Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 112 IB 446



112 Ib 446

69. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 7 octobre 1986 dans la
cause K. contre canton de Vaud (procès direct) Regeste

    Verantwortlichkeit des Staates für ungerechtfertigte Untersuchungshaft
und den Schaden, den Beamte rechtswidrig verursacht haben (Art. 67
StPO/VD, Art. 4 des waadtländischen Gesetzes vom 16. Mai 1961 über die
Verantwortlichkeit von Kanton, Gemeinden und Beamten).

    1. Rechtsgrundlage des Entschädigungsanspruchs gegen den Kanton Waadt
wegen ungerechtfertigter Untersuchungshaft (E. 3a).

    2. Prüfung der Rechtmässigkeit verschiedener durch den
Untersuchungsrichter in Ausübung seines Amtes angeordneter
Massnahmen. Rechtswidrigkeit einer von der Polizei ohne Einwilligung des
kantonalen Untersuchungsrichters durchgeführten Pressekonferenz (E. 3b).

    3. Selbstverschulden des aus der Haft entlassenen Beschuldigten:
massgebende Unterscheidungsmerkmale und Beweislast. Kann das Verhalten
des Verhafteten während der Strafuntersuchung, insbesondere seine
Aussageverweigerung, den Wegfall oder die Herabsetzung des Schadenersatzes
zur Folge haben? (Präzisierung der Rechtsprechung) (E. 4).

    4. Höhe der Genugtuungssumme (E. 5).

Sachverhalt

    A.- A la mi-août 1980, sur rapport verbal de la police de sûreté,
le premier Juge informateur de l'arrondissement de Vevey-Lavaux a ordonné
l'ouverture d'office d'une enquête pour recel contre R. et les époux M.
R., avocat à Zurich, était le défenseur de S., alors détenu pour subir
une peine; il était le neveu de dame M.

    Le 26 août 1980, procédant à une visite domiciliaire dans la villa des
époux M. à Nyon, la police cantonale vaudoise y découvrit, dissimulé dans
le vide sanitaire, du matériel de cambrioleur ayant appartenu à S. et à B.

    Le même jour, sur mandat d'amener décerné par le Juge informateur, K.,
qui travaillait comme employé dans l'étude des avocats R. et G. à Zurich,
fut appréhendé dans cette ville et conduit auprès de ce magistrat qui
l'entendit, l'inculpa de vol, recel et complicité de falsification de
plaques de contrôle, et le plaça en détention préventive. K. fut relaxé
le 12 septembre 1980.

    Le 27 août 1980, enfreignant l'ordre du Juge d'instruction
cantonal, le commandant de la police cantonale vaudoise, assisté de huit
fonctionnaires ou magistrats, tint une conférence de presse qui eut un
grand retentissement. Si le nom de K. ne fut apparemment pas mentionné à
cette occasion, l'intéressé fut désigné par l'initiale de son patronyme
et par sa qualité de secrétaire ou employé de Me R. De nombreux journaux
de Suisse alémanique publièrent son nom dans leur relation des faits
révélés par la conférence de presse. Il n'est pas exclu que l'identité
de K. leur ait été communiquée par une autre voie officielle, dès lors
que le prévenu avait été appréhendé à Zurich.

    Par ordonnance du 8 janvier 1982, le Juge informateur de
l'arrondissement de La Côte, en faveur duquel son collègue de
l'arrondissement de Vevey-Lavaux s'était dessaisi de l'enquête, ordonna le
renvoi de K., accusé de recel et d'émeute, devant le Tribunal correctionnel
du district de Nyon.

    Par jugement rendu le 5 novembre 1982, ledit Tribunal libéra K. des
fins de la poursuite pénale et mit les frais de la cause à la charge
de l'Etat.

    Statuant le 31 janvier 1983, la Cour de cassation pénale du Tribunal
cantonal vaudois rejeta le recours que le Ministère public avait interjeté
contre ce jugement.

    Le prévenu libéré a réclamé en vain au Conseil d'Etat le paiement
d'une indemnité.

