Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 120 IA 240



120 Ia 240

36. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour civile du 17 novembre 1994 dans la
cause X. SA contre Bourgeoisie de C. (recours de droit public) Regeste

    Art. 59 BV. Gerichtsstandsgarantie im Zusammenhang mit einem im Rahmen
vorsorglicher Massnahmen vorgemerkten Rückkaufsrecht.

    Rückkaufsrecht bezüglich eines Grundstücks, das nicht im
Wohnsitzkanton des Eigentümers gelegen ist: Art. 59 BV verbietet es
dem Rückkaufsberechtigten, den Richter am Ort der gelegenen Sache
anzurufen, um mittels vorsorglicher Massnahmen die Vormerkung einer
Verfügungsbeschränkung im Sinne von Art. 960 Abs. 1 Ziff. 1 ZGB zu
erwirken.

Sachverhalt

    A.- Par acte authentique du 9 décembre 1971, la Bourgeoisie de
C. (Jura) a vendu à Y. SA, à Moutier, l'immeuble désigné au feuillet no
2313 du ban de C. En même temps, l'acheteuse a concédé à la venderesse
un droit de réméré. Le contrat précise que ce droit pourra être exercé
si le terrain n'est pas utilisé comme prévu dans un délai de quinze
ans et qu'il sera annoté au registre foncier pour une durée de dix ans,
à compter du jour de l'inscription. Celle-ci a eu lieu le 1er mars 1972.

    Le 23 novembre 1977, le feuillet no 2313 a été échangé entre les
parties contre le feuillet no 2397. Un nouveau droit de réméré a été
constitué aux mêmes conditions que le précédent. L'annotation indique:
"droit de réméré jusqu'au 1er mars 1982, au profit de la Bourgeoisie de
C. ..."

    X. SA, à Moutier, qui a succédé à Y. SA, a contesté l'exercice du
droit de réméré. Par requête de mesures provisoires du 17 février 1994,
la Bourgeoisie de C. a demandé au Président du Tribunal du district de
Delémont d'ordonner l'annotation d'une restriction du droit d'aliéner au
sens de l'art. 960 al. 1 ch. 1 CC grevant le feuillet no 2397 du ban de
C. L'intimée a conclu à l'irrecevabilité de la requête en se prévalant
du for de son domicile garanti par l'art. 59 Cst. Le 28 mars 1994, le
président a ordonné l'annotation requise et a fixé à la requérante un
délai de deux mois pour agir au fond.

    B.- Statuant le 10 juin 1994 sur appel de X. SA, la Cour civile du
Tribunal cantonal du canton du Jura a confirmé cette décision et a fixé
à la Bourgeoisie de C. un nouveau délai de deux mois pour introduire
son action.

    C.- X. SA a formé un recours de droit public pour violation de
l'art. 59 Cst. Elle conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué.

    Le Tribunal fédéral a admis le recours.

Auszug aus den Erwägungen:

                  Extrait des considérants:

Erwägung 1

    1.- La protection de l'art. 59 Cst. peut être invoquée par tout
justiciable solvable domicilié en Suisse, que ce soit une personne physique
ou une personne morale (ATF 101 Ia 39 consid. 1 p. 41) et chaque fois
que le juge se prononce sur sa compétence à raison du lieu (cf. ATF 102
Ia 188 consid. 1 p. 190). Les règles sur le for naturel s'appliquent
également aux mesures provisoires, en tout cas lorsqu'elles ont pour
objet d'assurer le maintien de l'état de fait ou de garantir des droits
échus (arrêt Candino Watch, du 6 décembre 1982, publié in Schweizerische
Mitteilungen über Gewerblichen Rechtsschutz und Urheberrecht 1983 p. 153
ss consid. 3b p. 156-158; cf. VINCENT PELET, Mesures provisionnelles:
droit fédéral ou cantonal? (Lausanne 1987) p. 67/68 nos 81 et 83).

