Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 128 IV 255



128 IV 255

39. Extrait de l'arrêt de la Cour de cassation pénale dans la cause
A. contre Procureur général du canton de Genève (pourvoi en nullité)

    6S.380/2001 du 13 novembre 2001

Regeste

    Art. 146 StGB; Betrug.

    Die getäuschte Person muss durch den Irrtum zu einer Vermögensverfügung
veranlasst werden. Ein solches ursächliches Bindeglied zwischen Irrtum und
Vermögensverfügung besteht zwischen dem Lösen eines Mobiltelefonabonnements
durch die getäuschte Person zugunsten des Täters und den Abonnements-
sowie Benutzungsgebühren (E. 2e).

Sachverhalt

    Se présentant sous un pseudonyme, A. a noué contact avec B.,
employée de la société X. SA à Genève, oeuvrant dans le commerce de
disques. Après quelques téléphones, il lui a déclaré qu'il travaillait
pour une société Y., active dans la production de films. Peu à peu, à
l'aide d'innombrables lettres et coups de fil, il lui a volontairement
fait croire qu'il ressentait de profonds sentiments pour elle. Ainsi,
fort de l'attachement amoureux créé et de la relation de confiance en
résultant, il a obtenu que B. commande pour lui des disques à hauteur
de plusieurs dizaines de milliers de francs et qu'elle achète pour son
compte un appareil téléphonique portable. De même, il a agi en sorte
que B. souscrive pour lui, mais à ses frais à elle, deux abonnements de
téléphone dont il a profité à concurrence d'environ 15'000 francs. Bien
qu'il lui ait affirmé qu'il s'acquitterait de son dû, pour lequel il
soutenait disposer des ressources suffisantes, il ne s'est jamais exécuté.

    Statuant sur recours le 27 avril 2001, la Cour de cassation du canton
de Genève a reconnu A. coupable d'escroquerie en raison des faits précités,
considérant en outre que l'intéressé avait tiré profit de la dépendance
psychique dans laquelle il avait placé sa victime pour éviter qu'elle ne
vérifie ses dires et ne découvre qu'il l'avait trompée sur son identité,
son activité et sa situation financière.

    Dans le pourvoi en nullité formé devant le Tribunal fédéral contre
cet arrêt, A. a conclu à son acquittement.

    Le Tribunal fédéral a rejeté le pourvoi.

Auszug aus den Erwägungen:

                    Extrait des considérants:

Erwägung 2

    2.- (...)

    e) Le recourant nie que les commandes de disques aient déterminé chez
sa victime un acte de disposition patrimonial. D'après lui, B. a payé
de son plein gré des factures qui ne lui incombaient pas, dès lors que
celles-ci indiquaient le nom de la société X. ou son nom lui-même. Du
reste, B. a acquitté ces factures plusieurs mois après les commandes,
alors qu'elle savait qu'il ne les honorerait vraisemblablement jamais. Il
s'agit donc de toute façon d'un acte subséquent, sans lien de motivation
avec le comportement du recourant.

    Dans le même sens, le recourant conteste que l'utilisation des
deux abonnements téléphoniques souscrits auprès de Swisscom par B.
(occasionnant des facturations d'environ 15'000 francs selon la décision
attaquée), soit en lien de motivation avec l'erreur de la victime.

    aa) L'escroquerie implique que l'erreur ait déterminé la dupe à
disposer de son patrimoine. Il faut ainsi un acte de disposition effectué
par la dupe et un lien de motivation entre cet acte et l'erreur.

    L'acte de disposition est constitué par tout acte ou omission qui
entraîne "directement" un préjudice au patrimoine. L'exigence d'une telle
immédiateté résulte de la définition même de l'escroquerie, qui implique
notamment que le dommage soit causé par un acte de disposition du lésé
lui-même (Selbstschädigung). Le préjudice est occasionné "directement"
lorsqu'il est provoqué exclusivement par le comportement de la dupe,
sans qu'une intervention supplémentaire de l'auteur ne soit nécessaire
(cf. ATF 126 IV 113 consid. 3a).

