Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 128 III 22



128 III 22

6. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile dans la cause X. S.A. contre
Y. S.A. (recours en réforme)

    4C.299/2000 du 1er octobre 2001

Regeste

    Haftung des Beauftragten (Art. 398 Abs. 2 OR).

    Für die Bestimmung des aus der Schlechterfüllung des Auftrags
entstandenen Schadens sind die Vermögensvorteile, welche den Auftraggebern
aus der Vertragsverletzung erwachsen, auf den zu ersetzenden Nachteil
anzurechnen (compensatio lucri cum damno). Der Beauftragte hat das Bestehen
der Vermögensvorteile zu behaupten und zu beweisen (E. 2).

Sachverhalt

    A.- L'hoirie O. et l'hoirie G. étaient propriétaires, en société
simple, de domaines agricoles, viticoles et arboricoles situés sur le
territoire de trois districts vaudois, ainsi que des actions de Z. S.A.,
propriétaire d'un domaine en Valais.

    Préoccupés d'assurer la continuité de l'exploitation, les hoirs ont
voulu adopter une structure juridique qui lie les générations futures et
évite un morcellement de ce patrimoine foncier.

    Ils ont consulté la société d'ingénieurs conseils B. S.A., qui leur
a suggéré de créer une ou plusieurs sociétés anonymes; examinant

les frais de l'opération, la société a indiqué, sur le plan fiscal,
qu'il faudrait payer les droits cantonaux de mutation pour les biens
immobiliers transférés aux sociétés anonymes et que ces droits seraient
calculés au taux de 3,3% sur le montant des estimations fiscales.

    Les hoirs ont également consulté la fiduciaire A. S.A., devenue par
la suite X. S.A. (ci-après: X.). Celle-ci, par l'entremise de son expert
fiscal, a conseillé de constituer une unique société anonyme et de lui
transférer l'ensemble des biens immobiliers, les membres de la société
simple devenant actionnaires de la nouvelle société. S'agissant des frais
de l'opération, X. a indiqué ce qui suit: "les conditions et coûts fiscaux
à la constitution sont identiques à ceux indiqués dans le rapport "B.",
pour la création de quatre sociétés anonymes".

    Les hoirs ont poursuivi le projet avec X. et ont constitué, le 14
décembre 1988, la société Y. S.A. (ci-après: Y.).

    Par convention du 29 juin 1989, les membres de la société simple ont
vendu les biens immobiliers, pour leur valeur comptable, à Y.

    L'Administration cantonale des impôts a déterminé les droits de
mutation, conformément à la loi, sur la base de la valeur réelle des
biens immobiliers, ne retenant ni la valeur d'estimation fiscale, ni la
valeur comptable, ni la valeur de rendement. Après diverses discussions
et démarches, le montant de cet impôt a été arrêté en dernier lieu à
936'666 fr. 25.

    Par ailleurs, l'Administration fédérale des contributions, prenant
en compte la reprise de biens, a perçu des droits de timbre d'émission
s'élevant à 359'149 fr. 50.

    Un expert a fixé à 1'150'616 fr. 05 la différence entre ce que les
hoirs ont pu penser devoir à titre d'impôt sur la base des renseignements
donnés par X. et le montant qui a dû être réellement versé.

    Les hoirs ont cédé à Y. leur créance contre X. en réparation du
dommage causé par la mauvaise exécution du mandat confié à cette société.

    B.- Reprochant à X., en tant que mandataire professionnel, d'avoir
donné des renseignements fiscaux inexacts et incomplets, Y., agissant
en qualité de cessionnaire, a déposé devant la Cour civile du Tribunal
cantonal vaudois une demande en réparation, concluant à ce que sa partie
adverse soit condamnée à lui verser la somme de 1'151'616 fr. 10 avec
intérêts.

    Par jugement du 26 octobre 1999, la cour cantonale a admis la demande
et, en se fondant sur le chiffre articulé par l'expert, a

condamné la défenderesse à payer à la demanderesse 1'150'616 fr. 05 en
capital, ainsi que 427'582 fr. 25 à titre d'intérêts compensatoires.

    Saisi d'un recours en réforme de la défenderesse, le Tribunal fédéral
a confirmé le jugement attaqué.

Auszug aus den Erwägungen:

                    Extrait des considérants:

Erwägung 2

    2.- a) Les hoirs ont chargé la recourante, qui a accepté, d'effectuer
une étude et de leur fournir des renseignements, notamment sur le coût
fiscal de la nouvelle structure juridique qu'ils envisageaient de mettre
en place.

