Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 104 V 19



104 V 19

5. Arrêt du 19 janvier 1978 dans la cause Bonardi contre Caisse nationale
suisse d'assurance en cas d'accidents et Tribunal des assurances du canton
de Vaud Regeste

    Art. 67 Abs. 3 KUVG. Deltasegeln an sich ist kein Wagnis, kann es
aber umständehalber sein.

Sachverhalt

    A.- Charles Bonardi, né en 1927, domicilié à V., est entré le 18
novembre 1974 au service de la Société X. Cette entreprise est soumise
à l'assurance obligatoire contre les accidents professionnels et non
professionnels ainsi que les maladies professionnelles. Vers le début de
1974, Bonardi se mit à pratiquer le vol sans moteur au moyen des engins
dits "planeurs de pente (Hängegleiter)" ou "ailes delta". Il se soumit
à une formation sérieuse et acquit rapidement une expérience étendue. Il
passait pour un "vélideltiste" prudent et avisé.

    Le 1er août 1975, Charles Bonardi, Guy B. et Charly M. se rendirent aux
Rochers-de-Naye, dans l'intention de voler de ce sommet jusqu'à l'ancien
aérodrome de Rennaz, dans la plaine du Rhône, ce qui représentait une
dénivellation d'environ 1600 mètres. Vers 17 h., les trois hommes se
lancèrent en direction de Montreux sur la pente rapide située devant le
restaurant. M. partit le premier, suivi de B., puis de Bonardi. Celui-ci
avait déjà fait quatre fois la descente des Rochers-de-Naye à Rennaz. Il
utilisait pour ce cinquième vol un appareil Wind's Wing, de type courant,
avec lequel il avait exécuté plus de 20 grands vols. Les conditions
météorologiques étaient bonnes. Tandis que ses compagnons parvenaient au
but sans encombre, Bonardi fut victime d'un accident dans les circonstances
suivantes:

    Le pilote d'un planeur de pente dirige son engin en agissant sur un
trapèze fixé sous l'aile et solidaire de cette dernière. Il est lui-même
suspendu à l'aile, derrière le trapèze, par un harnais dont il existe
différents types. Par exemple, les uns permettent de voler debout; les
autres, assis. Le harnais de l'assuré était conçu pour voler assis. Il
était relié à l'aile par un mousqueton, lui-même fixé par une corde
en nylon. Quelques secondes après le décollage, l'assuré constata que
le noeud de marin formé par la corde de nylon se défaisait lentement
et que le harnais allait se détacher. Il se suspendit alors aux barres
latérales du trapèze. Dans cette position, il pouvait encore se diriger,
en déplaçant le poids de son corps; mais il ne pouvait plus régler
l'angle d'incidence, qui lui imposait une vitesse excessive. Il ne lui
restait qu'à atterrir d'urgence, ce qu'il fit en virant et retournant en
direction de la crête. Il dirigea son appareil vers une pente herbeuse
et le lâcha lorsqu'il se trouva à environ un mètre du sol, afin de ne
pas être blessé par l'engin. En raison de la vitesse, il prit contact
brutalement avec le sol. Il fut transporté en hélicoptère au Centre
hospitalier universitaire du canton de Vaud, où l'on diagnostiqua
une fracture-luxation de la cheville gauche, une fracture du calcanéum
gauche, une section de l'artère tibiale postérieure gauche, une fracture
comminutive du plateau tibial droit et une fracture du 3e métatarsien
droit. Le planeur de pente ne subit pas de dégâts.

    Par décision du 6 janvier 1976, la Caisse nationale suisse d'assurance
en cas d'accidents (CNA) refusa de prendre l'accident en charge, pour
le motif que le vol au cours duquel il s'était produit constituait en
soi et à raison d'une préparation défectueuse une entreprise téméraire
exclue de l'assurance.

    B.- Charles Bonardi recourut, par l'entremise de Me W. Il conclut
à ce que la CNA assume les conséquences de l'accident du 1er août 1975,
en lui fournissant toutes prestations légales.

    La CNA conclut au rejet du recours.

