Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 127 III 453



127 III 453

78. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 12 juillet 2001 dans la
cause Y. contre X. S.A. (recours en réforme) Regeste

    Aktienrecht; Haftung der Revisionsstelle; differenzierte Solidarität.

    Übergangsrecht, Anwendung von Art. 759 OR (E. 2).

    Voraussetzungen der Haftung der Revisionsstelle, der eine Unterlassung
vorgeworfen wird (E. 5).

    Herabsetzung des Schadenersatzes; Berechnungsmethode im Fall, in
welchem ein Teil des Schadens bereits durch andere Verantwortliche ersetzt
worden ist; Herabsetzungsfaktoren: Mitverschulden des Geschädigten und
geringe Entschädigung der Revisionsstelle (E. 8).

Sachverhalt

    Depuis 1965, la fiduciaire Z. a été chargée de la gestion
administrative de X. S.A.

    De 1982 à 1992, l'employé de la fiduciaire à qui les tâches de gestion
de X. S.A. avaient été confiées a abusé de sa position, pour prélever à son
profit un montant total de 1'017'991 fr. 65 au détriment de cette société.

    De 1965 à 1992, Y., employé puis directeur d'une succursale bancaire,
a occupé la fonction de contrôleur aux comptes de X. S.A. Il a touché
pour ce mandat une rémunération initiale de 500 fr. par an, qui a passé
à 1000 fr. et, finalement, à 1200 fr. Le contrôleur a toujours recommandé
l'approbation des comptes de X. S.A.

    Après la découverte des détournements, l'employé indélicat a remboursé
15'380 fr. 60 à X. S.A. Pour sa part, la fiduciaire Z. a versé 975'000
fr. à la société lésée.

    X. S.A. a introduit une action en justice contre Y. lui demandant le
paiement de 366'775 fr. 70.

    Le 23 mars 2001, le Tribunal cantonal valaisan a condamné Y.  à verser
à X. S.A. 18'407 fr. 30 à titre de réparation du préjudice subi et 136'092
fr. pour les intérêts compensatoires.

    Contre ce jugement, X. S.A. et Y. recourent tous deux en réforme au
Tribunal fédéral.

Auszug aus den Erwägungen:

                    Extrait des considérants:

Erwägung 2

    2.- a) Dans son jugement, la cour cantonale a admis que la
responsabilité du défendeur en tant qu'organe de contrôle était
engagée. Elle a retenu en substance que, de 1982 à 1992, il avait
fautivement violé son devoir de diligence lors de la vérification de la
comptabilité de la demanderesse et que, sans ces manquements répétés,
l'employé de la fiduciaire n'aurait pas pu détourner 1'017'991 fr. 65
au détriment de la société. Les juges ont mis à la charge du défendeur
le solde du dommage qui n'avait pas encore été réparé, à savoir 27'611
fr. 05, ainsi que les intérêts compensatoires calculés au taux de 5% sur
les sommes successivement détournées chaque année, soit 204'138 fr. Ces
montants ont été réduits d'un tiers, en raison d'une faute concomitante de
la demanderesse et de la faible rétribution du défendeur pour ses tâches
de contrôle.

    b) Comme les détournements non détectés par le défendeur ont été
commis du 31 décembre 1982 au 4 février 1992, c'est à juste titre que
la cour cantonale a examiné la responsabilité de l'organe de contrôle
sous l'angle de l'ancien droit de la société anonyme (PETER BÖCKLI,
Schweizer Aktienrecht, 2e éd., Zurich 1996, nos 2049 et 2054 p. 1122). En
revanche, c'est à la lumière du nouveau droit, soit de l'art. 759 CO, que
la question de la responsabilité solidaire, dans les rapports externes,
entre les différents organes, doit être examinée (consid. 5 non publié
de l'ATF 122 III 324, reproduit partiellement in RSDA 1996 p. 234 s.).

Erwägung 5

    5.- Le défendeur s'en prend ensuite aux conditions de sa
responsabilité, en invoquant l'absence de dommage et la rupture du lien
de causalité naturelle et adéquate.

    a) Selon l'art. 754 al. 1 aCO, toutes les personnes chargées de
l'administration, de la gestion ou du contrôle répondent, à l'égard de
la société, de même qu'envers chaque actionnaire ou créancier social,
du dommage qu'elles leur causent en manquant intentionnellement ou par
négligence à leurs devoirs. La responsabilité de l'organe de contrôle,
fondée sur cette disposition, suppose la réunion des quatre conditions
générales suivantes, à savoir un dommage, un manquement par l'organe
à ses devoirs, une faute (intentionnelle ou par négligence) et un lien
de causalité adéquate entre le manquement et le dommage (FORSTMOSER, La
responsabilité du réviseur en droit des sociétés anonymes, Zurich 1997,
p. 25 nos 13 ss).

