Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 101 IA 467



101 Ia 467

76. Extrait de l'arrêt du 19 mars 1975 dans la cause Roulet contre
Neuchâtel, Etat et Tribunal cantonal Regeste

    Art. 22ter BV, Eigentumsgarantie; materielle Enteignung.

    1. Bauverbot. Voraussehbarer künftiger Gebrauch. In Erwägung zu
ziehende Elemente bei der Beurteilung, ob ein Grundstück sich für eine
Überbauung geeignet hätte.

    2. Der Verzicht auf einen öffentlichrechtlichen Anspruch wird nicht
vermutet.

Sachverhalt

    A.- Georges Roulet a acheté en 1936, pour le prix de 2'100 fr., une
parcelle de 5822 m2 sise au lieu dit Gravany (commune de Boudry), au nord
de la ligne CFF Yverdon-Neuchâtel et à l'ouest de l'Areuse. Ladite parcelle
a été classée en zone rurale par le "Règlement déterminant l'aménagement
du territoire communal de Boudry" adopté par le Conseil général de Boudry
et ratifié par le Conseil d'Etat du canton de Neuchâtel en 1958. Puis le
décret cantonal du 14 février 1966 "concernant la protection des sites
naturels du canton" l'a classée en zone dite des crêtes et forêts où,
selon l'art. 2 al. 1 "il est interdit d'édifier des bâtiments servant à
un but étranger à l'économie agricole, viticole ou forestière ainsi que
d'aménager un emplacement destiné à recevoir des véhicules habitables ou
des maisons mobiles".

    B.- Georges Roulet étant décédé en 1969, la parcelle a passé à
ses héritiers (son épouse Suzanne et son fils Jacques), lesquels ont
actionné l'Etat de Neuchâtel devant la Commission d'estimation en matière
d'expropriation pour cause d'utilité publique (en abrégé: la Commission
d'estimation) en paiement d'une indemnité de 407'540 fr. pour expropriation
matérielle. L'action a été rejetée par la Commission d'estimation le
15 novembre 1973 puis, sur recours des propriétaires, par le Tribunal
cantonal neuchâtelois le 17 juin 1974.

    C.- Agissant par la voie du recours de droit public, dame Suzanne
Roulet et Jacques Roulet requièrent le Tribunal fédéral d'annuler
la décision du Tribunal cantonal et de renvoyer la cause à l'autorité
cantonale pour nouvelle décision ou, subsidiairement, de fixer l'indemnité
pour expropriation matérielle. Ils allèguent la violation des art. 4 et
22ter Cst.

    Le Tribunal fédéral a rejeté le recours.

Auszug aus den Erwägungen:

                     Extrait des motifs:

Erwägung 3

    3.- Invoquant l'art. 22ter Cst., les recourants soutiennent qu'ils
sont frappés d'une expropriation matérielle par le fait que l'art. 2 al.
1 du décret du 14 février 1966 interdit d'édifier sur leur terrain des
bâtiments servant à un but étranger à l'économie agricole, viticole ou
forestière, ainsi que d'y aménager un emplacement destiné à recevoir
des véhicules habitables ou des habitations mobiles; ils prétendent dès
lors avoir droit à une indemnité, en vertu de l'art. 22ter al. 3 Cst.,
aux termes duquel une juste indemnité est due au propriétaire qui est
touché par une restriction de la propriété équivalant à une expropriation.

    Selon la jurisprudence, il y a expropriation matérielle lorsque
l'usage actuel de la chose ou un usage futur prévisible est interdit ou
restreint d'une manière particulièrement grave, de telle sorte que le
lésé se trouve privé d'un attribut essentiel dont il jouissait au nom de
son droit de propriété. Une atteinte de moindre importance peut également
constituer une expropriation matérielle si elle frappe une seule personne
- ou quelques propriétaires seulement - de telle manière que, s'ils
n'étaient pas indemnisés, ils devraient supporter un sacrifice par trop
considérable en faveur de la communauté (RO 98 Ia 384 consid. 2a). Il n'y
a cependant pas de limite précise entre les deux situations: l'autorité
doit examiner chaque cas particulier en partant du principe que plus est
élevé le sacrifice imposé au propriétaire, moins est importante la façon
dont ce dernier est traité par rapport aux autres (RO 97 I 634).

