Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 125 IV 206



125 IV 206

32. Extrait de l'arrêt de la Cour de cassation pénale du 10 août 1999
dans la cause Ligue Internationale contre le Racisme et l'Antisémitisme
et cons. et Ministère public du canton de Vaud contre X. (pourvois en
nullité) Regeste

    Art. 270 Abs. 1 BStP und Art. 261bis StGB.

    Beschwerdelegitimation von Verbänden und Einzelpersonen bei
Rassendiskriminierung (E. 2).

    Art. 261bis Abs. 4 StGB und Art. 27 StGB.

    Da Art. 261bis Abs. 4 StGB selbst die öffentliche Kundgabe von
diskriminierenden Äusserungen und Darstellungen unter Strafe stellt,
ist Art. 27 StGB in diesem Zusammenhang nicht anwendbar (E. 3).

Sachverhalt

    A.- a) Au début de l'année 1996, l'intellectuel français Roger Garaudy,
a publié - prétendument à compte d'auteur et sous l'adresse de "Samizdat
Roger Garaudy" - un nouvel ouvrage, intitulé "Les Mythes Fondateurs
de la politique israélienne", qui s'annonce comme une dénonciation de
l'"hérésie du sionisme politique" et de la politique actuelle d'Israël. La
seconde partie de cet ouvrage, qui traite des mythes du XXe siècle,
comporte notamment deux chapitres, intitulés "Le mythe de la justice de
Nüremberg" et "Le mythe des "six millions" (l'Holocauste)." En substance,
Garaudy conteste toute légitimité au jugement rendu contre les principaux
dignitaires nazis à Nüremberg, par ce qu'il estime être un tribunal de
vainqueurs et non un véritable tribunal international. Dans la foulée,
il dénie toute force probante aux constatations de ce tribunal. Il met
notamment en doute qu'un ordre d'extermination systématique des Juifs
ait été donné par les instances supérieures nazies et même qu'il ait
existé une politique nazie d'extermination délibérée des Juifs, que les
nazis aient eu recours à des chambres à gaz homicides et que les fours
crématoires installés dans les camps de concentration aient été un élément
de l'extermination planifiée des Juifs, que le nombre des victimes juives
de la Seconde Guerre mondiale ait été de six millions ou d'un chiffre
avoisinant et que les Juifs aient été victimes d'un génocide pendant
ce conflit.

    Une grande partie des affirmations de Garaudy rejoint celles
régulièrement développées depuis plusieurs décennies par de prétendus
chercheurs ou historiens, habituellement appelés négationistes ou
révisionnistes, qui tendent en substance à contester l'existence ou
l'ampleur de l'extermination délibérée des Juifs par le IIIe Reich ou
à mettre en doute certains épisodes particulièrement tragiques de cette
extermination. Il a d'ailleurs pu être établi que Garaudy avait des liens
avec un groupe actif de révisionnistes dirigé par un dénommé Z.

    Responsable de la maison d'édition "La Vieille Taupe", spécialisée dans
l'édition ou la réédition d'ouvrages révisionnistes, Z. publie aussi une
revue périodique, également intitulée "La Vieille Taupe." Avant son édition
publique, prétendument à compte d'auteur, l'ouvrage de Garaudy a fait
l'objet d'une prépublication sous forme d'un numéro de la revue précitée.

    b) Né en 1933, X., qui est au bénéfice d'une rente AI, exerce
accessoirement une petite activité indépendante en exploitant une librairie
de livres neufs et d'occasion, la "Libre R", installée à Montreux à
l'époque des faits.

    Etant abonné à "La Vieille Taupe", X., qui connaît au demeurant
Z. et ses amis, a reçu et lu le numéro de cette revue consacré au livre
de Garaudy et a décidé de distribuer ce livre en Suisse. Il a dès lors
fait l'acquisition, auprès de "La Vieille Taupe", d'un peu plus de deux
cents exemplaires de l'édition publique du livre, en a pris livraison à
Pontarlier, les a importés en Suisse et les a stockés dans sa librairie à
Montreux. Il a alors rédigé lui-même un feuillet publicitaire, comportant
d'un côté une photocopie de la couverture des "Mythes fondateurs de la
politique israélienne" et, de l'autre côté, d'une part (sur la moitié
droite de la page) un bon de commande, avec l'adresse de sa librairie,
d'autre part (sur la moitié gauche) un texte concocté par lui et ainsi
libellé:
      "LIBRE R COMMUNIQUE Après avoir, pendant plus d'un demi-siècle,
      publié plus de 50 ouvrages