    b) En ne procédant pas aux vérifications usuelles, en particulier
en ne contrôlant pas que le solde bancaire corresponde bien au solde
comptabilisé, le défendeur a violé fautivement ses obligations résultant
des art. 728 et 729 aCO (cf. ATF 116 II 533 consid. 5b p. 541 s.), ce
qu'il ne conteste pas.

    c) S'agissant du dommage, il convient de rappeler que la fixation
de celui-ci ressortit en principe au juge du fait. Saisi d'un recours
en réforme, le Tribunal fédéral n'intervient donc que si l'autorité
cantonale a méconnu la notion juridique du dommage ou si elle a violé
des principes juridiques relatifs au calcul du préjudice (ATF 127 III 73
consid. 3c p. 75; 126 III 388 consid. 8a; 120 II 296 consid. 3b p. 298
et les arrêts cités).

    Dans la mesure où, pour tenter de démontrer l'absence de dommage,
le défendeur s'écarte des constatations de fait ressortant du jugement
attaqué, son grief n'est pas recevable. Il en va de même lorsqu'il cherche
à se prévaloir d'éléments retenus dans le cadre d'une autre procédure
opposant la fiduciaire à son assurance responsabilité civile. La Cour de
céans ne saurait en tenir compte dans la présente cause, qui oppose des
parties différentes (cf. ATF 93 II 329 consid. 3b et c).

    Au demeurant, le dommage a été clairement établi, dès lors qu'il
ressort du jugement entrepris que l'employé indélicat a, par ses
détournements, causé un préjudice à la demanderesse chiffré à 1'017'911
fr. 65, dont il a remboursé 15'380 fr. 60, alors que la fiduciaire a
dédommagé la demanderesse à raison de 975'000 fr. En outre, rien n'indique
que la notion de dommage ait été méconnue ou que des principes juridiques
relatifs au calcul de celui-ci aient été violés. A cet égard, le défendeur
erre manifestement lorsqu'il soutient que la demanderesse aurait pu réduire
son dommage en demandant réparation à l'établissement bancaire ayant remis
les fonds à l'employé, puisque le propre de la solidarité est justement
de permettre au lésé de choisir le responsable auquel il entend demander
réparation (PIERRE TERCIER, La solidarité et les actions récursoires entre
les responsables d'un dommage selon le nouveau droit de la société anonyme,
in La responsabilité des administrateurs, Zurich 1994, p. 63 ss, 68 s.;
HEINRICH HONSELL, Schweizerisches Haftpflichtrecht, 3e éd., Zurich 2000,
§ 11 no 22).

    d) S'agissant de juger de l'existence d'un lien de causalité entre
une ou des omissions et un dommage, ce qui revient à déterminer le
cours hypothétique des événements, le Tribunal fédéral est lié par les
constatations cantonales, dès lors qu'elles ne reposent pas exclusivement
sur l'expérience de la vie, mais sur les faits établis par l'appréciation
des preuves (ATF 115 II 440 consid. 5b p. 448 s., confirmé in ATF 116
II 480 consid. 3a p. 486). En l'espèce, la cour cantonale a constaté, en
se fondant sur une expertise judiciaire, que, sans les lacunes répétées
lors du contrôle des comptes, les détournements illicites n'auraient pas
pu être opérés. Dans ces circonstances, l'existence du lien de causalité
adéquate doit être tenue pour établie.

    Le défendeur tente de se prévaloir d'une rupture de ce lien, en
invoquant les manquements du conseil d'administration de la demanderesse
et de la fiduciaire.

    La solidarité différenciée instituée par l'art. 759 al. 1 CO ne
s'oppose pas à ce que le comportement d'un responsable puisse, le cas
échéant, libérer son coresponsable solidaire s'il fait apparaître comme
inadéquate la relation de causalité entre le comportement de ce dernier et
le dommage (cf. ATF 112 II 138 consid. 4a). Il faut alors que la faute
du tiers ou de la personne lésée soit si lourde et si déraisonnable
qu'elle relègue le manquement en cause à l'arrière-plan, au point qu'il
n'apparaisse plus comme la cause adéquate du dommage (cf. ATF 123 III
306 consid. 5b p. 314; 116 II 422 consid. 3; 108 II 51 consid. 3 p. 54).

