deux instances cantonales en vue de fixer son indemnité d'avocat
d'office. Le 2 juillet 2003, le Juge délégué lui a répondu qu'il s'agissait
d'un cas de défense nécessaire et que dans la mesure où l'insolvabilité de
son client n'était pas démontrée, il incombait à celui-ci d'acquitter la
note d'honoraires, selon l'art. 25 de la loi fribourgeoise sur l'assistance
judiciaire du 4 octobre1999 (LAJ/ FR).

    Le 29 octobre 2003, V. a requis une décision formelle à ce
propos. Selon lui, il appartenait à l'Etat d'indemniser l'avocat d'office
en cas de défense nécessaire et d'exiger ensuite du prévenu solvable
le remboursement des honoraires versés. Par arrêt du 12 décembre 2003,
le Tribunal cantonal a rejeté la requête d'indemnité. Il a estimé que
lorsque le prévenu n'est pas indigent, la loi sur l'assistance judiciaire
ne s'appliquait pas à la rémunération du défenseur nécessaire et que
les prétentions pécuniaires de celui-ci envers son client relevaient du
droit privé.

    Le Tribunal fédéral a admis le recours de droit public formé par
V. contre cet arrêt qu'il a annulé.

Auszug aus den Erwägungen:

                          Extrait des considérants:

Erwägung 2

    2.  Le recourant tient pour arbitraire l'interprétation faite en
l'espèce du droit cantonal conduisant au rejet de sa requête d'indemnité
pour la défense des intérêts de son client d'office dans la procédure
pénale dirigée contre celui-ci.

    2.1  Le Tribunal fédéral revoit l'interprétation et l'application du
droit cantonal sous l'angle de l'arbitraire (ATF 128 II 311 consid. 2.1
p. 315 et les arrêts cités). Il ne s'écarte de la solution retenue que
si celle-ci se révèle insoutenable, en contradiction manifeste avec la
situation effective, ou si elle a été adoptée sans motifs objectifs et en
violation d'un droit certain. En revanche, si l'interprétation défendue
par la cour cantonale ne s'avère pas déraisonnable ou manifestement
contraire au sens et au but de la disposition ou de la législation en
cause, elle sera confirmée, même si une autre solution paraît également
concevable, voire même préférable (ATF 129 I 8 consid. 2.1 p. 9 et les
arrêts cités). En outre, l'annulation de la décision attaquée ne se
justifie que si celle-ci est arbitraire dans son résultat (ATF 129 I
173 consid. 3 p. 178), ce qu'il appartient au recourant de démontrer
(art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 124 I 247 consid. 5 p. 250).

    2.2  L'art. 34 du code de procédure pénale fribourgeois du 14 novembre
1996 (CPP/FR) prévoit que sous réserve des dispositions suivantes, le
prévenu peut se défendre lui-même ou se constituer un défenseur de son
choix à tout stade de la procédure. Selon l'art. 35 CPP/FR, tout prévenu
doit être pourvu d'un défenseur devant les autorités de jugement lorsque
la comparution du Ministère public est obligatoire (let. a) et dans les
autres cas où le magistrat qui dirige la procédure l'estime nécessaire à la
sauvegarde des intérêts du prévenu ou au bon déroulement de la procédure
(let. b). L'art. 37 CPP/FR dispose que le président de la Chambre pénale
désigne un défenseur d'office au prévenu qui ne s'est pas constitué de
défenseur dans un cas de défense nécessaire ou au prévenu indigent qui y
a droit (al. 1). Il tient compte, dans la mesure du possible, des voeux
légitimes du prévenu. Il est également compétent pour révoquer, le cas
échéant, le défenseur d'office (al. 2). L'indemnisation du défenseur
d'office est réglée par la législation sur l'assistance judiciaire (al. 3).

    L'assistance judiciaire en matière pénale est régie par les art. 23
à 28 LAJ/FR. L'art. 25 LAJ/FR dispose qu'en cas de défense nécessaire, le
prévenu solvable a l'obligation de payer les honoraires de son défenseur
d'office.

    2.3  En l'occurrence, le Tribunal cantonal a considéré qu'en cas
de défense nécessaire d'un prévenu non indigent, les dispositions de
la loi cantonale sur l'assistance judiciaire ne s'appliquaient pas à la
rémunération du défenseur d'office et que ce dernier devait s'adresser au
prévenu directement pour encaisser ses honoraires, en vertu de l'art. 25
LAJ/FR. Les prétentions pécuniaires de l'avocat envers son client
relèveraient alors du droit privé et, en cas de contestation sur les
honoraires et les débours, le litige devrait être porté devant l'autorité
judiciaire qui a connu de la cause, conformément aux art. 25 et 26 al. 1
de la loi fribourgeoise sur la profession d'avocat, du 12 décembre 2002.

