Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 131 III 153



131 III 153

20. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile dans la cause International
Business Machines Corporation (IBM) contre Gypsy International Recognition
and Compensation Action (GIRCA) (recours en réforme)

    4C.296/2004 du 22 décembre 2004

Regeste

    Art. 129 Abs. 2 IPRG; örtliche Zuständigkeit; doppelrelevante
Tatsachen; Vorbereitungshandlungen.

    Anwendbares Recht bei der Bestimmung der örtlichen Zuständigkeit der
schweizerischen Gerichte (E. 2 und 3).

    Anwendung der Theorie der doppelrelevanten Tatsachen bei der Prüfung
der subsidiären Anknüpfung an den Handlungsort im Sinne von Art. 129
Abs. 2 IPRG und Auswirkungen dieser Theorie auf die Kognition des Gerichts
(E. 4 und 5).

    Blosse Vorbereitungshandlungen bilden keinen genügenden
Anknüpfungspunkt für die Zuständigkeit der schweizerischen Gerichte gemäss
Art. 129 Abs. 2 IPRG. Definition des Begriffs der Vorbereitungshandlungen
unter dem Gesichtspunkt des Zivilrechts (E. 6).

Sachverhalt

    A.- La société "International Business Machines Corporation"
(ci-après: IBM), qui a son siège aux États-Unis, disposait dès 1936
d'un établissement à Genève, figurant dans les annuaires genevois,
sous la notice "International Business Machines Corporation New York,
European Headquarters, machines pour statistiques et commerciales, rue
du Mont-Blanc 14".

    Selon ses statuts datés du 27 décembre 2000, Gypsy International
Recognition and Compensation Action (ci-après: Girca) est une association
dont le but est d'entreprendre toute action de toute nature, y compris
sur le plan judiciaire, dans les domaines politique, social, économique,
culturel ou juridique aux fins notamment d'obtenir toute compensation
pour les préjudices individuels, familiaux et communautaires résultant
de politiques ou de faits discriminatoires et/ou racistes, en particulier
des événements de la période nazie 1933-1945.

    En 2002, cinq tsiganes qui ont séjourné durant la seconde Guerre
mondiale dans des camps de concentration et dans des ghettos, où ils ont
perdu plusieurs membres de leur famille proche, ont cédé à Girca tous
leurs droits à l'encontre du groupe IBM à Genève.

    B.- Par une action déposée en vue de conciliation devant les tribunaux
genevois le 31 janvier 2002, Girca a réclamé à IBM des dommages-intérêts
et la réparation du tort moral en faveur des tsiganes lui ayant cédé leurs
droits. L'association entend démontrer et faire constater en justice que
des actes commis à Genève entre 1935 et 1945, au sein de l'établissement
genevois propriété d'IBM NewYork, auraient été constitutifs de complicité
de crimes contre l'humanité commis par les nazis durant le 3e Reich,
en Allemagne et dans les territoires occupés. Selon Girca, IBM aurait
fourni aux nazis une vaste assistance technologique, lors de la procédure
de recensement de population, jusqu'aux décomptes des victimes dans
l'enceinte des camps de concentration.

    La demande de Girca se fonde principalement sur un ouvrage
écrit par Edwin Black, intitulé, dans sa version française, "IBM et
l'Holocauste". L'auteur, qui se présente comme le fils de survivants
polonais de l'holocauste, est un ancien reporter au Washington Post,
devenu journaliste d'investigation indépendant. Il soutient la thèse selon
laquelle, si les nazis sont parvenus à exterminer six millions de juifs
durant la seconde Guerre mondiale, c'est en raison d'une organisation
remarquable, qui a été rendue possible grâce à des machines à cartes
perforées, propriété de l'entreprise américaine IBM, qui gérait ses
filiales européennes par l'intermédiaire de son bureau de Genève.

    Le 3 février 2003, les parties ont convenu devant le premier juge de
faire tout d'abord porter la cause sur l'exception d'incompétence ratione
loci et sur celle de prescription soulevées par IBM, l'instruction au
fond étant réservée.

