Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 131 II 497



131 II 497

36. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit public dans la cause Eta-
blissements Ed. Cherix et Filanosa S.A. contre Edipresse SA et Commission
de la concurrence ainsi que Commission de recours pour les questions de
concurrence (recours de droit administratif)

    2A.535/2004 du 14 juin 2005

Regeste

    Art. 5 und 48 VwVG; Art. 33 Abs. 3, 34, 39, 43 Abs. 4 und 44
KG; Art. 16 Abs. 1 und 23 der Verordnung über die Kontrolle von
Unternehmenszusammenschlüssen: Legitimation von Dritten, gegen die
Genehmigung eines Zusammenschlussvorhabens durch die Wettbewerbskommission
Beschwerde zu führen.

    Eintreten auf die Verwaltungsgerichtsbeschwerde gegen einen
Nichteintretensentscheid der Rekurskommission für Wettbewerbsfragen (E. 1).

    Art. 44 KG und Art. 5 VwVG: Stellt das Verhalten
der Wettbewerbskommission, welches die Zulassung eines
Unternehmenszusammenschlusses zur Folge hat, eine anfechtbare Verfügung
dar? Frage offen gelassen (E. 3 und 4).

    Art. 43 Abs. 4 KG und Art. 48 VwVG: Dritte sind nicht legitimiert,
gegen Zusammenschlussvorhaben, denen die Wettbewerbskommission nicht
opponiert hat, Beschwerde zu führen (E. 5).

Sachverhalt

    Formé d'un ensemble de sociétés suisses et étrangères, le groupe
Edipresse, de siège à Lausanne, est notamment actif dans l'édition de
journaux et de périodiques; il édite plusieurs quotidiens en Suisse
romande, dont "24 heures", "Le Matin" et "La Tribune de Genève";
il détient en outre des participations minoritaires importantes dans
d'autres sociétés de presse romandes, dont la société Le Temps SA,
à Genève, éditrice du journal éponyme.

    Le 22 mai 2002, Edipresse a notifié à la Commission de la concurrence
(ci-après également citée: la Commission) un projet de concentration
portant sur la prise de contrôle de la société Imprimerie Corbaz SA, à
Montreux (ci-après: Corbaz SA); outre la gestion d'une imprimerie, cette
entreprise familiale édite les quotidiens "La Presse Riviera-Chablais" et
"La Presse Nord Vaudois". Après avoir procédé à un examen préalable, la
Commission a décidé de soumettre le projet de concentration à la procédure
d'examen prévue par la loi fédérale du 6 octobre 1995 sur les cartels
et autres restrictions à la concurrence (loi sur les cartels, LCart; RS
251) et l'ordonnance du 17 juin 1996 sur le contrôle des concentrations
d'entreprises (OCCE; RS 251.4). Communiquée aux entreprises participantes
le 19 juin 2002, l'ouverture de la procédure a été publiée dans la Feuille
officielle suisse du commerce (FOSC) du 28 juin 2002 et la Feuille fédérale
du 2 juillet 2002 (FF 2002 p. 4088).

    Dans un rapport intermédiaire du 20 août 2002, la Commission a constaté
que l'acquisition envisagée renforçait la position dominante d'Edipresse
dans le canton de Vaud sur "le marché des lecteurs", mais non sur "les
marchés de l'imprimerie et des annonces". Après avoir pris connaissance
de ses observations, la Commission a informé Edipresse, le 7 octobre 2002,
qu'elle avait l'intention d'interdire son projet de concentration; elle lui
signalait néanmoins que l'opération pourrait être autorisée sous certaines
conditions précises qu'elle énonçait. Le groupe Edipresse a demandé et
obtenu une prolongation de la procédure d'examen jusqu'au 20 décembre
2002; dans le délai imparti, il a ensuite produit en cause des documents
attestant qu'il avait pris les mesures préconisées par la Commission. Dans
une lettre du 16 décembre 2002, cette dernière a indiqué aux entreprises
participantes que "la concentration (pouvait) être réalisée sans réserve".

    Par communiqué de presse du 17 décembre 2002, la Commission a annoncé
qu'elle avait approuvé le rachat de Corbaz SA par Edipresse, en exposant
qu'au vu des modifications apportées au projet initial, cette opération
n'apparaissait, après examen, plus de nature à supprimer la concurrence
efficace sur le marché des quotidiens vaudois, même si elle renforçait la
position d'Edipresse. L'exposé de ces motifs a été publié dans la revue
"Droit et politique de la concurrence" du mois de mai 2004 (p. 177 ss).

    La société Etablissements Ed. Cherix et Filanosa SA, à Nyon
(ci-après: la société Cherix SA), a saisi la Commission de recours pour
les questions de concurrence (ci-après: la Commission de recours) d'un
recours. Elle a conclu à l'annulation de la décision approuvant le projet
de concentration formé par Edipresse, à l'interdiction de ce projet, ainsi
qu'à la séparation des entreprises et des actifs regroupés à la suite
de la concentration. A l'appui de ses conclusions, elle déposait un avis
de droit du professeur Blaise Knapp destiné à établir que l'approbation
litigieuse constituait une décision sujette à recours au sens de l'art. 5
de la loi fédérale du 20 décembre 1968 sur la procédure administrative
(PA; RS 172.021).

    Par décision du 15 juillet 2004, la Commission de recours a déclaré
irrecevable le recours, au double motif de l'absence de décision attaquable
au sens de l'art. 5 PA ainsi que du défaut de qualité pour recourir de la
société Cherix SA contre l'approbation contestée au vu de l'art. 43 al. 4
LCart et de sa position de tiers dans la procédure en cause (entreprise
concurrente).