    Après réplique, duplique et audition de témoins, le Tribunal des
assurances du canton de Vaud rejeta le recours le 25 mars 1977. Selon
les premiers juges, la pratique du vol delta présente un danger grave et
imminent, quelles que soient la distance, la dénivellation, la nature du
parcours et les conditions météorologiques, d'une part, et les qualités du
pilote et de l'équipement, d'autre part. Elle constitue donc toujours une
entreprise téméraire. Le recourant s'est exposé sciemment à ces dangers.

    C.- Agissant au nom de Charles Bonardi, Me W. a formé en temps utile
un recours de droit administratif contre le jugement cantonal. Il allègue
en substance: que les grandes compagnies d'assurance privées couvrent
sans surprime les accidents d'aile delta; que maintes activités sportives
assurées par la CNA sont aussi ou plus dangereuses que le vol au moyen de
planeurs de pente; que le recourant était apte à voler des Rochers-de-Naye
à Rennaz; qu'il s'y était préparé soigneusement; qu'il utilisait un
appareil adéquat; que le vol ne présentait de difficultés ni à cause
de la nature des lieux ni à cause des conditions météorologiques; qu'en
fait l'accident ne s'est pas produit au cours d'un "grand vol", à savoir
de plus de 200 mètres de dénivellation, mais au cours d'un vol qui s'est
terminé quelque 100 mètres en aval du point de départ; que le recourant n'a
commis aucune faute; qu'en particulier il avait contrôlé le noeud fatal;
qu'il a été victime d'un de ces impondérables qui peuvent se manifester
dans n'importe quelle activité humaine; que, de toute façon, en prenant
en charge certains accidents d'aile delta et en refusant d'assumer celui
du recourant, la CNA viole le principe de l'égalité devant la loi contenu
dans l'art. 4 Cst.; qu'enfin, en laissant croire qu'elle ne refuserait
d'assurer que les accidents d'aile delta survenus dans des circonstances
particulièrement dangereuses puis en adoptant en l'espèce une pratique
plus restrictive, elle a surpris la bonne foi de l'assuré, contrairement
au même art. 4 Cst. Il reprend ses conclusions de première instance.

    L'intimée conclut au rejet du recours. Selon elle, on peut sérieusement
mettre en doute que le vol en planeur de pente soit une activité sportive
digne de protection, comme l'est l'alpinisme, par exemple. Au surplus, les
précautions que nécessite l'utilisation des ailes delta, la gravité des
conséquences de la moindre erreur et la fréquence relative des accidents
survenus au cours de tels vols feraient que la pratique de ce sport
devrait bien être considérée comme une entreprise téméraire en soi. On
ne saurait lui reprocher - à elle, intimée - d'avoir varié d'opinion à
ce sujet, s'agissant d'une activité nouvelle, dont seule une expérience
d'une certaine durée pouvait révéler les défauts.

Auszug aus den Erwägungen:

                     Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- En vertu de la seconde phrase de l'art. 67 al. 3 LAMA, la CNA
peut exclure de l'assurance des accidents non professionnels les dangers
extraordinaires et les entreprises téméraires. Fondé sur cette disposition
légale, le Conseil d'administration de la CNA a pris le 31 octobre 1967
une décision qui exclut de l'assurance: I. des dangers extraordinaires
désignés nommément; II. les entreprises téméraires, à l'exception des
actes de dévouement et de sauvetage à l'égard de personnes.

    Alors que le danger extraordinaire est exclu quelle que soit la
gravité du risque auquel la victime s'est exposée dans le cas concret,
cette gravité est au contraire un élément de l'entreprise téméraire, que
la décision du 31 octobre 1967 décrit en effet comme il suit: l'acte par
lequel un assuré s'expose sciemment à un danger particulièrement grave
pouvant résulter soit de l'acte lui-même, soit de la manière dont il est
accompli, soit des circonstances concomitantes, soit de la personnalité
de l'intéressé.

