Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 112 II 439



112 II 439

71. Arrêt de la Ire Cour civile du 12 novembre 1986 dans la cause D. et
consorts contre R. (recours en réforme) Regeste

    Art. 41 ff. OR, Art. 4 SVG. Haftung des Eigentümers eines an die
Strasse stossenden Grundstücks, der ein Verkehrshindernis schafft.

    1. Kann ein Baum unter gewissen Umständen ein Werk im Sinne von
Art. 58 OR sein? Frage offengelassen (E. 1a).

    2. Ein Eigentümer, der die gefährlich in die Strasse hineinragenden
Äste eines Baumes nicht gemäss den Bestimmungen des öffentlichen Rechts
zurückschneidet, begeht eine unerlaubte Handlung (E. 1b).

    3. Adäquate Kausalität zwischen dieser unerlaubten Handlung und dem
Schaden an einem Fahrzeug, dessen Dach die Äste des Baumes gestreift hat
(E. 1d).

    4. Kein Beweis für ein konkurrierendes Selbstverschulden des Lenkers
(E. 2).

Sachverhalt

    A.- D. et six autres personnes (ci-après: les consorts D.)  sont
copropriétaires de la parcelle 13'131 de la commune de Bernex, sur laquelle
est édifié un bâtiment exploité comme établissement public, à l'enseigne
"Café B.", situé dans le hameau campagnard du Vieux-Lully. Sur la terrasse
de cet établissement, un arbre imposant est implanté, à proximité de la
voie publique. Depuis une quinzaine d'années, l'établissement est loué
aux époux B.; le contrat de bail leur impose de veiller chaque année à la
taille des jets de l'arbre, sans toucher aux branches principales. Ces
dernières dépassent les limites de la propriété et se trouvent à moins
de 4,50 m du niveau de la chaussée sur laquelle elles empiètent. Aucun
panneau de signalisation routière n'indique cet obstacle. Les autorités de
police ne sont pas non plus intervenues auprès des propriétaires pour les
inviter à sectionner les branches de cet arbre ancien. En temps ordinaire,
la circulation s'effectue à sens unique à cet endroit et l'arbre ne la
gêne pas. Lors de la survenance de l'événement litigieux, des travaux
routiers étaient en cours dans le village, rendant ainsi plus difficile
la circulation devant l'établissement des consorts D. Réglée par feux,
celle-ci se déroulait en alternance dans les deux sens.

    Le samedi 18 novembre 1982, vers 15 heures, R., qui conduisait sa
déménageuse, d'une hauteur de 3,80 m, en suivant la voiture d'un client,
pénétra dans le hameau du Vieux-Lully. Du fait du rétrécissement de la
route à proximité du Café B., il dut porter une attention particulière
aux voitures qui attendaient au feu rouge, sur sa gauche, et aux barrières
qui se trouvaient sur la droite de son véhicule. Aussi ne s'avisa-t-il pas
spécialement du danger constitué par l'arbre qui empiétait sur la route. En
outre, "il aurait été contraint de serrer le plus possible à gauche en
raison de la présence d'une voiture stationnée au-devant de lui sur la
droite de la route, à quelque distance de l'endroit concerné". R. arrêta
son véhicule, après avoir entendu le bruit de la déchirure provoquée par le
contact avec l'arbre. Le coût des réparations de la déménageuse s'est élevé
à 16'842 fr. 25 et la location d'un véhicule de remplacement à 4'500 fr.

    B.- R. a ouvert action contre les consorts D. en concluant à ce qu'ils
soient condamnés solidairement à lui payer le montant de 21'342 fr. 25
avec intérêt à 5% dès le 18 novembre 1982. Les défendeurs ont conclu au
rejet de la demande.

    Par jugement du 13 mai 1985, le Tribunal de première instance du
canton de Genève leur a donné raison.

    Sur appel de R., la Cour de justice, statuant le 2 mai 1986, a,
en revanche, admis intégralement la demande.

    C.- Contre cet arrêt, les défendeurs interjettent un recours en
réforme dans lequel ils concluent principalement au rejet de la demande et,
subsidiairement, à son admission partielle, mais dans une mesure qu'ils
n'indiquent pas.

    L'intimé propose le rejet du recours.

    Le Tribunal fédéral rejette le recours et confirme l'arrêt attaqué.

