Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 128 V 82



128 V 82

16. Arrêt dans la cause Office cantonal AI Genève contre R. et Commission
cantonale de recours en matière d'AVS/AI, Genève I 14/02 du 28 mars 2002

Regeste

    Art. 30 Abs. 1 BV; Art. 6 Ziff. 1 EMRK: Garantie des
verfassungsmässigen Richters; Ausstand.

    - Ein Richter ist als Mitglied der Behörde zu betrachten, die den
angefochtenen Entscheid gefällt hat, sofern er in dessen Rubrum aufgeführt
wird; dies selbst dann, wenn seine Nennung mit der Bemerkung "abwesend"
erfolgt ist.

    - Es liegt ein Ausstandsgrund vor, wenn ein Richter einer kantonalen
Beschwerdeinstanz in einer Sache zur Entscheidung berufen wird, in
welcher sich die gleichen Rechtsfragen - vorliegend die Frage nach der
Übersetzung eines in italienisch verfassten Gutachtens einer Medizinischen
Abklärungsstelle der Invalidenversicherung ins Französische - stellen
wie in einem andern hängigen Verfahren, in welchem er als Anwalt auftritt.

Sachverhalt

    A.- Par décision du 3 mai 2001, l'Office cantonal genevois de
l'assurance-invalidité (ci-après: l'office) a refusé d'allouer une rente
à R. L'office se fondait principalement sur un rapport d'expertise,
rédigé en langue italienne, du Centre d'observation médicale de
l'assurance-invalidité (COMAI) de Bellinzone du 3 décembre 1999.

    B.- Par écriture du 6 juin 2001, R. a recouru contre cette décision
devant la Commission cantonale genevoise de recours en matière d'AVS/AI
(ci-après: la commission cantonale) en demandant, préalablement, une
traduction en langue française du rapport d'expertise du COMAI, aux frais
de l'office.

    Statuant le 9 novembre 2001, la commission cantonale a annulé la
décision attaquée et a ordonné à l'office de faire procéder à ses frais
à la traduction, en langue française, de l'expertise du COMAI. Elle lui
a imparti à cet effet un délai échéant le 20 décembre 2001 et l'a invité
à reprendre ensuite l'instruction de la cause et à rendre une nouvelle
décision. La première page de son jugement (rubrum) mentionne comme suit
la composition de la commission:
      "Pour la Commission: Me Jean-Marie FAIVRE, Président P. RUMO,
      W. FEHR, M. LOCCIOLA absent, G. CRETTENAND, Membres K. STECK,
      Greffière-juriste."

    C.- L'office interjette un recours de droit administratif dans lequel
il conclut à l'annulation du jugement attaqué et au renvoi de la cause
à la commission cantonale pour nouvelle décision.

    R. conclut au rejet du recours. Les premiers juges se sont également
déterminés à son sujet. Quant à l'Office fédéral des assurances sociales,
il ne s'est pas prononcé.

Auszug aus den Erwägungen:

                      Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- Le recourant se plaint d'une violation de la garantie d'un
tribunal indépendant et impartial. Il fait valoir que l'un des membres de
la commission, Maurizio Locciola, avocat à Genève, aurait dû se récuser. En
effet, dans une affaire similaire, Me Locciola, agissant

en qualité de mandataire d'un assuré, a contesté devant la Commission
cantonale genevoise de recours en matière d'AVS/AI le refus de l'office
de l'assurance-invalidité de procéder à une traduction française d'une
expertise effectuée par le COMAI de Bellinzone. L'office en conclut que,
quand bien même Me Locciola était "absent" au moment où le jugement du
9 novembre 2001 a été rendu, on peut légitimement se demander si, en
sa qualité de membre de la commission de recours, il n'y a pas projeté
des opinions déjà acquises, voire émises, à propos de la traduction des
rapports d'expertise des COMAI.

    Dans ses déterminations sur le recours, la commission cantonale
expose que Me Locciola n'a pas participé à la prise de la décision,
attendu qu'il était absent.

    Il convient d'examiner en premier lieu le grief d'ordre formel que
le recourant soulève contre le déroulement de la procédure de première
instance, car il se pourrait que le tribunal accueille le recours sur ce
point et renvoie la cause à l'autorité cantonale sans examen du litige
au fond (ATF 124 V 92 consid. 2 et la référence).

Erwägung 2

    2.- a) Selon l'art. 30 al. 1 Cst. - qui, de ce point de vue, a la
même portée que l'art. 6 par. 1 CEDH (ATF 127 I 198 consid. 2b) -, toute
personne dont la cause doit être jugée dans une procédure judiciaire a
droit à ce que sa cause soit portée devant un tribunal établi par la loi,
compétent, indépendant et impartial. Le droit des parties à une composition
régulière du tribunal et, partant, à des juges à l'égard desquels il
n'existe pas de motif de récusation, impose des exigences minimales en
procédure cantonale (ATF 123 I 51 consid. 2b). Cette garantie permet,
indépendamment du droit cantonal, d'exiger la récusation d'un juge dont la
situation et le comportement sont de nature à faire naître un doute sur son
impartialité (ATF 126 I 73 consid. 3a); elle tend notamment à éviter que
des circonstances extérieures à la cause ne puissent influencer le jugement
en faveur ou au détriment d'une partie. Elle n'impose pas la récusation
seulement lorsqu'une prévention effective du juge est établie, car une
disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée; il suffit que
les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter
une activité partiale du magistrat. Seules les circonstances constatées
objectivement doivent être prises en considération; les impressions
purement individuelles d'une des parties au procès ne sont pas décisives
(ATF 127 I 198 consid. 2b, 125 I 122 consid. 3a, 124 I 261 consid. 4a).