    chez les plus grands éditeurs français traduits en 27 langues, et son

    oeuvre ayant suscité plus de 25 thèses et études, Roger Garaudy, né en

    1913, ancien déporté des camps de concentration du IIIème Reich,
se trouve

    contraint, aujourd'hui, de publier son dernier livre à compte d'auteur.
      Il s'agit là de l'exemple le plus incroyable, mais surtout le plus

    significatif du règne de la "pensée" unique, autrement dit du mensonge

    institutionnalisé, défendue en France comme en Suisse par une
législation

    répressive, qui restaure le délit d'opinion, suppléant ainsi à
la carence

    des arguments.
      Cet ouvrage n'est donc pas disponible sur le marché du livre. Comme
      Libre

    R entend continuer à faire son métier au service de la liberté

    d'expression, nous avons pris la décision de diffuser ce "samizdat" en

    Suisse. Nous sommes en mesure de vous le proposer au prix de Fr. 40.--

    l'exemplaire, franco de port.
      Il vous est possible, soit de nous le commander, au moyen du bon de

    commande ci-joint, soit de l'acheter à notre librairie, ouverte
tous les

    jours de 10h à 18h30 (samedi 17h).
      "La vérité est en marche et rien ne l'arrêtera." Roger Garaudy, Les

    mythes fondateurs de la politique israélienne, page 12."

    X. a diffusé ce feuillet dans le public. En particulier, il a obtenu
qu'il soit annexé au numéro 379, de mai 1996, du "Courrier du Continent",
un périodique sous-titré "Bulletin du nouvel ordre européen", dont le
rédacteur responsable est A., de tendance ouvertement révisionniste,
voire néo-nazie, et qui fait actuellement l'objet de poursuites pénales
sous l'inculpation de discrimination raciale.

    De mars à juin 1996, X., qui a aussi inséré dans des journaux des
annonces signalant que "Les Mythes fondateurs de la politique israélienne"
étaient en vente chez lui, a écoulé la plus grande partie des ouvrages
de Garaudy qu'il avait acquis. Certains lui ont été commandés par des
particuliers ou ont été achetés par des clients venus directement dans
sa boutique. D'autres, plus nombreux, lui ont été commandés par des
librairies.

    c) Le 23 mai 1996, la Section suisse de la Ligue Internationale contre
le Racisme et l'Antisémitisme (LICRA) a déposé plainte pénale, laquelle
a été suivie ultérieurement d'autres plaintes, déposées respectivement
par la Fédération Suisse des Communautés Israélites et Y. ainsi que
l'Association des Fils et Filles des Déportés Juifs de France.

    Une instruction pénale a été ouverte, dans le cadre de laquelle
une perquisition a été opérée dans la librairie de X.; elle a révélé
que celui-ci proposait à la vente, outre le livre de Garaudy, d'autres
ouvrages révisionnistes, qui, tous, par leur contenu, nient ou minimisent
grossièrement le génocide dont ont été victimes les Juifs pendant la
Seconde Guerre mondiale sur ordre du régime hitlérien.

    Au terme de l'instruction, X. a été renvoyé en jugement sous
l'accusation de discrimination raciale au sens de l'art. 261bis al. 4 CP.

    B.-  Par jugement du 8 décembre 1997, le Tribunal correctionnel
du district de Vevey a condamné X., pour discrimination raciale, à la
peine de quatre mois d'emprisonnement avec sursis pendant deux ans. Il a
considéré, en bref, que les conditions tant objectives que subjectives
de l'art. 261bis al. 4 CP étaient réalisées, excluant l'application de
l'art. 27 CP - dans sa teneur alors en vigueur - à l'infraction retenue.

    Le recours interjeté par X. contre ce jugement a été admis par arrêt de
la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal vaudois du 8 juin 1998. La
cour cantonale a estimé, en résumé, que, contrairement à ce qu'avaient
admis les premiers juges, l'art. 27 CP s'appliquait à l'infraction prévue
à l'art. 261bis al. 4 CP et que, l'auteur du livre ayant été condamné à
l'étranger, toutes les personnes qui n'assumaient qu'une responsabilité
subsidiaire à celle de l'auteur échappaient à la répression, à plus
forte raison un vendeur que l'art. 27 CP ne mentionne pas; elle a dès
lors libéré l'accusé de l'infraction retenue en première instance.

