Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 108 IA 41



108 Ia 41

10. Arrêt de la IIe Cour de droit public du 12 mars 1982 dans la cause
Rivara c. Conseil d'Etat du canton de Genève (recours de droit public)
Regeste

    Kultusfreiheit; kirchlicher Umzug auf öffentlichem Grund.

    Art. 50 Abs. 1 und 2 BV; innerhalb der durch diese Bestimmung gesetzten
Grenzen sind die Kantone verpflichtet die Abhaltung einer Prozession auf
ihrem Gebiet zu gestatten (Bestätigung der Rechtsprechung; E. 2a).

    Art. 1 des Genfer Gesetzes über die öffentliche Religionsausübung,
welcher jede Art von Prozessionen oder kirchlichen Kundgebungen auf
öffentlichen Strassen untersagt, verstösst gegen Art. 50 BV (E. 2b und c).

    Die Kantone können kirchliche Kundgebungen auf öffentlichem Grund der
Bewilligungspflicht unterstellen. Im konkreten Fall war die Verweigerung
einer solchen Bewilligung ungerechtfertigt (E. 3).

Sachverhalt

    A.- Par lettre du 24 mars 1981 adressée au Département genevois
de justice et police, le recourant Jean-Pierre Rivara a sollicité
l'autorisation "d'organiser une manifestation le 12 avril 1981, dont le
but est de permettre à la communauté de la paroisse Sainte-Thérèse de
se déplacer, en chantant, de l'angle de l'avenue Bertrand jusqu'au 14 de
l'avenue Peschier. Cette manifestation commencerait aux alentours de 10
h. 15 et se terminerait vers 10 h. 25." En réalité, il s'agissait pour
les responsables de la paroisse d'obtenir l'autorisation d'organiser la
procession des Rameaux prévue par la liturgie catholique en souvenir de
l'entrée du Christ dans la Ville Sainte de Jérusalem.

    Le 6 avril 1981, le chef du Département de justice et police a refusé
l'autorisation sollicitée en vertu de l'art. 1er de la loi genevoise du
28 août 1875 sur le culte extérieur, qui interdit formellement "toute
célébration de culte, procession ou cérémonie religieuse quelconque sur
la voie publique".

    Par arrêté sommairement motivé du 10 avril 1981, le Conseil d'Etat a
rejeté, comme mal fondé, le recours formé en temps utile contre la décision
négative du Département. Il a considéré notamment que "dans un Etat fondé
sur le droit, l'autorité doit respecter toutes les lois matérielles ou
formelles, même si parfois la solution concrète apparaît inopportune".

    Agissant par la voie du recours de droit public pour violation de
l'art. 50 Cst., Jean-Pierre Rivara demande au Tribunal fédéral d'annuler
cet arrêté du gouvernement genevois.

    Le Tribunal fédéral a admis le recours et annulé l'arrêté du Conseil
d'Etat genevois du 10 avril 1981, pour les motifs suivants:

Auszug aus den Erwägungen:

                    Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- a) La procession, pour laquelle le recourant a sollicité une
autorisation des autorités genevoises, devait avoir lieu à une date
bien précise (le 12 avril 1981), déterminée par la liturgie catholique
(dimanche des Rameaux). Le Département de justice et police puis, sur
recours, le Conseil d'Etat ont pu se prononcer sur la demande avant cette
date. En revanche, le Tribunal fédéral s'est trouvé dans l'impossibilité
de statuer en temps utile sur le présent recours de droit public, qui a
été déposé le 4 mai 1981. Pour le recourant comme pour les responsables
de la paroisse catholique de Sainte-Thérèse, la demande d'autorisation
n'avait donc plus d'utilité au moment où le recours a été formé devant le
Tribunal fédéral. Cela ne signifie toutefois pas que les griefs articulés
par le recourant soient dépourvus d'un intérêt actuel et pratique au sens
de l'art. 88 OJ. Le Tribunal fédéral renonce en effet à cette exigence
lorsque - comme en l'espèce - elle ferait obstacle au contrôle de la
constitutionnalité d'un acte qui peut se reproduire en tout temps, dans
des circonstances semblables (ATF 104 Ia 488; 100 Ia 394 consid. 1b).

    b) Le justiciable qui - comme le recourant - entend se prévaloir de
l'inconstitutionnalité d'une disposition cantonale de portée générale peut
former un recours de droit public, soit contre la disposition elle-même
dans le délai de trente jours dès sa promulgation, soit contre une décision
appliquant cette disposition à un cas particulier, dans le délai de trente
jours dès la notification de la décision. En l'occurrence, le délai pour
demander l'annulation de l'art. 1er de la loi genevoise du 28 août 1875
est échu depuis longtemps, mais le recourant a la faculté de demander
l'annulation de la décision lui refusant d'organiser une procession,
prise en application de cette norme (ATF 104 Ia 437 consid. 4c; 103 Ia
518 consid. 1a).

    c) Formé en temps utile contre une décision prise en dernière instance
cantonale, le présent recours de droit public est donc recevable.