    Par jugement du 28 mai 2003, le Tribunal de première instance du
canton de Genève, statuant sur exception, s'est déclaré incompétent
à raison du lieu pour connaître de la cause opposant Girca à IBM et a
considéré comme irrecevable la demande formée par l'association.

    Le 11 juin 2004, la Cour de justice a admis l'appel formé par Girca à
l'encontre de ce jugement. Considérant que c'était à tort que le premier
juge avait nié la compétence ratione loci des juridictions genevoises,
elle a annulé cette décision et renvoyé la cause au Tribunal de première
instance.

    C.- Contre l'arrêt du 11 juin 2004, IBM (la défenderesse) interjette
un recours en réforme au Tribunal fédéral. Elle conclut à l'annulation de
la décision attaquée, à ce qu'il soit dit et constaté que les tribunaux
genevois ne sont pas compétents à raison du lieu pour connaître de la
cause opposant Girca à IBM et qu'en conséquence, la demande formée par
Girca soit déclarée irrecevable.

    Girca (la demanderesse) propose le rejet du recours, dans la mesure
de sa recevabilité.

Auszug aus den Erwägungen:

                          Extrait des considérants:

Erwägung 2

    2.

    2.1  La cour cantonale a considéré que c'était à tort que le premier
juge avait nié la compétence ratione loci des autorités judiciaires
genevoises. Limitant l'examen des faits invoqués à la vraisemblance,
les juges ont statué sur leur compétence en application de la LDIP
(RS 291). Après avoir nié que celle-ci puisse reposer sur le domicile,
la résidence habituelle ou l'établissement en Suisse de la défenderesse,
ils ont envisagé le for du lieu de l'acte ou du résultat. Ils ont retenu
en substance qu'une complicité d'IBM par une assistance matérielle et
intellectuelle aux actes criminels des nazis durant la seconde Guerre
mondiale, par le biais de son établissement genevois, n'apparaissait pas
exclue. Un important faisceau d'indices indiquait que l'établissement
genevois pouvait se rendre compte qu'il apportait son concours à des
actes qui allaient bien au-delà d'actes préparatoires délictueux. Par
conséquent, les faits reprochés au siège européen d'IBM à Genève ont été
jugés suffisants, à ce stade de la procédure, pour fonder la compétence
des tribunaux genevois.

Erwägung 3

    3.  La cause revêt à l'évidence des aspects internationaux, notamment
parce que la défenderesse a son siège aux États-Unis (cf. arrêt du Tribunal
fédéral 4C.477/1993 du 13 juin 1994, publié in SJ 1995 p. 57, consid. 4a).
Le Tribunal fédéral, saisi d'un recours en réforme, doit donc vérifier
d'office et avec un plein pouvoir d'examen le droit applicable (ATF 118
II 83 consid. 2b p. 85).

    Comme l'a retenu à juste titre la cour cantonale, la compétence des
autorités judiciaires suisses, en l'occurrence genevoises, pour traiter
de la présente cause est exclusivement régie par la LDIP (cf. art. 1
al. 1 let. a LDIP), dès lors qu'aucune convention internationale n'est
applicable (art. 1 al. 2 LDIP; ATF 128 III 343 consid. 2b p. 345). En
effet, les États-Unis, pays dans lequel la défenderesse a son siège, ne
sont pas partie à la Convention de Lugano, ni ne sont liés à la Suisse
par un autre traité international fixant la compétence à raison du lieu.

    Le présent recours porte exclusivement sur l'existence d'un for à
Genève. Même si les faits sur lesquels se fondent les prétentions émises
par Girca se sont déroulés entre 1935 et 1945 environ, la compétence des
autorités judiciaires genevoises doit être examinée en application du droit
actuel, puisque l'action a été introduite après l'entrée en vigueur de la
LDIP, le 1er janvier 1989 (VOLKEN, Commentaire zurichois, n. 12 ad art. 199
LDIP; JAMETTI/GREINER/ GEISER, Commentaire bâlois, n. 3 ad art. 197 LDIP).