    Le recourant reproche au Tribunal cantonal d'avoir méconnu le texte
clair de l'art. 37 al. 3 CPP/FR en considérant que la loi sur l'assistance
judiciaire ne s'appliquait pas à la rémunération de l'avocat d'office
en cas de défense nécessaire. Il s'en prend également à l'interprétation
faite de l'art. 25 LAJ/FR suivant laquelle il appartiendrait au prévenu
non indigent de s'acquitter lui-même de la note d'honoraires du défenseur
d'office; selon lui, cette disposition consacrerait en réalité le droit
de celui-ci d'exiger de son client le paiement de la différence entre
l'indemnité versée par l'Etat et des honoraires pleins.

    2.4  Par sa nature, la défense nécessaire, qu'elle soit fondée sur le
droit fédéral ou cantonal, se caractérise comme une mission conférée par
l'Etat à un avocat en faveur d'un prévenu impliqué dans une procédure
pénale. Cette mission revêt un caractère obligatoire pour l'avocat et
le client d'office. Le prévenu ne peut ainsi s'opposer à la désignation
d'un défenseur professionnel si le principe de la nécessité d'une telle
défense est acquis; il n'a ni le droit de faire désigner l'avocat qui
lui conviendrait en qualité de défenseur d'office, même si l'autorité
compétente tient compte de ses voeux dans la mesure du possible,
ni celui de le faire révoquer (cf. art. 37 al. 2 CPP/FR). L'avocat
n'est pas davantage autorisé à refuser la tâche confiée, sauf motifs
exceptionnels. Il n'a pas non plus le droit de mettre fin à sa mission
unilatéralement, voire même d'entente avec son client d'office. La
situation financière du prévenu ne change rien à ces contraintes. Cette
mission de défenseur d'office nécessaire constitue bien une relation de
droit public entre l'Etat, l'avocat désigné et le prévenu (ATF 122 I 1
consid. 3a p. 2; 113 Ia 69 consid. 6 p. 71; 105 Ia 296 consid. 1d p. 301;
95 I 409 consid. 4 p. 410 et les arrêts cités).

    Dans ces conditions, la distinction suivant laquelle la défense
nécessaire serait réglementée par le droit public sous réserve de la
rémunération du défenseur d'office qui serait soumise au droit privé est
purement artificielle; elle ne repose sur aucun motif objectif et est,
partant, insoutenable. Les motivations du législateur fribourgeois à la
base de l'art. 25 LAJ/FR sont d'ailleurs manifestement étrangères à la
procédure pénale puisque la révision de la loi sur l'assistance judiciaire
visait avant tout à maîtriser les coûts à la charge de l'Etat (Message n°
149 du Conseil d'Etat du canton de Fribourg du 30 mars 1999 accompagnant le
projet de loi sur l'assistance judiciaire, Bulletin officiel des séances
du Grand Conseil, septembre 1999, p. 666).

    2.5  L'arrêt attaqué contraint par ailleurs le défenseur d'office à
faire valoir lui-même, sans autre mesure, ses prétentions pécuniaires
auprès du prévenu, mettant ainsi à la charge de l'avocat le risque de
ne pas être rémunéré pour la tâche accomplie en cas d'opposition ou de
contestation. Or, il est insoutenable de lui faire encourir ce risque pour
des prestations qui lui ont été imposées par l'Etat et qu'il a exécutées,
en définitive, dans l'intérêt public. Impliqué dans cette relation de
droit public, l'Etat doit s'acquitter de la rémunération du défenseur
d'office ou, en tous les cas, en garantir à titre subsidiaire le paiement,
quitte à exiger par la suite le remboursement des sommes versées auprès
du prévenu solvable. Au demeurant, la possibilité pour l'avocat d'obtenir
une indemnité équitable si son client devient indigent après la fin de
la procédure ne constitue pas une garantie suffisante. En particulier,
l'avocat peut être confronté à un débiteur qui, par exemple, résiste au
paiement, n'a pas de domicile connu ou encore réside dans un pays où le
recouvrement des créances est aléatoire.

    L'interprétation retenue par le Tribunal cantonal ne découle au surplus
pas nécessairement de la lettre de l'art. 25 LAJ/FR. Cette disposition
prévoit uniquement que "le prévenu solvable a l'obligation de payer les
honoraires de son défenseur d'office"; elle n'indique en revanche pas
expressément qu'il appartiendrait à l'avocat de faire valoir lui-même
ses prétentions et à ses propres risques.