    Dans une première étape, le Tribunal fédéral n'a pris en considération
l'usage futur possible que dans la seconde de ces éventualités. Toutefois,
dans l'arrêt Barret (RO 91 I 339), il a admis que des affectations
susceptibles d'intervenir par la suite pourraient être déterminantes dans
les deux cas. Mais il a précisé qu'alors seul un usage futur prévisible
qui, au regard des circonstances, apparaît comme très probable dans un
proche avenir peut entrer en considération (RO 98 Ia 384 s. consid. 2a).

    a) Georges Roulet ne s'est pas opposé au décret du 14 février 1966;
il n'a notamment pas demandé au Conseil d'Etat, dans le délai d'un an
prévu par l'art. 9 al. 1 du décret, de reconsidérer le classement de
sa parcelle. Il n'a pas non plus entrepris, avant sa mort en 1969, de
démarche en vue d'obtenir une indemnité pour expropriation matérielle,
du moins les recourants ne le prétendent-ils pas. Mais cela n'empêche
pas ses ayants cause de réclamer une telle indemnité dans le délai de
dix ans prévu à l'art. 17 de la loi sur les constructions de 1957 et à
l'art. 17 al. 3 de la loi sur la protection des monuments et des sites,
du 26 octobre 1964 (loi à laquelle renvoie le décret dans son préambule),
s'ils estiment être l'objet d'une expropriation matérielle. On ne saurait
notamment prétendre que, faute d'avoir entrepris des démarches dans ce
sens entre le 1er avril 1966 et le moment de sa mort, Georges Roulet
aurait renoncé à faire valoir un droit à indemnité; en effet, s'il est
possible à un créancier de renoncer à une prétention de droit public
(cf. RO 92 I 243), une telle renonciation ne se présume cependant pas
(cf. WILHELM OSWALD, Les renonciations au bénéfice de la loi en droit
public suisse. Travaux de l'Association Henri Capitant, vol. 13 p. 547 s.).

    b) Le règlement communal de 1958 a rangé la parcelle 3154 en zone
agricole, viticole et forestière; son propriétaire pouvait y construire des
bâtiments ruraux, avec habitation rurale (art. 14 al. 1). Or le décret de
1966 n'a ni supprimé, ni même restreint cette possibilité; en effet, son
art. 2 al. 1 n'a pas interdit d'édifier, en zones des crêtes et forêts,
des bâtiments servant à un but agricole, viticole ou forestier.

    A la date déterminante du 1er avril 1966, la situation juridique
de la parcelle n'a donc pas changé: la possibilité d'y construire des
bâtiments ruraux subsistait et la parcelle conservait le caractère de
terrain agricole qu'elle a toujours eu, selon les constatations du Tribunal
cantonal non contestées par les recourants; en outre, les transactions
immobilières dans la région de Gravany-Est ont toujours été conclues en
fonction d'une valeur de terrains agricoles et non de terrains à bâtir. On
ne saurait donc parler, sous cet angle, d'une expropriation matérielle.

    En revanche, la possibilité de bâtir à titre exceptionnel une
habitation sans attache avec la campagne, telle que maison de plaisance ou
chalet de week-end, de dimensions relativement modestes (art. 14 al. 3 et
13 du règlement communal), a été supprimée par le décret de 1966. Mais
l'interdiction d'édifier des bâtiments servant à un but étranger à
l'économie agricole (art. 2 al. 1 du décret), applicable à toutes les
parcelles classées en zone de crêtes et forêts, ne peut constituer une
expropriation matérielle que dans la mesure où elle touche un terrain
qui se prête en fait à la construction.

    Il faut donc examiner si, pour la parcelle en cause, cette condition
était réalisée à la date du 1er avril 1966 ou pouvait l'être dans un
proche avenir.

    c) Selon la jurisprudence, il n'est pas nécessaire que le fonds
ait déjà revêtu le caractère de terrain à bâtir au jour déterminant,
c'est-à-dire qu'il ait été possible, en fait et en droit, d'y
construire immédiatement. Il suffit que la parcelle se soit prêtée à la
construction. Pour en juger, il faut tenir compte de tous les facteurs qui,
en fait, déterminaient les chances qu'elle avait d'être utilisée comme
terrain à bâtir, soit de sa situation et de ses caractéristiques générales,
de la planification communale, du développement de la construction dans
les environs et de l'état des infrastructures (RO 98 Ia 387).

    aa) Le développement de la construction dans une région n'est plus
l'affaire des seuls propriétaires; il dépend toujours davantage de la
planification établie en fonction de l'intérêt général. Dans ce domaine,
il incombe aux pouvoirs publics de fixer les centres de gravité de cette
expansion, de dire où la construction sera encouragée et où elle sera
freinée. Objectivement, les perspectives de construction sur une parcelle
dépendent donc, en partie tout au moins, de la planification et de la
réglementation communales qui doivent tenir compte de données objectives
et orienter la construction selon les exigences de la topographie, de
la démographie, de l'hygiène sociale et de l'urbanisme dans une région
déterminée (voir ARTHUR MEIER-HAYOZ et PETER ROSENSTOCK, Zum Problem der
Grünzonen, Berne 1967, p. 40 al. 2).