    La jurisprudence se montre stricte quant à la réalisation de ces
exigences (FORSTMOSER, op. cit., p. 67 no 180). Elle précise clairement
qu'une limitation (et, a fortiori, une libération) de la responsabilité
fondée sur la faute concurrente d'un tiers ne doit être admise qu'avec la
plus grande retenue si l'on veut éviter que la protection du lésé que vise,
d'après sa nature, la responsabilité solidaire de plusieurs débiteurs,
ne soit rendue en grande partie illusoire (cf. ATF 127 III 257 consid. 6b
p. 265; 112 II 138 consid. 4a p. 144).

    Dans le cas d'espèce, le défendeur développe une argumentation
appellatoire, faisant des comparaisons avec une autre affaire judiciaire,
ce qui n'est pas admissible (cf. ATF 127 III 257 consid. 5b in fine; 124
III 382 consid. 2b p. 386). Si l'on s'en tient aux faits constatés dans
le jugement entrepris (art. 63 al. 2 OJ), il apparaît que la demanderesse,
par son défaut de vigilance dans la remise de son sceau, et la fiduciaire,
en raison du manque de surveillance de son employé, n'ont certes pas eu un
comportement exempt de tout reproche. La fiduciaire a du reste rapidement
remboursé à la demanderesse près d'un million de francs. En revanche,
on ne voit pas qu'elles aient commis des manquements d'une gravité telle
qu'elle puisse interférer dans le lien de causalité adéquate entre le
défaut de vérification de l'organe de contrôle et les pertes subies par la
société à la suite des prélèvements indus, ce que le défendeur n'allègue
du reste même pas.

    Dans ces circonstances, la cour cantonale n'a pas violé le droit
fédéral en considérant que le comportement du défendeur, envisagé en
lui-même, remplissait les conditions de l'art. 754 aCO.

Erwägung 8

    8.- La responsabilité de l'organe de contrôle étant fondée, il reste
à se demander si la cour cantonale n'a pas violé le droit fédéral en
réduisant d'un tiers les dommages-intérêts dus par le défendeur. Sur ce
point, les deux parties critiquent le jugement entrepris.

    a) Pour fonder la réduction contestée, les juges ont pris en
considération deux éléments. Ils ont d'une part retenu une faute
concomitante de la demanderesse, lui reprochant d'avoir confié, sans
aucune précaution ni instruction, son sceau à la fiduciaire, tout en ne
pouvant ignorer que l'employé chargé des tâches de gestion disposait d'une
trop large liberté de manoeuvre; d'autre part, ils ont tenu compte de la
faible rétribution du défendeur pour son mandat de contrôleur. Celui-ci a
ainsi été condamné à verser les deux tiers du solde des montants détournés
qui s'élevait à 27'611 fr., à savoir 18'407 fr. Il a en outre été tenu de
rembourser à la société les deux tiers de l'intérêt compensatoire évalué
à 204'138 fr., soit 136'092 fr.

    b) La demanderesse soutient que ce mode de calcul viole l'art. 51
CO. Se fondant sur l'ATF 93 II 329, elle prétend que la cour cantonale
aurait dû calculer la réduction liée à sa faute additionnelle en partant
du dommage total, soit de 1'017'991 fr. 65. En diminuant ce montant d'un
tiers, le défendeur devrait lui rembourser au maximum 678'661 fr. 10. Il
aurait donc fallu le condamner au paiement de l'intégralité du solde du
dommage et de l'intérêt compensatoire.

    Un tel raisonnement est non seulement contraire aux règles sur la
répartition du dommage, mais contrevient aussi aux calculs opérés dans
l'arrêt susmentionné.

    Même si le but de la solidarité passive est d'améliorer la situation du
lésé (cf. ATF 117 II 50 consid. 5b), la solidarité différenciée applicable
en l'espèce ne saurait empêcher le responsable recherché d'obtenir une
réduction des dommages-intérêts dus si les conditions de l'art. 44 al.
1 CO sont réalisées (cf. BÖCKLI, op. cit., no 2025). En outre, si, en
matière de solidarité parfaite ou imparfaite chacun des débiteurs peut
être recherché pour le tout, lorsque l'un d'eux dédommage le lésé, il
éteint la dette en partie et libère les autres jusqu'à concurrence de la
portion éteinte (art. 147 al. 1 CO; cf. ATF 114 II 342 consid. 2b). Par
conséquent, le litige ne portait plus en l'espèce sur la totalité de la
perte initialement subie par la demanderesse, mais uniquement sur le solde
non remboursé par les autres débiteurs, soit sur 27'611 fr. plus 204'138
fr. d'intérêts compensatoires. Il est donc logique que la réduction ait
été calculée en fonction de ces montants et non du dommage total.

