Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 102 II 33



102 II 33

6. Arrêt de la Ire Cour civile du 10 février 1976 dans la cause Donnet
contre Alpina. Regeste

    Motorfahrzeughaftpflicht.

    Art. 60 Abs. 1 und 61 Abs. 1 SVG (Fassung vor dem 1.8.1975). Zwei
Motorfahrzeughalter haften solidarisch für den Körper- und Sachschaden
eines dritten Halters, wenn dieser beweist, dass der Unfall durch grobes
Verschulden eines der beiden Halter verursacht worden ist, ohne dass er
oder Personen, für die er verantwortlich ist, einen Fehler begangen haben
(Erw. 1).

    Art. 46 Abs. 1 OR. Bestimmung des massgebenden Verdienstes für die
Berechnung des Schadens, den ein selbständiger Transportunternehmer
wegen Arbeitsunfähigkeit erlitten hat (Erw. 2). Schätzung des Grades der
vorübergehenden Arbeitsunfähigkeit und der dauernden Invalidität, unter
Berücksichtigung einer neurotischen Entwicklung infolge des Unfalles und
vorbestehender physischer Ursachen (Erw. 3).

    Art. 47 OR. Bestimmung der Genugtuungssumme, unter besonderer
Berücksichtigung des schweren Verschuldens des Haftpflichtigen und des
erschütterten Berufslebens des Opfers (Erw. 4).

Sachverhalt

    A.- Le 19 septembre 1969, vers 8 h. du matin, Raymond Donnet
conduisait son camion "MAN" de Martigny à Charrat, à une vitesse de 70
km/h environ. Emile Burnier roulait en sens inverse à plus de 120 km/h,
au volant de sa voiture Citroën DS. La chaussée était divisée en trois
voies de circulation, soit deux pour les usagers de dirigeant de Martigny à
Charrat, délimitées par une ligne de direction, et une pour la circulation
vers Martigny, séparée des deux autres par une ligne de sécurité doublée
d'une ligne de direction. Alors que Burnier entreprenait de dépasser une
file de voitures, le conducteur qui le précédait immédiatement a obliqué
sur la voie médiane, pour dépasser lui aussi. Burnier a donné un coup de
volant à gauche, en klaxonnant et en freinant désespérément. Il est entré
en collision avec l'avant du camion MAN, qui circulait en sens inverse
sur la voie de droite par rapport à son sens de marche. Sous l'effet du
choc, le camion a été projeté hors de la route, dans un canal où il s'est
renversé sur le côté gauche.

    Donnet a subi deux grosses plaies au front et au cuir chevelu, des
contusions diverses et une kérato-conjonctivite. Il a été totalement
incapable de travailler pendant un an.

    Burnier est assuré en responsabilité civile, comme détenteur de
véhicule automobile, auprès de l'Alpina. L'automobiliste qui le précédait
au moment du dépassement n'a pu être identifié.

    B.- Raymond Donnet a ouvert action contre l'Alpina en paiement, avec
intérêt, de 36'500 fr. (dommage matériel), 15'000 fr. (tort moral), 124'065
fr. (perte de gain jusqu'au jugement) et 273'132 fr. - subsidiairement
191'132 fr. - (invalidité permanente), sous déduction des acomptes versés.

    La défenderesse a offert de payer au demandeur 11'488 fr., "moyennant
retrait d'action", concluant au rejet de la demande pour le surplus. Elle a
dénoncé le litige, pour la Confédération suisse, à la compagnie d'assurance
Nationale Suisse, qui a refusé l'appel en garantie mais est intervenue
au procès pour la sauvegarde de ses droits.

    Par jugement du 16 septembre 1975, le Tribunal cantonal du Valais a
condamné la défenderesse à payer au demandeur 2'346 fr. 50 avec intérêt
à 5% dès le 1er janvier 1971 (frais médicaux), 1'388 fr. avec intérêt à
5% dès le 19 septembre 1969 (dommage matériel), 27'831 fr. avec intérêt
à 5% dès le 16 septembre 1972 (perte de gain du jour de l'accident à
celui du jugement), 53'395 fr. avec intérêt à 5% dès le 19 septembre 1975
(invalidité permanente) et 7'500 fr. avec intérêt à 5% dès le 19 septembre
1969 (tort moral), sous déduction des acomptes versés, avec intérêt. Les
motifs de ce jugement sont en bref les suivants.