    Le plaideur est fondé à mettre en doute l'impartialité d'un juge
lorsque celui-ci révèle, par des déclarations avant ou pendant le procès,
une opinion qu'il a déjà acquise sur l'issue à donner au litige. Les
règles cantonales sur l'organisation judiciaire doivent être conçues de
façon à ne pas créer de telles situations; ainsi, il est inadmissible
que le même juge cumule plusieurs fonctions et soit donc amené, aux
stades successifs d'un procès, à se prononcer sur des questions de fait
ou de droit étroitement liées. On peut craindre, en effet, que ce juge
ne projette dans la procédure en cours les opinions qu'il a déjà émises à
propos de l'affaire, à un stade antérieur, qu'il ne résolve les questions
à trancher selon ces opinions et, surtout, qu'il ne discerne pas les
questions que se poserait un juge non prévenu (ATF 116 Ia 139 consid. 3b;
voir aussi ATF 125 I 122 consid. 3a).

    Qu'un avocat soit membre d'une autorité de recours devant laquelle il
peut être amené à plaider dans des affaires n'intéressant pas les parties
aux litiges dont il a à connaître dans sa fonction de juge ne suffit pas
en soi à mettre en doute - et de manière générale - son impartialité. La
jurisprudence considère cependant que certains liens, en particulier
professionnels, entre un juge et une partie, peuvent constituer un motif
de récusation. Il en va ainsi, par exemple, d'un juge suppléant appelé à
statuer dans une affaire soulevant les mêmes questions juridiques qu'une
autre cause pendante qu'il plaide comme avocat (ATF 124 I 121).

    b) Par ailleurs, selon une jurisprudence constante, le motif de
récusation doit être invoqué dès que possible, à défaut de quoi le
plaideur est réputé avoir tacitement renoncé à s'en prévaloir (ATF 119 Ia
228 sv.; EGLI/KURZ, La garantie du juge indépendant et impartial dans la
jurisprudence récente, in: Recueil de jurisprudence neuchâteloise [RJN]
1990 p. 28 sv.). En particulier, il est contraire à la bonne foi d'attendre
l'issue d'une procédure pour tirer ensuite argument, à l'occasion d'un
recours, de la composition incorrecte de l'autorité qui a statué, alors
que le motif de récusation était déjà connu auparavant (ATF 124 I 123
consid. 2, 119 Ia 228 sv. consid. 5a). Cela ne signifie toutefois pas
que l'identité des juges appelés à statuer doive nécessairement être
communiquée de manière expresse au justiciable; il suffit en effet que le
nom de ceux-ci ressorte d'une publication générale facilement accessible,
par exemple l'annuaire officiel. La partie assistée d'un avocat est en
tout cas présumée connaître la composition régulière du tribunal (ATF
117 Ia 323 consid. 1c; EGLI/KURZ, loc.cit., p. 29). En revanche,

un motif de prévention concernant un juge suppléant peut, en principe,
encore être valablement soulevé dans le cadre d'une procédure de recours,
car le justiciable pouvait partir de l'idée que le tribunal de première
instance statuerait dans sa composition ordinaire. Cette jurisprudence
au sujet des juges suppléants doit s'appliquer de la même manière quand
il s'agit d'examiner si un justiciable devait ou non s'attendre à la
présence d'un assesseur qui est appelé à fonctionner, de cas en cas,
dans la composition du tribunal saisi de l'affaire (voir SVR 2001 BVG no
7 p. 28 consid. 1c, non publié aux ATF 126 V 303).

Erwägung 3

    3.- a) Selon l'art. 17 de la loi cantonale genevoise d'application de
la loi fédérale sur l'assurance-vieillesse et survivants du 13 décembre
1947 (RS GE J 7 05), il est institué, en application de l'art. 85 al. 1
LAVS, une commission cantonale de recours nommée pour quatre ans au début
de chaque législature (al. 1). La commission est constituée d'un président
titulaire et de présidents suppléants, tous de formation juridique et
nommés par le Conseil d'Etat, et d'assesseurs familiarisés avec les
questions juridiques, fiscales ou d'assurances sociales, tous nommés
par le Grand Conseil à raison de trois par parti représenté au Grand
Conseil (al. 2). La commission siège dans une composition de cinq membres
constituée d'un président titulaire ou suppléant et de quatre assesseurs,
qui siègent à tour de rôle (al. 3).