    Les parties ont donc conclu un contrat de mandat (art. 394 al. 1 CO).

    b) Le mandataire doit exécuter avec soin la mission qui lui est confiée
et sauvegarder fidèlement les intérêts légitimes de son cocontractant
(art. 321a al. 1 CO applicable par le renvoi de l'art. 398 al. 1 CO). Il
est responsable envers le mandant de la bonne et fidèle exécution de sa
mission (art. 398 al. 2 CO).

    Si le mandant ne peut obtenir l'exécution de l'obligation ou ne peut
l'obtenir qu'imparfaitement, le mandataire est tenu de réparer le dommage
en résultant, à moins qu'il ne prouve qu'aucune faute ne lui est imputable
(art. 97 al. 1 CO).

    c) Chargée notamment de déterminer le coût fiscal de l'opération
envisagée, la recourante, consultée en tant que fiduciaire dotée d'un
expert fiscal renommé, avait l'obligation d'examiner la question
posée avec la diligence commandée par les circonstances. Par des
recherches appropriées, que ce soit en consultant des documents ou en se
renseignant à bonne source, elle devait déterminer les règles légales
ou jurisprudentielles applicables et, le cas échéant, la pratique
administrative.

    Il a été constaté en fait - d'une manière qui lie le Tribunal fédéral
saisi d'un recours en réforme (art. 63 al. 2 OJ) - que la recourante
a confirmé le coût fiscal déterminé préalablement par une société
d'ingénieurs conseils. Il n'apparaît pas qu'elle ait entrepris, alors même
qu'elle était mandatée en qualité de spécialiste, la moindre vérification
sérieuse pour en contrôler l'exactitude. Or, les renseignements fournis
se sont révélés gravement erronés.

    La société d'ingénieurs conseils avait soutenu qu'il serait possible,
en négociant avec l'administration fédérale, d'échapper aux droits de
timbre. La recourante n'a pas vérifié cette opinion en se renseignant
auprès de l'administration fiscale et n'a entrepris aucune négociation

avec elle. Les faits retenus par la cour cantonale montrent qu'il est
bien connu dans le milieu professionnel que l'administration fédérale
est stricte dans l'application de la loi. Il n'y avait donc aucun espoir
sérieux d'échapper à cet impôt. En confortant les hoirs dans l'idée que
cet impôt ne serait pas perçu, la recourante leur a donné avec légèreté
un renseignement dépourvu de tout fondement.

    La société d'ingénieurs conseils avait affirmé que les droits
de mutation cantonaux seraient calculés sur la base de la valeur
fiscale. La recourante ne devait pas confirmer ce renseignement sans
le vérifier avec l'attention commandée par les circonstances. Il a
été retenu, sans que cela ne soit remis en cause, que le renseignement
ne correspondait pas à la loi. Pour remplir soigneusement son mandat,
la défenderesse devait rechercher les dispositions applicables et les
examiner attentivement. Elle ne pouvait pas partir de l'idée que la loi ne
serait pas appliquée sans des éléments sérieux qui puissent fonder cette
conviction. La recourante affirme certes qu'elle s'est fiée à une pratique
constante de l'administration, mais la cour cantonale n'a pas constaté
l'existence d'une pratique dans ce sens. Déterminer s'il existe ou non un
usage est une question de fait qui ne peut être remise en cause dans un
recours en réforme (ATF 113 II 25 consid. 1a). Sur ce point également,
il faut constater que la défenderesse a donné sans fondement sérieux un
renseignement erroné et qu'elle n'a ainsi pas rempli avec soin la mission
qui lui était confiée.

    La recourante n'est pas parvenue à prouver que cette violation de son
devoir de diligence serait intervenue sans faute de sa part. On ne voit
pas en effet ce qui l'empêchait d'effectuer les recherches nécessaires,
notamment en se renseignant auprès de l'administration fiscale. Si le
personnel de la recourante n'avait pas les connaissances requises pour
traiter cette affaire, elle devait refuser le mandat ou faire appel à
une personne qualifiée.

    d) L'autorité cantonale a retenu que les hoirs n'auraient pas créé
la société anonyme s'ils en avaient connu le coût fiscal réel. Ainsi,
la cour cantonale n'a pas méconnu l'exigence et la notion de causalité
naturelle (cf. ATF 122 IV 17 consid. 2c/aa; 121 IV 207 consid. 2a). Quant
au constat de la causalité naturelle, il s'agit d'une question de fait qui
ne peut être revue dans un recours en réforme (ATF 123 III 110 consid. 2;
116 II 305 consid. 2c/ee; 115 II 440 consid. 5b). Dès lors que la cour
cantonale est parvenue à une conviction sur ce point, il n'y a pas de
place pour la violation de l'art. 8 CC invoquée par la recourante; en
effet, cette disposition ne dicte pas sur quelles bases et comment le
juge peut forger sa conviction (ATF 127 III 248

consid. 3a; 122 III 219 consid. 3c; 119 III 60 consid. 2c; 118 II 142
consid. 3a, 365 consid. 1).

