Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 120 IA 89



120 Ia 89

13. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit public du 3 mars 1994 dans
la cause Fédération suisse des entreprises de travail temporaire (FSETT),
Manpower SA, Adia Interim SA et Ecco SA contre Grand Conseil du canton
de Genève (recours de droit public) Regeste

    Art. 2 ÜbBest. BV; Vereinbarkeit der kantonalen Gesetzgebung mit
dem Bundesrecht.

    Art. 8 des Genfer Gesetzes über die Arbeitsvermittlung und den
Personalverleih ist mit dem Grundsatz der derogatorischen Kraft des
Bundesrechts nicht vereinbar, weil diese Bestimmung von der in Art. 20
des Bundesgesetzes über die Arbeitsvermittlung und den Personalverleih
getroffenen Regelung, welche abschliessenden Charakter hat, abweicht
(E. 2, 3).

Sachverhalt

    A.- Le Grand Conseil du canton de Genève a adopté, le 18 septembre
1992, la loi sur le service de l'emploi et la location de services
(ci-après: LSE/GE). Cette loi devait remplacer une loi cantonale sur le
service de l'emploi du 30 avril 1955 et adapter le droit genevois aux
innovations introduites par la loi fédérale sur le service de l'emploi
et la location de services du 6 octobre 1989 (LSE; RS 823.11), entrée
en vigueur le 1er juillet 1991. A l'instar de la législation fédérale,
la loi genevoise du 18 septembre 1992 règle le placement privé et la
location de services, ainsi que le service public de l'emploi.

    Agissant par la voie du recours de droit public, la Fédération
suisse des entreprises de travail temporaire (FSETT), Manpower SA, Adia
Interim SA, et Ecco SA demandent au Tribunal fédéral d'annuler l'art. 8
LSE/GE. Elles invoquent une violation du principe de la force dérogatoire
du droit fédéral (art. 2 Disp. trans. Cst.) et de la liberté du commerce
et de l'industrie (art. 31 Cst.).

    Le Tribunal fédéral a admis le recours.

Auszug aus den Erwägungen:

                  Extrait des considérants:

Erwägung 2

    2.- Les recourantes font tout d'abord valoir que l'art. 8 LSE/GE
violerait le principe de la force dérogatoire du droit fédéral, puisque
la loi fédérale du 6 octobre 1989 réglerait de manière exhaustive la
location de services et ne laisserait pas de place pour une réglementation
cantonale.

    a) Généralement rattaché à l'art. 2 Disp. trans. Cst., le principe
de la force dérogatoire du droit fédéral entre en considération chaque
fois qu'une règle de droit cantonal n'est pas en harmonie avec le droit
fédéral. Pour le Tribunal fédéral, il s'agit alors principalement
d'interpréter des dispositions de droit fédéral, de sorte qu'il
vérifie avec un libre pouvoir d'examen, et non sous l'angle restreint de
l'arbitraire, si la norme cantonale critiquée est compatible avec le droit
fédéral (ATF 118 Ia 299 consid. 3a p. 301; 117 Ia 472 consid. 2a p. 474).

    b) Dans les domaines régis par le droit civil fédéral, les cantons
conservent la compétence d'édicter des règles de droit public en vertu de
l'art. 6 CC. Cependant, selon la jurisprudence, ils ne peuvent le faire
dans une matière déterminée que si les trois conditions suivantes sont
remplies: le législateur fédéral n'a pas entendu réglementer la matière de
façon exhaustive, les règles cantonales sont motivées par un intérêt public
pertinent et enfin lesdites règles n'éludent pas le droit civil fédéral,
ni n'en contredisent le sens ou l'esprit (ATF 116 Ia 264 consid. 4a p. 272;
113 Ia 126 consid. 9a p. 141; 109 Ia 61 consid. 2a p. 66).

    Quant au droit public fédéral, il prime d'emblée et toujours le droit
public cantonal dans les domaines que la Constitution ou un arrêté fédéral
urgent place dans la compétence de la Confédération et que cette dernière
a effectivement réglementés. Ainsi, les règles cantonales qui seraient
contraires au droit fédéral, notamment par leur but ou les moyens qu'elles
mettent en oeuvre, doivent céder le pas devant le droit fédéral. Mais
le principe de la force dérogatoire du droit fédéral n'exclut une
réglementation cantonale que dans les matières que le législateur fédéral
a entendu régler de façon exhaustive (ATF 117 Ia 27 consid. 7c p. 34 et 472
consid. 2a p. 473). Dès lors, les cantons restent compétents pour édicter,
dans les autres domaines, des dispositions de droit public dont les buts
et les moyens envisagés convergent avec ceux que prévoit le droit fédéral
(ATF 113 Ia 126 consid. 9b p. 142; 109 Ia 61 consid. 2a p. 67).

