Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 102 IA 372



102 Ia 372

54. Arrêt du 18 février 1976 dans la cause Chambre genevoise immobilière
et consort contre Genève, Grand Conseil Regeste

    Derogatorische Kraft des Bundesrechts. Mieterschutz.

    Art. 34septies Abs. 2 BV, Art. 6 BB über Massnahmen gegen Missbräuche
im Mietwesen, Art. 19 und 502 OR.

    1. Voraussetzungen, unter denen der Grundsatz der derogatorischen Kraft
des Bundesrechts, des Privat- und öffentlichen Rechts, gewahrt ist (E. 2).

    2. Die eidg. Regelung des Mieterschutzes ist nicht abschliessend
(E. 3).

    3. Öffentliches Interesse, das kant. Massnahmen zum Schutze der Mieter
rechtfertigt (E. 4a).

    Gewähren die Bestimmungen des OR über die Bürgschaft keinen genügenden
Schutz (E. 4b)?

    4. Vereinbarkeit kant. Massnahmen mit dem Prinzip der Vertragsfreiheit
(Art. 19 OR) (E. 5).

Sachverhalt

    A.- La loi genevoise du 19 avril 1963 "protégeant les garanties
fournies par les locataires" obligeait le bailleur à déposer à un office de
consignation les espèces ou valeurs reçues du preneur à titre de garantie,
le retrait de tout ou partie des sommes ou valeurs déposées ne pouvant
s'effectuer que sous la double signature du bailleur et du locataire ou
en vertu d'une décision judiciaire. Mais la pratique s'est introduite de
demander au locataire de fournir une garantie non pas sous forme d'espèces
ou de valeurs, mais sous forme de cautionnement solidaire, généralement
souscrit par une banque, laquelle se faisait autoriser par le locataire
(débiteur principal) à payer le bailleur sur simple réquisition et sans
discussion; comme le locataire devait généralement être titulaire d'un
compte auprès de ladite banque, celle-ci pouvait, aux termes d'un accord
dit "de blocage", prélever directement par compensation sur ce compte
les sommes qu'elle aurait versées en vertu du cautionnement.

    Saisi d'un projet de loi destiné à mettre fin à une telle pratique,
le Grand Conseil a adopté, le 18 avril 1975, une nouvelle loi protégeant
les garanties fournies par les locataires, dont l'art. 1er dispose:

    "Toute garantie en espèces ou en valeurs fournie à un bailleur par un
   locataire ou par une tierce personne au profit d'un locataire, doit
   être constituée sous la forme d'un dépôt bloqué auprès de la caisse
   des consignations de l'Etat ou dans un établissement bancaire reconnu
   comme office de consignation, au sens de l'art. 633, alinéa 3, du Code
   des obligations.

    Le recours au cautionnement simple est, toutefois, autorisé pour
les baux
   à usage d'habitation, à la demande du locataire. Ce dernier peut en
   tout temps se mettre au bénéfice de l'alinéa 1.

    Le recours au cautionnement simple ou solidaire est autorisé pour les
   baux à usage exclusivement commercial."

    Agissant par la voie du recours de droit public, la Chambre genevoise
immobilière et la S.I. Le Nouveau Mur requièrent le Tribunal fédéral
d'annuler les alinéas 2 et 3 de l'art. 1er de ladite loi, en tant que
ces dispositions interdisent le cautionnement solidaire en matière de
baux d'habitation. Ils allèguent la violation du principe de la force
dérogatoire du droit fédéral, d'une part au regard du Code fédéral des
obligations, d'autre part au regard de l'arrêté fédéral du 30 juin 1972
"instituant des mesures contre les abus dans le secteur locatif" (en
abrégé: AF), dont l'art. 6, figurant au chapitre 2 intitulé: Dérogations
aux prescriptions du Code des obligations sur le bail à loyer, dispose:

    "Lorsque le preneur est tenu de fournir des sûretés en espèces,
celles-ci
   doivent porter intérêt pour le moins au taux usuel pour les dépôts
   d'épargne pratiqués par la banque cantonale du canton où la chose
   louée est située. Les sûretés à fournir ne doivent pas dépasser un
   montant équivalant à trois loyers mensuels.

