Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 101 IB 252



101 Ib 252

47. Arrêt du 16 mai 1975 en la cause Département militaire fédéral c.
Commission de recours de l'Administration militaire fédérale et Eggs et
Luginbühl Regeste

    Verantwortlichkeit des Bundes für Handlungen von
Militärpersonen. Art. 62 Abs. 3 VwVG.

    1. Verantwortlichkeit des Bundes für das Verhalten der Militärpersonen
im allgemeinen (Erw. 1) und im vorliegenden Fall (Erw. 3).

    2. Ersatz des Schadens, den der durch die unerlaubte Handlung
unmittelbar Betroffene erlitten hat (Erw. 2).

    3. Verletzung von Art. 62 Abs. 3 VwVG (Erw. 4a). Verzugszins (Erw. 4b).

Sachverhalt

    A.- Le 27 septembre 1972, la compagnie G. av. 4, qui effectuait des
travaux de terrassement sur l'aérodrome de Sion, a endommagé, au cours de
ceux-ci, une conduite d'eau propriété des Services industriels de la ville
de Sion. La rupture de cette canalisation a interrompu l'approvisionnement
en eau de la fabrique de ciment et de béton de l'entreprise Eggs et
Luginbühl. Celle-ci a estimé le montant du dommage subi à 1'939 fr. 75,
en tenant compte des commandes de ciment qu'elle n'avait pu honorer et
de l'arrêt de travail forcé de certains de ses employés.

    La Commission d'estimation du 10e arrondissement a rejeté la demande
d'indemnité. Cette dernière a été admise, en revanche, par la Commission
de recours de l'Administration militaire fédérale, qui a prononcé que
le Commissaire de campagne en chef versera à la recourante la somme de
1'939 fr. 75, assortie d'intérêts de 5% à compter du 2 mai 1973.

    Le Tribunal fédéral a rejeté le recours de droit administratif formé
contre cette décision par le Département militaire fédéral.

Auszug aus den Erwägungen:

                     Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- Les personnes appartenant à l'armée, pour ce qui concerne leur
situation militaire et leurs devoirs de service, ne sont pas soumises aux
dispositions de la loi fédérale sur la responsabilité de la Confédération,
des membres de ses autorités et de ses fonctionnaires, du 14 mars 1958
(art. 1 al. 2). La responsabilité de la Confédération en raison des
actes des militaires est régie exclusivement par la loi d'organisation
militaire, du 12 avril 1907 (OM) et par l'arrêté de l'Assemblée fédérale
concernant l'administration de l'armée suisse, du 30 mars 1949 (ci-après:
l'arrêté du 30 mars 1949).

    L'art. 22 OM, en vigueur depuis le 1er février 1968, dispose qu'en
principe, la Confédération répond du dommage causé sans droit par
un militaire dans l'accomplissement de ses devoirs de service. Cette
disposition institue une responsabilité causale ordinaire. Pour que la
Confédération doive réparation, il suffit, outre le rapport de causalité
entre l'acte et le dommage, que ce dernier ait été causé sans droit
(cf. FF 1966 II 431). L'art. 23 OM concerne plus particulièrement les
dommages résultant d'accidents (cf. art. 104 ss de l'arrêté du 30 mars
1949). Aux termes de cette disposition, "lorsqu'un civil est tué ou
blessé lors d'un exercice militaire ou d'actes de services de la troupe,
la Confédération répond du dommage, à moins qu'elle ne prouve la force
majeure ou une faute à la charge de la victime. La Confédération répond
dans les mêmes conditions du dommage causé à la propriété." Enfin,
l'art. 33 OM, selon lequel les propriétaires ne peuvent s'opposer à
l'usage de leur terrain pour les exercices militaires, prescrit que la
Confédération répond du dommage et que l'Assemblée fédérale arrête la
procédure (cf. les art. 86 ss de l'arrêté du 30 mars 1949, relatifs aux
"dommages aux cultures et à la propriété").

    Le recourant soutient que la décision entreprise viole le droit
fédéral, car aucune des dispositions précitées ne prévoit que la
Confédération répond du dommage causé par ricochet à une personne autre
que le lésé immédiat.