    Agissant par la voie du recours de droit administratif, la société
Cherix SA demande au Tribunal fédéral d'annuler la décision précitée
du 15 juillet 2004, de dire et constater que l'approbation du projet de
concentration constitue une décision susceptible de recours et de renvoyer
la cause à la Commission de recours pour qu'elle examine sa qualité
pour recourir à la lumière du seul art. 48 let. a PA, à l'exception de
l'art. 43 al. 4 LCart.

    Le Tribunal fédéral a rejeté le recours.

Auszug aus den Erwägungen:

                          Extrait des considérants:

Erwägung 1

    1.  Dans une procédure administrative régie par le droit fédéral,
l'auteur d'un recours déclaré irrecevable pour défaut de qualité pour
agir est habilité à contester ce prononcé par la voie du recours de
droit administratif lorsque, comme en l'espèce (cf. art. 97 al. 1 et 98
let. e OJ en relation avec l'art. 5 PA; ATF 124 II 499 consid. 1b p. 502),
la décision de l'autorité intimée peut, sur le fond, faire l'objet d'un
tel recours auprès du Tribunal fédéral (cf. ATF 128 II 156 consid. 1a
p. 158; 127 II 264 consid. 1a p. 268; 125 II 10 consid. 2a p. 13 et les
arrêts cités).

    Pour le surplus, déposé en temps utile et dans les formes prescrites
par la loi, le présent recours est recevable.

Erwägung 2

    2.  Le litige porte sur la recevabilité du recours formé par la
recourante devant l'instance inférieure.

    Il s'agit, en premier lieu, d'examiner la nature juridique de la
lettre du 16 décembre 2002 par laquelle la Commission a fait savoir aux
entreprises participantes que le projet de concentration présenté par
Edipresse pouvait être réalisé sans réserve, plus précisément de déterminer
si cet acte revêt, comme le soutient la recourante, le caractère d'une
décision attaquable au sens de l'art. 5 PA ou si, comme l'a tranché la
Commission de recours, il a seulement valeur de prise de position non
susceptible de recours (consid. 3 et 4).

    En second lieu, l'examen doit se porter sur la qualité pour recourir
de la société Cherix SA (consid. 5).

Erwägung 3

    3.

    3.1  La loi sur les cartels a pour but d'empêcher les conséquences
nuisibles d'ordre économique ou social imputables aux cartels et aux
autres restrictions à la concurrence et de promouvoir ainsi la concurrence
dans l'intérêt d'une économie de marché fondée sur un régime libéral
(art. 1 LCart). Elle s'applique notamment aux entreprises de droit privé
(cf. art. 2 al. 1 LCart) qui participent à des concentrations d'entreprises
(cf. art. 4 al. 3 LCart et art. 1 et 2 OCCE), en leur imposant l'obligation
de notifier à la Commission de la concurrence de telles opérations avant
leur réalisation dans certaines situations, en particulier lorsque les
entreprises participantes ont réalisé un chiffre d'affaires supérieur
aux valeurs seuils fixées dans la loi lors du dernier exercice précédant
la concentration (cf. art. 9 al. 1 à 3 LCart; ATF 127 III 219 consid. 4a
p. 224/ 225). Si un examen préalable des projets soumis à l'obligation
de notifier fait apparaître des indices de création ou de renforcement
d'une position dominante, la Commission procède ensuite à un examen plus
approfondi (cf. art. 10 al. 1 LCart). Lorsqu'il résulte de cet examen que
la concentration crée ou renforce effectivement une position dominante
capable de supprimer une concurrence efficace et qu'elle ne provoque pas
une amélioration des conditions de concurrence sur un autre marché, qui
l'emporte sur les inconvénients de la position dominante, la Commission
de la concurrence interdit la concentration (cf. art. 10 al. 2 LCart,
1re hypothèse) ou l'autorise moyennant des conditions ou des charges
(cf. art. 10 al. 2 LCart, 2e hypothèse).

    3.2  La procédure concernant l'examen des concentrations d'entreprises
est réglée aux art. 32 ss LCart de la manière suivante: dans une première
phase (dite d'examen préalable), la Commission de la concurrence dispose
d'un délai d'un mois à compter de la réception de la notification d'une
concentration d'entreprises pour décider s'il y a lieu de procéder à un
examen plus approfondi et, le cas échéant, communiquer aux entreprises
participantes l'ouverture d'une telle procédure; faute de "communication"
dans ce délai, pendant lequel les entreprises participantes s'abstiennent
de réaliser la concentration, "la concentration peut être réalisée
sans réserve" (cf. art. 32 al. 1 et 2 LCart). Si la Commission décide
de procéder à un examen plus approfondi (seconde phase), son secrétariat
publie le contenu essentiel de la notification de concentration et indique
le délai dans lequel des tiers peuvent communiquer leur avis sur celle-ci;
au début de l'examen, elle décide également si la concentration notifiée
peut être provisoirement réalisée à titre exceptionnel ou si elle reste
suspendue (cf. art. 33 al. 1 et 2 LCart). La Commission doit ensuite
achever son examen et rendre une décision dans les quatre mois dès
l'ouverture de la procédure d'examen. Faute de décision dans ce délai,
"la concentration est réputée autorisée", à moins que la Commission
constate dans une décision qu'elle a été empêchée de conduire l'examen
pour des causes imputables aux entreprises participantes (cf. art. 33
al. 3 LCart et 34 2e phrase LCart).

    Pour le surplus, la section 4 de la loi sur les cartels prévoit un
certain nombre de dispositions générales réglant la procédure et les
voies de droit, dont certaines touchent également la procédure d'examen
des concentrations d'entreprises. Ainsi, l'art. 39 LCart dispose que la
loi fédérale sur la procédure administrative est applicable dans la mesure
où la loi sur les cartels n'y déroge pas. En outre, l'art. 43 al. 4 LCart
précise que seules les entreprises participantes ont qualité de parties
dans la procédure d'examen des concentrations d'entreprises. Enfin,
l'art. 44 LCart prévoit que les décisions de la Commission de la
concurrence peuvent faire l'objet d'un recours à la Commission de recours.