Auszug aus den Erwägungen:

                    Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- a) Dans son arrêt du 11 décembre 1984 en la cause Pategay c. Ville
de Genève (SJ 1985, p. 323 ss), le Tribunal fédéral a laissé indécise la
question de savoir si et quand un arbre pouvait être qualifié d'ouvrage
au sens de l'art. 58 CO. Il peut également se dispenser de trancher cette
question dans le cas particulier.

    Si l'arbre devait être considéré comme une partie de l'ouvrage que
constitue la route (cf. ATF 79 II 75), le problème à résoudre serait
celui de la responsabilité du propriétaire de la route; or, il ne fait
point l'objet du présent procès.

    Il n'est pas non plus nécessaire de décider si, dans certains cas,
l'arbre planté pour s'intégrer dans un ouvrage aménagé par l'homme peut
également être tenu pour un ouvrage ou une partie d'ouvrage (cf. les avis
dans ce sens cités dans l'arrêt susmentionné). En effet, la question
demeure, elle aussi, sans incidence sur le sort de la cause, puisque,
comme on le verra plus loin, les défendeurs répondent de tout le dommage
du chef d'un acte illicite (art. 41 CO).

    b) Les défendeurs admettent à juste titre, avec la cour cantonale,
que le fait de ne pas élaguer leur arbre à la hauteur de 4,50 m du niveau
de la voie publique constitue un acte illicite, au sens de l'art. 41 CO,
en raison de l'infraction à l'art. 4 LCR et à l'art. 76 de la loi cantonale
sur les routes.

    Chacun des défendeurs ne répond de cet acte illicite que s'il l'a
lui-même commis ou si une cause légale lui impute le dommage causé
par autrui (par ex. l'art. 55 CO). Les défendeurs sont solidairement
responsables s'ils ont commis ensemble l'acte illicite (art. 50 CO). La
cour cantonale retient implicitement que ces conditions sont remplies,
ce qui n'est pas remis en question en instance de réforme; il y a donc
lieu de se fonder sur la même considération.

    c) Les défendeurs soutiennent à tort que le propriétaire bordier
ne commet pas de faute si le propriétaire de la route n'est pas
intervenu préalablement auprès de lui pour faire supprimer l'obstacle
à la circulation. L'arrêt ATF 79 II 75, auquel ils se réfèrent, n'a pas
cette signification: en effet, dans ce cas-là, l'obstacle dangereux pour
la circulation ne se trouvait pas sur la voie publique mais à proximité
immédiate; en l'occurrence, l'obstacle se trouvait au contraire sur la
voie publique elle-même et la norme de comportement transgressée s'adresse
directement au perturbateur, sans supposer une intervention préalable de
l'autorité publique.

    Par ailleurs, les défendeurs n'invoquent aucune autre circonstance
susceptible de les disculper. Leur faute a donc été admise à juste titre.

    d) Le dommage et le lien de causalité naturelle entre l'acte illicite
et le préjudice sont constatés en fait par la cour cantonale, ce qui lie
le Tribunal fédéral (art. 63 al. 2 OJ) et qui est du reste admis.

    Les défendeurs contestent en revanche que le rapport de causalité
soit adéquat; il s'agit là d'une question de droit que le Tribunal fédéral
revoit librement (ATF 107 II 276 consid. 3).

    La causalité est adéquate si, d'après le cours ordinaire des choses
et l'expérience de la vie, le fait considéré était propre à entraîner
un effet du genre de celui qui s'est produit. Le juge doit se demander,
en face d'un enchaînement concret de circonstances, s'il était probable
que le fait considéré produisît le résultat intervenu; à cet égard,
c'est la prévisibilité objective du résultat qui compte (ATF 101 II 73
consid. 3a). La faute grave de la victime ou d'un tiers peut "interrompre"
le rapport adéquat, lorsqu'elle fait apparaître la cause invoquée comme
si éloignée du dommage qu'il est injustifié de lui attacher des effets
juridiques (ATF 110 II 425, 99 II 182, 98 II 291). A l'évidence, ces
conditions ne sont pas remplies dans le cas particulier.

