Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 108 II 444



108 II 444

85. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 12 octobre 1982 dans la
cause Tribune de Genève S.A. contre B. (recours en réforme) Regeste

    Art. 337 OR; Auflösung des Arbeitsvertrags aus wichtigen Gründen.

    Begriff der wichtigen Gründe. Fall eines Korrektors, der mit
der letzten wesentlichen Kontrolle des Textes vor dem Druck betraut
ist. Fristlose Entlassung als gerechtfertigt erachtet, nachdem
der Korrektor einer Pressemitteilung eine Bemerkung hinzugefügt
hatte, von der er annahm oder annehmen konnte, dass sie mitgedruckt
werde. Berücksichtigung vorausgegangener Verwarnungen.

Sachverhalt

    A.- B. était correcteur à la Tribune de Genève S.A. depuis 1970. De
novembre 1979 à décembre 1980, plusieurs avertissements lui ont été
adressés, avec la menace qu'une "mesure définitive" fût prise à son égard.

    Au début de septembre 1981, B. a été appelé à corriger le texte d'un
communiqué de presse, transmis par l'Agence-France-Presse (AFP), intitulé
"205 syndicalistes arrêtés en Afrique du Sud". Au bas de l'épreuve à
corriger, il a ajouté les neuf mots ci-dessous soulignés:

    "Le Bandoustan du Ciskei doit normalement accéder à l'"indépendance"
   le 4 décembre prochain. Le Transkei en 1976, le Bophuthatswana, en
   1977, et le Venda, en 1979, l'ont précédé sur cette voie, mais la
   Communauté internationale ne reconnaît aucune de ces "indépendances"
   parce qu'elles ne sont que de vulgaires parodies."

    Le communiqué de presse, annoncé comme étant celui de l'AFP, a paru
avec cette adjonction dans la Tribune de Genève, dans l'édition du soir
du 8 septembre 1981 et l'édition nationale du lendemain.

    Le jeudi 10 septembre 1981 étant férié à Genève, la Tribune de Genève
a informé B. le vendredi 11 septembre 1981 qu'elle le congédiait avec
effet immédiat pour justes motifs. Elle lui a confirmé cette résiliation
par lettre du 14 septembre 1981, dans les termes suivants:

    "... votre faute professionnelle, manifestement intentionnelle, nous
   paraît d'autant plus grave que le correcteur assume la responsabilité
   du dernier contrôle des textes avant leur impression. Dès lors, les
   rapports de confiance qui devraient caractériser notre collaboration
   n'existent plus et motivent notre décision.

    D'autre part, l'incident auquel nous nous référons est survenu après
   plusieurs mises en garde dont trois écrites qui vous informaient
   clairement des sanctions qui seraient prises si les conditions d'une
   collaboration normale n'étaient pas remplies."

    B.- Le Tribunal des prud'hommes de Genève, par jugements des 23 octobre
et 27 novembre 1981, a admis une demande de B. en paiement de son salaire
jusqu'à la date pour laquelle une résiliation ordinaire aurait sorti ses
effets, soit 9'966 fr. 60 sous déduction des charges sociales; il a en
revanche refusé de considérer la résiliation comme abusive et d'allouer
une indemnité pour tort moral au demandeur.

    La Chambre d'appel des prud'hommes de Genève a confirmé ce jugement
par arrêt du 7 avril 1982.

    La défenderesse recourt en réforme au Tribunal fédéral en concluant
à l'annulation de l'arrêt attaqué et au rejet de la demande.

    Le Tribunal fédéral admet le recours et réforme l'arrêt attaqué en ce
sens que la demande est rejetée, en tant qu'elle n'a pas déjà été rejetée
par le Tribunal des prud'hommes de Genève.

Auszug aus den Erwägungen:

                  Extrait des considérants:

Erwägung 2

    2.- Dans le contrat de travail, l'art. 337 CO permet à chaque partie
de résilier immédiatement le contrat en tout temps pour de justes motifs
(al. 1). Sont notamment considérés comme tels toutes les circonstances
qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas d'exiger de
celui qui a donné le congé la continuation des rapports de travail (al. 2).