Erwägung 4

    4.

    4.1  Selon la Commission de recours, qui fonde son opinion sur une
interprétation littérale, historique, téléologique et systématique de la
loi sur les cartels, les concentrations d'entreprises ne sont pas soumises
à un régime d'autorisation. Certes, les entreprises participantes ont
l'obligation de notifier à la Commission de la concurrence les projets
de concentration. Toutefois, estime la Commission de recours, seuls les
refus de concentration ou les "autorisations" assorties de charges et/ou de
conditions font l'objet d'une décision sujette à recours au sens de l'art.
44 LCart (en relation avec l'art. 5 PA), tandis que les approbations
pures et simples prennent effet en dehors de tout acte attaquable après
l'écoulement du délai d'opposition de quatre mois prévu à l'art. 34 LCart
(en relation avec l'art. 33 al. 3 LCart). Lorsque, comme en l'espèce,
la Commission donne son accord à la concentration avant ce terme, son
intervention n'a, toujours selon la Commission de recours, pas valeur de
décision attaquable, mais équivaut simplement à une "prise de position".

    La recourante se dit "prête à admettre cette conception". Elle
relève cependant qu'en l'espèce, du moment que la Commission de la
concurrence constatait, au terme de la procédure d'examen, que le projet
de concentration créait ou renforçait la position dominante d'Edipresse,
elle n'avait le choix qu'entre l'une des deux possibilités prévues à
l'art. 10 al. 2 LCart, à savoir interdire la concentration - ce qu'elle
n'a pas fait - ou alors - ce qu'elle aurait dû faire - l'autoriser sous
réserve du respect des exigences qu'elle avait énoncées dans son rapport
intermédiaire, c'est-à-dire en l'assortissant de conditions et/ou de
charges fixées dans une décision attaquable.

    4.2  Il n'est pas contesté que le refus total ou partiel (accord
assorti de conditions ou de charges) opposé à un projet de concentration
constitue une décision pouvant faire l'objet d'un recours au sens de
l'art. 44 LCart en relation avec l'art. 5 PA. La doctrine est sur ce
point unanime (cf. CHRISTIAN BOVET, in Commentaire romand, Droit de
la concurrence, éd. par Tercier/Bovet, Bâle 2002 [ci-après cité: CR
Concurrence], n. 24 ad art. 33 LCart; dans le même ouvrage SILVIO VENTURI,
n. 31 ad Remarques liminaires aux art. 9-10 LCart et BENOÎT CARRON,
n. 9 ad art. 44 LCart; MARCEL DIETRICH, Unternehmenszusammenschlüsse,
Formelles Fusionskontrollrecht, Art. 9-10, 32-38 KG, in Das Kartellgesetz
in der Praxis, éd. par Roger Zäch, Zurich 2000 [ci-après cité:
Das Kartellgesetz in der Praxis], p. 75 ss, 109; PATRIK DUCREY/JENS
DROLSHAMMER, in Kommentar zum schweizerischen Kartellgesetz, éd. par
Homburger/Schmidhauser/ Hoffet/Ducrey, 2e éd., Zurich 1997 [ci-après cité:
Kommentar KG], n. 47/48 ad art. 10 LCart; dans le même ouvrage, PATRIK
DUCREY, n. 28 et 30 ad art. 33 LCart et BALZ GROSS, n. 20 ad art. 44
LCart; PAUL RICHLI, Kartellverwaltungsverfahren, in Schweizerisches
Immaterialgüter- und Wettbewerbsrecht, vol. V/2, Kartellrecht, éd. par
von Büren/David, Bâle 2000 [ci-après cité: SIWR V/2], p. 504; FRANK
SCHERRER, Das europäische und schweizerische Fusionskontrollverfahren,
thèse Zurich 1996, p. 412 et 414; WALTER STOFFEL, Le droit suisse de la
concurrence 1997: les premières expériences avec la nouvelle LCart, in
RSDA 1997 p. 249 ss, 256; ROGER ZÄCH, Schweizerisches Kartellrecht, 2e
éd., Zurich 2005, n. 1033, 1077 et 1078 a contrario; PHILIPP ZURKINDEN,
Die Regelung der Fusionskontrolle im schweizerischen Wettbewerbsrecht,
in Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht, éd. par Koller/Müller/Rhinow/
Zimmerli, Bâle/Genève/Munich, 1999, vol. 11 [ci-après cité: SBVR], n. 111;
PIERRE MERCIER/OLIVIER MACH/HUBERT GILLIÉRON/ Simon Affolter, Grands
principes du droit de la concurrence, Bâle/ Genève/Munich 1999, p. 667).