    C.-  La LICRA, la Fédération Suisse des Communautés Israélites et Y.,
l'Association des Fils et Filles des Déportés Juifs de France ainsi que le
Ministère public du canton de Vaud se pourvoient en nullité au Tribunal
fédéral. Invoquant une violation des art. 27 et 261bis CP, ils concluent
à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à l'autorité
cantonale pour nouvelle décision.

    L'intimé conclut au rejet des pourvois, en sollicitant l'assistance
judiciaire.

    Le Tribunal fédéral a admis le pourvoi du Ministère public et déclaré
irrecevables les autres pourvois.

Auszug aus den Erwägungen:

                    Extrait des considérants:

Erwägung 1

    1.-  Les pourvois, qui contiennent pour l'essentiel les mêmes griefs,
sont dirigés contre la même décision. Il se justifie donc de les réunir
et de les traiter dans un seul et même arrêt.

Erwägung 2

    2.- a) Selon l'art. 270 al. 1 PPF, le lésé peut se pourvoir en
nullité s'il était déjà partie à la procédure auparavant et dans la
mesure où la sentence peut avoir des effets sur le jugement de ses
prétentions civiles. Est lésé au sens de cette disposition celui qui
subit directement un dommage à raison de l'acte dénoncé ou dont le dommage
est directement menacé d'être augmenté par cet acte; en règle générale,
il s'agit du titulaire du bien juridique protégé par la disposition
légale à laquelle il a été contrevenu (ATF 120 IV 154 consid. 3c/cc
p. 159). Exceptionnellement, ont en outre qualité pour se pourvoir en
nullité les associations professionnelles et économiques ainsi que les
organisations de consommateurs dans le domaine de la concurrence déloyale
(art. 10 LCD, RS 241; ATF 120 IV 154 consid. 3c/cc p. 159). Une telle
réglementation n'existe pas en matière de discrimination raciale au sens de
l'art. 261bis CP. Les trois associations recourantes n'ont donc pas qualité
pour se pourvoir en nullité, de sorte que leurs pourvois sont irrecevables.

    b) Pour autant que - sous réserve de rares exceptions - une personne
puisse être lésée à titre individuel en raison de l'infraction en
cause, le recourant Y. n'a déclaré se pourvoir en nullité que "très
subsidiairement" en son propre nom et n'a motivé son pourvoi que pour
le compte de l'association qu'il représente; il est donc douteux que le
pourvoi soit suffisamment motivé dans la mesure où le recourant agit en
son propre nom. Quoi qu'il en soit, le recourant ne démontre en aucune
manière qu'il remplirait personnellement les conditions auxquelles un lésé
peut se pourvoir en nullité (cf. ATF 125 IV 109 consid. 1b p. 111; 123 IV
254 consid. 1 p. 256). Au demeurant, la décision attaquée libère l'intimé
sur la base de l'art. 27 CP, de sorte qu'elle ne pourrait influencer
négativement des prétentions civiles du recourant, qui n'invoque aucune
violation de son droit de plainte découlant du droit fédéral (cf. ATF 124
IV 188 consid. 1b/bb et 1c p. 191 s.). Le pourvoi de Y. est par conséquent
également irrecevable.

    c) S'agissant en revanche du Ministère public, il a incontestablement
qualité pour se pourvoir en nullité (cf. art. 270 al. 1 PPF), de sorte
qu'il y a lieu d'entrer en matière sur son pourvoi.

Erwägung 3

    3.-  Le Ministère public reproche à la cour cantonale d'avoir admis
que l'art. 27 CP s'applique à l'infraction réprimée par l'art. 261bis
al. 4 CP et d'avoir ainsi exclu cette infraction.

    a) Un nouvel art. 27 CP est entré en vigueur le 1er avril 1998. Comme
tant l'ancien que le nouvel art. 27 CP prévoient le principe d'un régime
spécial de responsabilité en matière de délits de presse et qu'il s'agit
avant tout d'examiner si l'infraction en cause est soumise à ce régime,
on peut se dispenser à ce stade d'examiner la question du droit le plus
favorable à l'intimé.

    b) Pour que l'art. 27 (ancien ou nouveau) CP soit applicable, il faut
que l'infraction en cause constitue un délit de presse, c'est-à-dire
qu'elle ait été commise par la voie de la presse et consommée par la
publication.

    En l'espèce, il est essentiellement reproché à l'intimé d'avoir diffusé
des livres à contenu discriminatoire au sens de l'art. 261bis al. 4 CP.
S'agissant d'écrits publiés, il n'est pas douteux que la première de ces
conditions, soit la commission par la voie de la presse, est réalisée.

