Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 120 IV 107



120 IV 107

19. Extrait de l'arrêt de la Cour de cassation pénale du 15 mars 1994
dans la cause R. AG c. B. et Ministère public du canton de Vaud (pourvoi
en nullité) Regeste

    Art. 270 Abs. 1 BStP; Legitimation des Strafantragstellers zur
eidgenössischen Nichtigkeitsbeschwerde, soweit es um Fragen des
Strafantragsrechts als solches geht (E. 1; Bestätigung der Rechtsprechung).

    Es verstösst nicht gegen Bundesrecht, einem Verfahren keine Folge zu
geben mit der Begründung, dass der Strafantragsteller die von der Behörde
verlangte Übersetzung seiner einige Seiten umfassenden Eingabe ohne Grund
erst mehr als zwei Jahre nach der Aufforderung nachgereicht hat (E. 2).

Sachverhalt

    A.- Par lettre du 31 mai 1991, la société R. AG a déposé plainte
auprès de la Préfecture de la Ville de Lucerne contre B. pour concurrence
déloyale. Le 11 juillet 1991, le préfet a écarté la plainte, s'estimant
incompétent ratione loci pour en connaître. Par une lettre datée du 17
juillet 1991, rédigée en allemand, R. AG a déposé plainte auprès du Juge
d'instruction du canton de Vaud contre B. pour concurrence déloyale; elle
a expliqué que cette démarche intervenait pour éviter la prescription de
la plainte, mais demandait que la cause soit suspendue jusqu'à décision
définitive sur la compétence des autorités lucernoises. Par lettre du
23 juillet 1991, le Juge d'instruction du canton de Vaud a demandé la
traduction en français de la plainte et des pièces produites. Le 23 août
1991, le Ministère public du canton de Lucerne a rejeté le recours formé
par R. AG contre la décision d'incompétence. La décision du Ministère
public est entrée en force.

    Ce n'est que par courrier du 27 septembre 1993, soit plus de deux ans
après la demande du Juge d'instruction du canton de Vaud et la décision
du Ministère public lucernois, que R. AG a adressé au magistrat vaudois
les traductions requises.

    B.- Le 18 octobre 1993, le Juge d'instruction du canton de Vaud rendit
une ordonnance de refus de suivre, estimant que la plainte était tardive.

    Par arrêt du 22 décembre 1993, le Tribunal d'accusation cantonal a
rejeté le recours formé contre cette décision par R. AG. Admettant que la
plainte avait été déposée en temps utile en langue allemande, le Tribunal
d'accusation a considéré que la recourante commettait un abus de droit en
demandant la reprise de la procédure après avoir autant tardé à envoyer
les traductions demandées.

    C.- Contre cet arrêt, R. AG, agissant par l'entremise de son avocat,
s'est pourvue en nullité à la Cour de cassation pénale du Tribunal
fédéral. Reprochant à l'autorité cantonale d'avoir appliqué à tort le
droit cantonal en lieu et place du droit fédéral et invoquant en outre
une violation des art. 28, 29, 70 et 71 CP, elle conclut à l'annulation
de la décision attaquée, avec suite de frais et dépens.

Auszug aus den Erwägungen:

                    Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- a) Le pourvoi en nullité à la Cour de cassation du Tribunal fédéral
est ouvert contre une ordonnance de non-lieu rendue en dernière instance
(art. 268 ch. 2 PPF; RS 312.0). Par ordonnance de non-lieu, il faut
entendre toute décision qui met fin à l'action pénale, au moins sur un chef
d'accusation, et qui est rendue par une autre autorité que la juridiction
de jugement (ATF 119 IV 92 consid. 1b; 117 IV 233 consid. 1b). Rendue
en dernière instance cantonale, la décision du Tribunal d'accusation
vaudois qui rejette un recours contre une décision de refus de suivre du
juge d'instruction met un terme à l'action pénale et constitue donc une
ordonnance de non-lieu au sens de l'art. 268 ch. 2 PPF.

    b) S'agissant de sa qualité pour se pourvoir en nullité, la recourante
fait valoir qu'elle est plaignante et que les délits de concurrence
déloyale énumérés à l'art. 23 LCD (RS 241) ne sont poursuivis que sur
plainte. Elle se réfère ainsi manifestement à l'ancien texte de l'art. 270
PPF, qui prévoyait un droit de recours du plaignant pour les infractions
qui ne sont poursuivies que sur plainte. Or, ce texte a été remplacé
par un nouvel article 270 PPF (RO 1992 p. 2473), entré en vigueur, avec
la loi fédérale sur l'aide aux victimes d'infractions (LAVI; RS 312.5)
du 4 octobre 1991, le 1er janvier 1993 (RO 1992 p. 2470). La décision du
Tribunal d'accusation a été rendue le 22 décembre 1993, sous l'empire
du nouveau droit, de sorte que les possibilités de l'attaquer par la
voie du pourvoi en nullité sont régies exclusivement par les nouvelles
dispositions.