    En revanche, à rigueur de sa lettre, la loi sur les cartels ne fournit
pas de réponse claire et définitive à la question de savoir si l'on est
également en présence d'une décision attaquable lorsque la Commission de
la concurrence ne s'oppose pas à un projet de concentration et laisse
s'écouler le délai de quatre mois prévu à l'art. 33 al. 3 LCart.
L'art. 34, 2e phrase LCart prévoit simplement qu'en l'absence de
décision de la Commission dans ce délai, la concentration est "réputée
autorisée". Cette fiction dispense assurément la commission de prononcer
une décision formelle si elle n'entend pas s'opposer au projet. Elle ne
permet cependant pas d'exclure, sans autre examen, l'existence d'une
décision matérielle (tacite) susceptible de recours (cf. SCHERRER,
op. cit., p. 375 ss; ZURKINDEN, in SBVR, n. 111; DIETRICH, Das
Kartellgesetz in der Praxis, op. cit., p. 80). Par ailleurs, cette fiction
ne dit pas non plus ce qu'il faut penser de la situation, apparemment
habituelle en pratique - comme la présente espèce le confirme -, où la
Commission donne son approbation avant la fin de la procédure d'examen sous
une forme qui s'apparente matériellement à une décision (cf. VENTURI, in
CR concurrence, n. 32 ad Remarques liminaires aux art. 9-10 LCart). Enfin,
la formulation de l'art. 23 OCCE, qui pose le principe de la publication
de la "décision" de la commission après la clôture de l'examen, ajoute
également à la confusion, dans la mesure où, semble-t-il, cette disposition
concerne également les projets de concentration acceptés sans réserve
(cf. SCHERRER, op. cit., p. 420; PIERRE TERCIER, La procédure devant la
Commission de la concurrence, in RSDA numéro spécial 1996 p. 35 ss, 44;
contra: ZURKINDEN, in SBVR, n. 111, note de bas de page 218 et DUCREY,
Kommentar KG, n. 33 ad art. 33 LCart, qui rattachent la publication des
projets de concentration acceptés sans réserve à l'art. 22 OCCE, bien
que cette disposition ne se rapporte qu'aux notifications qui n'ont pas
donné lieu à l'ouverture d'une procédure d'examen).

    4.3  Les auteurs favorables à la solution retenue par la Commission de
recours relèvent que, contrairement au projet initial du Conseil fédéral,
qui prévoyait, à l'instar du droit communautaire, un régime d'autorisation,
l'Assemblée fédérale a préféré le système actuellement en vigueur, moins
bureaucratique et plus conforme aux besoins d'une économie de marché
fondée sur un régime libéral. Ce système impose certes l'obligation de
notifier à la Commission de la concurrence tout projet de concentration
tombant sous le coup de l'art. 9 LCart avant sa réalisation. Cette
obligation est toutefois suivie d'une simple procédure d'opposition qui
ne nécessite pas de décision lorsque la Commission juge que le projet
de concentration qui lui est soumis ne soulève pas d'objection; il lui
suffit alors de laisser s'écouler le délai d'opposition de quatre mois
prévu à l'art. 33 al. 3 LCart pour que la concentration soit réputée
autorisée, en l'absence de toute décision et, par voie de conséquence,
de toute procédure de recours (cf. DUCREY/DROLSHAMMER, Kommentar KG,
n. 56 et 57 ad art. 10 LCart; STOFFEL, Le droit suisse de la concurrence
1997, op. cit., p. 256; VENTURI, in CR Concurrence, n. 31 et 32 ad
Remarques liminaires aux art. 9-10 LCart; RICHLI, op. cit., SIWR V/2,
p. 505; Zäch, op. cit., n. 1078 et 1086). La Commission peut toutefois
autoriser les entreprises participantes à réaliser la concentration
avant la fin du délai de quatre mois prescrit à l'art. 33 al. 3 LCart;
en ce cas, son autorisation équivaut à une simple prise de position
qui n'a pas valeur de décision attaquable (VENTURI, CR Concurrence,
n. 31 ad Remarques liminaires aux art. 9-10 LCart; STOFFEL, Le droit
suisse de la concurrence 1997, op. cit., p. 256; MERCIER/MACH/GILLIÉRON/
AFFOLTER, op. cit., p. 667 ad n. 137; PAUL RICHLI, op. cit., p. 505),
par analogie à ce que prévoit l'art. 16 al. 1 OCCE pour la phase d'examen
préalable: selon cette disposition, les entreprises participantes sont
en effet autorisées à réaliser la concentration avant la fin du délai
d'un mois prescrit à l'art. 32 al. 2 LCart lorsque la Commission leur
"communique" que le projet qui lui est soumis ne soulève pas d'objection
(cf. DUCREY/DROLSHAMMER, in Kommentar KG, n. 56 ad art. 10 LCart; DUCREY,
in Kommentar KG, n. 26 ad art. 33 LCart; du même auteur, in SIWR V/2,
p. 303; ZÄCH, op. cit., n. 1033; également favorable à l'application
par analogie de l'art. 16 al. 1 OCCE pour l'approbation des projets de
concentration, sans toutefois se prononcer clairement sur le caractère de
décision attaquable, ou non, d'un tel acte: JÜRG BORER, in Kommentar zum
schweizerischen Kartellgesetz, Zurich 1998 [ci-après cité: Kommentar],
n. 9 et 10 ad art. 33 LCart et n. 11 ss ad art. 44 LCart).

    CHRISTIAN BOVET (in CR Concurrence, n. 82 ad art. 32 LCart) critique
cette conception qu'il juge formaliste et contraire au principe du
parallélisme des formes: dans la mesure où l'on admet que l'ouverture de la
procédure d'examen nécessite une décision, il estime que sa clôture doit
se faire de la même manière. Par ailleurs, il est d'avis que la sécurité
juridique s'oppose à ce que l'on doive attendre le terme de la procédure
d'examen (d'une durée de quatre mois) pour déterminer a posteriori si
l'ouverture d'une enquête (approfondie) au sens de l'art. 33 LCart revêt
le caractère d'une décision incidente, selon que la Commission décide
finalement d'interdire ou d'autoriser le projet de concentration. FRANK
SCHERRER (op. cit., p. 375/376) est d'avis que les modifications apportées
au projet du Conseil fédéral par le Parlement et, notamment, la fiction
selon laquelle la concentration est réputée autorisée après l'écoulement
d'un délai de quatre mois (art. 34 LCart), ne changent rien au caractère
de la procédure qui continue à s'apparenter à un régime d'autorisation;
il parle à ce propos de "Genehmigungspflicht mit Genehmigungsfiktion";
à son sens, (op. cit., p. 411/412) une décision est nécessaire également
pour autoriser un projet de concentration: à défaut, une concentration
ne pourrait pas se faire avant l'écoulement du délai précité de quatre
mois, ce qui ne serait pas admissible; par ailleurs, il voit dans le fait
que l'art. 38 LCart permette, à certaines conditions, de révoquer ou de
réviser une autorisation, la preuve que celle-ci constitue une décision,
tout comme le fait que, contrairement à ce qui est prévu à l'art. 16 OCCE
pour la procédure préalable, aucune disposition de la loi sur les cartels
ou de son règlement n'offre à la Commission la possibilité d'autoriser la
concentration par la voie d'une simple "communication" avant l'échéance
du délai précité de quatre mois.