    L'accident est dû exclusivement aux fautes concurrentes de Burnier
et du conducteur non identifié qui le précédait, Donnet n'ayant aucune
faute à se reprocher. L'art. 61 al. 1 LCR excluant toutefois la solidarité
entre détenteurs, la défenderesse ne répond que de la faute du conducteur
Burnier, à l'exclusion de celle de l'automobiliste non identifié. Ces
fautes étant équivalentes, elle est tenue à réparation de la moitié du
dommage. Les frais médicaux s'élèvent à 4'692 fr. 95. Le demandeur n'a
pas prouvé avec précision la perte de gain découlant de son activité
professionnelle d'entrepreneur en transport. Le gain mensuel de 1'800
fr. admis par la défenderesse paraît correspondre à la situation réelle
des chauffeurs de poids lourds durant la période en cause. La fixation
des indemnités pour perte de gain temporaire et pour invalidité permanente
doit tenir compte de facteurs étrangers à l'accident, de nature organique
(arthrose) et psychique ("sinistrose"). Quant au dommage matériel,
la répartition des responsabilités est la même que pour le dommage
corporel; la défenderesse doit ainsi réparation de la moitié de ce dommage,
consistant dans la franchise de la police d'assurance casco du demandeur,
soit 2'776 fr. Enfin, l'indemnité pour tort moral est arrêtée à 7'500 fr.

    C.- Le demandeur recourt en réforme au Tribunal fédéral en concluant
au paiement, avec intérêt, de 91'590 fr. (subsidiairement 67'776 fr.) à
titre d'incapacité de travail, 213'580 fr 80 (subsidiairement 128'148 fr
50) à titre d'invalidité, 15'000 fr. pour tort moral, 3'754 fr. 35 pour
frais pharmaceutiques et divers et 2'220 fr 80 pour franchise casco.

    Le Tribunal fédéral a admis le recours.

Auszug aus den Erwägungen:

                    Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- a) Il est constant qu'au moment de l'accident, le demandeur roulait
au volant de son camion, à une vitesse - 70 km/h environ - adaptée aux
circonstances, sur la voie droite des deux voies réservées en priorité
au trafic en direction de Charrat, et que l'avant de son véhicule a été
heurté par la voiture de Burnier qui avait dévié sur la gauche. Le Tribunal
cantonal considère donc avec raison que "l'accident est dû exclusivement
aux fautes concurrentes de Burnier et du conducteur non identifié de la
Peugeot 403, Donnet n'ayant aucune faute à se reprocher".

    Le jugement déféré constate à propos de Burnier qu'il rattrapait "à
grande vitesse la colonne au début d'un tronçon où le dépassement était
à nouveau autorisé et en voulant dépasser du même coup les véhicules le
précédant"; sa vitesse était supérieure à 120 km/h; sa manoeuvre "a été
gênée par une manoeuvre semblable opérée au même moment par un conducteur
non identifié du véhicule qui le précédait".

    Au moment d'entreprendre son dépassement, le conducteur Burnier devait
avoir particulièrement égard aux autres usagers de la route, notamment à
ceux qu'il voulait dépasser (art. 35 al. 3 LCR). Au début d'un tronçon où
le dépassement était à nouveau autorisé, il devait envisager la possibilité
qu'un des automobilistes qui le précédaient déboîte lui aussi à gauche pour
doubler la file. Cette possibilité lui commandait d'exercer une vigilance
particulière et de signaler sa manoeuvre. En entreprenant celle-ci à une
vitesse supérieure à 120 km/h, il assumait le risque de ne pas apercevoir
suffisamment tôt un autre véhicule s'apprêtant à dépasser. De surcroît,
cette vitesse rendait pour le moins aléatoire un freinage efficace. C'est
ainsi après un violent et long freinage qu'il est entré en collision, sur
la gauche de la chaussée, avec le camion du demandeur. En entreprenant sa
manoeuvre de dépassement au mépris des règles élémentaires de prudence
qui s'imposaient à lui, le conducteur Burnier a commis une faute grave,
comme l'ont justement admis les premiers juges.