Erwägung 2

    2.- A l'appui de son recours, Jean-Pierre Rivara reproche aux
autorités genevoises d'avoir appliqué strictement la loi cantonale sur
le culte extérieur qui, à son avis, consacre une violation flagrante de
la liberté des cultes, telle qu'elle est garantie à l'art. 50 al. 1 Cst.

    a) Comme les autres libertés individuelles garanties par la
Constitution fédérale, la liberté de culte n'est pas absolue. Cela
résulte du texte même de l'art. 50 Cst., lequel précise non seulement que
le libre exercice des cultes est garanti "dans les limites compatibles
avec l'ordre public et les bonnes moeurs" (al. 1), mais encore que "les
cantons et la Confédération peuvent prendre des mesures pour le maintien
de l'ordre public et de la paix entre les membres des diverses communautés
religieuses" (...) (al. 2).

    Dans son arrêt Vogel du 3 mars 1923 (ATF 49 I 138 ss), le Tribunal
fédéral a précisé les raisons relevant de la police des cultes qui peuvent
s'opposer à ce qu'une procession ait lieu sur le domaine public. Il a
notamment relevé que dans les pays où la liberté de culte est garantie,
on doit pouvoir exiger de toutes les communautés religieuses et de
leurs adhérents un certain degré de tolérance réciproque à l'égard des
manifestations de culte extérieures. Ainsi, le seul fait que l'exercice
en public d'un culte pourrait blesser le sentiment religieux de personnes
appartenant à une autre confession ne suffit en principe pas pour que
la paix confessionnelle soit troublée. Il faut en outre que la vie en
commun soit perturbée ou menacée par le déroulement de la manifestation en
public et qu'il en résulte un état de tension préjudiciable. Tel sera le
cas si la nature de la manifestation apparaît objectivement inopportune
et provocatrice au regard des circonstances locales. La garantie de
l'art. 50 Cst. ne pourra donc être invoquée en faveur des manifestations
qui, en raison du moment, de la localité et de la manière dont le domaine
public est mis à contribution, se révèlent comme étant une exhibition
superflue, une provocation ou une manoeuvre de prosélytisme (ATF 49 I
154 consid. 4e). Quant au conflit pouvant résulter entre l'utilisation
du domaine public pour y faire des processions et les exigences de la
circulation, il devra être résolu selon les circonstances locales, en
tenant compte, d'une part, de l'importance du trafic et, d'autre part,
de la mesure dans laquelle celui-ci est entravé (ATF 49 I 152 consid. 4d).

    La doctrine admet aussi que la liberté de culte est soumise à certaines
restrictions. Pour sa part, Favre relève qu'elle est, en principe,
"astreinte aux mêmes limitations que la liberté de croyance; de même que
l'individu ne doit pas, en affirmant et en propageant sa croyance, lui
donner une forme d'expression illicite, ainsi les communautés religieuses
doivent s'abstenir, dans l'accomplissement des actes du culte, de toute
atteinte à l'ordre public et aux bonnes moeurs. La conception de l'ordre
public a subi dans ce domaine une évolution sensible, correspondant à
l'évolution des moeurs dans le sens du respect réciproque à l'égard des
membres des différentes communautés religieuses." (Voir ANTOINE FAVRE,
Droit constitutionnel suisse, p. 269; voir aussi JEAN-FRANÇOIS AUBERT,
Traité de droit constitutionnel suisse, p. 721 no 2042; FLEINER/GIACOMETTI,
Schweizerisches Bundesstaatsrecht, p. 340; FRANÇOIS CLERC, La liberté
religieuse en Suisse, Paris 1937, p. 66 ss; L.R. VON SALIS, Die Entwicklung
der Kultusfreiheit in der Schweiz, Bâle 1894, p. 8.)