    D'autres auteurs adoptent une position plus nuancée. Ainsi, BALZ GROSS
(in Kommentar KG, note de bas de page 27 et n. 54 ss ad art. 44 LCart)
postule qu'à certaines conditions - restrictives - les tiers (concurrents)
ont le droit d'exiger une décision motivée afin de pouvoir bénéficier d'un
certain contrôle juridictionnel lorsque la Commission ne s'oppose pas à
une concentration. PHILIPP ZURKINDEN (in SBVR, n. 111, note de bas de page
219) relève que les procédures de concentration peuvent se terminer par
l'écoulement du temps sans qu'une décision formelle ne soit alors requise,
en laissant plutôt entendre que les tiers ne peuvent pas exiger une telle
décision (loc. cit., n. 105); il estime néanmoins que, contrairement à
l'opinion de DUCREY, la Commission peut, si elle le souhaite, approuver la
concentration dans une décision formelle (loc. cit., n. 111; dans le même
sens, ZURKINDEN/TRÜEB, Das neue Kartellgesetz, Handkommentar, Zurich 2004
[ci-après cité: Handkommentar], n. 5 ad art. 33 LCart). MARCEL DIETRICH
(Das Kartellgesetz in der Praxis, op. cit., p. 80) soutient l'idée que
la procédure d'examen présente les caractéristiques aussi bien d'une
procédure d'autorisation que d'une procédure d'opposition selon que la
Commission déclare ne pas avoir d'objection à la concentration ou qu'elle
l'approuve dans une décision et/ou selon qu'elle agit dans le délai de
quatre mois ou qu'elle laisse s'écouler ce délai sans se manifester. Enfin,
BENOÎT CARRON (in CR Concurrence, n. 9 et 13 ad art. 44 LCart) considère
que les autorisations de concentration d'entreprises sont des décisions
susceptibles de recours, mais que l'absence de décision dans le délai
de quatre mois de l'art. 33 al. 3 LCart n'est, en revanche, pas un acte
attaquable.

    4.4  Une interprétation historique de la loi sur les cartels
incline plutôt à penser que l'absence de réaction de la Commission de la
concurrence pendant le délai d'opposition de quatre mois ne constitue
pas une décision, du moins une décision sujette à recours. Les travaux
préparatoires, notamment les débats au Conseil national (cf. BO 1995 CN
p. 1095-1101), indiquent en effet clairement que la substitution du régime
d'autorisation proposé par le Conseil fédéral par le système actuellement
en vigueur (notification obligatoire suivi d'une procédure d'opposition)
visait à réduire la bureaucratie à son minimum afin d'accélérer le
traitement des projets de concentration notifiés à la Commission. Sont à
cet égard révélatrices les déclarations du rapporteur de langue française
du Conseil national ainsi que celles du Conseiller fédéral en charge du
dossier qui insistent tous deux sur le fait qu'avec le système proposé, "il
n'y a même pas besoin de décision" ou "d'approbation formelle ou tacite"
pour qu'une concentration puisse se faire (BO 1995 CN p. 1100/1101,
Couchepin et Delamuraz). Par ailleurs, dans un rapport du 11 octobre
2000 à l'attention de la Commission de gestion du Conseil national,
l'Organe parlementaire de contrôle de l'administration (OPCA) a clairement
exposé les critiques formulées par CHRISTIAN BOVET à l'encontre de la
jurisprudence de la Commission de recours, en particulier le fait que,
faute de décision formelle, l'approbation d'une concentration ne pouvait
pas faire l'objet d'un recours; jugé peu problématique, ce point n'a
toutefois pas suscité de proposition de réforme (cf. FF 2000 p. 3191,
3221/ 3222).

    D'un autre côté, il existe certainement aussi de bons arguments pour
considérer que le silence de la Commission dans le délai de quatre mois
prévu à l'art. 33 al. 3 LCart équivaut à une décision. D'une part, il faut
admettre avec une partie de la doctrine que, matériellement, ce silence
ne se distingue guère d'une décision d'approbation ou, selon la formule
du professeur Knapp, "d'une décision constatant la non-réalisation de
la situation juridique visée à l'art. 10 al. 2 LCart" (avis de droit,
p. 12). D'autre part, dans la mesure où, sous réserve de certaines
exceptions (cf., en particulier, l'art. 43 al. 4 LCart), la procédure
d'examen des concentrations d'entreprises suit les règles générales de
la procédure administrative (en vertu de l'art. 39 PA), on ne devrait pas
agréer trop facilement une dérogation à celles-ci; en principe, il serait
souhaitable qu'une telle dérogation figure de manière expresse dans la loi
sur les cartels (cf. MARCEL DIETRICH, in Kommentar KG, n. 13 ad art. 39
LCart; le même auteur, in Das Kartellgesetz in der Praxis, op. cit.,
p. 77/78). Enfin, même si l'on peut admettre qu'une concentration peut se
faire en l'absence de décision lorsque la Commission laisse s'écouler sans
réagir le délai d'opposition de quatre mois, ni la loi, ni les travaux
préparatoires n'offrent de réponse à la question de savoir ce qu'il en
est lorsque la Commission donne son accord avant l'échéance dudit délai,
encore moins lorsque, comme en l'espèce, cet accord intervient après que
les sociétés participantes ont proposé un nouveau projet intégrant des
propositions de la Commission. Comme le fait observer la recourante, on
peut en effet se demander si, dans une telle situation, l'on ne se trouve
pas en face d'une autorisation assortie de charges ou de conditions ou,
du moins, si la Commission de la concurrence n'aurait pas dû rendre une
telle décision qui, comme on l'a vu (supra consid. 4.2 in initio) est
susceptible de recours (sur ce problème, cf. PATRIK DUCREY, Geklärte und
ungeklärte Fragen im Verfahren vor der Wettbewerbskommission, in Journée
du droit de la concurrence 2001, Zurich 2003, p. 109 ss, 123; BORER,
in Kommentar, n. 9 et 10 ad art. 33 LCart; DIETRICH, Kartellgesetz in
der Praxis, op. cit., p. 109; ZÄCH, op. cit., n. 835; VENTURI, in CR
Concurrence, n. 15 ad art. 10 LCart et les nombreuses références citées).