    Si les hoirs, après avoir recueilli l'opinion d'une société
d'ingénieurs conseils, ont consulté une société fiduciaire sur le
coût fiscal de l'opération, c'est assurément qu'ils y attachaient de
l'importance et que cette question était de nature à influencer leur
décision de créer ou non une nouvelle structure juridique. Un expert a
d'ailleurs relevé que ce changement était relativement peu intéressant sur
le plan fiscal, ce qui confirme l'importance d'une évaluation correcte des
coûts. Dès lors qu'il a été constaté que les informations fournies étaient
gravement erronées, on peut admettre, selon le cours ordinaire des choses
et l'expérience de la vie, qu'une sous-estimation massive du coût fiscal
était de nature à déterminer les hoirs à créer une société anonyme, alors
qu'ils auraient pris une décision inverse s'ils avaient été correctement
renseignés; admettre en pareille circonstance l'existence d'un rapport
de causalité adéquate ne viole pas le droit fédéral (sur la notion de
causalité adéquate: cf. ATF 123 III 110 consid. 3a et les arrêts cités;
sur le pouvoir d'examen du Tribunal fédéral: cf. ATF 116 II 519 consid. 4a
et les arrêts cités).

    e) La recourante soutient que la cour cantonale a méconnu la notion
juridique du dommage.

    Dire qu'il y a eu un dommage et quelle en est la quotité est une
question de fait qui ne peut être revue dans un recours en réforme (ATF
127 III 73 consid. 3c; 126 III 388 consid. 8a; 123 III 241 consid. 3a);
en revanche, le Tribunal fédéral peut examiner si la notion juridique de
dommage a été méconnue, parce qu'il s'agit d'une question de droit fédéral
(ATF 127 III 73 consid. 3c; 120 II 296 consid. 3b).

    aa) Le dommage juridiquement reconnu réside dans la diminution
involontaire de la fortune nette; il correspond à la différence entre
le montant actuel du patrimoine du lésé et le montant qu'aurait ce même
patrimoine si l'événement dommageable ne s'était pas produit (ATF 127
III 73 consid. 4a; 126 III 388 consid. 11a et les arrêts cités). Le
dommage peut se présenter sous la forme d'une diminution de l'actif,
d'une augmentation du passif, d'une non-augmentation de l'actif ou d'une
non-diminution du passif (cf. ATF 122 IV 279 consid. 2a; 121 IV 104
consid. 2c).

    bb) La recourante semble vouloir poser préalablement une question de
légitimation active.

    Il est constant que la société intimée agit en tant que cessionnaire
de la créance des hoirs. Ces derniers, en tant que cocontractants, sont

légitimés pour réclamer à la recourante la réparation du dommage qu'ils
ont subi en raison de la mauvaise exécution du mandat.

    La créance invoquée en justice est fondée sur l'exécution défectueuse
du mandat de conseils conclu entre les hoirs et la recourante. Il ne
s'agit donc pas d'un problème de responsabilité dans la fondation d'une
société anonyme (art. 752 s. CO), de sorte que toute distinction entre
le dommage direct ou indirect subi par l'actionnaire n'a pas sa place ici.

    La recourante semble soutenir que l'intimée n'est pas en droit de
se plaindre des impôts qu'elle a dû payer, parce qu'elle n'est pas la
mandante, alors que les hoirs ne peuvent pas s'en plaindre non plus,
parce que ce ne sont pas eux mais la société qui est débitrice de l'impôt.

    Cette construction ne saurait être suivie.

    La société intimée a agi en tant que cessionnaire de la créance des
hoirs. Ces derniers, qui étaient membres d'une société simple, ont demandé
à la recourante de les renseigner notamment sur le coût fiscal de la
création d'une société anonyme qui modifierait la structure juridique
par laquelle ils exercent la maîtrise économique des biens-fonds;
il s'agissait, en veillant aux intérêts patrimoniaux des mandants,
d'étudier les conséquences pour eux d'un changement de situation, en
ce sens qu'ils devaient cesser d'être membres d'une société simple pour
devenir membres (actionnaires) d'une société anonyme. La société anonyme
envisagée n'était pas un tiers déjà existant, mais bien plutôt l'objet
de l'étude. Il est évident que tout impôt qui devrait être supporté par
la société anonyme envisagée aurait une incidence sur ses résultats et,
par voie de conséquence, sur la valeur intrinsèque des actions détenues
par les hoirs. Le mandat portant sur la détermination des impôts n'aurait
eu d'ailleurs aucun sens si l'on devait admettre que cette question ne
concernait pas les hoirs, parce qu'ils n'étaient pas personnellement
débiteurs des impôts. S'agissant de créer une société anonyme à caractère
familial, il est patent que tous les frais de fondation (y compris
les impôts) affectent d'un point de vue économique le patrimoine des
actionnaires fondateurs.

