Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 131 IV 145



Urteilskopf

131 IV 145

  20. Extrait de l'arrêt de la Cour de cassation pénale dans la cause A. et
consorts contre Y. et Procureur général du canton de Genève (pourvoi en
nullité)
  6S.55/2005 du 18 mai 2005

Regeste

  Art. 117 StGB; fahrlässige Tötung, adäquate Kausalität.

  Ein geschwächter Gesundheitszustand oder eine Krankheitsanfälligkeit des
Opfers unterbrechen den adäquaten Kausalzusammenhang nicht (E. 5).

Sachverhalt ab Seite 145

  A.- Le 30 janvier 2001, Y. circulait sur le quai de Cologny en direction
de Vésenaz, au volant d'un fourgon. Alors qu'il était en train de dépasser
un véhicule qui se trouvait sur la voie de droite, il n'a pas remarqué que
celui-ci avait ralenti pour laisser passer un piéton, D., qui s'était
normalement engagé sur le passage pour piétons. Malgré un freinage
d'urgence, il n'a pu immobiliser son fourgon à temps et a heurté le piéton
avec l'avant droit de son véhicule.

  Grièvement blessé, D. a souffert de douleurs dorsales et d'une fracture du
pied gauche, ayant entraîné par la suite une gangrène de ce pied. Il est
décédé le 14 février 2001. Selon le rapport d'autopsie de l'Institut
universitaire de médecine légale, daté du lendemain, "[son] décès est la
conséquence d'une extension fraîche d'un

infarctus ancien du myocarde, l'infarctus [étant] survenu dans le contexte
de soins suite à un traumatisme grave subi deux semaines avant le décès".
Les conclusions des examens complémentaires effectués à la suite de
l'autopsie indiquent que le décès n'est pas la conséquence directe ou suivie
du traumatisme précité, lequel a toutefois joué un rôle déclenchant dans le
processus menant au décès.

  B.- Par ordonnance de condamnation du 17 décembre 2002, le Procureur
général du canton de Genève a condamné Y. pour lésions corporelles par
négligence (art. 125 al. 1 et 2 CP) à la peine de six mois d'emprisonnement
avec sursis pendant trois ans. Il l'a en revanche expressément libéré du
chef d'inculpation d'homicide par négligence, estimant que le lien de
causalité adéquate entre l'accident du 30 janvier 2001 et le décès de D.
faisait défaut. Il a considéré en effet que la détérioration de l'état de
santé de la victime ayant mené à son décès n'était pas imputable à Y., dès
lors que celle-ci souffrait d'une maladie coronarienne sévère, d'une
pathologie de l'aorte ascendante associée à une insuffisance rénale, d'une
hypertension artérielle et d'un trouble de la conduction majeure. Les droits
des parties civiles ont été réservés.

  Le 20 décembre 2002, A., l'épouse de D., et ses deux filles, B. et C., ont
fait opposition à l'ordonnance précitée, concluant à la condamnation de Y.
pour homicide par négligence et demandant au Tribunal de police de Genève de
retenir leurs conclusions civiles, qui étaient chiffrées s'agissant des
indemnités pour tort moral et réservées pour le surplus. Le Tribunal de
police a déclaré irrecevables les conclusions des parties civiles par
décision du 26 mai 2003, qui a été confirmée par arrêt du 27 octobre 2003 de
la Chambre pénale de la Cour de justice genevoise.

  Statuant le 26 février 2004 sur le pourvoi des parties civiles, le
Tribunal fédéral a annulé l'arrêt cantonal, considérant que les parties
civiles ne pouvaient être privées par le droit cantonal du droit d'exiger en
application de l'art. 8 al. 1 let. b LAVI une décision judiciaire sur la
question de l'homicide par négligence et, en particulier, sur celle du lien
de causalité entre l'accident et le décès de D. (ATF 130 IV 90).

  C.- A la suite de l'arrêt du Tribunal fédéral, la Chambre pénale de la
Cour de justice genevoise a transmis le 28 juin 2004 le dossier à la Chambre
d'accusation genevoise, afin que cette dernière se prononce

sur le classement partiel de l'infraction d'homicide par négligence contenu
dans l'ordonnance de condamnation.

  Par ordonnance du 27 septembre 2004, la Chambre d'accusation s'est
déclarée incompétente pour statuer, à défaut d'existence d'une décision de
classement et a acheminé le dossier au Procureur général afin qu'il se
détermine sur un éventuel classement partiel.

  Par ordonnance du 13 octobre 2004, le Procureur général a classé
partiellement la procédure "en ce qui concerne l'inculpation du chef
d'homicide par négligence", faute de prévention pénale suffisante.

  Statuant le 22 décembre 2004 sur recours de A., de B. et de C. et sur
recours joint de Y., la Chambre d'accusation a annulé l'ordonnance de
classement partiel du Procureur général et prononcé un non-lieu en faveur de
Y.

  D.- Contre cette ordonnance, A., B. et C. déposent un pourvoi en nullité
au Tribunal fédéral.

  Appelés à se déterminer, l'intimé et le Ministère public genevois
concluent au rejet du pourvoi.

  Le Tribunal fédéral a admis le pourvoi en nullité.

Auszug aus den Erwägungen:

                        Extrait des considérants:
  II. Pourvoi en nullité

Erwägung 5

  5.  Les recourantes reprochent à l'autorité cantonale d'avoir nié
l'existence d'un lien de causalité adéquate entre l'accident de la
circulation et l'infarctus de D.

  5.1  La causalité est adéquate lorsque le comportement de l'auteur était
propre, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, à
entraîner un résultat du genre de celui qui s'est produit (ATF 127 IV 34
consid. 2a p. 39).