    Dirigé contre une décision prise en dernière instance cantonale
(art. 86 al. 1 OJ) confirmant des mesures provisoires destinées à garantir
l'exécution d'un droit litigieux (art. 960 al. 1 ch. 1 CC), en l'espèce un
droit de réméré (art. 959 CC), avant l'ouverture de l'action au fond,
et exercé par une personne morale solvable domiciliée en Suisse qui
invoque la protection de l'art. 59 Cst., le recours est recevable.

Erwägung 2

    2.- L'art. 59 Cst. dispose notamment que, pour réclamations
personnelles, le débiteur solvable ayant domicile en Suisse doit être
recherché devant le juge de son domicile.

    En garantissant le for naturel du défendeur, la Constitution fédérale
limite la compétence juridictionnelle des cantons (comme celle des Etats
étrangers) (ATF 102 Ia 406 consid. 1b p. 409). L'art. 59 Cst. concerne donc
les relations entre les cantons et il organise la solution des conflits
possibles entre des législations divergentes (BLAISE KNAPP, Commentaire de
la Constitution fédérale de la Confédération suisse, III, ad art. 59 nos 1
et 5; HÄFELIN/HALLER, Schweizerisches Bundesstaatsrecht, 3e éd., p. 518 no
1663; YVO HANGARTNER, Grundzüge des schweizerischen Staatsrechts, Band II,
p. 217). Cette règle constitutionnelle a ainsi un caractère intercantonal,
par opposition aux règles de procédure cantonales sur la compétence
territoriale des tribunaux, qui n'ont qu'une portée intracantonale (KNAPP,
op.cit., no 10; OSCAR VOGEL, Grundriss des Zivilprozessrechts, 3e éd., p.
86 no 7a; HÄFELIN/HALLER, op.cit., p. 518 no 1663).

    Le Tribunal cantonal a confirmé la compétence des tribunaux jurassiens
et, plus particulièrement, celle du Président du Tribunal du district
de Delémont, en application des art. 327 ch. 3 et 328 al. 2 du Code de
procédure civile jurassien. Comme la question litigieuse portait uniquement
sur le choix entre un for bernois et un for jurassien, soit sur un for
intercantonal, l'autorité cantonale s'est trompée en fondant son arrêt
sur des dispositions de procédure cantonale pour résoudre le problème:
ces règles ne permettent que de déterminer la compétence des tribunaux
jurassiens, un for intracantonal.

    Certes, le Tribunal cantonal a également examiné la portée de l'art. 59
Cst., pour conclure, en se référant à la jurisprudence du Tribunal fédéral
(ATF 92 I 36), que le droit constitutionnel n'exclut pas en principe le
for du lieu de situation de l'immeuble lorsqu'un droit personnel indiqué
à l'art. 959 CC, comme le droit de réméré, ou une restriction du droit
d'aliéner un immeuble selon l'art. 960 al. 1 ch. 1 CC ont été annotés au
registre foncier. Toutefois, cette jurisprudence n'est pas déterminante
en l'espèce, puisque le droit personnel qu'entend invoquer la Bourgeoisie
de C. n'est plus annoté au registre foncier et que l'immeuble litigieux
n'est pas non plus grevé d'une restriction du droit d'aliéner.

Erwägung 3

    3.- La recourante est une société anonyme solvable dont le siège est
à Moutier. Elle peut donc refuser de procéder sur une action introduite
contre elle devant un autre juge que celui de son domicile si l'action
a pour objet une réclamation personnelle au sens de l'art. 59 Cst.

    a) Pour savoir si l'art. 59 Cst. s'applique, c'est la nature juridique
de la prétention litigieuse qui est décisive, nature qui résulte du
contenu de la demande, des conclusions prises et des motifs qui les
justifient (ATF 103 Ia 462 consid. 2 principio p. 464, 92 I 36 consid. 1
p. 38). Selon la jurisprudence, les actions fondées sur un contrat -
qu'il s'agisse d'actions en exécution, d'actions en dommages-intérêts
pour inexécution ou d'actions en annulation - sont de nature personnelle,
même si le contrat concerne un immeuble, telle la vente immobilière
(ATF 103 Ia 462 consid. 2a p. 464, 92 I 201 consid. 4 p. 202/203).