Erwägung 4

    4.  Selon l'arrêt attaqué, Girca a déposé action en qualité de
cessionnaire des droits de cinq tsiganes, en vue de demander des
dommages-intérêts et une indemnité pour tort moral, sur la base des
art. 41 ss CO. La question de la compétence internationale des tribunaux
suisses pour connaître d'une action fondée, comme en l'espèce, sur un
acte illicite s'examine à la lumière de l'art. 129 LDIP.

    L'alinéa 1 de cette disposition admet la compétence des tribunaux
suisses du domicile ou, à défaut, de ceux de la résidence habituelle ou
de l'établissement du défendeur. La cour cantonale n'a pas retenu sa
compétence sur cette base. Comme ce point n'a pas été remis en cause,
il ne sera pas revu dans la présente procédure (art. 55 al. 1 let. c OJ).

    Les juges se sont en revanche fondés sur le rattachement de nature
subsidiaire (VOLKEN, op. cit., n. 19 ad art. 129 LDIP) prévu à l'art. 129
al. 2 LDIP, selon lequel, lorsque le défendeur n'a ni domicile ou
résidence habituelle, ni établissement en Suisse, l'action peut être
intentée devant le tribunal suisse du lieu de l'acte ou du résultat. Le
litige porte exclusivement sur l'application de cette disposition.

Erwägung 5

    5.  La défenderesse soutient en premier lieu que, pour admettre la
compétence des tribunaux genevois, la cour cantonale a violé la notion
de décision indépendante sur la compétence internationale, car elle a
examiné le bien-fondé de l'action en préjugeant de l'affaire au fond,
alors que ces éléments auraient dû être sans pertinence.

    5.1  Lorsque l'examen de la compétence du tribunal se recoupe
avec celui du bien-fondé de la demande, prévaut alors la théorie de la
double pertinence. Selon celle-ci, l'existence des faits justifiant à
la fois la compétence et les prétentions au fond, s'ils sont contestés,
seront présumés réalisés pour l'examen de la compétence et ils ne devront
être prouvés qu'au moment où le juge statuera sur le fond de la demande
(cf. ATF 122 III 249 consid. 3b/bb p. 252 et les références citées). En
d'autres termes, il suffit, pour admettre la compétence du tribunal, que
les faits qui constituent à la fois la condition de cette compétence et le
fondement nécessaire de la prétention soumise à l'examen du tribunal soient
allégués avec une certaine vraisemblance (cf. ATF 128 III 50 consid. 2b/bb
p. 56). Les objections de la partie défenderesse ne seront examinées
qu'au moment de juger l'affaire sur le fond (ATF 129 III 80 consid. 2.2
in fine; 122 III 249 consid. 3b/bb p. 252). Cette règle tend à protéger
la partie défenderesse, puisqu'elle lui permet d'opposer l'exception
de chose jugée à une action qui serait introduite ultérieurement à un
autre for (ATF 124 III 382 consid. 3; 122 III 252 consid. 3b/bb p. 252;
cf. KNOEPFLER, Réflexions sur la théorie des faits doublement pertinents,
PJA 1998 p. 787 ss, 790 s., qui doute du but protecteur). Le principe de
la double pertinence n'entre toutefois pas en ligne de compte lorsque
la compétence d'un tribunal arbitral est contestée, car il est exclu
de contraindre une partie à souffrir qu'un tel tribunal se prononce sur
des droits et obligations litigieux, s'ils ne sont pas couverts par une
convention d'arbitrage valable (ATF 128 III 50 consid. 2b/bb p. 56 s.; 121
III 495 consid. 6d p. 503). De même, la double pertinence ne s'applique
pas à la question de l'immunité de juridiction invoquée par un État
(ATF 124 III 382 consid. 3b p. 387).

