Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 104 IA 434



104 Ia 434

65. Arrêt du 20 septembre 1978 dans la cause Yolande Stauffacher et
consorts contre Grand Conseil du canton de Fribourg Regeste

    Art. 57 BV; Petitionsrecht.

    Verletzung des Petitionsrechts dadurch, dass eine
Kollektiv-(Massen-)petition von vorneherein als unzulässig erklärt wird
mit der Begründung, sie enthalte einige ungültige Unterschriften.

Sachverhalt

    A.- Yolande Stauffacher, Thérèse Castella, Eliane Jenny, Marie
Fankhauser et Ursula Curty ont déposé, le 15 octobre 1977, une pétition
auprès du Grand Conseil du canton de Fribourg. Cette pétition était
intitulée "Pétition contre le renvoi, sans motif, du Docteur Etienne
Kaufmann, chef de clinique du service gynécologique et d'obstétrique de
l'Hôpital cantonal de Fribourg - et pour que celui-ci soit autorisé à
pratiquer la médecine dans le canton de Fribourg". Elle ne comportait pas
d'autre texte, ce titre étant immédiatement suivi des signatures de 2395
personnes, déclarant leurs nom, prénom, profession et domicile. Yolande
Stauffacher, Thérèse Castella, Eliane Jenny, Marie Frankhauser et Ursula
Curty figurent parmi les signataires de cette pétition.

    Se fondant sur l'art. 11 ch. 2 du décret cantonal du 23 mai 1849 sur
l'exercice du droit de pétition, la Commission des pétitions a proposé
au Grand Conseil, réuni le 17 novembre 1977, de considérer la pétition
comme non admissible sous le rapport de la forme et de passer à l'ordre
du jour. Cette proposition a été acceptée par 67 voix contre 30 et 12
abstentions. Le motif de cette décision résidait dans le fait que 35
listes de pétitions au moins contenaient deux ou trois noms et parfois
davantage écrits de la même main.

    B.- Yolande Stauffacher, Thérèse Castella, Eliane Jenny, Marie
Fankhauser et Ursula Curty forment contre cette décision un recours de
droit public pour violation du droit de pétition, fondé sur les art. 57
Cst. et 10 Cst. frib. Elles concluent à son annulation et au renvoi de la
pétition au Grand Conseil du canton de Fribourg. Elles mettent également
en cause, dans leurs motifs, la constitutionnalité de l'art. 11 du décret
du 23 mai 1849. Tout en élevant des doutes au sujet du soin avec lequel ont
été vérifiées les signatures, elles soutiennent, en substance, que, s'il y
avait des signatures apposées par des tiers, celles-ci devraient bien être
déclarées nulles, mais qu'elles ne sauraient entraîner l'irrecevabilité
de la pétition dans la mesure où y figurent des signatures valables.

    C.- Au nom du Grand Conseil, le Procureur général de l'Etat de Fribourg
conclut principalement à l'irrecevabilité et subsidiairement au rejet
du recours.

Auszug aus den Erwägungen:

                     Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- Sous réserve d'exceptions, dont les conditions ne sont pas
réalisées en l'espèce, le recours de droit public ne peut tendre qu'à
l'annulation de la décision attaquée (ATF 103 Ia 235 consid. 1; 101 Ia
439 consid. 2). Dans la mesure où les recourantes demandent au Tribunal
fédéral le renvoi de leur pétition au Grand Conseil, leurs conclusions
sont irrecevables.

Erwägung 2

    2.- Les recourantes invoquent non seulement la garantie
constitutionnelle du droit de pétition, telle que l'instaure l'art. 57
Cst., mais également telle qu'elle découle de l'art. 10 Cst. frib. La
jurisprudence admet que le texte de l'art. 57 Cst. garantit le droit
d'adresser une pétition, soit aux autorités cantonales, soit aux autorités
fédérales. La garantie inscrite dans une constitution cantonale n'a dès
lors pas de portée propre, à moins qu'elle ne confère un droit de pétition
plus étendu que l'art. 57 Cst. (ATF 98 Ia 487 consid. 5a). Tel n'est pas
le cas. Le Tribunal fédéral peut donc se borner à examiner si la décision
attaquée viole l'art. 57 Cst.

Erwägung 3

    3.- Le droit de pétition, garanti par l'art. 57 Cst., est un droit
constitutionnel des citoyens au sens de l'art. 84 al. 1 lettre a OJ;
sa violation peut être attaquée par la voie du recours de droit public
(ATF 98 I 485 consid. 1; RAISSIG, Das Petitionsrecht in der Schweiz,
Relikt oder Chance, thèse Zurich 1977, p. 66 ss.).

    Les cinq recourantes figurent parmi les signataires de la pétition
qui fait l'objet du présent recours; elles ont donc qualité pour recourir
au sens de l'art. 88 OJ.

Erwägung 4

    4.- a) L'art. 10 Cst. frib. du 4 mars 1848 avait la teneur suivante:

    "Le droit de pétition est garanti. Les pétitions doivent être
signées par
   une ou plusieurs personnes comme individu. Toutefois, les communes
   et les personnes morales pourront pétitionner, comme telles, pour des
   objets de leur administration."