    B.- Par la voie d'une action directe au sens de l'art. 42 OJ,
K. demande au Tribunal fédéral de condamner l'Etat de Vaud au paiement de
30'000 francs avec intérêt à 5% l'an dès le 15 septembre 1980 sur 18'000
francs et dès le 15 décembre 1983 sur 12'000 francs. Il fonde son action
sur l'art. 67 du code de procédure pénale vaudois (en abrégé: CPP), ainsi
que sur la loi vaudoise du 16 mai 1961 sur la responsabilité de l'Etat,
des communes et de leurs agents (en abrégé: LREC).

    Le défendeur conclut au rejet de la demande, dans la mesure où elle
est recevable. Il soulève l'exception de prescription, conteste les
reproches formulés à l'encontre de ses agents et soutient en outre que
le demandeur est à l'origine de sa détention et du dommage qu'il a subi,
de sorte qu'il est déchu du droit d'obtenir une réparation de l'Etat.

    Admettant partiellement la demande, le Tribunal fédéral alloue à K. une
indemnité de 4'500 francs pour la perte de gain et les frais d'avocat,
ainsi que le même montant pour le tort moral, le tout avec intérêts.

Auszug aus den Erwägungen:

                  Extrait des considérants:

Erwägung 3

    3.- a) Si l'on fait abstraction de l'éventuelle faute concomitante
du demandeur, la réalisation des conditions d'application de l'art. 67
CPP n'est pas douteuse; le défendeur en convient du reste à juste titre.

    Cette disposition permet d'accorder au créancier des dommages-intérêts
- y compris pour les frais d'avocat - et une indemnité pour tort moral,
à raison de la détention. En l'espèce, la conférence de presse litigieuse
est assez étroitement liée à la détention, de sorte que l'on pourrait,
à la rigueur, la prendre également en considération pour fixer le montant
de la réparation morale du chef de la détention injustifiée.

    En revanche, le canton de Vaud n'englobe pas dans l'indemnité fondée
sur l'art. 67 CPP les frais d'avocat se rapportant à la partie de la
procédure étrangère à la détention (cf. l'arrêt Fernand M., du 6 juillet
1977, in JdT 1978 III, p. 21 ss, spéc. p. 25 consid. 2a); cette solution
n'est d'ailleurs pas contraire au droit constitutionnel fédéral (cf. ATF
105 Ia 127). Toutefois, l'Etat pourrait être appelé à répondre de cet
élément de dommage, conformément à l'art. 4 LREC, dans l'hypothèse où
ses agents auraient commis en l'espèce des actes illicites. On ne peut
dès lors pas éviter d'examiner si le défendeur répond aussi à ce titre.

    b) Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral rendue en application
des art. 1er et 4 LREC, l'illicéité du comportement du juge, dans
l'exercice du pouvoir juridictionnel, suppose un manquement caractérisé
qui n'est pas réalisé du seul fait déjà qu'une décision se révèle
après coup dénuée de fondement, contraire à la loi, voire arbitraire
au sens de l'art. 4 Cst. (arrêt non publié R. c. canton de Vaud, du 14
janvier 1986, consid. 2a et les références, en particulier à J.-F. EGLI,
L'activité illicite du juge, cause de responsabilité pécuniaire à l'égard
des tiers, in Hommage à Raymond Jeanprêtre, Neuchâtel 1982, p. 15 ss;
arrêt X. c. Etat de Vaud, du 18 janvier 1980, publié in SJ 1981, p. 225
ss et, partiellement, in RDAF 1981, p. 124 ss).

    Il y a lieu de rechercher, à la lumière de ces principes
jurisprudentiels, si les différents comportements critiqués par le
demandeur constituent des actes illicites.

    aa) K. estime tout d'abord que son arrestation et sa détention étaient
illicites, faute de charges suffisantes pour justifier de telles mesures.

    On ne saurait en décider que selon les éléments dont le juge disposait
alors, compte tenu de la fonction de la détention préventive, laquelle est
ordonnée à un moment où le prévenu est présumé innocent tout en réunissant
sur sa personne certaines charges de culpabilité qui ne pourront être
appréciées de manière plus approfondie que plus tard.