    Ceux-ci ont tenu pour équivalente la faute de l'automobiliste non
identifié qui précédait la voiture de Burnier. La responsabilité de la
défenderesse étant en tout état de cause engagée, et la Nationale Suisse,
compagnie d'assurance gérante au sens des art. 76 LCR et 52 OAV, n'étant
pas partie au procès, on pourrait laisser cette question indécise si les
deux détenteurs en cause répondaient solidairement envers le demandeur.

    b) Le Tribunal cantonal valaisan a nié l'existence d'une telle
solidarité, en considérant que l'art. 61 al. 1 LCR, qui prévoit
une répartition entre les divers détenteurs responsables, exclut la
responsabilité solidaire de deux détenteurs envers un troisième, et que
l'art. 60 al. 1 ne concerne que le dommage causé à un tiers non détenteur.

    L'accident étant survenu en 1969, l'art. 61 al. 3 LCR, disposition
introduite par la loi fédérale du 20 mars 1975 et consacrant expressément
la solidarité entre détenteurs de véhicules automobiles, n'était pas
encore en vigueur (ACF du 2 juillet 1975, art. 1, ROLF 1975 p. 1268).

    L'argument tiré du texte de l'art. 61 al. 1 LCR méconnaît la portée
de cette disposition. De même que l'art. 60 al. 2, 2e phrase, l'art. 61
al. 1 vise à répartir un dommage entre plusieurs détenteurs de véhicules
automobiles responsables, soit à fixer la part qui leur incombe à titre
définitif, et non pas celle dont ils répondent à l'égard du tiers lésé. Il
ne concerne donc pas le détenteur - notamment le détenteur lésé - qui
est libéré de toute responsabilité selon l'art. 59 al. 1 LCR. Un tel
détenteur bénéficie, comme n'importe quelle personne victime de l'emploi
d'un véhicule automobile, de la responsabilité fondée sur les art. 58 ss
LCR, et plus particulièrement de la solidarité instituée par l'art. 60
al. 1; il est un tiers au sens de cette disposition. C'est dans ce sens que
s'exprime OFTINGER (Schweizerisches Haftpflichtrecht, 2e éd., II/2 p. 652
s.), que le Tribunal cantonal cite à tort à l'appui de son point de vue
(cf. aussi BUSSY/RUSCONI, Code suisse de la circulation routière annoté,
n. 1.1 et 1.3 ad art. 61 LCR). Deux détenteurs de véhicules automobiles
sont ainsi solidairement responsables du dommage subi par un troisième,
si ce dernier prouve que l'accident a été causé par la faute grave de
l'un d'eux, sans que lui-même ou les personnes dont il est responsable
aient commis de faute (art. 59 al. 1 LCR). Cela vaut pour le dommage tant
corporel que matériel, l'art. 60 al. 1 n'opérant pas de distinction entre
les différents types de préjudice.

    En l'espèce, on a vu que l'accident avait été causé par une faute
grave de l'automobiliste Burnier, sans que le demandeur ait commis de
faute. L'assuré de la défenderesse répond donc, solidairement avec le
détenteur non identifié, du dommage corporel et matériel subi par le
demandeur, et la défenderesse ne saurait se libérer, même partiellement, de
sa responsabilité en invoquant une faute incombant à ce détenteur. Quant
à la question de la répartition du dommage entre les deux détenteurs
responsables, elle n'a pas à être examinée ici, la Nationale Suisse
n'étant pas en cause.