    En exécution de cette disposition constitutionnelle, le Grand Conseil
a édicté le décret du 23 mai 1849 concernant l'exercice du droit de
pétition. C'est après la mise en vigueur de ce décret qu'a été adoptée
la constitution actuelle du canton de Fribourg qui porte la date du 7
mai 1857. L'art. 10 de cette constitution garantit le droit de pétition,
en posant d'une manière toute générale que "la liberté de la presse, le
droit de pétition, le droit d'association sont garantis dans la mesure
proclamée par la constitution fédérale". Bien que la constitution du 4
mars 1848 ait été abrogée par celle du 7 mai 1857, il n'est pas contesté,
en l'absence de toutes clauses constitutionnelles ou légales d'abrogation,
que le décret du 23 mai 1849 soit toujours en vigueur.
   b) L'art. 11 du décret du 23 mai 1849 a la teneur suivante:

    "La commission des pétitions vérifie d'abord si la pétition qui lui est
   renvoyée est admissible sous le rapport de la forme; à cet effet,
   elle peut requérir du Conseil d'Etat toutes les vérifications qu'elle
   jugera nécessaires.

    L'ordre du jour est nécessairement proposé par la commission sur
   toute pétition qui n'est pas conforme aux prescriptions du présent
   décret, et en particulier:

    1) si, ayant rapport à une affaire d'administration publique ou
d'intérêt
   général, elle renferme la signature de personnes qui ne sont pas
   admises, aux termes de l'art. 2 ci-dessus, à l'exercice du droit de
   pétition en pareille matière;

    2) s'il appert que des signatures fausses y aient été apposées
alors même
   que le faux serait purement matériel;

    3) si elle émane d'une personne morale, sur des objets qui ne se
   rattachent pas à son administration."

    c) Contrairement à l'opinion de l'autorité intimée qui, dans sa
réponse, conclut de ce chef à l'irrecevabilité du recours, les recourantes
ne prétendent pas que cette autorité ait violé cette disposition.
Ce qu'elles contestent, c'est la constitutionnalité de ce texte, la
décision par laquelle l'autorité cantonale l'a appliquée devant ainsi
être annulée.

    Le justiciable qui entend se prévaloir de l'inconstitutionnalité
d'une disposition de portée générale peut former un recours de droit
public, soit contre la disposition elle-même, dans le délai de trente
jours dès sa promulgation, soit contre une décision appliquant à cette
disposition à un cas particulier, dans le délai de trente jours dès la
notification de cette décision. Dans le premier cas, il a qualité pour
demander l'annulation de la disposition générale, à condition d'être
touché dans un intérêt personnel et juridique. Il suffit alors que ladite
disposition puisse lui être applicable un jour. Dans le second cas, il ne
peut plus demander l'annulation de la disposition générale elle-même, mais
seulement celle de la décision fondée sur celle-ci. Dans cette hypothèse,
la qualité pour recourir lui est reconnue, s'il allègue que la décision
attaquée le lèse directement dans un intérêt juridique actuel qui lui
est propre et correspond au droit constitutionnel dont il invoque la
violation (ATF 100 Ia 173 consid. 1; 99 Ia 354 consid. 2a). Tel est le
cas des recourantes qui invoquent la violation de l'art. 57 Cst.

    C'est à juste titre qu'elles ne concluent pas à l'annulation de
la disposition elle-même, car le délai de recours est expiré depuis
longtemps. Il leur est en revanche loisible, comme elles le font,
d'attaquer la décision d'application, en invoquant à titre préjudiciel
l'inconstitutionnalité du décret, le recours ayant été déposé dans le
délai de l'art. 89 OJ.

Erwägung 5

    5.- Selon la définition généralement admise dans la jurisprudence et la
doctrine, le droit de pétition, tel qu'il est institué par l'art. 57 Cst.,
garantit à chacun la possibilité d'adresser en tout temps aux autorités
des requêtes, des propositions, des critiques ou des réclamations dans
des affaires de leur compétence, sans avoir à craindre pour cela des
désagréments ou des conséquences juridiques préjudiciables de quelque
nature que ce soit (ATF 100 Ia 80 consid. 4a). Il s'agit d'une simple
liberté qui ne confère pas de droit à une prestation positive et qui
ressortit fondamentalement à la liberté d'opinion. Le citoyen doit
avoir, grâce au droit de pétition, la possibilité d'être entendu par les
autorités. Dans le cas contraire, le droit de pétition n'aurait guère de
portée. L'autorité qui fermerait la porte aux pétitions, ou qui ne les
transmettrait pas à l'autorité à laquelle elles sont destinées, violerait
la constitution (ATF 98 Ia 488 consid. 5b; RAISSIG, op.cit., p. 67).

Erwägung 6

    6.- a) Les recourantes ont déposé auprès du Grand Conseil une
pétition dont le texte se limitait à son titre tel que rapporté ci-dessus
(lettre A).