    Par opposition, est une action réelle celle qui découle de rapports
de droit dont le contenu juridique ne s'épuise pas à la suite de la
prestation d'un débiteur déterminé et qui, dès lors, ne disparaissent
pas par le fait de cette prestation mais continuent à sortir leurs effets
(ATF 117 II 26 consid. 3 p. 29).

    Aussi bien, le Tribunal fédéral a admis que lorsqu'une créance
litigieuse découlant d'un contrat se rapportant à un immeuble est garantie
par un gage, un droit de rétention ou une annotation au registre foncier,
ou encore lorsque l'action vise à la fois à la reconnaissance d'une dette
et à l'inscription d'une hypothèque légale destinée à garantir l'exécution
de l'obligation, ou lorsque la demande tend à l'exclusion de la communauté
des propriétaires, le défendeur ne peut pas se prévaloir du for de son
domicile (ATF 117 II 26 consid. 3 p. 29/30, 103 Ia 462 consid. 2a p. 464
et les arrêts cités dans ces décisions).

    b) Selon l'art. 960 al. 1 ch. 1 CC, les restrictions apportées au droit
d'aliéner certains immeubles peuvent être annotées, lorsqu'elles résultent
d'une décision officielle, rendue pour la conservation de droits litigieux
ou de prétentions exécutoires. Les droits litigieux dont il s'agit sont,
en particulier, ceux visés à l'art. 959 CC, tel le droit de réméré (HENRI
DESCHENAUX, Le registre foncier, Traité de droit privé suisse, Volume V,
tome II, 2, p. 284).

    Le droit de réméré est un droit personnel en vertu duquel le vendeur
peut, moyennant déclaration unilatérale de sa part, exiger de l'acheteur
qu'il lui retransfère la chose. Le pacte de réméré confère ainsi au vendeur
un droit d'emption sur la chose vendue; il institue en faveur du vendeur
une faculté de rachat. Lorsqu'il porte sur un immeuble, il est susceptible
d'être annoté au registre foncier (art. 683, 959 CC). Le titulaire du
droit de réméré qui a exercé valablement son droit et qui s'est, par là,
porté unilatéralement acheteur de l'immeuble se trouve dans une situation
identique à celle où il serait placé dans le cas de la conclusion d'un
contrat de vente pur et simple (ATF 109 II 219 consid. 2a p. 222/223).

    Du pacte de réméré naît un rapport générateur d'obligations (ATF
53 II 392 consid. 3 p. 394) auquel peuvent s'ajouter les effets réels
de l'annotation (ATF 54 II 429 consid. 1 p. 435, 44 II 362 consid. 1
p. 366). Par son contenu, le droit conserve son caractère personnel même
après l'annotation (ATF 104 II 170 consid. 5 p. 176/177; cf. DESCHENAUX,
op.cit., p. 524). Le rapport obligationnel entre les parties au contrat
peut exister avant l'annotation et/ou subsister après la radiation de
celle-ci. Si le vendeur refuse de requérir le transfert de l'immeuble à
l'acheteur, titulaire du droit de réméré exercé, celui-ci peut demander
au juge l'attribution du droit de propriété en vertu de l'art. 665 al. 1
CC (ATF 109 II 219 consid. 2b p. 223 et les références) et obtenir, à
titre de mesure conservatoire, l'inscription d'une restriction du droit
d'aliéner sur la base de l'art. 960 al. 1 ch. 1 CC (PAUL-HENRI STEINAUER,
Les droits réels, tome II, p. 104 no 1713).