    Certes, le fait que la parcelle 3154 n'était pas affectée à une
zone de construction - contrairement à ce que prétendent les recourants
- n'est peut-être pas en soi décisif (RO 98 Ia 387); mais, dans leur
mémoire de recours au Tribunal cantonal, les recourants ont fait état de
la déposition d'un témoin ayant "précisé qu'actuellement les pouvoirs
publics aménagent la région de Praz, située pratiquement comme Gravany
par rapport à l'agglomération de Boudry. La seule différence consiste en
ce qu'elle se trouve à l'ouest du chemin public susmentionné alors que
Gravany est à l'est".

    Il résulte ainsi clairement de faits allégués par les recourants
eux-mêmes que les autorités communales avaient prévu une expansion des
constructions dans la région de Praz et non pas dans celle de Gravany
où se trouve la parcelle litigieuse. Cela est d'ailleurs confirmé par
le fait que le Conseil d'Etat neuchâtelois a approuvé le 19 mai 1972
une modification du plan des sites naturels dans la commune de Boudry;
en particulier, c'est précisément la région dite des "Prés de Praz",
située à l'ouest de Gravany, qui est ainsi retirée de la zone protégée
des crêtes et forêts. Au surplus, selon les constatations faites par le
Tribunal cantonal et que les recourants n'ont pas sérieusement contestées,
les autorités communales avaient de bonnes raisons de prévoir l'expansion
des constructions dans cette région de Praz, déjà mieux desservie par des
voies d'accès et jouissant d'une configuration moins inclinée, donc plus
favorable que la région de Gravany où se trouve la parcelle litigieuse.

    De cette planification communale, il n'est donc objectivement pas
possible de déduire une conclusion favorable à la thèse des recourants.

    bb) Selon les recourants, "les premiers Juges ont constaté que dans
les environs immédiats une demi-douzaine de bâtiments ont été érigés
entre 1940 et 1970". Cette affirmation est cependant inexacte ou en tout
cas trop vague pour que l'on puisse en tirer un argument; en réalité,
la Commission d'estimation avait précisé que "quelques constructions
existaient en 1966, le long du chemin qui passe à 250/300 m de l'article
3154. Trois l'ont été ensuite."

    En outre, il est constant que la région de Gravany est séparée de
l'agglomération de Boudry par la ligne de chemin de fer Neuchâtel-Yverdon:
ainsi, le fait que les constructions ont atteint cette ligne de chemin
de fer n'est nullement décisif, car une voie à grand trafic constitue
une barrière importante au développement des constructions.

    Il n'est donc pas possible de dire que le terrain des recourants,
éloigné de près de 300 m des plus proches constructions et séparé de
l'agglomération de Boudry par une ligne de chemin de fer, était au sens
de la jurisprudence "situé dans les environs immédiats d'un endroit où la
construction s'était développée ou qu'il jouxtait des terrains habités"
(RO 98 Ia 387; voir aussi MEIER-HAYOZ, Berner Kommentar, Das Eigentum,
Systematischer Teil, 4e éd., No 243 in fine).

    cc) En ce qui concerne l'état des infrastructures, il n'est certes
pas non plus nécessaire que le terrain en question ait déjà été rattaché
à la date déterminante ou dans un proche avenir au réseau routier, aux
conduites d'eaux et aux canalisations publiques. Il suffit qu'il ait été
possible de l'équiper sans frais disproportionnés (RO 98 Ia 387).

    En l'espèce cependant, il résulte des plans contenus dans le
dossier que la parcelle 3154 était - et se trouve encore aujourd'hui -
entièrement encerclée par des propriétés privées; elle n'avait donc pas
d'infrastructure ni d'accès direct au domaine public, de sorte que son
équipement n'était certes pas impossible, mais risquait de se heurter à un
certain nombre de difficultés. En particulier, il n'est nullement évident
que les propriétaires voisins auraient accordé, à un prix raisonnable,
les servitudes de passage nécessaires. Il eût appartenu aux recourants
de prouver qu'ils auraient pu obtenir de leurs voisins l'autorisation
de construire une voie d'accès carrossable à leur parcelle et de faire
passer, sur ces terrains agricoles ou ces vignes, les conduites d'eau
et d'électricité ainsi que la canalisation des eaux usées. Or, ils n'ont
pas rapporté cette preuve ni même allégué des faits précis dans ce sens.

    d) Dans ces conditions, les recourants n'ont pas pu établir que leur
terrain avait eu, à la date déterminante du 1er avril 1966, quelque chance
d'être construit ou même de devenir, dans un proche avenir, un terrain
prêt à la construction au sens de la jurisprudence. Sise au contraire
en zone agricole, viticole ou forestière dès 1958, leur parcelle avait
simplement conservé son caractère et la valeur de terrain agricole.

    C'est donc à bon droit que le Tribunal cantonal n'a pas admis
l'existence d'une expropriation matérielle, de sorte que le recours doit
être rejeté.