    En l'état, ces questions souffrent toutefois de rester indécises,
car le recours doit en toute hypothèse être rejeté pour un autre motif.

Erwägung 5

    5.

    5.1  Contrairement à l'art. 43 al. 1 LCart, qui permet à certaines
personnes physiques et morales de participer aux enquêtes concernant
les restrictions à la concurrence, l'art. 43 al. 4 LCart prévoit que
seules les entreprises participantes ont la qualité de parties dans
les procédures d'examen des concentrations d'entreprises. Les tiers
concernés par un projet de concentration n'ont le droit que de prendre
position par écrit au sujet de celui-ci (cf. art. 33 al. 1 LCart et 19
OCCE). De la même manière qu'il n'a pas voulu soumettre formellement
les concentrations d'entreprises à un régime d'autorisation (cf. supra
consid. 4.4), c'est afin de garantir en la matière une procédure simple,
rapide et efficace que le législateur a décidé de priver les tiers de la
qualité de parties lors de la phase d'examen des projets de concentration
soumis à l'obligation de notifier, même si, comme la Cour de céans a déjà
eu l'occasion de l'exposer, pareille conception est inconnue en droit
communautaire (cf. ATF 124 II 499 consid. 3a p. 503 s. et les références
citées, en particulier le message du Conseil fédéral du 23 novembre 1994
concernant la loi sur les cartels, in FF 1995 I 472, p. 597 et 605).

    L'art. 43 al. 4 LCart ne concerne, selon sa lettre, que "la procédure
d'examen des concentrations d'entreprises", mais non la qualité pour
recourir, qui ne fait l'objet d'aucune disposition spéciale dans la
loi sur les cartels. Il est donc concevable de soutenir que, par le
jeu du renvoi de l'art. 39 LCart à la loi fédérale sur la procédure
administrative, l'art. 43 al. 4 LCart a seulement valeur d'exception
à l'art. 6 PA (qui règle la qualité de partie en procédure fédérale),
tandis que la qualité pour recourir n'est pas précisée et doit s'examiner
à la lumière de l'art. 48 PA (qui règle la qualité pour recourir en
procédure administrative fédérale). Or, sous réserve d'exception, la
qualité pour recourir au sens de la dernière disposition précitée n'est pas
subordonnée à la condition d'avoir participé à la procédure ayant conduit
à la décision contestée, mais dépend seulement de l'existence d'un intérêt
digne de protection à demander l'annulation ou la modification d'une telle
décision (cf. ATF 110 Ib 105 consid. 1d p. 110; ALFRED KÖLZ/ISABELLE HÄNER,
Verwaltungsverfahren und Verwaltungsrechtspflege des Bundes, Zurich 1998,
ch. 262 ss; plus spécialement en matière de concentrations d'entreprises,
cf. SCHERRER, op. cit., p. 436; ZURKINDEN/TRÜEB, Handkommentar, n. 3 ad
art. 44 LCart; BOVET, in CR Concurrence, n. 17 ad art. 33 LCart; GROSS,
Kommentar KG, n. 54 ss ad art. 44 LCart; BORER, in Kommentar, n. 14 ad
art. 43 LCart et 7 ad art. 44 LCart). On ne saurait dès lors conclure,
sans autre examen, que l'exclusion des tiers de la procédure d'examen,
voulue par le législateur à l'art. 43 al. 4 LCart, emporte ipso facto leur
absence de qualité pour recourir contre la décision prise par la Commission
à l'issue de cette procédure. Le Tribunal fédéral a jusqu'ici laissé
ouverte cette question qui divise la doctrine (cf. ATF 124 II 499 précité).