    En l'espèce, le for de l'art. 129 al. 2 LDIP prévoit comme rattachement
avec la Suisse le lieu de l'acte illicite ou du résultat, soit des
critères qui non seulement permettent de déterminer la compétence, mais
qui relèvent également du fondement matériel de l'action, soit des faits
doublement pertinents. Comme l'autorité saisie n'est pas un tribunal
arbitral et qu'il ne s'agit pas de se prononcer sur l'immunité d'un État,
la théorie de la double pertinence est applicable. La cour cantonale ne
s'y est du reste pas trompée, dès lors qu'elle a pris soin de préciser,
à plusieurs reprises, qu'elle ne se prononçait que sur la compétence,
ce qui la conduisait à examiner l'existence d'activités illicites de la
part de la défenderesse depuis son établissement genevois exclusivement
sous l'angle de la vraisemblance, compte tenu des allégués de la demande,
en l'état de la procédure et sans anticiper sur l'instruction des faits
de la cause.

    Dans ces circonstances, on ne voit manifestement pas en quoi les
juges auraient violé le principe de l'indépendance des décisions sur la
compétence internationale. La défenderesse ne peut être suivie lorsqu'elle
reproche à la cour cantonale de s'être interrogée sur le bien-fondé
de l'action lors de l'examen de la compétence. En effet, dès que, pour
déterminer le for au sens de l'art. 129 al. 2 LDIP, il faut se prononcer
sur des faits doublement pertinents, il est par définition impossible
de séparer les questions de fond de celles de compétence, puisqu'elles
se recoupent. La cour cantonale, examinant l'existence d'un point de
rattachement au lieu de l'acte, ne pouvait donc faire autrement que de
se pencher sur des éléments relevant du fond de l'action. Par ailleurs,
contrairement à ce que soutient la défenderesse, l'arrêt attaqué ne préjuge
en rien de l'issue matérielle de l'action. Il est au contraire rédigé en
des termes prudents, la cour cantonale prenant garde de souligner qu'elle
n'entendait pas anticiper l'instruction de la cause, mais uniquement se
prononcer sur la compétence, en début de procédure. Enfin, le respect du
principe de double pertinence imposait aux juges de ne statuer que sous
l'angle de la vraisemblance au stade de la compétence, de sorte que la
défenderesse ne saurait leur reprocher de n'avoir procédé qu'à un examen
prima facie.

    5.2  S'agissant du pouvoir d'examen, la défenderesse soutient encore,
à titre subsidiaire, qu'à supposer que le bien-fondé de l'action eût pu
être examiné prima facie, la cour cantonale devait s'interroger sur les
prétentions des cinq personnes ayant cédé leurs droits à la demanderesse
et non pas faire porter son raisonnement sur l'historique général des
prétendues activités d'IBM. Or, l'arrêt attaqué ne contient, selon la
défenderesse, aucune indication sur l'existence d'un lien direct entre
l'acte illicite et le dommage allégués par les cinq tsiganes.

    Il est vrai que Girca agit en qualité de cessionnaire des droits des
cinq tsiganes et qu'elle ne peut prétendre à être indemnisée qu'en raison
du préjudice subi par ceux-ci et non pour toutes les exactions nazies
durant la seconde Guerre mondiale. Il n'en demeure pas moins qu'il suffit
que la commission d'actes illicites par l'établissement genevois d'IBM,
de nature à léser les cinq tsiganes à l'origine de l'action, paraisse
vraisemblable (cf. supra consid. 5.1). A ce propos, la cour cantonale a
admis qu'il n'était pas insoutenable de retenir qu'IBM, par le biais de son
centre de Genève, avait accordé une assistance technique aux nazis. Même si
les intentions d'Hitler à l'égard des "asociaux" dont faisaient partie les
tsiganes ne semblaient être apparues qu'en 1938, IBM devait connaître les
besoins de ses clients nazis dans les détails, de sorte qu'à ce stade de la
procédure, l'hypothèse de sa complicité aux actes criminels des nazis ne
pouvait être écartée. Quoi qu'en dise la défenderesse, l'arrêt attaqué ne
se contente pas d'une approche historique générale, mais fait le lien entre
les activités d'IBM et les crimes dont ont fait l'objet les tsiganes. Un
tel examen est ainsi suffisant, dès lors qu'il s'agit seulement de se
prononcer sur la compétence des autorités judiciaires en application de
l'art. 129 al. 2 LDIP, sur la base de faits doublement pertinents.