Erwägung 2

    2.- a) Le Tribunal fédéral a jugé à plusieurs reprises que "l'art. 41
al. 1 CO ne permet d'allouer des dommages-intérêts qu'à la personne
directement atteinte par l'acte illicite; les tiers lésés indirectement
et par ricochet ne bénéficient pas d'un tel droit" (RO 99 II 223; 82 II
38 consid. 4a, ainsi que la jurisprudence et la doctrine citées). HENRI
DESCHENAUX rappelle en ces termes la position du droit suisse: "En
responsabilité contractuelle, la limitation du cercle des personnes
habilitées à réclamer la réparation résulte déjà du caractère relatif du
rapport d'obligation, sauf stipulation pour autrui. En responsabilité
extracontractuelle, le créancier de la réparation est celui qu'atteint
directement le préjudice; les tiers qui sont lésés indirectement,
par ricochet, n'ont pas d'action." Selon cet auteur, la délimitation
du cercle des personnes protégées ne s'inspire pas (du moins pas en
première ligne) de considérations de probabilité liées à la théorie
de la causalité adéquate, mais elle est affaire d'interprétation de la
norme de responsabilité par les méthodes ordinaires (Norme et causalité
en responsabilité civile, in Stabilité et dynamisme du droit dans la
jurisprudence du Tribunal fédéral, p. 416/417).

    b) Dans son arrêt publié au RO 97 II 223 ss, le Tribunal fédéral
a jugé que l'entrepreneur qui, au cours de travaux de fouilles, a
endommagé une conduite électrique, doit réparer le dommage consécutif
à l'interruption de l'approvisionnement en énergie. Dans sa décision en
la cause Salanfe S.A., du 24 septembre 1969 (Praxis der Rekurskommission
der eidgenössischen Militärverwaltung 1950-1972, p. 70), la Commission
de recours de l'Administration militaire fédérale a également admis que
la responsabilité de la Confédération était engagée lorsque à la suite
d'un tir d'artillerie, le poteau d'une ligne électrique était endommagé,
et que l'exploitation de l'entreprise propriétaire de l'installation
était perturbée de ce fait. L'entreprise immédiatement lésée demandait
la réparation du dommage direct causé au poteau électrique, et du dommage
indirect résultant de l'interruption de l'approvisionnement en énergie.

    En l'espèce toutefois, l'entreprise intimée n'était pas propriétaire de
la conduite endommagée. C'est pour ce motif que le recourant la considère
comme "un tiers lésé indirectement et par ricochet".

    c) Il importe donc in casu de définir la personne directement lésée
par l'acte illicite. Selon la jurisprudence, "l'acte illicite ne consiste
pas nécessairement dans une atteinte portée à un droit subjectif. Il
ressort de l'art. 41 al. 1 CO que celui qui, par sa faute, transgresse une
injonction juridique doit réparer le dommage qu'il cause ainsi à autrui,
même s'il ne peut être question d'un droit subjectif de la victime. Il
faut uniquement que la prescription violée ait pour but de protéger le
lésé, car si elle a un autre but, le rapport de causalité entre l'acte
illicite et le dommage n'est pas adéquat" (RO 75 II 212 consid. 3;
cf. également RO 94 I 643). Cette jurisprudence, notamment le dernier
arrêt cité, a été critiquée en doctrine dans la mesure où le Tribunal
fédéral examine sous l'angle de la causalité adéquate la question de
savoir si la prescription violée a pour but de protéger les intérêts du
lésé (cf. HANS MERZ, ZBJV 106/1970, p. 86; DESCHENAUX, op.cit., p. 413,
414, 420). Il n'est toutefois pas nécessaire de se prononcer en l'espèce
sur ce point. Il s'agit en effet de déterminer si l'entreprise intimée
est un lésé immédiat. Cela revient à examiner si celle-ci peut alléguer
la violation d'une norme ayant pour but de la protéger.

    d) L'ordre juridique qui contient la règle protectrice violée
est le droit écrit ou le droit non écrit, le droit fédéral ou le droit
cantonal. Ainsi, tout acte réprimé pénalement est interdit et l'infraction
constitue un délit civil lorsque la peine prévue tend à la protection des
sujets de droit et non de l'Etat (PIERRE ENGEL, Traité des obligations
en droit suisse, p. 307 n. 102; RO 101 II 72 consid. 2).