    Dans l'ATF 93 II 329 cité par la demanderesse, le Tribunal fédéral a
certes calculé la réduction d'un quart du dommage en raison de la faute du
lésé sur la base du montant total, mais, pour obtenir le montant final dû
par le responsable solidaire, il y a encore ajouté 1/3 correspondant à la
somme déjà remboursée par un autre débiteur. Par conséquent, la part de
5/12 mise à la charge du défendeur équivalait au dommage total, soit 1 -
[1/4 + 1/3] (ATF 93 II 329 consid. 7d p. 343). Ce mode de calcul, dont
il n'y a pas lieu d'examiner ici le bien-fondé, serait en l'occurrence
particulièrement défavorable à la demanderesse. En effet, sur un dommage
total (y compris les intérêts compensatoires) de 1'222'129 fr. 65 (1017'991
fr. 65 + 204'138 fr.), 990'380 fr. 60 ont déjà été remboursés, dont
975'000 fr. par la fiduciaire et 15'380 fr. 60 par l'employé indélicat,
ce qui correspond à une proportion de 4/5. Si on y ajoute la réduction de
1/3 prononcée, on parvient à 17/15, soit à un montant excédant la somme
à rembourser, de sorte que le défendeur ne devrait plus rien.

    c) Les deux parties s'en prennent aux facteurs de réduction retenus,
à savoir la faute concomitante de la demanderesse et la faible rémunération
du défendeur.

    Il ressort de l'art. 43 al. 1 CO, applicable par analogie en matière
de responsabilité contractuelle (art. 99 al. 3 CO), que le juge détermine
le mode ainsi que l'étendue de la réparation d'après les circonstances et
la gravité de la faute. Selon l'art. 44 al. 1 CO, le juge peut réduire les
dommages-intérêts ou même n'en point allouer, notamment lorsque les faits
dont la partie lésée est responsable ont contribué à créer le dommage,
à l'augmenter ou qu'ils ont aggravé la situation du débiteur. Cette
disposition laisse au juge un large pouvoir d'appréciation (ATF 117 II
156 consid. 3a p. 159).

    aa) La demanderesse tente en vain de démontrer qu'elle n'a pas commis
de faute, s'écartant des faits constatés dans le jugement entrepris. Comme
le défendeur, elle cherche à se prévaloir de la procédure ayant opposé
la fiduciaire à son assureur responsabilité civile, ce qui n'est pas
admissible (cf. supra consid. 5c). Si l'on s'en tient aux faits retenus,
il apparaît que la demanderesse a confié son sceau à la fiduciaire sans
aucune précaution ni instruction, alors qu'elle ne pouvait ignorer que
l'employé qui en disposait jouissait d'une liberté de manoeuvre qualifiée
de trop large. Dans ces circonstances, on ne peut reprocher à la cour
cantonale d'avoir admis que la société demanderesse avait adopté un
comportement fautif de nature à favoriser les agissements illicites de
l'employé en cause.

    bb) Concernant la faible rémunération de l'organe de contrôle,
il ressort de la jurisprudence que la diligence à observer par le
mandataire ne se mesure pas toujours selon des critères objectifs et que
les exigences en ce domaine sont moins élevées en cas de mandat gratuit
(cf. arrêt du Tribunal fédéral du 29 octobre 1997, partiellement publié
in SJ 1998 p. 198 consid. 4a in fine p. 202). Le Tribunal fédéral admet
ainsi que la gratuité peut constituer un facteur de limitation de la
responsabilité du mandataire, sous l'angle de l'art. 99 al. 2 CO (ATF
112 II 347 consid. 3b p. 355; 92 II 234 consid. 3d p. 242). La doctrine
partage cet avis (cf. WALTER FELLMANN, Commentaire bernois, art. 398 CO
no 497; ROLF H. WEBER, Commentaire bernois, art. 99 CO nos 138 et 146 ss;
du même auteur, Commentaire bâlois, art. 398 CO no 23; HUGO OSER/WILHELM
SCHÖNENBERGER, Commentaire zurichois, art. 398 CO no 1). Dans ce contexte,
il était admissible de tenir compte de la faible rémunération du défendeur
lors de la fixation des dommages-intérêts.

    Contrairement à ce que soutient la demanderesse, les critères de
réduction pris en considération par la cour cantonale ne violent donc
pas le droit fédéral. Sur cette base, les juges ont diminué d'un tiers
les dommages-intérêts dus par le défendeur. Celui-ci considère que cette
répartition lui est totalement défavorable, mais sans invoquer d'élément
permettant d'en inférer que la cour cantonale aurait abusé du large
pouvoir d'appréciation dont elle dispose en la matière.

    Dans ces circonstances, tant le recours en réforme de la demanderesse
que celui du défendeur doivent être rejetés et le jugement attaqué
confirmé.