    Par ailleurs, il n'est pas nécessaire d'examiner, dans le cadre de
la décision sur la compétence, si l'état de fait est propre à engager la
responsabilité de la personne recherchée (cf. ATF 125 III 346 consid. 4c/aa
p. 351). Comme l'a relevé pertinemment la demanderesse, la cour cantonale
n'avait donc pas à se prononcer, à ce stade de la procédure, sur toutes
les conditions d'application de l'art. 41 CO, notamment sur l'existence
d'un lien de causalité adéquate entre le comportement d'IBM et le préjudice
subi par les cinq tsiganes concernés.

Erwägung 6

    6.  La défenderesse invoque ensuite une violation de l'art. 129
al. 2 LIDP, reprochant en substance à la cour cantonale d'avoir méconnu
la notion d'actes préparatoires au sens du droit civil et d'avoir retenu
des faits sans pertinence.

    6.1  Comme il l'a déjà été évoqué, l'art. 129 al. 2 LDIP institue
un for subsidiaire au lieu de l'acte ou du résultat, lorsque le
défendeur n'a ni domicile ou résidence habituelle, ni établissement en
Suisse (cf. supra consid. 4). La fonction de ce for est double: d'une
part protéger la victime en lui permettant d'ouvrir action en Suisse
contre le responsable, même si celui-ci est domicilié à l'étranger, et,
d'autre part, faciliter la preuve, étant donné que les éléments de preuve
relatifs à un acte dommageable sont souvent réunis au lieu de l'acte ou
du résultat (BUCHER/BONOMI, Droit international privé, 2e éd., Bâle 2004,
n. 1050). Le résultat des actes reprochés à la défenderesse n'étant pas
survenu en Suisse, seul le rattachement du lieu de l'acte peut entrer
en considération.

    6.2  La jurisprudence ne s'est pas encore prononcée sur le for du
lieu de l'acte au sens de l'art. 129 al. 2 LDIP. La doctrine admet que
l'application de cette disposition peut poser des difficultés lorsque
le fait dommageable est constitué d'une pluralité d'actes ou d'omissions
ou qu'il est à l'origine de plusieurs dommages distincts (BUCHER/BONOMI,
op. cit., n. 1053).

    Le for du lieu de l'acte prévu par l'art. 129 al. 2 LDIP pour fonder la
compétence internationale des autorités judiciaires suisses n'est cependant
pas inédit. La Convention de Lugano (CL; RS 0.275.11) connaît également
un point de rattachement similaire (ATF 125 III 346 consid. 4a), de sorte
que l'on peut s'en inspirer, pour déterminer la portée à donner à cette
notion lors de l'application de l'art. 129 al. 2 LDIP (cf. BUCHER/BONOMI,
op. cit., n. 1053; WYSS, Der Gerichtsstand der unerlaubten Handlung,
thèse Berne 1997, p. 132).

    Selon le Tribunal fédéral, le for du lieu de l'acte au sens de l'art. 5
ch. 3 CL vise le lieu dans lequel l'activité illicite a été réalisée, le
lieu de survenance de l'événement à l'origine du dommage, le lieu du fait
générateur. En cas d'actes partiels répartis dans différents endroits,
la compétence à raison du lieu est multipliée, dans le sens où chaque
tribunal dans le ressort duquel un acte a été commis est compétent à
raison du lieu de manière concurrente. Suivant la doctrine, notamment
allemande, la Cour de céans a toutefois précisé que de simples actes
préparatoires ne suffisaient pas à fonder un for au lieu de commission de
l'acte (ATF 125 III 346 consid. 4c/aa p. 350 et les références citées; cf.
plus récemment: GEIMER/SCHÜTZE, Europäisches Zivilverfahrensrecht, 2e éd.,
Munich 2004, p. 203 n. 250; SCHACK, Internationales Zivilverfahrensrecht,
3e éd., Munich 2002, p. 134 n. 300). Autrement dit, sous réserve de simples
actes préparatoires, tout lieu dans lequel est survenu un événement causal
pour le résultat dommageable peut être considéré comme un lieu de l'acte
(arrêt du Tribunal fédéral 4C.98/2003 du 15 juin 2003, consid. 2.2), et
créer autant de fors au choix du demandeur (arrêt du Tribunal fédéral
4C.343/1999 du 3 février 2002, consid. 2b; ATF 125 III 346 consid. 4a
et 4c/aa).