    Il convient donc d'examiner dans chaque cas si le législateur fédéral
a voulu réglementer complètement et exclusivement la matière en cause
(BERENSTEIN, Etudes de droit social 1936-1977 - Hommage de la Faculté de
droit, Genève 1979, p. 163).

    c) Se fondant sur les art. 31bis 2ème al., 34ter 1er al. lettres a
et e, 64 2ème al. et 64bis Cst., le législateur fédéral a adopté le 6
octobre 1989 la loi fédérale sur le service de l'emploi et la location
de services, qui a, en particulier, pour but de régir le placement
privé de personnel et la location de services ainsi que de protéger
les travailleurs qui recourent au placement privé, au service public
de l'emploi ou à la location de services (art. 1er lettres a et c LSE;
Message du Conseil fédéral du 27 novembre 1985, FF 1985 III 524 ss). A la
différence de la loi fédérale du 22 juin 1951 sur le service de l'emploi -
muette sur ce point (ATF 109 Ia 61 consid. 2b p. 68) -, la législation
actuelle réglemente la location de services de manière très complète;
elle lui consacre même douze articles (art. 12 à 23 LSE), sans compter
les dispositions générales relatives aux autorités, aux voies de recours
et aux dispositions pénales (chap. 6 à 8 LSE). Elle impose en particulier
aux bailleurs de services un régime d'autorisation obligatoire (art. 12
ss LSE), les astreint à fournir des sûretés (art. 14 LSE) et les soumet
à une obligation de renseigner (art. 17 LSE). La publication d'offres
d'emploi (art. 18 LSE), la forme et le contenu du contrat de travail
conclu entre le bailleur de services et le travailleur (art. 19 LSE),
ainsi que ceux du contrat de location de services entre le bailleur et
l'entreprise locataire (art. 22 LSE) sont réglementés strictement.

    d) En ce qui concerne plus particulièrement les clauses du contrat
de travail liant le travailleur au bailleur de services, l'art. 20 LSE
prévoit que "lorsqu'une entreprise locataire de services est soumise à une
convention collective de travail avec déclaration d'extension, le bailleur
de services doit appliquer au travailleur celles des dispositions de la
convention qui concernent le salaire et la durée du travail". Cet article,
conforme - sous réserve de modifications purement formelles - au projet du
Conseil fédéral, a été adopté après des débats parlementaires nourris. On a
alors examiné de manière approfondie deux possibilités: d'une part, mettre
le travailleur au bénéfice non seulement des conventions collectives avec
déclaration d'extension, mais encore de toutes les conventions collectives;
d'autre part, tenir compte de l'ensemble des conditions de salaire et de
travail de ces conventions, et non pas uniquement des dispositions sur le
salaire et la durée du travail (BO 1987 CN 205 ss; BO 1988 CE 582 ss; BO
1989 CN 255 ss et 1248 ss, CE 355 ss). Les solutions les plus généreuses
ont été finalement écartées principalement pour des motifs pratiques
(cf. interventions de M. Allenspach, BO 1987 CN 205, BO 1989 CN 255)
et en raison des spécificités du travail temporaire (cf. intervention de
M. Delamuraz, BO 1988 CE 583).

    Dès lors, contrairement à l'avis exprimé par l'autorité intimée, rien
ne permet de penser que le législateur fédéral n'entendait pas régler la
matière de l'art. 20 LSE de façon exhaustive et uniforme pour toutes les
entreprises bailleresses de services et leurs travailleurs en Suisse. Le
Conseil fédéral disait d'ailleurs dans son message (FF 1985 III 607) que
des prescriptions cantonales concernant le service de l'emploi restaient
réservées, à condition qu'elles soient conforme à l'objectif de la loi,
la Confédération n'ayant pas fait usage de toutes les compétences qui lui
sont dévolues en vertu de l'art. 34ter al. 1 lettre e Cst. Il précisait
cependant que la réglementation de police du commerce en matière de
placement privé et de location de services, reposant sur l'art. 31bis al. 2
Cst., était "définitive" (dans la version allemande: "abschliessend") et
qu'il en allait de même des dispositions sur la protection des travailleurs
dans les opérations de placement et de location de services (art. 34ter
al. 1 lettre a Cst.). En principe, l'art. 20 LSE ne laisse donc aucune
place pour une réglementation cantonale divergente. Il est au surplus
sans importance que la législation fédérale ne contienne pas de clause
abrogeant expressément des dispositions contraires de droit cantonal, ces
dernières étant nulles de plein droit, dans la mesure où elles dérogent
au droit fédéral (SALADIN, Commentaire de la Constitution fédérale de la
Confédération suisse, n. 41 ss ad art. 2 Disp. trans. Cst.).