    cc) Il a été retenu que les hoirs n'auraient pas fondé la société
anonyme si la recourante ne leur avait pas donné, en violation du mandat,
des renseignements fiscaux erronés.

    Pour déterminer le dommage résultant de la mauvaise exécution du
mandat, il faut donc comparer l'état actuel du patrimoine des hoirs avec
l'état qu'il aurait eu si la société anonyme n'avait pas été fondée.

    Comme l'a relevé la cour cantonale, les hoirs n'auraient pas eu à
supporter économiquement les frais de constitution et l'ensemble des
impôts liés à la création de la société anonyme.

    Il faut cependant déduire de ces chiffres les avantages patrimoniaux
que les hoirs retirent de l'existence de la société anonyme qui a été
créée. Il s'agit ici d'opérer la compensatio lucri cum damno (ENGEL, Traité
des obligations en droit suisse, 2e éd., p. 505; DESCHENAUX/TERCIER, La
responsabilité civile, p. 219 s.; BREHM, Commentaire bernois, n. 27 ad
art. 42 CO; SCHNYDER, Commentaire bâlois, n. 7 ad art. 42 CO; HONSELL,
Schweizerisches Haftpflichtrecht, 3e éd., p. 81).

    L'existence de la société anonyme permet à l'hoir qui souhaiterait
aliéner son bien d'échapper à l'impôt spécial sur les gains
immobiliers. Cet avantage ne se réalise cependant que si l'un des hoirs
vend son bien. D'après l'état de fait souverain, aucun des hoirs n'a
ce projet. On ignore d'ailleurs totalement si l'un des hoirs vendra un
jour son bien. Il ne s'agit donc que d'un avantage futur et incertain,
qu'il est pratiquement impossible de chiffrer.

    L'existence de la société anonyme permet aussi d'éviter à l'avenir
un morcellement des biens-fonds et d'en maintenir la valeur en tant
qu'exploitation d'ensemble. Cet avantage ne se manifeste à nouveau que si
l'un des hoirs veut vendre son bien. Selon les constatations cantonales,
il n'existe aucun projet dans ce sens et il est incertain qu'un hoir
veuille jamais vendre son bien. Il s'agit donc à nouveau d'un avantage
futur hypothétique qu'il est quasiment impossible de calculer.

    L'art. 42 al. 2 CO est applicable par analogie lorsqu'il faut
déterminer le montant d'un avantage à imputer (DESCHENAUX/TERCIER,
op. cit., p. 220, n. 27).

    Comme les hoirs ont décidé de fonder la société anonyme, on doit en
déduire qu'ils évaluaient eux-mêmes les avantages non chiffrables à un
montant correspondant au coût de constitution et aux impôts qu'ils ont
accepté de payer. En déduisant ces sommes, la cour cantonale a fait une
saine application de l'art. 42 al. 2 CO.

    On peut certes se demander si l'avantage patrimonial n'était pas encore
supérieur. Il n'y a cependant aucune constatation cantonale qui permette
de le déduire. Il faut ici rappeler que la détermination de la quotité du
dommage relève du fait (ATF 127 III 73 consid. 3c; 126 III 388 consid. 8a)
et que, dans le cas d'une compensatio lucri cum damno, il appartenait à
la recourante d'alléguer et de prouver les faits permettant de constater
l'existence d'un avantage dont elle

puisse exiger l'imputation sur le montant du dommage (art. 8 CC). Il ne
ressort pas de l'état de fait définitif que la recourante aurait apporté
la preuve qui lui incombait et cette question ne peut être revue dans un
recours en réforme (cf. ATF 126 III 189 consid. 2a; 125 III 78 consid. 3a).

    Etant rappelé que le Tribunal fédéral n'est pas lié par l'argumentation
juridique cantonale (ATF 127 III 248 consid. 2c; 126 III 59 consid. 2a),
il en résulte que le jugement attaqué, au moins dans son résultat, ne
viole pas le droit fédéral.