    Si le propriétaire de la route a aussi manqué à son devoir d'entretenir
cet ouvrage conformément à sa destination (art. 58 CO; cf. ATF 108 II
185 et les arrêts cités), en n'obligeant pas les défendeurs à élaguer
leur arbre ou en ne signalant pas l'obstacle à l'attention des usagers
de la route (ATF 108 II 53 consid. 2, 103 II 240), un tel manquement
n'est que la conséquence de celui des défendeurs; il n'a donc pas pour
effet de reléguer l'acte illicite de ceux-ci à un rang si éloigné, parmi
les causes du dommage, qu'on ne puisse raisonnablement lui attacher des
effets juridiques; d'une manière générale, il est d'ailleurs courant que
l'infraction d'un administré échappe à l'autorité chargée de veiller
au respect de la règle violée, de sorte que le dommage provoqué par
l'infraction en est normalement une conséquence prévisible, nonobstant
l'absence de réaction de l'administration (cf. ATF 110 II 425).

    De même, l'éventuelle inattention du conducteur, fût-elle fautive, ne
supprimerait pas le caractère adéquat du rapport de causalité. En effet,
de telles inattentions, prévisibles, sont des éventualités avec lesquelles
il faut compter; le législateur lui-même a estimé nécessaire d'attirer
spécialement l'attention des usagers sur les obstacles en hauteur,
inférieurs à 4 m, afin que les usagers n'aient pas à se préoccuper d'une
autre manière de la présence éventuelle de tels obstacles (art. 21 al. 2
OSR), ce qui démontre qu'à défaut d'une telle signalisation, des erreurs
ou inattentions seraient à craindre, partant qu'une telle conséquence
serait dans le cours normal des choses (cf. ATF 108 II 53, 103 II 246).

    Enfin, même si l'on prenait cumulativement en considération un
défaut d'entretien à charge du propriétaire de la route et une éventuelle
inattention fautive du conducteur de la déménageuse, ces circonstances
ne rompraient pas non plus le caractère adéquat de la causalité.

Erwägung 2

    2.- Selon l'art. 44 CO, le juge peut réduire la réparation lorsque le
lésé répond de faits qui ont contribué à créer ou à augmenter le dommage.

    Dans deux arrêts concernant la collision entre un camion et un obstacle
élevé situé au-dessus de la chaussée (porte voûtée à l'entrée d'un bourg),
le Tribunal fédéral a considéré que l'absence (fautive) de signalisation
ne libérait pas le conducteur du devoir de prêter à l'obstacle l'attention
exigée par les circonstances, en admettant dans un cas la faute concurrente
(ATF 103 II 246/247 consid. 5) pour la nier dans l'autre (ATF 108 II 55
consid. 4a).

    Il incombe au débiteur qui invoque la faute concurrente du lésé de
l'établir (art. 8 CC; cf. ATF 108 II 64 consid. 3, 96 II 57, 83 II 532).

    En l'espèce, les seules constatations de l'arrêt cantonal, qui
lient le Tribunal fédéral en instance de réforme (art. 63 al. 2 OJ), ne
permettent pas de retenir une faute concurrente à la charge du conducteur
de la déménageuse. On ignore en particulier de combien l'arbre empiétait
sur la voie publique; quant à la hauteur de la ou des branches empiétant,
on sait seulement qu'elle était inférieure à 4,50 m et, sans doute, à celle
de la déménageuse, soit 3,80 m, mais on ignore aussi de combien elle était
inférieure à ce chiffre. On ne sait donc guère si cet empiétement était
bien visible. Au demeurant, l'arrêt cantonal donne quelques indications sur
certaines circonstances qui exigeaient une attention soutenue de la part
du conducteur, mais ces indications sont trop imprécises pour permettre
au juge de réforme d'apprécier dans quelle mesure le demandeur pouvait
prêter garde à l'arbre, et de décider si le reproche peut lui être fait
de n'avoir pas vu l'obstacle élevé.

    Si, in concreto, on ne pouvait pas s'en rendre compte sans une
attention accrue, le conducteur pouvait effectivement se fonder sur la
présomption que l'absence de signalisation correspondait à une absence
d'obstacle (application élargie du principe de la confiance, exprimé à
l'art. 26 al. 2 LCR dans les relations entre usagers). Etant donné le
manque de constatations suffisantes, une faute concurrente ne peut donc
pas être retenue en l'espèce à la charge du lésé.

    Il n'y a dès lors pas lieu de réduire le montant de la réparation.