    Le Tribunal fédéral n'a, en l'occurrence, aucun motif de s'écarter
des principes dégagés dans l'arrêt Vogel. Il en résulte qu'indépendamment
de l'existence d'une loi cantonale, les cantons doivent autoriser le
déroulement d'une procession dans les limites posées par l'art. 50
Cst., soit lorsqu'une telle manifestation n'est pas de nature à gêner
sérieusement la circulation ou à troubler la paix confessionnelle et
l'ordre public.

    b) La loi genevoise sur le culte extérieur prévoit que "toute
célébration de culte, procession ou cérémonie religieuse quelconque
est interdite sur la voie publique (art. 1er). Est excepté de cette
interdiction le service divin prescrit, pour les troupes, par les autorités
militaires (art. 2)."

    Qualifiant cette loi d'obsolète, le recourant relève qu'elle a été
établie à une époque où les luttes et les antagonismes religieux étaient
extrêmement vifs ("Kulturkampf"), mais que les interdictions qu'elle fixe
ne sont, actuellement, plus justifiées.

    Ces affirmations sont exactes et ne sont d'ailleurs pas contestées
par le Conseil d'Etat. L'histoire enseigne en effet que, indépendamment
des conflits relatifs au cardinal Mermillod (désigné, contre la volonté
du Conseil d'Etat genevois et du Conseil fédéral, "vicaire apostolique"
de Genève), les luttes confessionnelles avaient pris à Genève, entre 1870
et 1880, un caractère très violent, "dû surtout à l'influence des radicaux
avancés, tels que Carteret et Héridier". Elles aboutirent à la loi du 3
février 1872 contre les communautés religieuses et à la loi ecclésiastique
du 19 février 1873 qui interdisait notamment la création d'un diocèse. "Le
4 septembre 1874, on voulut procéder à Genève à l'assermentation
des ecclésiastiques; ceux-ci s'y refusèrent à l'unanimité; ils furent
destitués et privés de leurs revenus; des prêtres vieux-catholiques, la
plupart d'origine étrangère, furent installés en leur lieu et place et le
schisme s'organisa. On procéda dans tout le canton à l'inventaire officiel
des églises et les autorités des paroisses catholiques s'étant refusées
à les céder, celles-ci furent presque partout occupées de force par la
police ou par la troupe (1875-1877) (...) Le conflit fut encore aggravé
par la loi du 28 août 1875 sur le culte extérieur." (Voir ALB. BÜCHI,
Le Kulturkampf en Suisse, in Dictionnaire historique et biographique de
la Suisse, Neuchâtel 1928, t. 4 p. 409, voir aussi Histoire de Genève,
1974, p. 314 ss; ALFRED BECHTOLD, La Suisse romande au cap du XXe siècle,
Lausanne 1966, p. 568 ss; WILLIAM MARTIN, La situation du catholicisme à
Genève, 1815-1907, p. 208 ss; AUGUSTE DE MONTFALCON, L'incamération des
biens des corporations religieuses de Genève en 1876, thèse Genève 1934.)

    En cette période de luttes violentes sur les plans religieux et
confessionnel, les autorités se devaient d'intervenir pour maintenir
l'ordre public. L'interdiction de toute procession ou manifestation
religieuse sur la voie publique pouvait donc trouver sa justification
dans la volonté du législateur genevois d'éviter les provocations
et de maintenir autant que possible l'ordre public. A cette époque
et en raison de cette situation particulière, elle pouvait donc être
considérée comme encore compatible avec les dispositions de l'art. 50 Cst.
(voir FLEINER/GIACOMETTI, op.cit., p. 338 n. 24 et p. 340 n. 11). En
1875 et 1876, le Tribunal fédéral n'a pas eu à se prononcer sur la
constitutionnalité de l'art. 1er de la loi sur le culte extérieur; en
revanche, se plaçant uniquement sur le terrain de l'égalité devant la loi
(art. 4 Cst.) et laissant le soin au Conseil fédéral de se prononcer sous
l'angle de l'art. 50 Cst., il a rejeté un recours formé par plusieurs
ecclésiastiques contre l'interdiction qui leur était faite de porter
l'habit ecclésiastique sur la voie publique (ATF 1 p. 278 ss, 2 p. 178 ss).