    En l'occurrence, il est patent que l'arrestation de K., tout comme
celle de Me R. et de dame M., a été ordonnée immédiatement après la
découverte du matériel de cambrioleur appartenant à S., délinquant notoire,
dans la villa M. à Nyon. Or, à ce moment-là, de sérieux indices pouvaient
donner à penser à des actes de participation des prévenus: S. était un
client connu de Me R., lequel était lié avec les époux M. - dame M. étant
sa tante - chez lesquels il allait assez souvent et où il exerçait de
temps à autre son activité professionnelle; il était aussi arrivé à K. de
se rendre chez les époux M.; le demandeur avait lui-même pris position
en public en faveur de la libération de S., dont on se plaignait des
conditions de détention trop rigoureuses; enfin, le nom de K. apparaissait
comme lié alors à l'activité délictueuse de S., puisqu'on avait retrouvé
dans la voiture de dame K. des plaques de contrôle de voiture qui avaient
été volées et dont une copie avait été confectionnée et utilisée par S.
lors d'un cambriolage. Pour le Juge informateur, tous ces éléments se
révélaient fort troublants. A supposer même qu'il ait commis une erreur de
droit et d'appréciation en considérant que les charges étaient suffisantes
pour justifier une arrestation, on ne saurait lui imputer une violation
de ses devoirs d'une gravité telle qu'elle doive être qualifiée d'acte
illicite, au sens du droit de la responsabilité de l'Etat.

    Le demandeur reproche aussi au défendeur un acte illicite, tenant
à l'inobservation des règles de la bonne foi; selon lui, l'inculpation
de recel à Nyon n'aurait été qu'un prétexte, soit un artifice, pour
pouvoir arrêter une personne que les autorités vaudoises n'étaient pas
compétentes pour juger, eu égard aux infractions qui lui étaient en réalité
reprochées. Cette thèse est démentie par les faits: l'arrestation des
trois prévenus a été directement provoquée par la découverte du matériel
de cambrioleur à Nyon et le soupçon d'une participation des trois personnes
appréhendées à l'activité coupable de S.

    Cela étant, on peut se dispenser de rechercher plus avant si, selon le
droit vaudois de la responsabilité de l'Etat et des communes, le juge de
l'action en responsabilité est déchu du pouvoir de réexaminer la licéité
de décisions entrées en force (arrêt non publié du Tribunal fédéral du
22 novembre 1983 en la cause des époux B. c. Etat de Vaud).

    bb) Le demandeur voit ensuite un acte illicite dans la conférence
de presse donnée par la police cantonale vaudoise le 27 août 1980 pour
informer les journalistes et le public de la découverte faite dans la villa
M., de l'arrestation de trois prévenus, ainsi que des charges existant
à leur encontre. Il estime qu'en agissant de la sorte, les agents du
canton défendeur ont violé le principe du secret de l'instruction, cela
d'autant plus qu'ils l'ont fait sans l'assentiment de leur supérieur, le
Juge d'instruction cantonal, seul habilité à autoriser des communications
à la presse.

    Le fait est avéré. Il est clair que, si l'autorisation du Juge
d'instruction cantonal est nécessaire pour remettre des communiqués écrits
à la presse, ce que prévoit expressément l'art. 186 CPP, elle l'est à
plus forte raison pour des conférences de presse, supposé que celles-ci
soient compatibles avec les art. 184 à 186 CPP.

    Dès lors, la conférence de presse était illicite. Elle l'était
également à l'égard du demandeur en tant que prévenu, car les règles
sur le secret de l'instruction sont aussi destinées à protéger la vie
privée des prévenus, à un stade où ceux-ci bénéficient de la présomption
d'innocence sans être soumis à la publicité des audiences du tribunal.

    En l'occurrence, la conférence de presse a aussi contribué à porter
atteinte à la considération du demandeur en jetant sur lui le soupçon
d'avoir participé à une infraction relativement grave et moralement
répréhensible selon l'opinion de la population; l'atteinte était d'autant
plus importante que l'information a connu une large diffusion. Si le nom
de K. n'a pas été indiqué en toutes lettres, son initiale fut communiquée
à la presse qui pouvait ainsi facilement identifier l'intéressé par la
fonction qu'il occupait dans l'étude de Me R.