    En ce sens, il n'y a pas d'acte de disposition entraînant "directement"
un préjudice lorsque le dommage n'est réalisé qu'en vertu d'un acte
subséquent, effectué par l'auteur de son propre chef. En particulier,
on ne se trouve pas en présence d'une escroquerie lorsque la dupe ne fait
qu'ouvrir à l'auteur la possibilité de lui causer un dommage par un acte
postérieur: il s'agit alors uniquement d'une certaine mise en danger du
patrimoine, qui ne suffit en principe pas à constituer un dommage (MARTIN
SCHUBARTH, Kommentar zum schweizerischen Strafrecht, Besonderer Teil,
vol. 2, Berne 1990, n. 64 ad art. 148 aCP).

    Ainsi, par exemple, obtenir une carte de crédit en trompant
astucieusement l'organisme d'émission ne réalise pas, en soi, une
escroquerie. En effet, la délivrance de la carte ne fonde pas une
obligation de paiement à charge de l'émetteur, mais se borne à ouvrir
au détenteur la possibilité de soumettre ultérieurement l'émetteur à une
telle obligation. Le risque, soit la probabilité, qu'un tel détenteur fasse
usage de la carte ne constitue pas un préjudice suffisant, de sorte que
l'émetteur ne subit pas de dommage au patrimoine par le seul octroi de
la carte à une personne insolvable ou non disposée à s'acquitter de son
dû. Le préjudice ne survient que lorsque ce détenteur, insolvable ou non
disposé à s'acquitter de son dû, fait effectivement usage de la carte et
diminue de la sorte la valeur de la créance de l'organisme d'émission à son
encontre (ATF 127 IV 68 consid. 2c/bb p. 74 et 2d p. 75). Par ailleurs,
l'utilisation de la carte ne réalise pas davantage les conditions de
l'escroquerie, dès lors qu'il ne s'agit pas d'un acte de disposition
effectué par la dupe elle-même (GUIDO JENNY, Aktuelle Fragen des Vermögens-
und Urkundenstrafrechts, in RJB 124/1988 p. 408 ss).

    En revanche, obtenir un blanc-seing en trompant astucieusement le
signataire réalise, en soi, une escroquerie, notamment lorsque l'auteur
n'a plus qu'à inscrire, à la hauteur qui lui plaira, le montant dont
le blanc-seing lui permet de disposer. En effet, en octroyant un
tel blanc-seing, le signataire ne donne pas seulement à l'auteur la
possibilité de disposer de son patrimoine, mais il procède lui-même à un
acte de disposition sur celui-ci, car la délivrance du blanc-seing expose
déjà son patrimoine à un danger suffisamment concret pour entraîner, en
soi, un préjudice direct (cf. SCHÖNKE/SCHRÖDER/CRAMER, Strafgesetzbuch,
Kommentar, 26e éd., Munich 2001, § 263 n. 61; voir aussi KARL LACKNER,
Leipziger Kommentar, § 263 n. 154).

    Par ailleurs, conformément à la lettre de la loi, la dupe qui dispose
du patrimoine atteint ne doit pas nécessairement se confondre avec le
lésé. Toutefois, si la dupe porte préjudice au patrimoine d'un tiers
(par une escroquerie dite triangulaire), l'art. 146 CP n'est réalisé que
si la dupe bénéficie d'un pouvoir de disposition sur ce bien. Ce n'est
en effet qu'à cette condition que l'on peut imputer le comportement
de la dupe au lésé et remplir ainsi la condition du dommage à soi-même
(Selbstschädigung). Encore faut-il préciser qu'une compétence de fait
suffit, un pouvoir de disposition de droit n'étant pas nécessaire (ATF
126 IV 113 consid. 3a et les références citées).

    bb) En l'occurrence, il ressort de l'état de fait de l'arrêt attaqué
que B. a passé commande de nombreux disques pour le compte du recourant,
mais au nom de la société X. pour la plupart, du pseudonyme du recourant
ou de son propre nom quant au surplus. Elle a agi de la sorte en croyant
à tort à la volonté de paiement du recourant. Recevant les rappels des
fournisseurs, elle s'est finalement résignée à acquitter toutes ces
factures à sa place.