    Selon la jurisprudence la plus récente du Tribunal fédéral des
assurances, il faut qualifier d'entreprises téméraires - dès l'abord
exclues de l'assurance - les activités non comprises dans la liste des
dangers extraordinaires qui comportent des risques particulièrement
importants même si elles sont pratiquées dans les conditions les moins
défavorables. Il s'agit d'activités impliquant de tels dangers qu'on ne
saurait imposer à l'ensemble des assurés d'en assumer les conséquences
dommageables. Il en va ainsi, par exemple, de certaines courses de montagne
ou parties de varappe présentant un risque si élevé qu'il ne peut être
ramené à des proportions raisonnables, quels que soient l'équipement
utilisé et les qualifications des auteurs de l'entreprise tentée. Un
risque assuré en soi peut toutefois perdre ce caractère au regard des
circonstances du cas concret, notamment de la façon dont il est affronté,
des conditions météorologiques, du matériel utilisé ou encore des aptitudes
de l'assuré (et non de celles d'un varappeur moyen, par exemple; ATF 97 V
72). La Cour de céans s'était déjà engagée dans cette voie dans l'arrêt ATF
96 V 100, relatif à la plongée spéléologique. Elle s'y est maintenue dans
l'arrêt 97 V 86 (s'agissant encore de varappe) et dans celui, non publié,
du 13 octobre 1971 en la cause Büchler (concernant l'aviation acrobatique;
voir aussi ATF 98 V 144, consid. 4 p. 148).

    Cette jurisprudence présente l'avantage de mieux tenir compte de
la différence fondamentale existant entre dangers extraordinaires et
entreprises téméraires. Elle présente l'inconvénient de laisser les
intéressés dans l'incertitude sur leurs droits à l'égard de la CNA,
dans les cas où les circonstances de l'accident sont susceptibles
d'appréciations diverses.

Erwägung 2

    2.- Cette notion de l'entreprise téméraire n'exclut donc pas, on
vient de le voir, l'existence d'activités qu'aucun être humain, quelque
doué qu'il soit, ne peut pratiquer sans s'exposer de manière réelle et
imminente à un danger particulièrement grave dont on ne peut demander
à l'ensemble des assurés de supporter le risque. Qu'en est-il du vol au
moyen de planeurs de pente?

    Si l'on se réfère aux instructions de la Fédération suisse de vol
delta et aux recommandations et rapports d'enquêtes émanant de l'Office
fédéral de l'air à l'époque où il contrôlait encore la pratique de ce
sport, force est de constater que l'utilisation des ailes delta exige une
discipline et une maîtrise de soi exceptionnelles. Le choix de l'angle
d'incidence permettant une glissade contrôlée s'exerce dans d'étroites
limites. Il suffit d'un vent de plus de 10 km/h. pour rendre la manoeuvre
périlleuse. La moindre turbulence, si sa composante verticale dépasse 2
mètres à la seconde, suffit à déséquilibrer l'appareil. Il est pratiquement
impossible de corriger la chute due à une perte de vitesse ou à un piqué
avec mise de la voilure en drapeau; ou de contrôler l'angle d'incidence,
la stabilité latérale et la vitesse par rapport à l'air, si l'on doit
traverser un nuage ou une bande de brouillard. Enfin, une défaillance du
matériel a, en vol, en moyenne des conséquences plus graves que lors de
la pratique de sports terrestres ou nautiques.

    La preuve qu'il est difficile de maîtriser ces difficultés, c'est le
nombre relativement élevé d'accidents dus à l'utilisation des planeurs
de pente: rien que pour les assurés de la CNA, 67 (dont un mortel)
au cours du 2e semestre de 1976; 52 (dont un mortel) durant le 1er
semestre de 1977. Cela alors que le nombre total des "vélideltistes"
dépasse actuellement quelque 2000; il était de 1600 à la fin de 1976.

    Néanmoins, le fait que l'assurance-accidents obligatoire assure
en principe des pratiques aussi fécondes en sinistres que celles de la
varappe, du ski et de la motocyclette rend difficilement admissible une
discrimination dont seraient victimes les amateurs de vols au moyen de
planeurs de pente. L'argument de la caisse, que varappe et ski font
partie, eux, du folklore helvétique, n'est pas entièrement convaincant:
plus nombreux sont ceux qui se livrent à un sport dangereux, plus lourd
est l'accroissement de primes qui en résulte pour les autres assurés. Au
demeurant, le vol delta peut n'être pas dénué d'intérêt pour la défense
nationale, du moins indirectement. Enfin, le déroulement d'une quantité de
vols, dont celui du 1er août 1975 pour les deux compagnons du recourant,
montre que, lorsque le parcours est choisi soigneusement et que les
conditions météorologiques sont bonnes, même un grand vol s'effectue
normalement sans incident. L'atterrissage forcé de l'assuré fut provoqué
par une défectuosité exceptionnelle du véhicule.