    Cependant, il serait faux de considérer que la publicité donnée à
l'affaire ait été le fait de la seule conférence de presse. Même sans
celle-ci, selon toute vraisemblance, la presse s'y serait intéressée et
la cause aurait connu de toute manière un retentissement important lors
du renvoi de l'accusé devant la juridiction de jugement, du fait de la
publicité des audiences.

    Aussi l'Etat défendeur ne doit-il répondre que du surcroît de publicité
- en intensité et en durée - donné à la détention du demandeur et à
l'action pénale dirigée contre lui, par l'effet de la conférence de presse.

    L'illicéité de la conférence de presse du 27 août 1980 résultant déjà
de la violation de l'art. 186 CPP, il n'est pas nécessaire de rechercher
si, abstraction faite de son interdiction par le Juge d'instruction
cantonal, cette conférence de presse ne portait pas aussi une atteinte
illicite aux intérêts personnels du demandeur en raison du moment où
elle avait été donnée, de la manière dont elle s'était déroulée et du
contenu de l'information qui y avait été livrée aux journalistes présents
(cf., par ex., ATF 91 I 454 ss consid. 5; pour d'autres exemples, dans le
cadre de l'art. 28 CC, cf. ATF 109 II 356 ss, 107 II 3 ss, 105 II 165,
104 II 2, 103 II 164, 100 II 179, 91 II 405; voir aussi les références
citées in RDS 1968 II, p. 371 ss et les ouvrages suivants: HÜNIG, Probleme
des Schutzes des Beschuldigten vor den Massenmedien, thèse Zurich 1975;
HAUSER, Kurzlehrbuch des schweizerischen Strafprozessrechts, 2e éd., p. 90;
VON BECKER, Straftäter und Tatverdächtige in den Massenmedien: Die Frage
der Rechtmässigkeit identifizierender Kriminalberichte, Baden-Baden 1979,
passim et p. 267 ss; ROHNER, Presse und Strafjustiz, in RPS 1972, p. 154 et
159; FRANK, Persönlichkeitsschutz im Strafverfahren, in RPS 1986, p. 270
ss, 277 et 280 n. 50; KÜHL, Persönlichkeitsschutz des Tatverdächtigen
durch die Unschuldsvermutung, in Festschrift für Heinrich Hubmann,
Francfort 1985, p. 241 ss; SCHUBARTH, Zur Tragweite des Grundsatzes der
Unschuldsvermutung, Bâle 1978, p. 11 ss).

    cc) Le demandeur taxe également d'illicite son inculpation pour
avoir participé à une émeute à Regensdorf, inculpation qui lui a été
signifiée le 10 janvier 1981. A cet égard, il soutient, d'une part,
que la manifestation en faveur de S. n'était pas interdite et qu'elle
s'est déroulée sur terrain privé, et, d'autre part, que les autorités
vaudoises n'étaient pas compétentes pour connaître de cette affaire,
faute d'en avoir été saisies par les autorités du lieu de commission.

    Le délit d'émeute (art. 260 CP) ne suppose pas une réunion interdite
par des règles de police, de sorte que le premier argument n'apparaît
pas pertinent. Le second ne semble guère fondé dès lors que le code pénal
ne prévoit pas une délégation de la compétence de juger par un canton en
faveur d'un autre, mais des règles de for de droit fédéral (art. 345 ss
CP, notamment art. 350 CP en cas de concours d'infractions).

    Quoi qu'il en soit, selon l'arrêt X. précité, même une erreur du juge
dans l'exercice de l'action pénale et le choix des mesures n'est illicite
que si le manquement est qualifié (SJ 1981, p. 234). Or, en l'espèce,
les motifs invoqués ne sont pas de nature à établir un tel manquement.

    dd) Le demandeur considère enfin comme illicite l'ordonnance
du 8 janvier 1982, par laquelle le Juge informateur de La Côte l'a
renvoyé devant le Tribunal correctionnel du district de Nyon pour recel
de matériel de cambrioleur, recel de plaques de voiture et émeute à
Regensdorf; il estime qu'il n'y avait pas de motifs juridiques autorisant
ce renvoi. S'agissant du recel de plaques de voiture, il relève que la
litispendance, puis la chose jugée empêchaient une autre instruction et un
autre jugement: en effet, l'instruction et le jugement de cette affaire
avaient été repris par les autorités argoviennes, soit le Bezirksamt de
Brugg qui avait fait bénéficier le demandeur d'une décision de classement,
rendue le 4 septembre 1980, et dont le Juge informateur vaudois aurait
eu connaissance.