Erwägung 2

    2.- Le demandeur critique le revenu mensuel de 1'800 fr.  retenu par
le Tribunal cantonal pour calculer la perte de gain temporaire et le
préjudice résultant de l'invalidité permanente. Il demande que l'on prenne
pour base de calcul un gain mensuel de 2'700 fr., correspondant au revenu
moyen d'un camionneur indépendant selon les indications du témoin Anthony,
secrétaire de l'association des transporteurs du district de Monthey.

    a) La détermination du revenu de la victime ressortit en principe au
fait, et l'appréciation des preuves de l'autorité cantonale à cet égard
lie le Tribunal fédéral en instance de réforme. Le recours est partant
irrecevable (art. 55 al. 1 litt. c OJ) dans la mesure où il remet en
cause cette appréciation, faisant grief au Tribunal cantonal de n'avoir
"tenu aucun compte des éléments du dossier" et reproduisant diverses
dépositions qui établiraient "les qualifications personnelles de Donnet et
... le gain réalisable par lui". En revanche, lorsque le recourant reproche
aux premiers juges de s'être fondés sur "le salaire d'un chauffeur alors
que Donnet était un patron indépendant", il s'en prend au critère adopté
par eux pour fixer le revenu déterminant, ce qui relève de l'appréciation
juridique et peut être revu par la juridiction de réforme (art. 43 al. 4,
63 al. 3 OJ).

    b) Considérant que le demandeur n'a ni allégué ni établi quel aurait
été son chiffre d'affaires, le Tribunal cantonal déclare procéder à
une appréciation sur la base des éléments correspondant à la conjoncture
économique pendant la période qui s'est écoulée entre le jour de l'accident
et celui du jugement. Il retient ainsi les éléments suivants: tarif pour
un camion de 11 tonnes, 25 fr. l'heure en 1969; salaire horaire d'un
chauffeur, 7 fr. en 1969 et 7 fr. 50 en 1971; gain mensuel, pour un
chauffeur travaillant à l'année, 1'600 à 1'800 fr.; rendement mensuel
d'un camion de 11 tonnes, 4'500 fr., et d'un véhicule de 16 tonnes,
8'000 fr. Tenant compte du fait qu'un camion peut rouler au maximum
10 heures par jour, qu'il y a des temps morts, des heures d'attente,
de chargement et de déchargement, enfin que l'hiver à Morgins réduit
fortement les transports d'entreprise, les premiers juges admettent que
le demandeur aurait travaillé 200 heures par mois à 25 fr. et qu'il aurait
obtenu un chiffre d'affaires de 40'000 fr. pour huit mois, mais de 10'000
fr. seulement pour les quatre mois d'hiver; son chiffre d'affaires total
annuel est partant estimé à 50'000 fr., dont le 40%, soit 20'000 fr.,
représente le revenu net.