    Le Grand Conseil a, en se fondant sur l'art. 11 ch. 2 du décret,
considéré cette pétition comme formellement non admissible, sur la
proposition de sa commission des pétitions qui avait constaté que,
sur certaines listes de signatures, deux ou plusieurs d'entre elles,
censées émaner de personnes différentes, avaient été écrites de la même
main. La validité formelle de la pétition n'a, pour le surplus, pas été
mise en cause.

    b) Les parties admettent que la pétition était munie de 2395
signatures. On se trouve ainsi en présence d'une pétition collective,
qu'il est convenu d'appeler en doctrine une pétition de masse (BURCKHARDT,
Kommentar, 2e éd., p. 547). La validité d'une telle pétition n'étant pas
liée à la signature d'un nombre déterminé de citoyens, aucune disposition
légale ne règle avec précision les conditions dans lesquelles doit
intervenir la récolte des signatures. Les art. 3 à 5 du décret précisent
cependant que la pétition doit être signée individuellement par tous les
pétitionnaires (art. 3), que nul ne peut signer pour autrui (art. 4) et
que, lorsque la pétition n'a rapport qu'à des intérêts privés, elle peut
n'être signée que par son rédacteur (art. 5). Les recourantes admettent
expressément que ces exigences ne sont pas critiquables. S'agissant de
l'exercice d'un droit individuel des citoyens, la signature personnelle des
pétitionnaires va d'ailleurs de soi. Il ne s'ensuit pas que la violation de
cette exigence permette à l'autorité de déclarer purement et simplement
irrecevable une pétition entachée d'un tel vice, dans la mesure où y
figurent des signatures incontestablement valides. On voit mal, en effet,
comment pourrait se justifier un traitement juridique différent de la
pétition de masse et de la pétition individuelle. Dans les deux cas,
chaque pétitionnaire exerce le droit individuel qui lui est garanti par
l'art. 57 Cst., qu'il agisse seul ou en relation avec d'autres titulaires
du même droit. Sans examiner les motifs qui, à l'époque, ont amené le
législateur fribourgeois à adopter la disposition en cause, force est
de constater que, compte tenu de la portée limitée du droit de pétition,
aucun intérêt général ne justifie aujourd'hui que l'exercice de ce droit
soit encore limité par des dispositions excessivement formalistes. Déclarer
inadmissible, donc irrecevable d'emblée, une pétition collective au bas de
laquelle figureraient de fausses signatures, aboutirait à rendre illusoire
la faculté de pétitionner collectivement, et à ignorer l'exercice qu'ont
fait de leur droit individuel les autres signataires. La présence de
signatures falsifiées ne sera cependant pas sans conséquences. Elle pourra,
notamment, donner lieu, cas échéant, à une sanction pénale (BURCKHARDT,
op.cit., p. 548; GISIGER, Das Petitionsrecht in der Schweiz, thèse Zurich,
1935, p. 104); elle sera, d'autre part, de nature, selon l'ampleur des
falsifications intervenues, à réduire sensiblement l'effet politique
fondamentalement recherché par la pétition de masse (cf. RAISSIG, op.cit.,
p. 129). On peut rappeler la solution adoptée par le législateur fédéral
pour la validation des listes de signatures à l'appui d'une initiative,
dans laquelle leur dénombrement joue un rôle essentiel et dont les effets
juridiques sont d'une tout autre dimension que ceux de la pétition. Aux
termes de l'art. 5 lettre d de la loi fédérale concernant le mode de
procéder pour les initiatives populaires relatives à la revision de la
constitution, les signatures qui n'ont pas été écrites entièrement de la
main du signataire, de même que les signatures de noms différents qui,
comme l'a constaté l'autorité cantonale en l'espèce, émanent visiblement
d'une seule et même main, n'entrent simplement pas en ligne de compte
dans le dénombrement des signatures valables, sans entraîner la nullité
de l'ensemble des signatures recueillies.

    En l'espèce, l'application de l'art. 11 ch. 2 du décret apparaît
dans toute sa rigueur, si l'on considère que, pour trente-cinq listes
de signatures comportant deux ou trois noms paraissant écrits de la même
main, plus de cent listes n'ont fait l'objet d'aucune critique et n'en ont
pas moins cependant été éliminées, alors qui si une seule des personnes,
ayant signé une liste incontestée, avait déposé une pétition individuelle
séparée, le Grand Conseil n'aurait pu la déclarer non admissible comme
il l'a fait.

Erwägung 7

    7.- Dans sa réponse, l'autorité intimée met en doute l'intérêt des
recourantes à former un recours de droit public, dans la mesure où le
rapporteur de la Commission a donné au Grand Conseil connaissance du
contenu de leur pétition et aussi parce qu'il leur est possible d'en
déposer une nouvelle sur le même objet. Indépendamment du fait que
l'art. 57 Cst. donne au pétitionnaire une prétention à être entendu par
l'autorité à laquelle il s'adresse, le décret cantonal traite différemment
les pétitions reconnues admissibles et celles qui ne le sont pas. Le
recours étant admis, le Grand Conseil sera appelé à statuer sur une des
propositions que lui fera sa Commission des pétitions, conformément à
l'art. 12 du décret. La décision attaquée n'étant pas justifiée, le dépôt
d'une nouvelle pétition ne saurait être imposé aux recourantes.