    6.3  Encore faut-il déterminer ce que l'on entend par "simples actes
préparatoires".

    Comme l'acte illicite permettant de fonder un for au sens de l'art. 129
al. 2 LDIP doit être défini selon le droit suisse (BUCHER/BONOMI,
op. cit., n. 1036; VOGEL/SPÜHLER, Grundriss des Zivilprozessrechts, 7e éd.,
Berne 2001, n. 45v; OTHENIN-GIRARD, Droit international privé/Les actes
illicites, FJS 710 p. 3), il en va a fortiori de même des simples actes
préparatoires (cf. UMBRICHT, Commentaire bâlois, n. 16 ad art. 129 LDIP).

    La difficulté vient du fait que, comme le relève pertinemment la
défenderesse, la notion d'actes préparatoires doit être envisagée sous
l'angle du droit civil, dans le contexte d'une action fondée sur un
acte illicite, alors qu'elle est avant tout utilisée en droit pénal et
n'intéresse pas les civilistes suisses (WYSS, op. cit., p. 110 s.).

    La jurisprudence s'est contentée de poser le principe selon lequel
de "simples actes préparatoires" ne peuvent constituer un point de
rattachement suffisant pour fonder la compétence des autorités judiciaires
suisses, mais sans indiquer précisément ce qu'elle entendait par ces
termes. Le Tribunal fédéral a seulement relevé que le fait de dicter des
lettres ou des notes en un lieu, alors que celles-ci avaient été signées
et envoyées depuis un autre endroit, ne suffisait pas à créer un for
(ATF 125 III 346 consid. 4c/bb p. 351 s.). Quant aux rares auteurs
ayant, en Suisse, abordé cette question, ils ne contestent pas que
les actes préparatoires ne permettent pas de fonder un for en Suisse,
sans pour autant définir cette notion (cf. BRANDENBERG BANDL, Direkte
Zuständigkeit der Schweiz im internationalen Schuldrecht, thèse St-Gall
1991, p. 312 note 904; UMBRICHT, op. cit., n. 16 ad art. 129 LDIP; WYSS,
op. cit., p. 110 s.). Il ressort toutefois de l'ATF 125 III 346 et des
considérations doctrinales que, pour créer un for, les actes en cause
doivent revêtir une intensité minimale (cf. WYSS, op. cit., p. 111;
DUTOIT, Commentaire de la LDIP, 3e éd., Bâle 2001, n. 10 ad art 129
LDIP). On peut en conclure que si seuls des actes insignifiants se sont
déroulés en Suisse, de sorte qu'un for en ce lieu apparaît comme purement
fortuit par rapport à d'autres actes déterminants survenus ailleurs,
on se trouve en présence de simples actes préparatoires. En revanche,
un acte a toujours l'intensité suffisante pour permettre de fonder un for
en application de l'art. 129 al. 2 LDIP lorsqu'il peut être considéré,
en regard du droit suisse, comme illicite (en ce sens, UMBRICHT, op. cit.,
n. 16 ad art. 129 LDIP). Ainsi, dès qu'un comportement apparaît punissable
pénalement et que la prescription violée a pour but de protéger le lésé
dans les droits atteints par l'acte incriminé, il entre dans la catégorie
des actes illicites (ATF 102 II 85 consid. 5), ce qui exclut qu'il puisse
être qualifié de simple acte préparatoire au sens du droit civil (WYSS,
op. cit., p. 111 note 404).