  La causalité adéquate dépend d'une prévisibilité objective: il faut se
demander si un tiers observateur neutre, voyant l'auteur agir dans les
circonstances où il a agi, pourrait prédire que le comportement considéré
aurait très vraisemblablement les conséquences qu'il a effectivement eues,
quand bien même il ne pourrait pas prévoir le déroulement de la chaîne
causale dans ses moindres détails (ATF 122 IV 145 consid. 3b/aa p. 148).
L'acte doit être propre, selon une appréciation objective, à entraîner un
tel résultat ou à en

favoriser l'avènement, de telle sorte que la raison conduit naturellement à
imputer le résultat à la commission de l'acte.

  5.2  La causalité adéquate sera admise même si le comportement de l'auteur
n'est pas la cause directe ou unique du résultat. Peu importe que le
résultat soit dû à d'autres causes, notamment à l'état de la victime, à son
comportement ou à celui de tiers (GRAVEN, L'infraction pénale punissable, 2e
éd., Berne 1995, p. 92).

  Il n'y aura rupture du lien de causalité adéquate, l'enchaînement des
faits perdant alors sa portée juridique, que si une autre cause
concomitante, par exemple une force naturelle, le comportement de la victime
ou d'un tiers, constitue une circonstance tout à fait exceptionnelle ou
apparaît si extraordinaire que l'on ne pouvait pas s'y attendre.
L'imprévisibilité d'un acte concurrent ne suffit pas en soi à interrompre le
rapport de causalité adéquate. Il faut encore que cet acte ait une
importance telle qu'il s'impose comme la cause la plus probable et la plus
immédiate de l'événement considéré, reléguant à l'arrière-plan tous les
autres facteurs qui ont contribué à l'amener, et notamment le comportement
de l'auteur (ATF 122 IV 17 consid. 2c/bb p. 23 et les arrêts cités).

  5.3  Selon la doctrine et la jurisprudence, un état de santé déficient ou
une prédisposition chez la victime ne constitue pas une circonstance propre
à rompre le lien de causalité. L'auteur sera tenu pour coupable d'homicide
par négligence du moment que sa faute a joué un rôle causal, même partiel,
dans le décès de cette victime (HURTADO POZO, Droit pénal, Partie générale
II, Zurich 2002, p. 48, n. 145; GRAVEN, op. cit., p. 92). C'est ainsi que
l'automobiliste qui blesse mortellement un piéton cause la mort de la
victime même si cette dernière a saigné à mort parce qu'elle était hémophile
(HURTADO POZO, op. cit.) ou qu'elle est décédée à la suite de complications
entraînées par la perte d'un rein (urémie) (arrêt du Tribunal supérieur du
canton d'Argovie du 21 août 1972, Aargauische Gerichts- und
Verwaltungsentscheide [AGVE] 1972 p. 129, résumé au JdT 1974 I p. 491). De
même, des complications opératoires telles qu'une embolie ou une pneumonie
qui, sans être habituelles, ne sont pas totalement exceptionnelles ne
suffisent pas à rompre le lien de causalité entre les lésions résultant d'un
accident de la circulation et le décès du blessé (arrêt du Tribunal d'appel
du canton de Bâle du 29 septembre 1995, BJM 1996 p. 204).

  En France également, la doctrine et la jurisprudence pénales admettent
que, si la négligence initiale du prévenu se conjugue avec

un état de santé déficient ou une prédisposition chez la victime, le prévenu
est alors tenu pour coupable d'homicide involontaire, du moment que sa faute
a joué un rôle causal partiel dans le décès de cette victime (MERLE/VITU,
Traité de droit criminel, Droit pénal spécial, Paris 1982, n. 1790, p.
1450). Il en va de même en Italie, en Allemagne et en Autriche (LATTANZI,
Codice penale, annotato con la giurisprudenza, 2e éd., Milan 2001, n. 3,
art. 589, p. 1381; BURKHARD JÄHNKE, StGB, Leipziger Kommentar,
Grosskommentar, 11e éd. 1999, n. 8, § 222; FOREGGER/NOWAKOWSKI, Wiener
Kommentar zum Strafgesetzbuch, n. 68, § 80). Enfin, en droit civil suisse,
la prédisposition constitutionnelle n'interrompt pas le lien de causalité,
mais doit être prise en considération lors du calcul du dommage ou de la
fixation des dommages-intérêts (ATF 131 III 12).

  5.4  En l'occurrence, il a été retenu que l'intimé a renversé D., qu'à la
suite du choc, celui-ci a souffert d'un écrasement et d'une fracture du pied
gauche, qu'il a ultérieurement développé une gangrène du pied gauche
nécessitant son amputation et qu'il est mort "dans le contexte de soins
suite à un traumatisme grave subi deux semaines avant le décès". Dans ces
circonstances, l'accident cardiaque semble être la conséquence objectivement
prévisible de la gangrène du pied, entraînée par l'accident de la
circulation. Lorsque l'intimé soutient que le décès de D. est dû au seul
infarctus ancien du myocarde et serait survenu même sans l'accident, il
s'écarte de l'état de fait cantonal, puisqu'il a été constaté que l'accident
a joué un rôle déclenchant dans le processus menant au décès. Contrairement
à ce que semble soutenir l'autorité cantonale, la santé fragile de D. ne
constitue pas un facteur propre à rompre le lien de causalité adéquate. Il
ne ressort au demeurant pas de l'état de fait cantonal qu'un autre fait
aurait interrompu le lien de causalité, de sorte que la causalité adéquate
ne peut être niée.