    5.2  Selon la doctrine majoritaire, les tiers doivent se voir
reconnaître la qualité pour recourir contre les décisions de la Commission
aux conditions de l'art. 48 PA, conformément au renvoi de l'art. 39
LCart (RICHLI, in SIWR V/2 2000 p. 510; du même auteur, Verfahren und
Rechtsschutz, in Das Kartellgesetz in der Praxis, op. cit., p. 162; BOVET,
in CR Concurrence, n. 20 ad Remarques liminaires aux art. 32-38 LCart et n.
17 ad art. 33 LCart; BORER, in Kommentar, n. 6 et 14 ad art. 43 LCart et n.
7 ad art. 44 LCart; ZÄCH, op. cit., n. 1084; PHILIPP ZURKINDEN/RUDOLF
TRÜEB, Das neue Kartellgesetz, Handkommentar, Zurich, 2004 [ci-après
cité: Handkommentar], n. 3 ad art. 43 LCart et n. 4 ad art. 44 LCart;
CARRON, in CR Concurrence, n. 21 ad art. 44 LCart; GROSS, in Kommentar KG,
n. 54-55 ad art. 44 LCart; SCHERRER, op. cit., p. 435 ss). Ces auteurs
considèrent en effet qu'une exception à un droit aussi fondamental de
procédure que l'accès à un contrôle juridictionnel doit être expressément
prévue dans la loi (cf. RICHLI, BOVET, SCHERRER et GROSS, loc. cit.). Or,
ainsi qu'on l'a vu (supra consid. 5.1), une telle disposition d'exception
fait précisément défaut dans la loi sur les cartels, sauf à interpréter
largement - au-delà de son seul texte - l'art. 43 al. 4 LCart. Certains des
auteurs précités insistent néanmoins sur le fait que, même si la qualité
pour recourir dépend du seul art. 48 PA, à l'exception de l'art. 43 al. 4
LCart, il faut tout de même tenir compte de cette dernière disposition et
de la volonté du législateur d'instaurer une procédure simple et rapide,
en ce sens que les tiers ne doivent être admis à contester en justice
un projet de concentration qu'exceptionnellement et à des conditions
plus strictes que celles qui découlent du cadre habituel de l'art. 48 PA
(cf. GROSS, Kommentar KG, n. 54-57 ad art. 44 LCart; SCHERRER, op. cit.,
p. 436-438; BOVET, in CR Concurrence, n. 22 ad Remarques liminaires aux
art. 32-38 LCart).

    La doctrine minoritaire estime au contraire que l'exclusion des
tiers de la procédure d'examen entraîne également leur exclusion de la
procédure de recours, car c'est la seule façon de garantir une procédure
simple et rapide conformément à la volonté du législateur (cf. DUCREY,
Kommentar KG, n. 13 ad art. 33 LCart; WALTER STOFFEL, Die Beschwerde an
die Rekurskommission für Wettbewerbsfragen, in RSDA numéro spécial 1996
p. 45 ss, 48; FRANCIS NORDMANN, Die schweizerische Fusionskontrolle im
Lichte des europäischen Wettbewerbsrechts, thèse Zurich 1996, p. 246).

    5.3  Comme on l'a vu (supra consid. 4.4), les discussions aux Chambres
fédérales qui ont précédé l'adoption de la loi sur les cartels ont mis en
évidence que le législateur a souhaité instaurer une procédure d'examen
des concentrations d'entreprises simple, rapide et efficace; son but était
avant tout que, conformément aux règles d'une économie de marché fondée
sur un régime libéral (cf. art. 1 LCart), les entreprises puissent, dans
toute la mesure du possible, elles-mêmes et dans les plus brefs délais
décider et procéder aux concentrations qu'elles jugent profitables à
leur développement, en dehors de toute bureaucratie inutile lorsque
leur projet ne soulève pas d'objection de la part de la Commission
de la concurrence. C'est dans cet esprit que l'art. 43 al. 4 LCart a
été proposé par le Conseil fédéral (cf. FF 1995 I 472, p. 598, n. 211)
et adopté sans discussions par les Chambres fédérales (cf. BO 1995 CN
p. 1108 ss; BO 1995 CE p. 867 ss). Dans le message relatif à la loi sur
les cartels, le Conseil fédéral précisait également que la qualité pour
former un recours au sens de l'art. 44 LCart n'appartient pas seulement
aux personnes touchées par la décision, mais également aux "tiers qui ont
participé à une procédure selon l'art. 43 (LCart)" (FF 1995 I 472, p. 606).

    Lors de la récente modification de la loi sur les cartels entrée en
vigueur le 1er avril 2004 (RO 2004 p. 1385, 1390), une proposition a été
faite de modifier l'art. 43 al. 4 LCart en vue de ne plus réserver aux
seules entreprises participantes la qualité de parties au sens de cette
disposition, mais de l'étendre aux cantons dans lesquels les entreprises
participantes ont leur siège. Cette proposition a été rejetée (cf. BO 2002
CN p. 1448 ss). Toutefois, lors de la discussion au Conseil national, le
rapporteur de la minorité a plaidé en faveur de la modification proposée
en exposant qu'il était nécessaire que les cantons concernés puissent
faire connaître leur point de vue au sujet d'un projet de concentration
et que, le cas échéant, ils disposent de la possibilité de recourir
("Beschwerdemöglichkeit") contre un tel projet ou de s'y opposer ("Aber
es ist eigentlich ein Mangel im Verfahrensrecht, dass nicht mindestens
auch die Standortkantone ein Einspracherecht haben") (ibidem).

    5.4  Selon une interprétation téléologique de la loi sur les cartels
faite à la lumière des intentions du législateur - auxquelles il faut
accorder une importance particulière, s'agissant d'une loi récente (cf. ATF
128 I 288 consid. 2.4 p. 292) -, il faut admettre que les tiers ne sont
pas habilités à contester un projet de concentration devant la Commission
de recours.

    Il ressort en effet aussi bien du message du Conseil fédéral concernant
la loi sur les cartels (cf. FF 1995 I 472, p. 606) que des débats au
Parlement sur la récente révision de cette loi (cf. BO 2002 CN p. 1448)
qu'il existe, dans l'esprit du législateur, un lien clair et direct entre
les art. 43 al. 4 et 44 LCart, en ce sens que la possibilité pour les
tiers de former un recours contre un projet de concentration apparaît
subordonnée à leur qualité de parties à la procédure d'examen.