    Le titre neuvième du Code pénal contient des dispositions relatives
aux crimes ou délits contre les communications publiques. Selon
l'art. 239 al. 2 et 3 CP, celui qui aura empêché, troublé ou mis en
danger l'exploitation d'un établissement ou d'une installation servant à
distribuer au public l'eau, la lumière, l'énergie et la chaleur, sera puni
de l'emprisonnement, s'il a agi intentionnellement, de l'emprisonnement
ou de l'amende, si l'infraction a été commise par négligence. Cette norme
concerne n'importe quelle installation de distribution, qu'elle soit
publique ou privée. Elle s'applique aussi bien aux installations servant
à distribuer l'eau destinée à la consommation courante qu'à celles qui
assurent l'approvisionnement en eau à des fins industrielles (LOGOZ,
n. 5 ad art. 239 CP p. 488/489). Elle entend protéger le public, soit
les consommateurs, contre les actes de nature à troubler l'exploitation
régulière de ces installations. Elle ne vise donc pas seulement la
protection des intérêts de l'exploitant (Etat, commune ou particulier)
(SCHWANDER, Schweiz. Strafgesetzbuch, p. 449/450).

    Il convient dès lors d'admettre que l'entreprise intimée peut
invoquer en l'espèce la violation d'une norme juridique la protégeant
directement. Il y a donc lieu de la considérer non pas comme une personne
lésée indirectement, mais comme un lésé immédiat.

    Il faut par ailleurs souligner que la norme violée protège l'entreprise
intimée dans les intérêts atteints par l'acte dommageable. Une telle
conclusion s'impose, que l'on examine cette question sous l'angle de la
causalité adéquate (RO 94 I 643, 75 II 212) ou que l'on ait égard à la
relation d'illicéité (DESCHENAUX, op.cit., p. 420).

Erwägung 3

    3.- C'est ainsi à juste titre que la Commission de recours de
l'Administration militaire fédérale a considéré que l'entreprise intimée,
immédiatement lésée par la rupture de la canalisation d'eau propriété des
Services industriels de la ville de Sion, pouvait demander réparation
du dommage subi. Elle a admis que la Confédération devait réparation,
en se fondant sur les art. 23 al. 2 OM et 87 al. 2 lit. b de l'arrêté
du 30 mars 1949. A vrai dire, l'application de ces dispositions in casu
soulève certaines questions, notamment en ce qui concerne l'existence d'un
exercice militaire ou d'actes de service de la troupe, la nature du dommage
qui peut être réparé (cf. OFTINGER, Schweiz. Haftpflichtrecht, vol. II/2,
p. 879; ROBERT BINSWANGER, Die Haftungsverhältnisse bei Militärschaden,
thèse Zurich 1969, p. 184), ainsi que l'applicabilité des dispositions
de l'arrêté du 30 mars 1949 relatives aux dommages aux cultures et à la
propriété dans le cadre d'une demande d'indemnité formée pour dommages
résultant d'un accident (OFTINGER, op.cit., vol. II/2, p. 907; BINSWANGER,
op.cit., p. 185).

    Le Tribunal fédéral peut toutefois se dispenser d'examiner ces points,
car la responsabilité de la Confédération doit être admise en l'espèce
sur la base de l'art. 22 OM déjà. Il n'est en effet pas contesté que
le dommage causé sans droit (cf. consid. 2) l'a été par un militaire
dans l'accomplissement de ses devoirs de service. Par ailleurs, l'acte
et le dommage sont dans un rapport de causalité adéquate (RO 101 II 73
consid. 3a et la jurisprudence citée). En l'espèce, le fait d'endommager
une conduite d'eau était propre, d'après le cours ordinaire des choses
et l'expérience de la vie, à interrompre l'approvisionnement en eau et
à provoquer l'arrêt d'une fabrication qui en est tributaire, ainsi que
les pertes inhérentes à tout chômage survenant à l'improviste.

Erwägung 4

    4.- Le recourant soutient que la Commission de recours de
l'Administration militaire fédérale a violé le droit fédéral en allouant
à l'entreprise intimée un intérêt de 5% dès le 2 mai 1973, date du dépôt
du recours. Il relève que cette autorité ne peut en principe mettre à
la charge de la Confédération le paiement d'un intérêt, sauf dans le
cas expressément prévu par l'art. 130 de l'arrêté du 30 mars 1949. Il
affirme par ailleurs que l'autorité de recours a violé l'art. 62 al. 3
de la loi fédérale sur la procédure administrative, du 20 décembre 1968
(LPA), en modifiant la décision attaquée sans l'informer de son intention
et sans lui donner l'occasion de s'expliquer.