    L'appréciation du Tribunal cantonal repose ainsi sur un gain de
1'600 à 1'800 fr. par mois pour un chauffeur salarié en 1969, sur un
rendement horaire de 25 fr. pour un camion de 11 tonnes en 1969 et sur
un nombre d'heures de travail de 200 heures pendant huit mois et de
100 heures pendant l'hiver. Or il s'agissait en l'espèce d'arrêter le
revenu d'un camionneur indépendant. Dans la mesure où le jugement déféré
se borne à reprendre le gain d'un chauffeur salarié, il se fonde sur un
critère inapproprié et, par là, il viole le droit fédéral. Le demandeur,
qui affirme ne pas tenir de comptabilité et n'y est légalement pas
astreint, s'est attaché à faire la preuve de son gain par témoins; treize
personnes ont été entendues en procédure cantonale à cet effet. Fondé
sur la déposition du témoin Anthony, secrétaire de l'association des
transporteurs du district de Monthey, le demandeur a fait état dans son
mémoire-conclusions du 9 septembre 1975 d'un gain mensuel de 2'700 fr. Si
l'on considère que le tarif horaire pour un camion de 11 tonnes était
de 25 fr. en 1969, que le demandeur exploitait un véhicule de 12,650
tonnes qui lui rapportait déjà 27 fr. l'heure avant l'accident et qu'en
1975, le revenu d'un camion de 11 tonnes était de 35 fr. l'heure et la
conjoncture toujours bonne dans la région, le rendement horaire de 25
fr. admis par les premiers juges est manifestement insuffisant. Il en
va de même de la durée de travail retenue, soit 200 heures par mois - la
moitié en hiver -, ce qui correspond à l'horaire de travail d'un chauffeur
salarié. L'expérience de la vie montre que durant la bonne saison en tout
cas, un transporteur indépendant travail notablement plus. En tenant compte
des "temps morts, des heures d'attente, de chargement, de déchargement",
le Tribunal cantonal oublie qu'avec une rémunération à l'heure, tous
ces temps morts sont facturés comme si le camion roulait. Il ressort de
surcroît des témoignages que le demandeur était un travailleur acharné,
très consciencieux et donnant entière satisfaction à ceux qui recouraient
à ses services, et qu'il était chargé de nombreux travaux (déblaiement
de la neige, sablage des routes) durant la morte saison. Il convient
dès lors de calculer la perte de gain pour la période comprise entre
l'accident et le jugement cantonal sur la base d'un revenu horaire de 25
fr. et d'un nombre d'heures de travail de 2250 par an (au lieu des 2000
admises par la cour cantonale). Le revenu brut de l'exploitation s'élève
ainsi à 67'500 fr. par an et le revenu net - 40% - à 27'000 fr., soit
2'250 fr. par mois, chiffre encore inférieur à la moyenne indiquée par
le secrétaire de l'association des transporteurs du district de Monthey,
alors que le gain du demandeur devait être supérieur à cette moyenne. Il
appartenait cependant à ce dernier, qui supporte le fardeau de la preuve,
d'établir un revenu plus élevé, ce qu'une comptabilité régulièrement
tenue aurait vraisemblablement permis.

    c) Quant au revenu déterminant pour le calcul de la perte de
gain résultant de l'invalidité permanente, il convient de considérer
le rendement de 35 fr. l'heure en 1975 pour un camion de 11 tonnes,
la récession actuelle qui touchera certainement les camionneurs dans la
région de Monthey, mais aussi la dépréciation de la monnaie. Un revenu net
annuel de 30'000 fr., soit 2'500 fr. par mois, tient compte des diverses
circonstances susceptibles d'être retenues au moment du jugement cantonal.

Erwägung 3

    3.- Le Tribunal cantonal a tenu compte d'une incapacité de travail
à 100% du 19 septembre 1969 au 18 septembre 1970. Pour la période du 19
septembre au 6 décembre 1970, il a considéré que, bien que l'incapacité
de travail fût restée de 100%, il fallait réduire ce taux à 66 2/3%
"pour tenir compte des facteurs étrangers à l'accident, soit de l'arthrose
préexistante", selon un rapport du Dr Pagani du 24 août 1970. Le demandeur
ne remet pas en cause le jugement déféré pour ces deux périodes.

    Quant à la période du 7 décembre 1970 au 16 septembre 1975, l'autorité
cantonale relève que dans son expertise du 19 juin 1974 le Dr de
Kalbermatten estime l'incapacité de travail à 50%, dont il faut déduire
20% pour "sinistrose". Elle retient cette évaluation qui, dit-elle,
"paraît bien correspondre à la capacité de travail du demandeur durant
la période en cause, compte tenu des lésions dont il a été victime dans
l'accident du 19 septembre 1969". Elle adopte le même taux de 30% pour
arrêter l'invalidité permanente consécutive à l'accident, en se fondant
également sur le rapport du 19 juin 1974 du Dr de Kalbermatten et en
relevant que "dans son rapport précédent du 26 mars 1974, ce médecin
relevait les signes d'une évolution névrotique avec angoisses, dans
le sens d'une sinistrose ... constatait un important syndrome cervical
post-traumatique, sur altération dégénérative préexistante de la colonne
cervicale, et (admettait) qu'il y avait lieu de tenir compte de facteurs
étrangers à l'accident tant au plan organique que psychique".

