Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 113 IA 76



113 Ia 76

14. Arrêt de la Ire Cour de droit public du 27 mars 1987 dans la cause Y.
contre Procureur général du canton de Vaud (recours de droit public)
Regeste

    Art. 6 Ziff. 2 EMRK, Art. 4 BV, Art. 158 StPO/VD; Kostenauflage bei
Freispruch eines Beschuldigten wegen Unzurechnungsfähigkeit.

    Das Prinzip der Unschuldsvermutung steht der Auferlegung der
Verfahrenskosten an einen Unzurechnungsfähigen nicht entgegen, wenn dieser
sie objecktiv verursacht hat und dafür im kant. Recht eine gesetzliche
Grundlage vorhanden ist (E. 1b).

    Art. 158 StPO/VD stellt für die Strafverfahrenskosten eine
Billigkeitshaftung des Freigesprochenen auf, analog derjenigen gemäss
Art. 54 OR. Sie sieht vor, dass aufgrund von Billigkeitsüberlegungen die
Interessenabwägung eine volle oder teilweise Tragung der Kosten durch
den Betroffenen rechtfertigt. Die Billigkeit verlangt insbesondere,
dass seine finanzielle Lage mitberücksichtigt wird (E. 2a).

    Die Behörde, die die unter dem Gesichtspunkt der Billigkeit notwendige
Interessenabwägung unterlässt, verletzt Art. 4 BV (E. 2b).

Sachverhalt

    A.- Dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre 1985, Y. a tenté
d'étrangler son épouse et l'un de ses fils, au terme d'une soirée passée
à son domicile. Le juge informateur compétent a ordonné une expertise
médico-psychologique; celle-ci a établi que le développement mental
incomplet de Y., qui est alcoolique, avait atténué ses facultés de se
déterminer d'après l'appréciation du caractère illicite des actes qui
lui étaient reprochés.

    Y. a néanmoins été renvoyé devant le Tribunal correctionnel
pour y répondre de tentatives de meurtre ou de crimes manqués de
meurtre. Par jugement du 30 septembre 1986, cette juridiction a
constaté l'irresponsabilité pénale de l'accusé et l'a acquitté des chefs
d'accusation précités. Elle a arrêté les frais de justice à 21'154 fr. 05
et les a mis à la charge de l'Etat, sauf un montant de 550 fr. mis à la
charge de Y.

    Par arrêt des 8/9 décembre 1986 / 28 janvier 1987, la Cour de
cassation pénale du canton de Vaud a admis un recours formé par le
Procureur général et condamné Y. au paiement de la totalité des frais de
justice de première instance.

    Par voie de recours de droit public, Y. a demandé au Tribunal
fédéral d'annuler l'arrêt de la Cour de cassation pénale. Il a invoqué
une violation des art. 4 Cst. et 6 ch. 2 CEDH. Le Tribunal fédéral a
admis le recours et annulé l'arrêt attaqué.

Auszug aus den Erwägungen:

                     Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- Aux termes de l'art. 6 ch. 2 CEDH, toute personne accusée d'une
infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été
légalement établie.

    a) La Commission et la Cour européennes des droits de l'homme ont
estimé que les décisions sur les frais d'une procédure pénale qui s'est
terminée par un non-lieu ou par un acquittement peuvent violer cette
disposition lorsqu'elles contiennent une appréciation relative à la
culpabilité de la personne qui a fait l'objet de la procédure (arrêt
Minelli du 25 mars 1983, publications de la Cour européenne des droits
de l'homme, série A, no 62, p. 17 §§ 34 et 35; rapport homonyme de la
Commission du 6 mai 1981, § 31). Dans une décision du 16 décembre 1983 et
dans trois décisions semblables rendues le 17 mai 1984, la Commission
européenne des droits de l'homme a précisé que la condamnation aux
frais de la procédure du prévenu libéré de toute peine ne met pas en
jeu, en elle-même, le principe de la présomption d'innocence. Elle ne
viole l'art. 6 ch. 2 CEDH que si la motivation de cette mesure donne
l'impression que le prévenu est coupable d'une infraction. Il n'en va
pas ainsi quand la condamnation aux frais se fonde sur la légèreté du
comportement qui a conduit à l'ouverture de l'instruction (décisions
de la Commission sur les requêtes C. c. Suisse du 16 décembre 1983,
B. et B., K., G. c. Suisse du 17 mai 1984; ROBERT LEVI, Schwerpunkte der
strafprozessualen Rechtsprechung des Bundesgerichtes und der Organe der
europäischen Menschenrechtskonvention, RPS 102/1985, pp. 365/366).