    Les cantons peuvent compléter les dispositions de l'alinéa précédent."

Auszug aus den Erwägungen:

                     Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- En tant qu'association privée ayant la personnalité juridique et
constituée en vue de la défense des intérêts de ses membres, la Chambre
genevoise immobilière a qualité pour recourir contre une loi qui lèse
prétendument les intérêts juridiques de ses membres, dont la plupart sont
propriétaires d'immeubles ou de biens fonciers dans le canton de Genève
(ATF 99 Ia 239 consid. 1c, 539 consid. 2).

    Cette qualité appartient aussi à la société immobilière "Le Nouveau
Mur", propriétaire d'immeubles dans ce même canton.

Erwägung 2

    2.- Les recourantes allèguent essentiellement la violation du principe
de la force dérogatoire du droit fédéral.

    Pour respecter le principe de la force dérogatoire du droit civil
fédéral, la législation cantonale doit, selon la jurisprudence, satisfaire
à certaines exigences: elle ne peut intervenir que dans des matières que
le législateur fédéral n'a pas entendu réglementer de façon exhaustive;
elle doit consister en des règles de droit public et se justifier par un
intérêt public pertinent; elle ne doit pas éluder le droit civil fédéral
ni en contredire le sens ou l'esprit (ATF 101 Ia 505 consid. 2b, 99 Ia 626,
98 Ia 495).

    L'arrêté fédéral du 30 juin 1972 contient, ainsi que le Tribunal
fédéral l'a relevé dans de récents arrêts, des règles qui ressortissent
en partie au droit public, en partie au droit privé (ATF 101 Ia 505
consid. 2a, 99 Ia 626). Les recourantes ne prétendent pas que l'art. 6 AF -
en cause ici - soit une norme de droit public, tandis que le Conseil d'Etat
lui attribue ce caractère. Il faudrait alors, pour que les dispositions
cantonales attaquées soient compatibles avec le principe de la force
dérogatoire du droit public fédéral, qu'il s'agisse aussi d'une matière
non réglée de façon exhaustive par le législateur fédéral et que les
dispositions cantonales n'empêchent pas la réalisation du droit public
fédéral, mais que les deux réglementations convergent (ATF 101 Ia 506
consid. 2b, 97 I 503 s. consid. 3a et c, 88 I 170 consid. 3c et les
arrêts cités).

Erwägung 3

    3.- Les recourantes soutiennent que le législateur fédéral a réglé
de façon exhaustive la protection des locataires, qu'il avait mission de
mettre sur pied en vertu de l'art. 34septies al. 2 Cst., et que la seule
réserve en faveur des cantons (art. 6 al. 2 AF) ne vise que les sûretés
en espèces, ce qui n'est pas le cas du cautionnement solidaire que la loi
attaquée entend prohiber pour les loyers d'appartements. On ne saurait
les suivre sur ce point.

    Il ressort des travaux préparatoires, notamment du Message du Conseil
fédéral du 10 mai 1972 (FF 1972 I 1232, ad art. 8 du projet, devenu
l'art. 6 AF), que le législateur fédéral n'a pas entendu réglementer en
détail la question des sûretés fournies par le bailleur, ce qui eût été
"hors de proportion avec l'importance du problème sur le plan fédéral"
(FF, loc.cit.), mais qu'il s'est contenté d'en régler les deux points les
plus importants: l'intérêt des sûretés en espèces et la valeur maximale
des sûretés. Aussi a-t-il ajouté, au cours des débats, la réserve de
l'al. 2 en faveur des cantons. Il est vrai que la première phrase de
l'art. 6 al. 1 ne parle expressément que des sûretés en espèces. Mais
cet article a pour titre "Sûretés fournies par le preneur"; il concerne
donc les sûretés en général, de sorte que l'al. 2, qui donne aux cantons
la possibilité de compléter (ergänzen, emanare disposti completivi) les
dispositions de l'alinéa précédent (et non seulement d'en édicter les
dispositions d'application), doit être interprété comme visant également
les sûretés autres que les sûretés en espèces.