    Il n'est pas sans intérêt de rappeler que certaines compagnies
d'assurances privées, dans le cadre de l'assurance-accidents ou de
l'assurance-vie/invalidité, couvrent depuis quelque temps sans surprime
les accidents survenus à l'occasion de l'utilisation d'une aile delta.

    Dans ces conditions, la Cour plénière est arrivée à la conclusion que
la pratique du planeur de pente, même lorsqu'elle comprend des grands vols
(soit des descentes présentant plus de 200 m. de différence de niveau),
n'est pas en soi exclue de l'assurance gérée par la CNA (sauf circonstances
permettant dès l'abord de qualifier l'entreprise de téméraire, dans le cas
concret), lorsque l'assuré utilise un matériel adéquat, s'en tient aux
parcours à sa portée, s'astreint strictement à la discipline préconisée
par les organes compétents, respecte les prescriptions en vigueur et
se conforme aux règles de l'art. Cela signifie donc qu'un manquement
conscient de l'assuré pourra transformer un vol en principe couvert par
l'assurance en une entreprise téméraire.

Erwägung 3

    3.- En ce qui concerne l'accident subi par Charles Bonardi, le vol
projeté ne pouvait être qualifié objectivement d'entreprise téméraire, au
regard des renseignements que fournit le dossier. D'autre part, l'assuré
disposait d'un matériel adéquat (le défaut d'immatriculation du planeur
de pente, d'un type homologué, ne saurait jouer de rôle en l'occurrence);
il avait les connaissances et aptitudes requises pour mener à chef la
descente prévue, qui devait s'accomplir dans des conditions favorables. On
n'est donc pas en présence d'une entreprise en principe assurée qui se soit
trouvée exclue de l'assurance en raison des circonstances de son exécution.

    En revanche, si le prénommé avait la réputation de contrôler toujours
systématiquement son appareil avant de voler, il faut bien constater que
le noeud fixant le harnais s'est desserré peu après le départ. Même si,
normalement, la corde qui s'est détachée lors de l'accident est nouée
une fois pour toutes, force est d'admettre que l'intéressé n'a, le jour
fatidique, pas effectué un contrôle suffisant de son équipement. Un
noeud de marin fait correctement ne se dénoue pas à la traction et
une erreur de confection ne devrait pas échapper à un observateur très
attentif. Eu égard à l'importance du harnais pour la sécurité du pilote,
l'inattention du recourant est une faute qu'il y a déjà lieu de qualifier
de grave. Au vrai, personne ne s'explique pourquoi le noeud en question
n'a pas tenu alors qu'il n'avait pas donné lieu à des difficultés au
cours des vols précédents. Cette dernière circonstance pourra jouer un
rôle pour arrêter le taux de la réduction à opérer selon l'art. 98 al. 3
LAMA, taux qu'il incombera à la CNA de fixer dans une nouvelle décision
susceptible de recours.

    Il faut par conséquent admettre le recours dans le sens qui précède,
sans qu'il soit nécessaire d'examiner les moyens que le recourant tire de
l'inégalité de traitement et de l'inobservation des règles de la bonne foi
dont, dit-il, il aurait à souffrir si la décision et le jugement attaqués
étaient maintenus. En effet, la solution adoptée dans le présent arrêt est
celle qu'avait annoncée la CNA dans son bulletin de presse du 21 août 1974.

Entscheid:

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

    Le recours est admis et le jugement cantonal et la décision litigieuse
sont réformés dans ce sens que l'assuré a droit aux prestations légales
pour les suites de son accident de vol delta du 1er août 1975, mais avec
une réduction dont le taux sera fixé par la CNA dans une nouvelle décision
susceptible de recours, cela conformément aux considérants.