    Dans le même sens, le Tribunal fédéral considère que la condamnation
du prévenu libéré de toute peine au paiement des frais de justice sur la
base de dispositions semblables à l'art. 158 CPP vaud. ne viole pas la
présomption d'innocence lorsque cette condamnation se fonde sur le motif
que les frais ont été provoqués par un comportement de l'intéressé fautif
au regard du droit civil ou de l'éthique (ATF 109 Ia 163, 167 consid. 2a;
237/238).

    Le Tribunal fédéral revoit à la lumière de l'art. 6 ch. 2 CEDH si
le principe de la présomption d'innocence a été respecté; il revoit sous
l'angle restreint de l'arbitraire l'application du droit de rang inférieur
à la constitution, ainsi que l'usage que l'autorité intimée a fait de sa
liberté d'appréciation.

    b) Le cas du recourant n'est pas identique à ceux cités ci-dessus,
où les juridictions conventionnelles n'avaient pas à se prononcer sur la
question de savoir si le prévenu dont l'irresponsabilité est constatée
au sens de l'art. 10 CP peut tout de même être condamné aux frais de
justice. On peut certes penser que la condamnation d'un irresponsable
à ces frais serait en contradiction avec la présomption d'innocence si
elle prenait en considération d'un point de vue subjectif le caractère
délictueux de son comportement non punissable. Sans doute l'autorité
de jugement se placerait-elle en contradiction avec elle-même si,
après avoir exclu la culpabilité du prévenu en vertu de l'art. 18 CP en
raison de son irresponsabilité, elle retenait sa responsabilité pénale
pour mettre à sa charge les frais de la procédure (CLAUDE ROUILLER,
La condamnation aux frais de justice du prévenu libéré de toute peine
en relation, notamment, avec la présomption d'innocence, RSJ 80/1984
p. 208). En revanche, la présomption d'innocence ne s'oppose pas à ce qu'un
irresponsable soit condamné aux frais de justice pour le motif qu'il les
a causés objectivement, pour autant que le droit cantonal de procédure
offre pour cela une base légale suffisante (arrêt X. du 18 décembre 1986,
destiné à la publication). Il s'agira alors généralement d'une application
analogique de l'art. 54 CO qui dispose que, si l'équité l'exige, le juge
peut condamner une personne même incapable de discernement à la réparation
totale ou partielle du dommage qu'elle a causé.

    c) En l'espèce l'autorité intimée ne s'est nullement fondée sur
des doutes qu'elle aurait pu éprouver encore quant à la culpabilité du
recourant pour mettre les frais de justice à sa charge. Elle a au contraire
exclu sa culpabilité sans équivoque et en totalité. Le grief de violation
de l'art. 6 ch. 2 CEDH s'avère par conséquent manifestement mal fondé.

Erwägung 2

    2.- a) L'art. 158 CPP vaud. a la teneur suivante:

    "Lorsque le prévenu est libéré des fins de la poursuite pénale, il ne
   peut être condamné à tout ou partie des frais que si l'équité l'exige,
   notamment s'il a donné lieu à l'ouverture de l'action pénale ou s'il
   en a compliqué l'instruction."