    Pour ce qui est de la seconde condition, sa réalisation suppose que
la publication elle-même suffise à consommer juridiquement l'infraction.
Ainsi, l'art. 27 CP ne saurait notamment s'appliquer à l'escroquerie (art.
146 CP), au chantage (art. 156 CP) ou à la contrainte (art. 181 CP), dès
lors que la consommation de ces infractions suppose que le comportement
délictueux ait exercé un certain effet sur la victime (celle-ci doit avoir
été dupée, intimidée, etc.). En revanche, la jurisprudence a notamment
admis la réalisation de cette condition dans le cas des atteintes
à l'honneur (cf. ATF 122 IV 311 ss; 118 IV 153 consid. 4 p. 160 ss;
117 IV 27 consid. 2c p. 29; 106 IV 161 consid. 3 p. 164 s.; 105 IV 114
consid. 2a p. 118 s.), de la provocation et incitation à la violation de
devoirs militaires au sens de l'art. 276 ch. 1 CP (cf. ATF 100 IV 5 ss) et
de l'infraction réprimée par l'art. 3 LCD (cf. ATF 117 IV 364 consid. 2b p.
365). S'agissant de l'infraction réprimée par l'art. 261bis al. 4 CP,
il y a également lieu d'admettre que cette condition est remplie;
l'infraction est en effet consommée dès que l'auteur, publiquement et
d'une quelconque manière, abaisse ou discrimine d'une façon qui porte
atteinte à la dignité humaine une personne ou un groupe de personnes pour
l'un des motifs mentionnés par cette disposition, ou, pour l'un de ces
motifs, nie, minimise grossièrement ou cherche à justifier un génocide
ou d'autres crimes contre l'humanité.

    c) La réalisation des deux conditions précitées, si elle est
nécessaire, ne suffit cependant pas toujours pour que l'art. 27 CP soit
applicable. Encore faut-il que l'application de cette disposition à une
infraction déterminée n'aboutisse pas à un résultat contraire au but que
poursuivait le législateur en réprimant cette infraction. Lorsqu'une
disposition pénale a précisément pour but d'empêcher la publication
de certains propos ou représentations, autrement dit d'interdire des
publications illicites, mettre les responsables de telles publications au
bénéfice d'un régime spécial reviendrait à s'écarter du but poursuivi par
le législateur. Ainsi, les art. 135 et 197 ch. 3 CP ont été édictés en vue
d'interdire, aussi en sanctionnant divers comportements qui y aboutissent,
la publication de représentations de la violence et de pornographie dure;
accorder un traitement privilégié aux responsables de publications de
représentations de la violence ou de pornographie dure serait dès lors
en contradiction avec le but que poursuivait le législateur lorsqu'il a
édicté les art. 135 et 197 ch. 3 CP; de surcroît, si l'on voulait admettre
que l'art. 27 CP est applicable aux responsables de telles publications,
on aboutirait au résultat que ceux-ci pourraient être mieux traités que
les auteurs d'actes précédant la publication elle-même (la fabrication,
l'importation, la prise en dépôt, etc.). C'est d'ailleurs ce qui a conduit
certains auteurs de doctrine à écarter l'application de l'art. 27 CP à
ces infractions (cf. SCHULTZ, Die unerlaubte Veröffentlichung - ein
Pressedelikt? RPS 109/1991 p. 273 ss, 278; TRECHSEL, Kurzkommentar,
2ème éd. Zurich 1997, art. 27 no 4).

    Ce qui vient d'être dit pour les infractions sanctionnées par les
art. 135 et 197 ch. 3 CP vaut également pour celle qui est réprimée par
l'art. 261bis al. 4 CP. Cette disposition vise en effet précisément à
interdire, en réprimant les comportements qu'elle décrits, la manifestation
publique de propos ou représentations discriminatoires. Admettre
l'application de l'art. 27 CP à cette infraction serait donc contraire
au but que poursuivait le législateur en édictant l'art. 261bis al. 4 CP.

    d) Au vu de ce qui précède, c'est à tort que la cour cantonale a
admis l'application de l'art. 27 CP à l'infraction en cause. Le pourvoi
du Ministère public est donc fondé et doit dès lors être admis. En
conséquence, l'arrêt attaqué doit être annulé et la cause renvoyée à
l'autorité cantonale pour qu'elle statue à nouveau.