    La situation a heureusement évolué dans le sens d'un apaisement
des esprits et des consciences. "La défaite des partisans des luttes
confessionnelles aux élections du Conseil d'Etat en novembre 1878
mit fin au stérile conflit dont le peuple ne voulait plus entendre
parler. On commença à supprimer par étapes la législation d'occasion en
amendant et en adoucissant les lois existantes. Le départ de Mermillod
en 1890, auquel succéda (à Fribourg) l'évêque Deruaz, nature éminemment
conciliante, facilita un rapprochement ainsi que la restitution des
églises qu'occupaient les vieux-catholiques." (Voir ALB. BÜCHI, op.cit.,
p. 409.) Aujourd'hui, la grande majorité des fidèles des trois confessions
(protestants, catholiques romains et vieux-catholiques) considèrent
ces querelles religieuses comme plus ou moins vaines ou dépassées; le
mouvement oecuménique joue un rôle non négligeable dans la plupart des
paroisses de la ville et de la campagne.

    c) Dans ces conditions, il n'est plus possible de justifier une
interdiction absolue de toute procession ou manifestation religieuse sur
la voie publique en vertu de l'art. 1er de la loi du 28 août 1875. Il
appartenait donc au Conseil d'Etat, au lieu d'appliquer strictement
cette disposition, d'examiner à titre préjudiciel si l'article précité
est conforme à la Constitution fédérale (voir arrêt du Tribunal fédéral
du 19 février 1982 Berseth c. Conseil d'Etat du canton de Vaud qui,
sur ce point, définit clairement le rôle de l'autorité exécutive). S'il
avait procédé à cet examen, il aurait pu s'apercevoir que, telle qu'elle
est formulée, l'interdiction absolue posée par l'art. 1er de la loi
sur le culte extérieur est contraire à l'art. 50 Cst. et aux principes
jurisprudentiels rappelés ci-dessus (consid. 2a).

Erwägung 3

    3.- Dès lors que la date à laquelle devait avoir lieu la procession
dans la paroisse de Sainte-Thérèse est passée depuis longtemps, il
n'appartient plus au Tribunal fédéral de se prononcer formellement sur
l'autorisation sollicitée par le recourant, mais uniquement sur les
divers éléments que l'autorité aurait dû prendre en considération dans
son appréciation de la situation.

    a) Dans son arrêt Vogel, le Tribunal fédéral a déjà dit que le
droit d'utiliser des routes pour des processions ne découle pas sans
autre de l'art. 50 Cst. sans qu'il soit nécessaire de procéder à une
demande d'autorisation. Il s'agit, en effet, d'une utilisation d'un ordre
particulier de la voie publique, que les cantons peuvent soumettre à une
autorisation de police, comme c'est le cas pour les ventes en plein air,
les représentations ou les manifestations. Il appartient à l'autorité de
trancher impartialement la question en tenant compte, en plus, du maintien
de la paix religieuse (voir ATF 49 I 148 consid. 3). En l'occurrence,
une demande d'autorisation a d'ailleurs été faite.

    Pour se prononcer sur cette autorisation, le Conseil d'Etat était
tenu de peser les intérêts en présence et de prendre en considération
les circonstances particulières du cas. Or, l'autorisation litigieuse
concernait la procession des Rameaux qui, dans la liturgie catholique,
commémore l'entrée du Christ dans la Ville Sainte de Jérusalem (voir
Le Nouveau Missel des dimanches, 1971, p. 142, "Procession: le prêtre
invite alors les participants à prendre en main leurs rameaux bénits et
à se mettre en marche vers l'église où sera célébrée l'Eucharistie"). Il
s'agit donc d'un acte cultuel collectif, prescrit expressément par la
liturgie et non pas seulement par la tradition, qui, dans les circonstances
présentes, n'est pas de nature à compromettre la paix confessionnelle et
l'ordre public. Concernant les raisons de sécurité de la circulation, le
Conseil d'Etat relève certes à juste titre "qu'à Genève, la circulation
est une exigence fondamentale dont on ne peut faire abstraction lorsqu'il
s'agit de déterminer les conditions d'utilisation de la voie publique à
d'autres fins". Toutefois, cet élément n'a qu'une importance minime en
l'espèce. Du point de vue de la sécurité de la circulation, il n'y a, en
effet, aucune commune mesure entre le fait pour une communauté religieuse
de traverser en procession l'av. Peschier un dimanche matin pendant 10
minutes et des manifestations politiques qui bloquent la circulation dans
le centre de la ville.

Erwägung 4

    4.- Compte tenu de ce qui précède, il faut admettre qu'en appliquant
strictement la loi sans procéder à l'examen des circonstances concrètes,
la décision du Conseil d'Etat n'est pas compatible avec les principes
énoncés à l'art. 50 Cst. et doit dès lors être annulée.