    Comme le soutien le recourant en se référant à la jurisprudence
cantonale (JdT 1954 III 31), cette disposition n'a nullement pour but
d'introduire une responsabilité objective pour les frais pénaux. Elle
institue en revanche, à l'instar de l'art. 54 CO, une responsabilité
exceptionnelle, pour les cas où, selon l'équité, la pesée des intérêts
en présence justifie que l'accusé acquitté supporte tout ou partie de ces
frais. L'équité commande notamment de prendre en considération la situation
de fortune de la personne en cause, la gêne à laquelle elle ou sa famille
seraient exposées du fait d'un montant à payer (ATF 103 II 337 consid. 4b
aa, 102 II 231 consid. b; ENGEL, Traité des obligations en droit suisse,
p. 322).

    b) En l'espèce, il résulte du dossier que la situation économique
du recourant est des plus modestes. Il est employé de manutention,
ce qui lui procure un revenu mensuel de 2'800 fr. net, chiffre variant
au gré des horaires irréguliers qu'il accomplit. Il n'a pas de fortune;
son épouse n'exerce aucune activité rémunérée. Il doit également assurer
l'entretien de ses deux fils. Sa famille a toujours vécu simplement, sans
voiture et sans vacances à l'étranger. L'anamnèse personnelle relève que
des dépenses peu importantes, telles que l'achat d'une nouvelle paire de
lunettes pour son épouse et de préparations alimentaires pour un régime
amaigrissant, auraient eu des répercussions sensibles sur le budget
du ménage. Au cours de ses interrogatoires, le recourant a souligné
lui-même que sa situation financière était pénible et que cela pouvait
en partie expliquer le comportement qui l'avait amené devant la justice
pénale. Dans son jugement, le Tribunal correctionnel a relevé qu'en dépit
de sa situation financière serrée, le ménage des époux Y. n'avait pas de
dettes. C'est là un élément qui démontre que, en dépit de l'alcoolisme
qui l'affecte, le recourant - dont le comportement paraît avoir été celui
d'un bon père - s'est toujours soucié de l'équilibre budgétaire de son
foyer. Il n'est enfin pas indifférent de constater que, entendue par la
police de sûreté, l'épouse du recourant a déclaré souhaiter qu'il soit
"soigné en ce qui concerne son problème d'alcool et qu'il puisse revenir
à la maison pour autant qu'il ne boive plus".

    On peut raisonnablement déduire de ces circonstances, prises dans
leur ensemble, qu'une aggravation brutale de la situation financière du
recourant n'est pour le moins pas de nature à faciliter sa réinsertion dans
sa famille et dans la société. Or les frais de justice mis à sa charge se
sont élevés à plus de 20'000 fr., montant qu'il ne lui est manifestement
pas possible de régler sans s'endetter excessivement eu égard à son revenu.

    Dans sa décision, l'autorité intimée n'a pas tenu compte de ces
éléments. Après avoir exclu la culpabilité du recourant, elle s'est bornée
à considérer que "les actes objectivement constitutifs d'infractions" qu'il
avait commis justifiaient sa condamnation aux frais. En ne procédant pas à
la pesée des intérêts imposée par l'équité sur la base de l'art. 158 CPP
vaud., l'autorité intimée a donc rendu une décision arbitraire (cf. ATF
110 III 43 consid. 2 a, 109 Ia 22 consid. 2, 108 Ia 195 consid. b). Cette
dernière doit par conséquent être annulée.

    c) Il appartiendra à l'autorité intimée d'apprécier quelle est la part
des frais de justice occasionnés par le recourant qui peut raisonnablement
être mise à sa charge eu égard à sa situation économique. Sur la base des
éléments fragmentaires qui sont aujourd'hui à sa disposition, le Tribunal
fédéral n'aurait vraisemblablement pas taxé d'arbitraire une décision qui
aurait mis à la charge du recourant une part des frais de la procédure
de première instance n'excédant pas le tiers de leur montant.