    Le demandeur ne prétend pas avoir présenté avant l'audience de
jugement une requête tendant à la suspension ou à la constatation de
l'irrecevabilité de la poursuite; un recours dirigé contre l'ordonnance de
renvoi portait sur d'autres points. Au début de l'audience de jugement,
le conseil de K. formula, en revanche, une requête dans ce sens, qui fut
déclarée irrecevable en raison du défaut de l'accusé, lequel fut ensuite
totalement libéré par le jugement au fond.

    Dans la mesure où son inaction a empêché le redressement d'une
éventuelle erreur, le demandeur ne saurait en faire grief à l'Etat
défendeur pour lui réclamer une réparation pécuniaire (cf. ATF 107 Ib
158/159 consid. 2b).

    Pour le surplus, l'ordonnance de renvoi ne révèle pas un grave
manquement de son auteur, susceptible d'entraîner la responsabilité de
l'Etat (cf. SJ 1981, p. 234). On ne saurait, de toute manière, attendre
d'une autorité pénale de renvoi qu'elle examine la cause, en fait et en
droit, selon les mêmes critères que le juge statuant au fond. Les faits
découverts à Nyon demeuraient troublants et le Juge informateur pouvait
admettre sans arbitraire qu'ils justifiaient un renvoi au tribunal; au
regard de ces faits, les autres préventions pouvaient être tenues pour
accessoires, de sorte que, considérée globalement, l'ordonnance de renvoi
ne peut pas non plus être taxée de manquement grave.

    c) En définitive, seule la conférence de presse du 27 août 1980 peut
être tenue pour illicite au sens des art. 1er et 4 LREC, de sorte que, pour
le reste, la cause doit être jugée uniquement sur la base de l'art. 67 CPP.

Erwägung 4

    4.- L'Etat de Vaud soutient que "par son attitude illogique et peu
collaborante au moment de sa mise en détention préventive, le demandeur
est à l'origine de son propre dommage" qui doit dès lors rester à sa
charge. Il lui reproche en particulier d'avoir refusé de répondre aux
questions qui lui ont été posées à cinq reprises durant sa détention. La
thèse principale du défendeur consiste donc à prétendre qu'en raison
de la faute concurrente qu'il a commise, le demandeur est déchu de son
droit d'obtenir réparation ou qu'il doit, à tout le moins, souffrir une
réduction des dommages-intérêts qu'il réclame.

    a) L'art. 67 CPP institue une responsabilité causale de l'Etat
de Vaud en cas de détention préventive suivie d'un non-lieu ou d'un
acquittement. Toutefois, selon la jurisprudence du Tribunal cantonal
(arrêt Meylan du 6 juillet 1977, JdT 1978 III 24), "les règles sur
la détermination du dommage et sur les modalités de l'indemnisation
(art. 42 ss CO) n'en demeurent pas moins applicables. L'art. 67 al. 4
CPP y renvoie. Il en va ainsi notamment de l'art. 44 CO sur la faute
concurrente du lésé". Dans ses arrêts Bonzi (JdT 1981 III 34) et Busulini,
du 9 novembre 1979, le Tribunal fédéral, saisi d'actions directes au sens
de l'art. 42 OJ, a considéré qu'il n'y avait pas de raison de s'écarter
de cette interprétation, convaincante, des dispositions de l'art. 67 CPP.