    6.4  Selon les faits retenus par la cour cantonale, qui s'est à
juste titre limitée à la vraisemblance en fonction des allégués de la
demanderesse (cf. supra 5.1), IBM possédait à Genève, entre 1935 et
1945, un établissement non inscrit au registre du commerce dont elle se
servait comme de son quartier général européen "European Headquarters". A
ce stade de la procédure, il a été considéré comme vraisemblable que,
durant cette période, IBM avait fourni une assistance technique à ses
clients nazis dont elle devait connaître les besoins dans les détails pour
élaborer la procédure optimale d'utilisation des machines qui leur étaient
louées. Du reste, les intentions d'Hitler à l'encontre des juifs étaient
annoncées dès 1933 et leur étendue aux asociaux, dont faisaient partie
les tsiganes, à partir de 1938. Il a également été retenu que les pays
d'Europe relevaient de la compétence de l'établissement genevois d'IBM,
qui gérait le parc des machines et exerçait des activités d'envergure,
notamment de programmation sur le plan européen. Enfin, il n'était pas
possible de minimiser le rôle tenu par l'établissement genevois d'IBM en
relation avec les flux financiers passant par Genève pour le rapatriement
aux États-Unis du produit de ses filiales européennes.

    Dans ces circonstances, la cour cantonale n'a pas violé le droit
fédéral en considérant, sous l'angle de la vraisemblance et sans préjuger
du bien-fondé de l'action en responsabilité, que la défenderesse, par
l'entremise de son établissement genevois, pourrait avoir commis des actes
de complicité de génocide au sens de l'art. 264 CP. En effet, les actes
décrits par la cour cantonale, d'une manière qui lie le Tribunal fédéral en
instance de réforme (art. 63 al. 2 OJ), révèlent une intensité qui dépasse
à l'évidence de simples actes préparatoires, dès lors qu'ils entrent à
première vue dans la définition de la complicité au sens de l'art. 25 CP
(cf. sur cette notion: ATF 129 IV 124 consid. 3.2; 121 IV 109 consid. 3a).
Sous l'angle de la vraisemblance, il n'apparaît donc pas exclu qu'IBM ait
exercé à Genève des activités illicites au sens de l'art. 129 al. 2 LDIP,
de sorte que l'on ne peut reprocher à la cour cantonale d'avoir reconnu
la compétence des autorités judiciaires genevoises sur la base de cette
disposition.

    6.5  Certes, comme le relève la défenderesse, la motivation présentée
par la cour cantonale peut prêter à discussion, dans la mesure où, pour
rejeter l'exception d'incompétence, les juges semblent s'être inspirés
de la notion pénale d'actes préparatoires, non pertinente s'agissant de
l'art. 129 al. 2 LDIP (cf. supra consid. 6.3). Il n'y a toutefois pas lieu
d'approfondir ce point dès lors que, dans son résultat, l'arrêt attaqué
est conforme au droit fédéral et que le Tribunal fédéral, saisi d'un
recours en réforme, n'est pas lié par l'argumentation juridique présentée
(ATF 130 III 362 consid. 5; 129 III 129 consid. 8).

    Enfin, on peut ajouter que, pour tenter de démontrer que les activités
de son établissement genevois entre 1935 et 1945 ne constituaient que
de simples actes préparatoires, la défenderesse fait grief à la cour
cantonale de s'être fondée sur des faits sans pertinence, présentant sa
propre version des événements. Une telle argumentation, qui revient à
critiquer l'établissement des faits et l'appréciation des preuves, n'est
pas admissible dans un recours en réforme (ATF 130 III 145 consid. 3.2
p. 160; 129 III 618 consid. 3 in fine). Il ne saurait donc être tenu
compte des critiques présentées dans ce contexte.

    Le recours doit par conséquent être rejeté.