    Par conséquent, l'arrêt attaqué est également arbitraire dans son
résultat et doit être annulé en tant qu'il revient à imposer au défenseur
d'office le risque du non-paiement de ses honoraires, que ceux-ci soient du
reste définis comme une indemnité équitable ou comme des honoraires pleins.

    2.6  Pour le surplus, la question de la rémunération du défenseur
nécessaire d'un prévenu non indigent n'est pas résolue de manière
uniforme en droit suisse. Ainsi, dans le canton de Berne, en cas de
défense obligatoire, le prévenu condamné aux frais de procédure est tenu
de rembourser au canton les frais de défense d'office et de verser au
défenseur la différence par rapport aux honoraires complets lorsque,
compte tenu de sa situation financière, il aurait pu être exigé qu'il
assume personnellement ses frais de défense (art. 52 al. 2 du code de
procédure pénale bernois). Il en va de même dans le canton de Neuchâtel. Le
défenseur d'office y est rétribué selon les dispositions du droit cantonal
concernant l'assistance judiciaire. Le prévenu non indigent rembourse
à l'Etat l'indemnité versée à l'avocat d'office et reste redevable des
honoraires que celui-ci peut lui réclamer en sus (cf. art. 54 al. 3 et 4 du
code de procédure pénale neuchâtelois; ALAIN BAUER/PIERRE CORNU, Code de
procédure pénale neuchâtelois annoté, Neuchâtel 2003, ch. 15 ad art. 54,
p. 147/148). Le Tribunal fédéral a jugé cette solution non arbitraire
dans une affaire concernant le canton d'Uri, dont le code de procédure
pénale connaît une disposition similaire à celle de l'art. 25 LAJ/FR
(arrêt 1P.34/2001 du 26 avril 2001, consid. 5c). Elle permet d'éviter
que l'avocat s'expose à encaisser des montants de provenance délictueuse
(cf. CHRISTIAN DENYS, L'avocat d'office et son indemnisation en procédure
pénale fédérale, PJA 2004 p. 1056/1057).

    Dans le canton du Tessin, en revanche, les frais du défenseur d'office
restent à la charge de l'accusé lorsque la défense d'office ne résulte
pas de considérations économiques, l'Etat ne garantissant leur paiement
qu'à titre subsidiaire au tarif de l'avocat d'office (art. 25 de la
loi tessinoise sur la défense d'office et l'assistance judiciaire du 3
juin 2002; MICHELE RUSCA/EDY SALMINA/CARLO VERDA, Commento del Codice di
Procedura Penale ticinese, Lugano 1997, n. 4 ad art. 51 CPP/TI, p. 71/73;
pour un cas d'application, arrêt 1P.455/2002 du 7 octobre 2002, publié
in RDAT 2003 I n. 16 p. 50).

    Sur le plan fédéral enfin, l'art. 38 al. 2 PPF prévoit que la Caisse
fédérale prend en charge l'indemnité du défenseur désigné d'office
uniquement si l'inculpé est indigent. Cette disposition est entrée en
vigueur le 1er avril 2004 à la suite de l'adoption de la loi fédérale
du 19 décembre 2003 sur le programme d'allégement budgétaire 2003. Elle
répond à une volonté claire du législateur fédéral d'imputer les frais
de la défense d'office à un prévenu ou à un inculpé dont la situation
économique est bonne, mais qui est incapable de s'assurer les services d'un
défenseur privé ou qui se refuse à le faire (cf. Message du Conseil fédéral
concernant le programme d'allégement 2003 du budget de la Confédération,
FF 2003 p. 5225). Elle pose des problèmes d'interprétation analogues à
ceux évoqués dans la présente cause, qu'il n'appartient cependant pas au
Tribunal fédéral de résoudre ici. On se bornera tout au plus à relever que,
selon un avis de doctrine, elle n'exclut pas que la Confédération puisse
rémunérer directement l'avocat d'office et se charger ensuite d'obtenir
le remboursement du montant versé auprès de l'inculpé, à l'instar de
la solution adoptée à l'art. 33 al. 3 DPA (RS 313.0; CHRISTIAN DENYS,
op. cit., p. 1056/1057).

    Cela étant, il n'y a pas lieu d'examiner si, comme le prétend le
recourant, l'Etat devrait verser au défenseur nécessaire une indemnité
équitable et si celui-ci serait en droit de réclamer le solde de ses
honoraires à plein, sur la base de l'art. 25 LAJ/FR. En l'état, il suffit
de renvoyer la cause au Tribunal cantonal pour qu'il développe lui-même
une interprétation de cette dernière disposition excluant que l'avocat
d'office ne supporte seul le risque de ne pas être payé en cas de défense
nécessaire d'un prévenu non indigent.