    Ces griefs ne sont pas fondés.

    a) Selon l'art. 125 al. 3 de l'arrêté du 30 mars 1949, l'instruction
des litiges est régie par la LPA, à l'exception de la procédure militaire
d'estimation de première instance (cf. Message du Conseil fédéral
relatif à la modification dudit arrêté, du 4 novembre 1970, FF 1970 II
1209/1210). L'art. 62 LPA, applicable en l'espèce, autorise l'autorité de
recours à modifier la décision attaquée à l'avantage d'une partie. Cette
autorité peut également modifier au détriment d'une partie la décision
entreprise, lorsque celle-ci viole le droit fédéral ou repose sur une
constatation inexacte ou incomplète des faits. La Commission de recours
de l'Administration militaire fédérale n'était donc pas liée par les
conclusions des parties. Ainsi, même en l'absence de conclusion tendant
à l'allocation d'un intérêt, elle pouvait en décider l'octroi.

    Il est vrai que l'art. 62 al. 3 LPA précise que, "si l'autorité de
recours envisage de modifier, au détriment d'une partie, la décision
attaquée, elle l'informe de son intention et lui donne l'occasion de
s'exprimer". S'il n'est pas contesté que l'entreprise intimée n'avait pas
réclamé le paiement d'un intérêt devant la Commission d'estimation du 10e
arrondissement, qui a agi in casu en tant qu'autorité de première instance,
il y a en revanche divergence sur la question de savoir si une telle
conclusion avait été prise dans la procédure de recours. La Commission
de recours considère que tel a été le cas, alors que le recourant le
conteste. Dans son recours du 2 mai 1973, l'entreprise intimée avait requis
de l'autorité de recours qu'elle lui reconnaisse le droit à 1'939 fr. 75
"à titre de dommages et intérêts". Cette formule est certes équivoque et
peut prêter à discussion. Il n'est toutefois pas nécessaire de se prononcer
sur ce point. En effet, même si l'on admet que l'entreprise intimée n'avait
pas conclu à l'allocation d'un intérêt et que l'autorité de recours n'a
donc pas observé l'art. 62 al. 3 LPA, cela n'entraîne pas l'annulation de
la décision entreprise. Le recourant n'a subi aucun préjudice du fait de
cette omission, puisqu'il a pu faire valoir, devant le Tribunal fédéral,
tous les moyens utiles à la défense des intérêts de la Confédération.

    b) Selon l'art. 130 de l'arrêté du 30 mars 1949, "dans les litiges sur
lesquels la Commission de recours statue en premier ressort, un intérêt de
5 pour cent au plus de la somme reconnue, à compter du jour où le recours
a été déposé, sera alloué sur demande à la partie qui a gain de cause". Le
recourant déduit de cette disposition que l'allocation d'un intérêt est
exclue dans tous les cas où la Commission de recours de l'Administration
militaire fédérale se prononce en tant qu'instance de recours.

    Dans son arrêt publié au RO 95 I 263, le Tribunal fédéral a admis
que, lorsqu'ils sont en demeure d'exécuter une obligation pécuniaire de
droit public, l'Etat et les administrés sont tenus de payer des intérêts
moratoires. Il a relevé qu'il s'agissait là d'un principe général, de
droit non écrit, auquel la loi peut certes déroger. Cette jurisprudence
conduit le Tribunal fédéral à exclure en l'espèce l'interprétation "a
contrario" défendue par le recourant. Il convient à cet égard de souligner
que l'art. 130 précité vise essentiellement le cas où la Commission de
recours statue sur les litiges d'ordre pécuniaire en matière de logement
des troupes opposant logeurs et communes (cf. art. 128 al. 2 de l'arrêté du
30 mars 1949); dans un tel conflit, la responsabilité de la Confédération
n'est pas en cause (BINSWANGER, op.cit., p. 192 n. 36). On ne saurait donc
conclure de l'existence de cette disposition que la loi d'organisation
militaire et l'arrêté du 30 mars 1949 dérogent au principe général qui
vient d'être rappelé. En demandant à la Confédération, le 2 mai 1973,
le paiement du dommage imputable à la troupe, l'entreprise intimée a
mis l'Etat en demeure de lui verser le montant réclamé. C'est dès lors
à juste titre que la Commission de recours a alloué un intérêt de 5%
dès la date précitée.