    A l'appui de ses conclusions principales, le demandeur soutient que
la prédisposition relevée par l'expert ne doit pas entrer en ligne de
compte, attendu que les facteurs préexistants ne s'étaient aucunement
fait sentir avant l'accident. Au surplus, bien qu'elle eût été rendue
attentive dès les premiers rapports médicaux au risque de "sinistrose",
la défenderesse n'a pas fait un geste en faveur du demandeur de nature
à enrayer cette affection.

    a) Dans l'arrêt Sacheli, du 17 novembre 1970 (RO 96 II 392 ss), le
Tribunal fédéral, confirmant une jurisprudence antérieure, a jugé qu'on ne
saurait exclure de la responsabilité les troubles psychiques déclenchés
par l'accident par le motif qu'ils reposent sur une prédisposition
particulière de la victime; ce qui est décisif, c'est de savoir si
les troubles provoqués par l'accident peuvent encore être équitablement
imputés au responsable; la réponse est négative si l'accident ne constitue
que le motif extérieur des troubles, imputables pour le surplus à un
défaut de volonté de la victime; elle est affirmative lorsque le lésé
devient invalide parce que l'accident a, en troublant son jugement et
en paralysant sa volonté, créé un état dont il ne peut pas se libérer
(p. 397 s.). Le Tribunal fédéral a en conséquence admis dans leur principe
les prétentions en dommages-intérêts du demandeur qui, en raison d'une
prédisposition psychopathique, n'avait pas pu résister à une réaction
de revendication hystérique déclenchée par l'accident et qui le rendait
invalide, l'accident demeurant la cause essentielle de la névrose. Il
en irait différemment, précise-t-il, si le demandeur avait provoqué par
sa faute ses troubles de comportement, si l'on pouvait notamment lui
reprocher un acte de mauvaise volonté.

    b) Le demandeur, âgé de 37 ans au moment de l'accident, jouissait
d'une bonne santé. Selon les témoins, c'était un travailleur acharné
et consciencieux. Le jugement déféré ne renferme aucune constatation
permettant de supposer que l'évolution névrotique consécutive à l'accident
lui soit imputable à faute. Dans sa réponse au questionnaire accompagnant
son rapport du 8 mars 1974, l'expert de Kalbermatten fait seulement
état d'un "psychisme particulier de l'assuré le prédisposant à une
évolution névrotique". Or selon la jurisprudence, on l'a vu, une telle
prédisposition ne saurait exclure la réparation du dommage résultant des
troubles psychiques causés par l'accident. Il y a d'autant moins lieu,
en l'espèce, de rendre le demandeur responsable de ces troubles que le Dr
Pagani déclarait dans son rapport du 24 août 1970 à la Bâloise, à propos
de l'"évolution névrotique post-traumatique" qu'il avait constatée et des
"difficultés rencontrées par l'assuré ... concernant le dédommagement
de son camion", qu'"il est certain que M. Donnet aurait probablement
évolué d'une manière nettement plus favorable si ces questions avaient
été résolues plus rapidement" et que "si on tardait encore à liquider
le contentieux que le patient affirme exister, M. Donnet pourra évoluer
vers une sinistrose". Or nonobstant cette mise en garde, dont elle a eu
connaissance en tout cas en cours de procédure, la défenderesse s'est
bornée à offrir au demandeur 11'488 fr. "moyennant retrait d'action et
pour solde de tout compte".