    Aux termes de l'art. 44 al. 1 CO, le juge peut réduire les
dommages-intérêts, ou même n'en point allouer, lorsque la partie lésée a
consenti à la lésion ou lorsque des faits dont elle est responsable ont
contribué à créer le dommage, à l'augmenter, ou qu'ils ont aggravé la
situation du débiteur. Sous réserve de certaines exceptions qui n'entrent
pas en ligne de compte en l'espèce (cf. par ex. ATF 108 II 57 consid. 5a,
88 II 460 consid. 2b; 85 II 520 in fine; voir aussi BREHM, Commentaire
bernois, n. 37-47 et 54-60 ad art. 44), les "faits", dont parle cette
disposition, doivent pouvoir être imputés à faute à la victime; il faut
que celle-ci ait eu subjectivement un comportement répréhensible (ATF
102 II 239 consid. 3a; OFTINGER, Schweizerisches Haftpflichtrecht, I, 4e
éd., p. 161; DESCHENAUX/TERCIER, La responsabilité civile, 2e éd., No 46,
p. 87). Pour en juger, il convient d'avoir égard aux particularités de la
responsabilité ici en cause, laquelle découle du droit public et sanctionne
une mesure injustifiée - la détention préventive - ordonnée dans le cadre
de l'instruction d'un procès pénal. Ces particularités justifient que
la notion de faute concurrente au sens de l'art. 44 al. 1 CO, appliqué
à titre de droit cantonal supplétif, soit interprétée à la lumière des
principes régissant ces deux domaines, principes qui ne correspondent
pas nécessairement à ceux dont s'inspire le juge civil pour déterminer
l'existence d'une faute concomitante.

    b) Les considérations qui précèdent conduisent logiquement à
rechercher, dans la jurisprudence relative à la condamnation du prévenu
libéré aux frais de justice et dans celle concernant l'imputation de la
détention préventive, des indications permettant de cerner de plus près
la notion de faute concurrente du prévenu injustement détenu. De fait,
il existe assurément une analogie frappante entre les frais de justice
et les indemnités pour détention injustifiée, puisqu'il en va, dans les
deux cas, de l'incidence d'un certain comportement du prévenu libéré
sur le montant de sa fortune (dans ce sens cf. Tribunal fédéral in SJ
1986, p. 604/605 consid. 2c, ainsi que l'arrêt non publié L.B., du 23
juin 1982, consid. 3a, et le consid. 5c, non publié, de l'arrêt ATF 107
Ia 166 qui évoquent expressément cette parenté étroite entre les deux
institutions). Quoique moins apparent, le rapport entre l'indemnisation
du prévenu libéré et l'imputation de la détention préventive subie par le
condamné n'en est pas moins réel (cf. à ce sujet: SCHUBARTH, Die Rechte des
Beschuldigten im Untersuchungsverfahren, besonders bei Untersuchungshaft,
Berne 1973, p. 186 ss).

    aa) Selon la jurisprudence actuelle, l'accusé reconnu innocent
ou au bénéfice d'une décision de non-lieu ne peut être condamné aux
frais de justice qu'en vertu de considérations absolument étrangères à
une appréciation de sa culpabilité (ATF 109 Ia 87, 160, 166 et 238). En
revanche, il n'est pas contraire au principe de la présomption d'innocence
(art. 6 par. 2 CEDH) de mettre les frais à la charge du prévenu libéré
qui, par un comportement fautif, a donné lieu à l'ouverture de l'action
pénale ou en a compliqué l'instruction (cf. à ce sujet: ROUILLER, La
condamnation aux frais de justice du prévenu libéré de toute peine en
relation, notamment, avec la présomption d'innocence, in RSJ 80/1984
p. 205 ss). Pour cela, deux conditions cumulatives doivent cependant
être remplies (cf. ATF 109 Ia 163/164 précité): il faut, en premier lieu,
que soit établie l'existence d'actes répréhensibles au regard des règles
de l'éthique ou du droit civil; ces actes peuvent être rangés dans deux
catégories selon que le comportement incriminé réside dans les faits
mêmes qui sont à l'origine de l'ouverture de l'information pénale ou qu'il
consiste en des fautes commises durant la procédure d'instruction. Il faut
ensuite que le comportement fautif ait effectivement été à l'origine des
frais mis à la charge du prévenu libéré; la jurisprudence récente insiste
sur l'importance de cette seconde condition en précisant qu'une quelconque
attitude critiquable du prévenu ne constitue pas obligatoirement la cause
des frais de la procédure engagée contre ce dernier (arrêts non publiés D.,
du 30 octobre 1985, consid. 3b, et R., du 30 novembre 1984, consid. 2c/bb;
voir aussi LEVI, Schwerpunkte der strafprozessualen Rechtsprechung des
Bundesgerichtes und der Organe der Europäischen Menschenrechtskonvention,
in RPS 1985 p. 366/367).