    S'agissant des commandes effectuées au nom de la société X.,
la question de savoir si le débiteur en était cette société ou B.
personnellement, peut rester indécise. En effet, dans l'hypothèse où B. a
agi au nom de la société, elle avait nécessairement, en tant qu'employée,
un pouvoir de disposition sur le patrimoine de celle-ci, pour le moins
de fait. Il s'avère ainsi que B. a, pour le compte du recourant, conclu
un contrat de vente entre les sociétés de disques et elle-même (ou la
société X.), qui lui imposait (ou à la société X.) l'obligation de payer
les frais y relatifs. Dès lors que le recourant n'avait pas l'intention
d'acquitter ces factures, ces commandes ont, déjà à ce moment-là, impliqué
un acte de disposition préjudiciable au patrimoine de B. (ou de la société
X.). Contrairement à ce que soutient le recourant, le dommage n'est ainsi
pas survenu par un acte de disposition librement consenti et "subséquent"
de B.

    Il n'en va pas différemment des disques dont la commande a été
passée par B. (ou la société X.), mais la facture rédigée au pseudonyme
du recourant.

    cc) En ce qui concerne les abonnements de téléphone souscrits pour
le recourant par B., il est plus délicat de déterminer s'il existe un
acte de disposition effectué par la dupe ainsi qu'un lien de motivation
entre cet acte et l'erreur.

    Certes, il est manifeste que les frais d'abonnements proprement dits
résultent directement d'un acte de disposition de B., soit de la conclusion
du contrat avec Swisscom, de sorte qu'ils sont indubitablement en lien de
motivation direct avec l'erreur. En revanche, les frais de communications
ne semblent pas découler, a priori, d'un acte de disposition de B., mais
exclusivement d'actes postérieurs exécutés par le recourant de son propre
chef, à savoir des appels qu'il a formés. Dans ces conditions, on peut
se demander si ces coups de fil s'apparentent, ou non, à l'utilisation
d'une carte de crédit obtenue frauduleusement de l'organisme d'émission,
ce qui les soustrairait, cas échéant, à l'art. 146 CP. Les situations
sont cependant différentes:

    Selon le consid. 2e/aa ci-dessus, c'est l'utilisation d'une carte de
crédit, constituant en soi un acte juridique, qui fonde une obligation de
paiement à charge de l'organisme d'émission. La délivrance de la carte ne
crée pas, en elle-même, une telle obligation. En revanche, l'utilisation
d'un abonnement de téléphone ne constitue pas un acte juridique fondant une
obligation, mais une simple opération technique. C'est déjà la conclusion
de l'abonnement qui génère, en elle-même, l'obligation de s'acquitter
du prix des communications, seule la hauteur de cet engagement n'étant
pas chiffrée, puisqu'elle dépend des communications qui seront établies
ultérieurement.

    En l'occurrence, en souscrivant un abonnement avec Swisscom à son
propre nom, B. s'est obligée à payer toutes les communications qui seraient
effectuées avec l'appareil en cause. Toutefois, comme celui-ci était en
possession du recourant et qu'aucun montant maximum n'avait été fixé avec
Swisscom, la hauteur des frais de communication dépendait exclusivement
de la volonté du recourant. La conclusion de ce contrat équivalait donc
à l'octroi d'un blanc-seing illimité en sa faveur. Ainsi, en obtenant
astucieusement de B. qu'elle souscrive un abonnement de téléphone
dans ces conditions, le recourant a commis une escroquerie portant non
seulement sur les frais d'abonnement, mais également sur les frais de
communications à venir. Par conséquent, les frais de communications
effectivement survenus par la suite, que B. était tenue d'assumer,
constituent un dommage résultant directement d'un acte de disposition de
la victime. Ils sont donc en lien de motivation direct avec son erreur,
à l'instar des frais d'abonnement proprement dits.