    La notion de justes motifs est une notion de droit. Dès lors, le
Tribunal fédéral examine librement (art. 43 OJ), comme les juridictions
inférieures, s'il existe un juste motif de résiliation anticipée (art. 337
al. 3 CO).

    Pour déterminer quelles circonstances ne permettent plus d'exiger de
l'employeur la continuation des rapports de travail jusqu'à leur terme,
il faut prendre en considération tous les éléments du cas particulier,
notamment la position et les responsabilités du travailleur, la nature et
la durée des rapports contractuels, ainsi que la nature et l'importance
des manquements (ATF 104 II 29). En général, une violation grave des
obligations du travailleur peut motiver une résiliation immédiate sans
avertissement; des violations moins importantes peuvent conduire à une
telle résiliation si elles ont été précédées d'un avertissement ou si
elles sont persistantes (ATF 101 Ia 549).

    La faute déterminante du travailleur peut résider dans la violation
de ses devoirs professionnels (art. 321 ss CO), notamment de son devoir
général d'exécuter avec soin le travail confié et de sauvegarder fidèlement
les intérêts légitimes de l'employeur (art. 321a al. 1 CO).

    a) En l'espèce, les parties sont liées par le contrat collectif de
travail pour travailleurs de l'imprimerie, conclu entre l'Association
suisse des arts graphiques et le Syndicat suisse des arts graphiques,
valable du 1er mai 1980 au 30 avril 1983. Aux termes de l'art. 36 al. 2 de
ce contrat, "les travaux de correcteur sont la mise au net et préparation
technique des manuscrits, la correction en première, les corrections de
mise en pages, la correction en seconde et les tierces". L'art. 27 al. 2
dispose: "Les parties contractantes se placent sur le terrain de l'absolue
liberté de presse. Un droit de discussion envers le contenu intellectuel
d'un imprimé n'est admissible en aucun cas." A plus forte raison une
modification du texte à transcrire est-elle en principe prohibée.

    On peut aussi considérer comme une règle fondamentale, dans les
entreprises graphiques, que l'organisme chargé d'imprimer un texte ne
doit pas modifier le contenu formel du message transmis, sous réserve
de corrections mineures (orthographe, certaines fautes de grammaire ou
inadvertances ayant échappé à la rédaction); cet organisme ne saurait
en aucun cas, notamment, ajouter des commentaires ou explications au
message confié, en vue de sa diffusion. L'inobservation de cette règle
par un travailleur constitue en soi un manquement caractérisé à ses
devoirs professionnels. Quant à l'importance d'une telle violation, pour
la confiance devant régir les rapports entre employeur et travailleur,
elle dépend de la fonction occupée par celui qui l'a commise, ainsi que
de la nature de la faute commise.

    Il résulte des constatations de fait de l'arrêt attaqué que,
dans l'impression de la Tribune de Genève, le correcteur procède au
dernier contrôle important du texte avant son impression; en effet,
le contrôle exercé après la mise en pages se révèle à la fois rapide et
formel. L'éditeur du journal doit donc pouvoir compter sur un travail
consciencieux du correcteur, dont l'activité ne peut guère être contrôlée
par autrui avant l'impression et la parution du journal; il doit notamment
pouvoir compter que le correcteur n'apportera pas de son propre chef
des modifications ou adjonctions illicites, que l'éditeur ne pourrait en
général pas déceler suffisamment tôt pour en empêcher la publication.