Erwägung 3

    3.- a) Appelé à procéder au contrôle abstrait de la constitutionnalité
de prescriptions légales ou réglementaires cantonales, le Tribunal fédéral
recherche s'il est possible, selon les principes d'interprétation reconnus,
de donner à la norme attaquée une portée qui la fasse apparaître comme
conforme à la Constitution. Il n'annule la disposition entreprise que si
elle ne se prête à aucune interprétation compatible avec la Constitution;
il ne le fait pas si une de ces interprétations peut être admise de façon
soutenable (ATF 118 Ia 305 consid. 1f p. 309; 116 Ia 359 consid. 10c
p. 380; 114 Ia 350 consid. 2 p. 354).
   b) L'art. 8 LSE/GE a la teneur suivante:

    "Le Conseil d'Etat veille à ce que les salaires bruts et les
prestations
   sociales soient conformes en matière de location de services aux normes
   usuelles de la profession dans laquelle le personnel exerce sa mission.

    Il désigne l'autorité compétente chargée de l'exécution des
prescriptions
   mentionnées à l'alinéa 1."

    Cette disposition s'écarte sur deux points de l'art. 20 LSE:
d'une part, les bailleurs doivent se référer aux normes usuelles de la
profession définies par l'autorité administrative genevoise, et non aux
seules conventions collectives avec déclaration d'extension; d'autre part,
ces normes s'appliquent non seulement au salaire et à la durée du travail,
mais encore à toutes les prestations sociales.

    c) L'autorité intimée soutient que cette législation n'enfreindrait pas
le principe de la force dérogatoire du droit fédéral, car - sous réserve
de modifications rédactionnelles (Mémorial des séances du Grand Conseil
du canton de Genève 1992 p. 2678) - elle reprendrait une réglementation
précédente que le Tribunal fédéral avait jugée compatible avec la loi
fédérale du 22 juin 1951 sur le service de l'emploi (ATF 109 Ia 61 ss).

    Sous l'empire de la loi fédérale du 22 juin 1951, le législateur
fédéral n'avait pas usé de ses compétences dans le domaine de la location
de services, de sorte que la loi genevoise du 30 avril 1955 n'empiétait
pas sur des prérogatives réservées exclusivement à la Confédération ou
que le législateur fédéral aurait exercées de façon exhaustive (ATF 109
Ia 61 consid. 2b p. 68/69). Ce n'est plus le cas avec la loi fédérale
du 6 octobre 1989: le législateur fédéral a réglementé exhaustivement la
matière après de longs débats et a choisi une solution avec laquelle le
droit genevois n'est manifestement pas en accord.

    d) L'autorité intimée fait encore valoir que l'art. 20 LSE fixerait
une réglementation, certes impérative, mais minimum, qui réserverait
aux cantons le droit d'adopter une législation plus ambitieuse. Ainsi,
l'art. 8 LSE/GE serait en accord avec l'art. 20 LSE dans la mesure où,
élaboré en collaboration avec les partenaires sociaux, il renforcerait
la protection des travailleurs sans poser aux bailleurs de services de
problèmes pratiques insurmontables.

    Il est vrai que la législation genevoise renvoie aux normes usuelles
des branches économiques (au nombre d'une trentaine et présentées
sous forme de résumés accessibles, selon l'autorité intimée) et non
à l'ensemble des conventions collectives, avec ou sans déclaration
d'extension; par conséquent, comme l'a démontré la mise en oeuvre de
la législation genevoise précédente, les craintes exprimées par les
parlementaires fédéraux quant à l'application de l'ensemble des conventions
collectives perdraient tout ou partie de leur fondement. L'autorité intimée
a vraisemblablement également raison lorsqu'elle souligne que la protection
ainsi assurée serait plus étendue et assurerait une meilleure égalité des
conditions de travail aux travailleurs temporaires par rapport à ceux qui
sont intégrés dans l'entreprise locataire. Il n'en demeure pas moins qu'en
matière de protection des travailleurs (art. 34ter al. 1 lettre a Cst.),
le législateur fédéral a entendu épuiser ses compétences (cf. consid. 2d).

    e) Aucun des arguments de l'autorité intimée ne permet ainsi
d'interpréter la disposition attaquée conformément au droit fédéral. C'est
en raison du caractère complet et exclusif de la législation fédérale
dans ce domaine qu'il ne subsiste aucune compétence cantonale. Si tel
n'était pas le cas, la disposition genevoise litigieuse - qui traite des
conditions de travail - ne devrait pas obligatoirement être abrogée, car
elle ne dérogerait pas forcément au droit fédéral (BERENSTEIN, op.cit.,
p. 162 et 170). Mais en l'espèce, l'art. 8 LSE/GE déroge à l'art. 20
LSE et viole par conséquent l'art. 2 Disp. trans. Cst.