    Selon le nouvel article 270 al. 1 PPF, "le lésé peut également se
pourvoir en nullité s'il était déjà partie à la procédure auparavant et
dans la mesure où la sentence peut avoir des effets sur le jugement de
ses prétentions civiles".

    La recourante fait valoir que son droit de plainte, tel qu'il est
consacré par le droit fédéral, a été méconnu par cette ordonnance de refus
de suivre rendue d'entrée de cause dans les circonstances d'espèce. La
jurisprudence a déjà admis que la qualité pour se pourvoir en nullité
devait être reconnue lorsque le litige porte sur le droit de plainte et
ses conditions (ATF 120 IV 44 ss). Il faut donc entrer en matière sous
cet angle.

Erwägung 2

    2.- a) La recourante invoque une violation des art. 28 et 29 CP. Elle
admet cependant elle-même que l'autorité cantonale a retenu qu'elle avait
valablement déposé plainte, en langue allemande, dans le délai légal. On ne
voit donc aucune trace d'une violation des art. 28 et 29 CP, concernant la
qualité et le délai pour porter plainte. Dans la mesure où la recourante
discute de l'application du droit cantonal, il n'y a pas lieu d'entrer
en matière, le pourvoi en nullité n'étant pas ouvert pour se plaindre
d'une éventuelle violation du droit cantonal (art. 269 al. 1 PPF).

    b) La recourante invoque également une violation des art. 70
et 71 CP concernant la prescription. Or, il apparaît d'emblée que le
Tribunal cantonal n'a pas retenu que l'action pénale était prescrite. Ces
dispositions, qui n'étaient pas applicables compte tenu du temps écoulé,
n'ont donc pas été violées par l'autorité cantonale.
   c) La recourante soutient que l'autorité cantonale a appliqué à tort le
droit cantonal en lieu et place du droit fédéral (cf. ATF 114 IV 178
consid. 2a, 107 IV 146 consid. 1).

    Le refus de suivre est fondé en l'espèce sur un motif touchant au
déroulement de la procédure. Or, la procédure relève en principe du droit
cantonal (art. 64bis al. 2 Cst.), de sorte que le droit cantonal peut
poser des exigences dont la violation provoque l'arrêt de la procédure
pénale; le droit fédéral n'exclut même pas, dans certaines limites, des
classements prononcés pour des raisons d'opportunité (cf. ATF 119 IV
92 consid. 3). Il reste que la procédure cantonale doit être aménagée
de manière à permettre l'application du droit fédéral (ATF 119 IV 92
consid. 3b); comme le refus de suivre a eu pour conséquence de ne pas
examiner s'il y avait ou non une infraction à la LCD, il faut entrer en
matière dans la mesure où la non-application du droit fédéral est en jeu
(ATF 117 IV 124 consid. 1b).

    L'autorité cantonale s'est référée à la règle prohibant l'abus
de droit, qui est étroitement liée au principe de la bonne foi,
qui s'applique également à la procédure pénale; cette règle permet à
l'autorité de corriger les effets de la loi dans certains cas où l'exercice
d'un droit prétendu créerait une injustice manifeste (ATF 115 IV 167
consid. 4b). S'agissant d'un principe général du droit suisse, on ne
saurait dire que le recours au principe de l'abus de droit viole, en soi,
le droit fédéral. Comme il permet d'écarter, dans certaines circonstances,
les dispositions normalement applicables, il n'est pas étonnant qu'il
ait les effets décrits par la recourante. Pour dire si l'application du
droit pénal fédéral a été écartée d'une manière compatible ou non avec
les règles de l'ordre juridique suisse, il faut examiner plus avant si
les circonstances justifiaient le recours au principe interdisant l'abus
de droit.