    Subjectivement, la confiance que l'employeur peut conserver en un
travailleur ayant enfreint cette règle dépendra aussi de la gravité de
la faute commise.

    b) En l'espèce, on doit admettre qu'en sa qualité de correcteur,
le demandeur occupait un poste à responsabilités, s'agissant de la
transmission fidèle du contenu du message à diffuser. Il a commis une faute
caractérisée, en ajoutant dans le texte même du communiqué de presse de
l'AFP - que son employeur avait l'obligation de diffuser tel quel - un
commentaire déplacé impliquant un jugement de valeur quant au fond, que
ledit communiqué ne contenait pas. Cette adjonction ne peut se fonder sur
aucune justification en relation avec le travail, telle qu'une erreur ou
une inadvertance. Le demandeur prétend avoir ajouté à l'épreuve un texte
dont il pensait qu'il ne serait pas imprimé; la défenderesse lui reproche
en revanche d'avoir agi intentionnellement en vue de la publication du
rajout, ou du moins par dol éventuel. La cour cantonale ne se prononce
pas expressément à ce sujet; affirmant "qu'il n'était pas du tout certain
que le compositeur et encore moins un correcteur, lors de la vérification
de la mise en pages, aient dû ou pu voir qu'il s'agissait d'un rajout à
écarter", elle fait implicitement au correcteur le grief d'avoir apporté
à l'épreuve une adjonction dont il pensait ou pouvait sérieusement penser
qu'elle serait transcrite dans le texte imprimé. Qu'elle relève du dol,
du dol éventuel ou de la négligence, une telle faute est de toute manière
grave, car elle constitue une violation caractérisée des obligations du
correcteur, dépourvue de toute justification la rendant excusable.

    Les circonstances invoquées par la cour cantonale et le demandeur,
dans le sens d'une atténuation de la gravité de la faute commise,
n'apparaissent pas décisives. Ainsi, la durée écoulée des relations
de travail n'est pas déterminante, du moment que ces relations avaient
déjà été perturbées par d'autres manquements du travailleur. Au sujet
d'un éventuel rectificatif, la défenderesse objecte à juste titre qu'il
aurait été propre à attirer davantage l'attention sur l'erreur du journal,
commise par la faute du demandeur. Quant aux difficultés éventuelles entre
employeur et travailleur, elles ne sont pas non plus propres à atténuer
la faute commise par le demandeur.

    Dans les conditions de l'espèce, la violation contractuelle gravement
fautive commise par le demandeur était de nature à ruiner la confiance de
l'employeur dans la capacité et la volonté du travailleur de respecter
à l'avenir le contrat. Cette atteinte au rapport de confiance était
telle que l'on ne pouvait exiger de la défenderesse qu'elle maintienne
le demandeur, jusqu'à l'expiration du délai légal de congé, dans une
fonction à responsabilités où il devait être à même d'agir seul sans le
contrôle de son employeur et sans exposer celui-ci à subir un dommage. La
défenderesse était dès lors fondée à résilier avec effet immédiat le
contrat liant les parties.

    c) Cette solution se justifie d'autant plus que l'on doit prendre
en considération les différents et sérieux avertissements donnés par
l'employeur au travailleur jusqu'en décembre 1980 pour apprécier les
efforts que la défenderesse était tenue de consentir avant de pouvoir
résilier le contrat de travail de façon abrupte. Ces mises en garde ne
remontaient pas à une époque si reculée qu'elles n'auraient plus sorti
aucun effet en septembre 1981, malgré une amélioration de la conduite du
demandeur dans l'intervalle; l'écoulement de ce temps relativement court
a seulement atténué les effets desdits avertissements. Au demeurant,
ceux-ci se rapportaient à l'exécution des devoirs professionnels en
général et n'avaient pas un objet totalement différent de la faute commise
en septembre 1981, puisqu'il avait été notamment question de plaintes
d'un annonceur concernant des textes qui auraient été modifiés par le
demandeur. Ce dernier devait donc être conscient qu'une violation grave du
contrat, telle que la diffusion illicite dans le journal d'une adjonction
à un communiqué de presse, ne serait pas tolérée par la défenderesse et
risquait de provoquer la rupture des relations de travail, en dépit du
temps écoulé depuis décembre 1980.