Erwägung 4

    4.- Il n'est pas contesté que les dispositions cantonales attaquées
ressortissent au droit public. C'est ce que l'on peut déduire d'ailleurs
de l'arrêt S.I. Chailly Vallon A S.A. (ATF 98 Ia 491 ss), dans lequel
le Tribunal fédéral a examiné la constitutionnalité de la loi vaudoise
du 15 septembre 1971 "sur les dépôts de garanties en matière de baux à
loyer", laquelle était calquée en grande partie sur la loi genevoise du
19 avril 1963.

    N'est pas non plus contesté le caractère d'intérêt public de la
protection des locataires contre les prétentions abusives du bailleur en
période de pénurie de logements, ce que le Tribunal fédéral a déjà reconnu
à plusieurs reprises (ATF 101 Ia 510, 99 Ia 614 et 620; cf. également
ATF 88 I 170 consid. 3b et 254), notamment aussi en matière de sûretés
exigées des locataires (ATF 98 Ia 496).

    a) Les recourantes contestent en revanche la pertinence, en l'espèce,
du motif d'intérêt public invoqué, savoir la pénurie de logements,
laquelle avait été retenue pour justifier les mesures cantonales dans
l'arrêt Chailly Vallon, et soutiennent que la pénurie de logements s'est
considérablement atténuée à Genève depuis le dépôt du projet de loi en
novembre 1970 et l'arrêt précité du 3 mai 1972; elles semblent vouloir en
tirer la conclusion que l'état de dépendance des locataires vis-à-vis des
bailleurs se serait affaibli à tel point que toute mesure de protection
en faveur des premiers serait devenue inutile.

    S'il est vrai que, selon les statistiques, la pénurie de logements
s'est atténuée à Genève, elle n'a cependant pas disparu, notamment pas
dans les catégories d'appartements à loyer abordable. Cette atténuation
n'est en tout cas pas telle, dans ces catégories, qu'elle ait éliminé
la situation de dépendance des locataires et qu'elle puisse enlever le
caractère d'intérêt public pertinent aux mesures prises pour protéger
les locataires contre les prétentions abusives des bailleurs.

    b) Les recourantes semblent également prétendre que les dispositions
actuelles du Code des obligations sur le cautionnement, telles qu'elles
doivent être correctement interprétées, protègent suffisamment les
locataires contre les abus auxquels le législateur genevois prétend mettre
un terme et que dès lors les dispositions attaquées ne sont pas justifiées
par un intérêt public pertinent.

    Elles relèvent en effet qu'aux termes de l'art. 502 CO, la caution
a l'obligation - et non seulement le droit - d'opposer au créancier
toutes les exceptions appartenant au débiteur; elles soutiennent que
cette obligation est de droit impératif et qu'une clause d'exonération
générale de la responsabilité de la caution (y compris pour la faute
lourde) serait nulle au regard des art. 19, 20 et 100 CO et que même la
faute légère sans responsabilité serait en contradiction avec la notion
de bonne et fidèle exécution du mandat, dont les règles s'appliquent aux
relations entre la caution et le débiteur principal.

    Or le caractère impératif de l'obligation de la caution n'est pas
établi et la thèse des recourantes est controversée, ainsi qu'il ressort
des avis de droit versés au dossier par le Conseil d'Etat. Mais même si
cette thèse devait prévaloir, les dispositions attaquées ne seraient pas
inutiles pour autant et resteraient motivées par le but général auquel
tend la loi. Il sied de rappeler ici qu'en exigeant la double signature
du bailleur et du locataire pour tout prélèvement sur le montant remis
en garantie, la loi de 1963 (reprise sur ce point par l'art. 4 de
celle de 1975) visait à éviter au locataire d'avoir à introduire une
action judiciaire pour récupérer les sommes qui auraient été prélevées
indûment sur ce montant. La pratique du cautionnement solidaire (avec
clause d'exonération de la caution et accord de blocage du compte en
banque) a pour effet de priver le locataire de la protection voulue par
le législateur, protection que le Tribunal fédéral a jugée comme étant
d'intérêt public en raison de la pénurie de logements et de la situation
de dépendance qui en découle pour les locataires (ATF 98 Ia 497 s.). Ce
même caractère doit être reconnu à une prescription qui exclut une forme
de garantie destinée à priver les locataires de cette protection.