    La recourante avait déposé une plainte en langue allemande, demandant
expressément que son examen soit suspendu. Le Juge d'instruction a
répondu immédiatement en requérant une traduction de la plainte et de ses
annexes, ce qu'il était en droit de faire. La recourante devait en déduire
que rien ne serait entrepris avant qu'elle n'ait traduit les documents
nécessaires dans la langue du lieu. Bien que la question du for lucernois
ait été réglée rapidement, la recourante a attendu plus de deux ans avant
d'envoyer la traduction demandée, qui ne portait que sur quelques pages;
un tel délai est inexpliqué et incompréhensible. En exigeant que la plainte
soit déposée dans les trois mois (art. 29 CP), le législateur a voulu que
le lésé se détermine rapidement; admettre qu'en différant l'envoi des
traductions nécessaires, il puisse mettre en oeuvre la justice pénale,
selon son bon plaisir, même des années plus tard, irait manifestement
à l'encontre de la volonté du législateur fédéral. L'art. 6 ch. 1 CEDH
donne à l'accusé un droit à ce que sa cause soit tranchée dans un délai
raisonnable; ce droit - distinct des règles sur la prescription (ATF 117
IV 124 consid. 4a) - tient compte des intérêts légitimes de la personne
visée et peut conduire jusqu'à une interdiction de la poursuite pénale
(ATF 117 IV 124 consid. 4c et d). Il n'est donc pas en soi contraire
au droit fédéral de considérer qu'une inaction prolongée de l'autorité,
imposée par l'attitude du plaignant, doit entraîner l'arrêt de l'action
pénale au-delà d'un délai raisonnable. Le droit fédéral n'exclut d'ailleurs
pas, dans certaines limites, un classement de la procédure pénale pour
des raisons d'opportunité (cf. ATF 119 IV 92 consid. 3). Or, dans la
tradition de l'opportunité de la poursuite, le fait que le plaignant,
dans le cas des infractions qui ne sont poursuivies que sur plainte, ne
collabore pas à l'enquête préliminaire dans la mesure que l'on pouvait
exiger de lui, notamment en tardant de manière inexplicable à renseigner
l'autorité, constitue un motif reconnu de classement en opportunité
(DINICHERT/BERTOSSA/GAILLARD, Procédure pénale genevoise, SJ 1986 p. 470
s. no 2.2 et 2.3). Selon la jurisprudence, un classement en opportunité
viole le droit fédéral lorsqu'il en résulte que l'autorité compétente se
refuse par principe à appliquer une disposition du droit pénal, qu'elle
en modifie le contenu, notamment en ajoutant des éléments constitutifs
de l'infraction, qu'elle l'applique ou l'interprète faussement ou encore
que son refus dans le cas d'espèce ne repose sur aucun motif raisonnable,
de telle sorte qu'il équivaut à un refus d'appliquer le droit fédéral
(ATF 119 IV 92 consid. 3b). En l'espèce, il n'apparaît nullement que
l'autorité cantonale se refuserait, de façon générale, à appliquer
l'art. 23 LCD, qu'elle en modifierait le contenu, qu'elle l'aurait
mal appliqué ou interprété. Le refus de suivre est fondé sur un motif
raisonnable, compatible avec les principes du droit fédéral; en effet, on
peut déjà déduire de l'art. 29 CP que le législateur fédéral a voulu que le
plaignant se détermine rapidement; quant à l'art. 6 ch. 1 CEDH, il attire
l'attention sur l'intérêt légitime de la personne visée à être fixée sur
son sort dans un délai raisonnable; l'interdiction de l'abus de droit est
un principe général du droit suisse qui permet d'écarter les dispositions
normalement applicables lorsqu'elles conduiraient à un résultat injuste;
or, il est choquant qu'un plaignant ne réponde pas pendant des années à
une demande de traduction de quelques pages, manifestant ainsi qu'il se
désintéresse de la procédure, puis soudainement, selon son bon plaisir,
exige longtemps plus tard la mise en oeuvre de la poursuite pénale. Un tel
refus de suivre est fondé sur des circonstances propres au cas d'espèce,
qui apparaissent raisonnables; il n'équivaut nullement à un refus général
d'appliquer la disposition pénale concernée. Un tel refus de suivre,
fondé sur des motifs procéduraux, ne viole pas le droit fédéral.

    Il n'y a pas à examiner si cette décision est compatible avec la
procédure cantonale, puisque le pourvoi en nullité n'est pas ouvert pour
se plaindre d'une violation du droit cantonal (art. 269 al. 1 PPF). Le
pourvoi doit donc être rejeté dans la mesure où il est recevable.