    L'annotation d'un droit de réméré a pour effet de restreindre le
pouvoir de disposer; le droit annoté est ainsi opposable à tout droit
postérieurement acquis sur l'immeuble (art. 959 al. 2 CC). La restriction
du droit d'aliéner résultant de l'art. 960 al. 1 ch. 1 CC entraîne les
mêmes effets (DESCHENAUX, op.cit., p. 278 et 523). Elle permet de garantir
l'exécution d'un droit personnel par un mode réel, sans toutefois modifier
la nature obligationnelle de ce droit (ATF 104 II 170 consid. 5 p. 176/177
et les références; cf. DESCHENAUX, op.cit., p. 524).

    En raison de la garantie renforcée que confère l'annotation au
droit personnel litigieux, le Tribunal fédéral a admis que l'art. 59
Cst. n'exclut pas le for du lieu de situation de l'immeuble lorsque le
droit d'emption, de préemption ou de réméré, dont l'exécution est réclamée,
a été annoté au registre foncier en vertu de l'art. 959 CC. Il a ajouté
qu'il en va de même en cas d'action en exécution d'une vente d'immeuble
intentée par l'acheteur qui a obtenu préventivement, contre le vendeur,
une restriction du droit d'aliéner l'objet litigieux en vertu de l'art. 960
al. 1 ch. 1 CC (ATF 92 I 36 consid. 2 p. 38 ss, 44 I 41 consid. 2 p. 47
ss; cf. ATF 92 I 201 consid. 4 p. 203, 117 II 26 consid. 3 p. 29/30).

    c) On ne saurait adopter la même solution s'agissant du juge compétent
à raison du lieu pour ordonner par voie de mesures provisionnelles
l'annotation au registre foncier d'une restriction du droit d'aliéner
au sens de l'art. 960 al. 1 ch. 1 CC. Il faut s'en tenir à la règle de
l'art. 59 Cst.

    La situation juridique n'est pas la même que celle de l'inscription
d'une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs (art. 839 CC)
où le Tribunal fédéral a admis une exception à la règle du for naturel
(cf. ATF 95 II 31 consid. 1 p. 33 et les arrêts cités). En effet,
l'obligation de souffrir la constitution d'une hypothèque légale d'artisan
ou d'entrepreneur fondée sur l'art. 837 al. 1 ch. 3 CC est une obligation
propter rem, rattachée à la propriété de l'immeuble sur lequel le bâtiment
a été érigé ou l'ouvrage exécuté (ATF 95 II 31 consid. 2 p. 34), tandis
qu'ici on est en présence d'un droit personnel qui ne peut être exercé
que contre le cocontractant.

    On ne peut pas non plus invoquer des raisons de cohérence, en
ce sens que, si l'on fait abstraction de la règle de l'art. 59 Cst.,
deux juges différents ne devront pas être saisis, l'un pour ordonner
les mesures provisoires au lieu du domicile du débiteur et l'autre, une
fois l'annotation provisoire ordonnée, au lieu de situation de l'immeuble
pour statuer sur le fond. En effet, les donnés juridiques ne sont pas les
mêmes avant et après l'annotation au registre foncier: comme on l'a vu,
l'annotation, sans modifier l'essence du droit personnel, le double d'un
droit accessoire de nature réelle, qui existe et s'éteint avec le droit
principal (ATF 104 II 170 consid. 5 p. 176/177 et les références). Au
surplus, des motifs d'opportunité ou d'économie de la procédure ne
sauraient justifier qu'on déroge au principe fondamental de l'art. 59
Cst. (ATF 103 Ia 462 consid. 2c p. 465, 93 I 29 consid. 7c p. 37, 92 I
201 consid. 4 p. 203 et les arrêts cités). Pour la même raison, on doit
également renoncer à tenir compte du fait qu'il est plus aisé d'agir
au lieu de situation de l'immeuble pour obtenir, à titre conservatoire,
une protection rapide du droit litigieux.