    S'agissant plus particulièrement du silence du prévenu pendant
l'enquête, le Tribunal fédéral a jugé qu'il ne saurait en principe
justifier une condamnation aux frais, du moment que la jurisprudence
reconnaît à celui qui est inculpé dans un procès pénal le droit de se
taire (ATF 109 Ia 166 précité et les références; dans le même sens, cf. par
ex. le par. 5 al. 2 de la loi allemande d'indemnisation du 8 mars 1971, aux
termes duquel "die Entschädigung wird nicht dadurch ausgeschlossen, dass
der Beschuldigte sich darauf beschränkt hat, nicht zur Sache auszusagen)
...." et le commentaire de cette disposition par SCHÄTZLER, 2e éd., Munich
1982, No 57, p. 121); il a cependant réservé l'hypothèse dans laquelle le
prévenu ferait un usage abusif de son droit de refuser de répondre (même
arrêt), comme ce pourrait être le cas, suivant les circonstances, de celui
qui tairait un alibi susceptible de conduire à son élargissement immédiat
(cf. par ex. SCHÄTZLER, op.cit., No 9, p. 132, à propos du par. 6 al. 1
de la loi allemande d'indemnisation précitée qui prévoit la suppression
ou la réduction de l'indemnité dans les cas de ce genre).

    bb) En ce qui concerne l'imputation de la détention préventive
(art. 69 CP), seul doit être pris en considération le comportement du
prévenu postérieur à l'acte délictueux qui lui est reproché. En outre, on
ne saurait faire grief au condamné de s'être tu, ou même d'avoir proféré
un simple mensonge qui a seulement eu pour effet d'obliger l'autorité à
recueillir des preuves quant aux faits contestés. En revanche, on peut
retenir contre lui des mensonges qualifiés qui ont contraint le Juge
d'instruction à faire des contrôles supplémentaires qui ont rallongé
d'autant la durée de la détention préventive (ATF 105 IV 241 consid. 3,
103 IV 10, 102 IV 157/158 consid. 1d).

    c) En résumé, pour savoir si le comportement du prévenu libéré peut
entraîner la suppression ou la réduction de la réparation à laquelle il
a droit du fait de sa détention injustifiée, il sied d'adopter, mutatis
mutandis, les mêmes critères que ceux qui permettent de dire s'il y a
lieu de mettre les frais de justice à la charge du prévenu au bénéfice
d'une décision de non-lieu ou d'un acquittement, ou encore de renoncer
à l'imputation de la détention préventive subie par le condamné.

    Sur le vu de ce qui précède, les considérations touchant la faute
concomitante, que le Tribunal fédéral a émises dans ses arrêts Bonzi et
Busulini déjà cités, apparaissent trop schématiques pour pouvoir être
maintenues telles quelles. Il y est en effet question, comme causes
de réduction de l'indemnité pour détention injustifiée, du refus du
prévenu de répondre lors du premier interrogatoire, de ses explications
tantôt contradictoires, tantôt mensongères, voire du fait qu'il n'a pas
demandé lui-même sa mise en liberté provisoire (consid. 3c). De telles
circonstances ne sauraient être retenues, au titre de la faute concurrente
du prévenu libéré, que dans la mesure où elles pourraient justifier
également, en application des principes jurisprudentiels sus-indiqués,
la condamnation aux frais de ce même prévenu ou le refus d'imputer la
détention préventive subie par un condamné. Les arrêts Bonzi et Busulini
doivent donc être nuancés dans ce sens.

    d) En l'occurrence, il n'est toutefois pas nécessaire d'examiner
plus avant et de manière positive où se situe la frontière entre le
comportement licite et le comportement fautif du prévenu durant la
procédure d'instruction. On peut également se dispenser de rechercher si
l'application des principes susmentionnés au cas particulier permettrait
de retenir une faute à la charge du demandeur.