    La commission siège avec le concours d'un greffier juriste ayant
voix consultative et qui est chargé de la préparation des séances de la
commission; le président peut le charger de procéder à l'instruction des
causes et de rédiger des projets de jugement (art. 19).

    Selon le règlement de la commission édicté par le Conseil d'Etat
le 27 octobre 1993 (RS GE J 7 05.20), les séances et les audiences de
la commission ont lieu à huis clos (art. 9). Pour siéger valablement,
la commission doit comprendre le président ou l'un de ses suppléants,
ainsi que trois membres ou suppléants sur quatre (art. 5).

    b) Dans le cas particulier, l'identité des membres de la commission
n'a pas été communiquée d'avance aux parties. Elle est indiquée sur
la première page du jugement attaqué (rubrum), qui a été notifié aux
parties après son prononcé. D'autre part, Me Locciola est assesseur de
la commission de recours. Il convient donc d'admettre, sur le vu de la
jurisprudence précitée, que le motif tiré de la récusation peut encore
être valablement invoqué dans la procédure fédérale, d'autant que la
liste des membres de la commission (présidents, suppléants et assesseurs)
ne figure pas dans l'annuaire officiel

de la République et canton de Genève (édition 2001) publié par la
Chancellerie d'Etat.

    c) D'autre part, contrairement à ce que suggère la commission de
recours dans ses observations, Me Locciola est réputé avoir fait partie
de l'autorité qui a rendu le jugement attaqué, dans la mesure où son nom
figure sur le rubrum de ce jugement. Le fait que le rubrum contient la
mention "absent" à côté du nom de Me Locciola ne justifie pas une autre
conclusion. On peut seulement en déduire que Me Locciola n'était pas
présent à l'audience de jugement. Cela ne permet pas de conclure - en
tout cas pas de manière certaine - à l'absence de toute intervention de
sa part dans le cours du procès. L'exigence d'une justice indépendante
et impartiale impose une certaine transparence dans le déroulement
de la procédure. En l'occurrence, l'audience de jugement a eu lieu à
huis clos. On ne sait pas à quel moment Me Locciola a été désigné pour
fonctionner comme assesseur au sein de la commission. On ignore de surcroît
les motifs pour lesquels il était absent le jour de l'audience. On ne sait
pas davantage s'il a été appelé à jouer un rôle au cours de l'instruction
de la cause. Il paraît en tout cas certain qu'à aucun moment il ne s'est
récusé. A défaut d'éléments contraires, on ne peut dès lors exclure qu'il
ait pu, en sa qualité de membre de la commission, exercer d'une manière
ou d'une autre une influence sur la décision, par exemple en faisant
connaître son point de vue avant l'audience ou au cours de l'instruction
de la cause ou encore au stade de la rédaction des motifs.

    d) Il est par ailleurs établi que dans une affaire similaire, qui
posait également le problème de la traduction en langue française d'une
expertise du COMAI de Bellinzone rédigée en italien, Me Locciola a formé
au nom de l'assuré un recours devant la Commission cantonale genevoise
de recours en matière d'AVS/AI. Il se plaignait, précisément, d'une
violation du droit d'être entendu de son client, du fait que celui-ci
n'avait pas obtenu une traduction en français du rapport du COMAI. Par
une décision incidente du 23 avril 2001, la commission de recours a
imparti un délai à l'office de l'assurance-invalidité "afin de faire
procéder à ses frais à la traduction de l'expertise du COMAI en langue
française". L'office de l'assurance-invalidité a alors interjeté un recours
de droit administratif contre cette décision incidente, que le Tribunal
fédéral des assurances a rejeté par arrêt S. du 27 février 2002 (ATF 128 V
34 cause I 321/01). Objectivement, l'ensemble de ces circonstances était de
nature à jeter un doute, dans la présente procédure, sur l'impartialité de

Me Locciola, dans la mesure où celui-ci, en tant qu'avocat, avait
clairement révélé, dans ses écritures devant la commission de recours
puis devant le Tribunal fédéral des assurances l'opinion qu'il avait sur
l'issue du litige. Cette suspicion était d'autant plus fondée qu'il y
a pratiquement concomitance entre les deux procédures, puisque l'affaire
dans la cause I 321/01 (entrée au Tribunal fédéral des assurances le 21
mai 2001) était pendante devant la Cour de céans au moment où le jugement
ici attaqué a été rendu. Les premiers juges reconnaissent d'ailleurs
eux-mêmes, dans leurs déterminations devant la Cour de céans, que Me
Locciola aurait dû se récuser s'il avait été présent à l'audience de
jugement. Or, comme il a déjà été mentionné, l'absence du prénommé ne
permet pas de conclure qu'il ne faisait pas partie de l'autorité qui a
rendu le jugement attaqué, dès lors que son nom figure sur le rubrum du
jugement. Sa récusation s'imposait donc.

Erwägung 4

    4.- Il s'ensuit que le grief soulevé par le recourant est bien
fondé. Il convient donc d'annuler le jugement attaqué et de renvoyer la
cause à la commission pour qu'elle statue à nouveau dans une composition
qui offre aux parties la garantie d'un tribunal indépendant et impartial.