    Le jugement déféré doit dès lors être réformé dans la mesure où il
fait supporter au demandeur les conséquences de l'évolution névrotique
consécutive à l'accident du 19 septembre 1969, et cela aussi bien pour
l'incapacité de travail du 7 décembre 1970 au 16 septembre 1975 que pour
l'invalidité permanente.

    c) Dans son rapport du 8 mars 1974, l'expert de Kalbermatten fait état
d'"altérations dégénératives antérieures à l'accident", révélées par les
radiographies de la colonne cervicale, altérations qui "n'avaient cependant
jamais provoqué de troubles subjectifs". Il déclare en conclusion qu'"on
constate chez cet assuré un important syndrome cervical post-traumatique,
sur altération dégénérative préexistante de la colonne cervicale, ainsi
qu'une évolution névrotique de type sinistrose". Les facteurs étrangers à
l'accident, tant au point de vue organique que psychique, entraînent selon
lui une invalidité de 15%, alors que l'invalidité résultant uniquement
des suites de l'accident peut être évaluée à 25%. Le Dr de Kalbermatten
précise cependant dans une lettre du 19 juin 1974 qu'"en étant très large",
on peut estimer l'incapacité de travail due aux "séquelles objectivables
à la suite de l'accident" à 30% au lieu de 25% et la part due aux facteurs
étrangers à l'accident à 20% au lieu de 15%, d'où "une incapacité globale
de 50% au lieu de 40%".

    Il ressort de ces constatations de l'expert médical, dont le Tribunal
cantonal a repris sans autre les conclusions, que le demandeur présente
une altération de la colonne cervicale antérieure à l'accident, dont il
n'avait jamais ressenti les effets mais qui contribue à son incapacité de
travail. Cette altération constitue une prédisposition constitutionnelle
dont il ne serait pas équitable de faire supporter les conséquences à
la défenderesse (RO 66 II 173 s., 80 II 353). Quant à l'incidence de
ce facteur préexistant sur l'incapacité de travail du demandeur, ni
le jugement déféré ni l'expertise du Dr de Kalbermatten ne fournissent
d'éléments permettant de la déterminer; l'expert estime à 15 ou 20% la
part due aux facteurs étrangers à l'accident. Un renvoi de la cause à
l'autorité cantonale pour qu'elle complète le dossier sur ce point serait
cependant inopportun, vu l'aggravation des troubles psychiques du demandeur
que risquerait d'entraîner une continuation du procès. Considérant d'une
part que les conséquences de la névrose - incluses dans les 15 à 20%
retenus par l'expert - sont à la charge de la défenderesse, d'autre part
que l'incapacité globale de 50% procède d'une appréciation "très large",
on peut arrêter à 35% le taux d'invalidité permanente déterminant pour
le calcul des dommages-intérêts dus par la défenderesse.

    d) Pour la période du 7 décembre 1970 au 16 septembre 1975
en revanche, l'altération préexistante de la colonne cervicale ne
justifie pas de réduire le taux d'incapacité de travail au bénéfice
de la défenderesse. L'expert de Kalbermatten constate en effet que "ces
altérations n'avaient ... jamais provoqué de troubles subjectifs", et rien
ne laisse supposer que sans l'accident, le demandeur aurait subi déjà entre
1970 et 1975 des troubles propres à diminuer sa capacité de travail. Il
convient donc de s'en tenir pour cette période au taux d'incapacité de
travail de 50% admis par le Tribunal cantonal indépendamment des facteurs
étrangers à l'accident.

Erwägung 4

    4.- Considérant l'absence de faute du demandeur, le bouleversement de
sa vie professionnelle, les longs traitements médicaux subis et l'atteinte
à son psychisme, enfin la faute très lourde commise par le conducteur
Burnier, le Tribunal cantonal a fixé à 7'500 fr. l'indemnité pour tort
moral. Le demandeur persiste dans ses conclusions en paiement de 15'000
fr. à ce titre.

    Bien qu'elle ne le précise pas, l'autorité cantonale paraît avoir
admis, également pour la réparation du tort moral, que la responsabilité de
la défenderesse n'était engagée qu'à concurrence de 50%. Les circonstances
qu'elle retient, en particulier le fait que le demandeur a vu sa vie
professionnelle brisée, n'exerçant plus son métier de chauffeur de poids
lourds depuis l'accident, justifient l'allocation du montant de 15'000
fr. réclamé par la victime, dont le recours doit donc être admis sur ce
point. (Récapitulation des dommages-intérêts).