    En effet, il incombait au défendeur d'établir le lien de causalité
entre le silence prétendument fautif du demandeur et la prolongation de la
détention préventive (art. 8 CC par analogie; cf. ATF 108 II 64 consid. 3,
96 II 57 consid. 3, 83 II 532 in fine; voir aussi KUMMER, n. 246 ad art. 8
CC). Or, il n'a rien allégué de tel dans sa réponse où il s'est contenté
de faire état, sous ch. 99, du silence du prévenu. Aussi doit-il supporter
les conséquences de l'échec de la preuve sur ce point, la cour de céans
ne pouvant pas suppléer d'office à ce défaut d'allégation d'un éventuel
fait pertinent (cf. art. 3 al. 2 PCF).

    Dans ces conditions, aucun motif de réduction de l'indemnité ne peut
être retenu en l'espèce.

Erwägung 5

    5.- a) (Calcul du montant du dommage matériel subi par le demandeur.)

    b) Quant à l'indemnité pour tort moral, elle inclut en l'occurrence
aussi bien la prétention, fondée sur l'art. 67 CPP, pour la détention
injustifiée que celle, déduite de l'art. 6 al. 2 LREC, en rapport avec
la publicité illicite donnée à l'arrestation par la conférence de presse
de la police cantonale.

    aa) Dans un domaine où, par l'effet de l'art. 42 OJ, la même loi
est appliquée parallèlement par le Tribunal fédéral et le Tribunal
cantonal vaudois (sans recours ordinaire au Tribunal fédéral), le Tribunal
fédéral prend aussi en considération la pratique cantonale relative à des
questions d'appréciation, sans pour autant être lié en quoi que ce soit
par elle. Dans la cause récente dame M. c. Etat de Vaud, par jugement
du 21 octobre 1985 de la Cour civile, confirmé par arrêt du 25 février
1986 de la Chambre des recours, une personne détenue 50 heures, ayant
été atteinte de façon importante dans sa santé physique et psychique,
souffrant de troubles névrotiques persistants sous une forme atténuée
et ayant vu sa réputation ternie de manière peut-être indélébile, s'est
vu allouer une indemnité pour tort moral de 7'500 francs. L'arrêt de
la Chambre des recours expose à ce sujet que l'indemnité est élevée par
rapport à celles résultant de la jurisprudence du Tribunal d'accusation
(voir par exemple TA Bafic, 25 mai 1979: 14 jours de détention, 1'000
francs; Blanc, 15 septembre 1980: 6 jours, 1'500 francs; Marigliano, 1er
mars 1984: 16 jours, 2'500 francs); toutefois, elle peut se justifier,
eu égard aux circonstances particulières du cas, notamment à l'importance
de l'atteinte à la santé physique et psychique, ainsi qu'à la réputation,
et compte tenu également de la tendance de la jurisprudence fédérale
d'augmenter le montant des indemnités pour tort moral en cas de lésions
corporelles graves (ATF 108 II 422; pour un aperçu de cette évolution de
la jurisprudence, cf. ATF 112 II 131).

    bb) En l'espèce, K. a subi une détention de 18 jours; marié et père
de deux enfants, il a été séparé d'eux durant ce laps de temps. Si l'on
doit compter avec une période de réadaptation après la détention, il ne
semble pas en revanche qu'il subsiste des séquelles spécialement pénibles.

    La conférence de presse illicite a aussi porté atteinte à la sphère
privée du demandeur en livrant à une large publicité l'arrestation et la
détention, mais surtout le soupçon d'avoir participé à un grave recel;
si l'on peut admettre que tôt ou tard l'affaire aurait de toute manière
connu une grande publicité, la conférence de presse lui a donné du
retentissement et le poids d'une information officielle.

    Tout bien pesé, compte tenu de l'ensemble des circonstances du cas
particulier, il est équitable d'allouer au demandeur une indemnité pour
tort moral globale de 4'500 francs.