    Par ailleurs, s'il fallait reconnaître aux tiers la qualité pour
recourir contre des projets de concentration soumis à notification, la
célérité voulue par le législateur pour la procédure d'examen y afférente
serait grandement compromise, puisque le recours d'un seul concurrent
serait de nature à en allonger considérablement la durée, qui plus est,
dans une mesure difficilement prévisible et quantifiable. A cet égard,
il est relevé que le recours a effet suspensif (cf. art. 55 al. 1 PA) et
que le retrait de celui-ci ne peut, en principe, être envisagé que pour
les cas manifestement dénués de chances de succès (cf. GROSS, Kommentar KG,
note de bas de page 70 ad art. 44 LCart; RICHLI, op. cit., SIWR V/2 p. 510;
contra: BORER, in Kommentar, n. 14 ad art. 43 LCart). Par ailleurs, l'on se
trouverait en présence d'une procédure biaisée qui n'a pas été voulue par
le législateur, en ce sens que les tiers, jusqu'ici privés de leurs droits
de parties en vertu de l'art. 43 al. 4 LCart, pourraient pour la première
fois faire valoir ceux-ci devant la Commission de recours. Le vrai débat
aurait donc lieu en procédure de recours, avec tous les inconvénients
que cela suppose. En particulier, la Commission de recours devrait, le
cas échéant, mettre en oeuvre les mesures d'instruction utiles proposées
par les tiers recourants, ou alors procéder à un renvoi de la cause à
l'autorité inférieure pour complément d'instruction, ce qui serait de
nature à allonger un peu plus encore la procédure. Un tel renvoi est
d'ailleurs la règle dès que les investigations requises présentent
une certaine ampleur ou des difficultés particulières (cf. STOFFEL,
Die Beschwerde an die Rekurskommission für Wettbewerbsfragen, op. cit.,
p. 45). Par ailleurs, en cas d'admission du recours formé par un tiers
et de renvoi du dossier à la Commission pour instruction complémentaire
et nouvelle décision, le système aboutirait à une situation pour le
moins curieuse, puisque le tiers concerné (qui a obtenu gain de cause)
se verrait à nouveau privé de tout droit de partie en vertu de l'art. 43
al. 4 LCart. Au surplus, il n'est pas certain que la Commission de recours
soit le lieu idéal pour un premier débat contradictoire portant sur
l'établissement des faits et les problèmes de fond, dans la mesure où il
peut arriver qu'elle fasse preuve d'une certaine retenue pour trancher les
questions d'appréciation voire pour définir certaines notions juridiques
indéterminées que la Commission ou son secrétariat apparaissent mieux à
même de cerner (cf. CARRON, in CR Concurrence, n. 23 ad art. 44 LCart;
RICHLI, op. cit., SIWR V/2 p. 511 ss).

    Enfin, à supposer que l'intention du législateur fût vraiment de
permettre aux tiers de contester par la voie judiciaire un projet de
concentration, il serait pour le moins étonnant qu'il n'ait, au moins pour
les concurrents, pas expressément prévu cette possibilité dans la loi sur
les cartels, si ce n'est lors de l'adoption de ce texte, du moins lors
de sa révision en 2002. En effet, bien qu'il connût alors parfaitement
la pratique restrictive - contestée par une partie de la doctrine -
suivie en la matière par la Commission de recours (cf. notamment le
rapport précité du 11 octobre 2000 de l'Organe parlementaire de contrôle
de l'administration, p. 3218-3222), il n'a pas jugé utile de corriger la
loi sur ce point, mais a simplement examiné l'opportunité d'étendre aux
cantons concernés par une concentration d'entreprises - à l'exception
des tiers - le droit de participer à la procédure d'examen au sens de
l'art. 43 al. 4 LCart.

    5.5  En conséquence, il se justifie de procéder à une interprétation
extensive de l'art. 43 al. 4 LCart et d'admettre que, malgré son texte,
cette disposition n'a pas seulement pour conséquence de priver les tiers
de la qualité de parties durant la procédure d'examen, mais les empêche
également de recourir contre les projets de concentration approuvés par
la Commission. Il s'ensuit que, dans le cas particulier, pour peu que
l'autorisation donnée par la Commission à la concentration litigieuse eût
effectivement valeur de décision attaquable, au sens de l'art. 44 LCart
(en relation avec l'art. 5 PA), comme le soutient la recourante, celle-ci
n'avait de toute façon pas la qualité pour contester un tel acte devant la
Commission de recours, ainsi que l'a tranché à juste raison cette autorité.

    La recourante n'est cependant pas privée de tout moyen pour se défendre
contre d'éventuels abus de son concurrent. En cas de restrictions illicites
à la concurrence (accords ou pratiques illicites au sens des art. 5 ss
LCart), elle peut notamment - comme elle semble d'ailleurs l'avoir fait
- dénoncer les faits aux autorités compétentes (cf. art. 26 ss LCart;
sur la complémentarité de ce moyen de droit, de caractère répressif,
par rapport au contrôle des concentrations, de caractère préventif,
cf. VENTURI, in CR Concurrence, n. 23 et 42 ad Remarques liminaires
aux art. 9-10 LCart). Certes, elle ne peut pas, comme tel, prétendre un
droit à l'ouverture d'une enquête administrative; toutefois, si une telle
enquête est ouverte, elle peut y prendre part et exercer tous ses droits
de partie (cf. art. 43 al. 1 à 3 LCart; ATF 130 II 521). Par ailleurs
et surtout, la recourante dispose de tous les moyens du droit privé et
de la procédure civile offerts par la loi sur les cartels (cf. art. 12
ss LCart). Le choix de la procédure à suivre dépendra essentiellement
des intérêts en jeu: en principe, lorsque le maintien d'une concurrence
efficace dans l'intérêt public apparaît le but prioritaire recherché, la
voie de la procédure administrative sera la règle, tandis que le recours
au juge civil sera de mise si des intérêts privés sont en première ligne
(cf. ATF 130 II 521 consid. 9 p. 529/530; 130 II 149 consid. 2.4 et les
nombreuses références à la doctrine).