    Or même si la nullité de la clause d'exonération de la caution devait
être admise, le locataire qui voudrait rentrer en possession des sommes
que la caution aurait néanmoins payées indûment devrait ouvrir contre
elle une action en responsabilité ou contre le bailleur une action en
enrichissement illégitime; on sait en effet que la banque se fait en
général garantir par un compte bloqué avant de donner son cautionnement,
ce qui lui permet de se payer par compensation sur ce compte. Ainsi, le but
visé par la loi de 1963 ne peut pas être atteint, de sorte que l'exclusion
du cautionnement solidaire pour les baux à usage d'appartement se révèle
être une mesure nécessaire pour permettre aux locataires de bénéficier
des effets voulus par la loi de 1963.

    On peut d'ailleurs présumer que bien souvent le locataire renoncerait
à ouvrir action, en raison de la relative modicité des montants en cause,
de la longueur présumée des procédures judiciaires et de la partie des
frais de procès qui resteraient à sa charge même s'il obtenait gain de
cause (cf. art. 129g de la loi genevoise de procédure civile). C'est
là une raison de plus de reconnaître le caractère d'intérêt public aux
mesures destinées à faire respecter le but visé par la loi de 1963.

Erwägung 5

    5.- Reste à examiner si les dispositions attaquées éludent les règles
du Code des obligations sur la liberté des conventions (art. 19) ou sur
le cautionnement (art. 492 ss) ou en contredisent le sens et l'esprit,
bien qu'en réalité les recourantes ne prétendent pas expressément que tel
soit le cas, concentrant leur argumentation sur le caractère exhaustif
de la réglementation fédérale et sur l'absence de pertinence des motifs
d'intérêt public invoqués pour justifier les mesures cantonales.

    Au sujet de l'art. 19 CO, on rappellera simplement que la liberté
contractuelle n'est pas illimitée et que cet article n'empêche pas les
cantons de faire usage de la faculté d'édicter des dispositions de droit
public, reconnue par l'art. 6 CC (ATF 101 Ia 509 consid. 3b, 100 Ia 449
consid. 4, 99 Ia 623 consid. 6c, 98 Ia 497 consid. 4b); mais il faut
évidemment que ces dispositions se justifient par un intérêt public
pertinent, ce qui est le cas en l'espèce, ainsi qu'on l'a vu ci-dessus.

    On notera d'ailleurs que la loi genevoise de 1975 n'empêche pas le
bailleur d'obtenir des sûretés en garantie de ses créances découlant du
contrat de bail; elle ne s'oppose qu'aux sûretés établies en une forme
qui prive le locataire de la protection qu'entendait lui assurer la loi
de 1963. Les recourantes n'ont au surplus pas prétendu que les sûretés
réglées par cette loi fussent inadéquates et n'ont pas essayé de démontrer
que seule la forme du cautionnement solidaire serait propre à garantir
convenablement le bailleur. On ne saurait donc prétendre que l'atteinte
à la liberté des contrats soit importante, ni qualifier de contraire à
l'esprit du droit fédéral une disposition de droit public cantonal qui
tend à s'opposer à l'utilisation abusive d'une institution du droit privé
fédéral. Et si l'on devait considérer l'art. 6 AF comme une norme de droit
public, on devrait constater que les dispositions cantonales attaquées,
bien loin d'empêcher l'application du droit public fédéral, concourent
au contraire à la réalisation du même intérêt collectif: la protection
des locataires contre les abus dont ils peuvent être l'objet en période
de pénurie de logements.

Entscheid:

             Par ces motifs, le Tribunal fédéral:

    Rejette le recours.