Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 101 IA 354



101 Ia 354

61. Extrait de l'arrêt du 2 juillet 1975 en la cause Chappuis et
consorts c. Grand Conseil du Canton de Vaud. Regeste

    Art. 85 lit. a OG; Art. 27 KV Waadt; Verhältnis zwischen Initiative
und Referendum; Ungültigkeit einer Initiative.

    1. Art. 27 KV erlaubt grundsätzlich, mit einer Initiative die Aufhebung
eines Dekretes zu verlangen, das eine über den Voranschlag hinausgehende
Ausgabe zur Folge hat und gegen welches das Referendum nicht ergriffen
worden ist (E. 3 bis 6).

    2. Initiative mit dem Begehren um Aufhebung eines Dekretes, das einen
Kredit zum Bau einer Strasse bewilligt. Im waadtländischen Recht ist die
Zulässigkeit einer solchen Initiative nicht an die Bedingung geknüpft,
dass seit Erlass oder Inkraftsetzung des angefochtenen Hoheitsaktes
eine bestimmte Frist verstrichen ist (E. 7). Missbräuchlicher Charakter
einer solchen Initiative im vorliegenden Fall verneint (E. 8). Kann die
Ungültigkeit erklärt werden, weil es grundsätzlich unmöglich sei, einen
bereits durch Abstimmung genehmigten Kredit wiederaufzuheben? (E. 9).

    3. Ungültigkeit wegen der sachlichen Unmöglichkeit, der Initiative
Folge zu leisten. Zeitpunkt, auf den zur Klärung dieser Frage abzustellen
ist (Änderung der Rechtsprechung) (E. 10).

Sachverhalt

    A.- Le Grand Conseil du canton de Vaud a adopté le 9 mai 1972
un décret accordant un crédit de 3'200'000 francs pour la "réfection"
de la RC (route cantonale) 559e entre La Marjolatte et Etavez (Le Mont).

    Le référendum n'a pas été demandé.

    L'enquête publique ayant pour objet la correction de la route,
la construction des collecteurs et l'expropriation des terrains et des
droits a été effectuée du 9 août au 8 septembre 1972.

    Le 14 février 1973, le Conseil d'Etat a autorisé le Département des
travaux publics à exproprier les terrains et les droits nécessaires à la
correction de la route et a levé les oppositions qui avaient été formées
lors de l'enquête, renvoyant les opposants devant le Tribunal arbitral
pour tout ce qui concerne la fixation des indemnités d'expropriation.

    Par décision du 1er février 1974, le Tribunal arbitral a fixé au 1er
avril 1974 la date à partir de laquelle l'Etat de Vaud était autorisé à
prendre possession par anticipation des terrains expropriés.

    Les travaux ont été adjugés le 10 juillet 1974 et ont suivi dès lors
leur cours.

    Un "Comité d'initiative contre la grande ceinture lausannoise"
a lancé du 3 juillet au 3 octobre 1974 une initiative populaire en vue
d'obtenir l'abrogation du décret du 9 mai 1972. Ils mettent notamment en
doute l'opportunité de l'exécution de la route de ceinture prévue par le
plan directeur de la région lausannoise et affirment que la réalisation de
cette voie entraînera des dégâts irrémédiables à l'environnement. Enfin,
le tronçon La Marjolatte-Etavez ne répondrait pas aux besoins locaux
du Mont-sur-Lausanne.

    Le Comité d'initiative a adressé le 19 juillet 1974 un recours de
droit public au Tribunal fédéral, demandant à celui-ci de prononcer,
par voie de mesures provisoires d'extrême urgence, qu'il soit fait
interdiction à l'Etat de Vaud d'entreprendre tout acte d'exécution du
tronçon routier La Marjolatte-Etavez, qui ne pourrait être supprimé en
cas de succès de l'initiative.

    Par arrêt du 7 août 1974, le Tribunal fédéral a rejeté le recours
dans la mesure où il était recevable.

    Dans sa séance du 26 février 1975, le Grand Conseil du canton de Vaud
a déclaré l'initiative irrecevable.

    Philippe Chappuis et consorts forment un recours de droit public,
requérant le Tribunal fédéral d'annuler le décret du 26 février 1975 et
d'inviter le Grand Conseil à soumettre l'initiative au vote du peuple.

    Par ordonnance du 24 mars 1975, le Président de la Chambre de droit
public a rejeté une demande d'effet suspensif présentée par les recourants.

    Le Tribunal fédéral a rejeté le recours.

Auszug aus den Erwägungen:

                    Considérant en droit:

Erwägung 3

    3.- Le droit d'initiative et celui de référendum sont régis dans le
canton de Vaud par l'art. 27 Cst. cant. Cette disposition, telle qu'elle
a été adoptée en votation populaire les 10/11 juin 1961, est ainsi conçue
dans son al. 1:

    "Art. 27. - Doivent être soumis au vote du peuple, sous réserve des
   dispositions des articles 99, 100, 101 et 102:

    1. tout projet ou toute proposition émanant de 12000 citoyens actifs
   en tendant soit à l'élaboration ou à l'adoption d'une loi ou d'un
   décret nouveau, soit à la modification ou à l'abrogation d'une loi ou
   d'un décret (initiative);

    2. toute loi, tout décret entraînant une dépense extra-budgétaire si la
   demande en est faite par 12000 citoyens actifs dans le délai de quarante
   jours dès la date de la publication dans la Feuille des Avis officiels
   du canton de Vaud (référendum)."

    a) Le Grand Conseil soutient que l'art. 27 al. 1 ch. 2 Cst. cant. fait
obstacle à ce que l'on puisse, par la voie de l'initiative, remettre en
cause un acte qui aurait pu être soumis au vote du peuple par le moyen
du référendum. Il oppose ainsi les deux chiffres de l'art. 27 al. 1
Cst. vaud. L'institution du référendum, qui ne concerne que certains actes
législatifs, constituerait une dérogation au principe figurant à l'art.
27 al. 1 ch. 1 Cst. cant. et serait une lex specialis par rapport
à celui-ci. Seule cette interprétation expliquerait la disposition
inscrite sous ch. 2, qui sinon pourrait être purement et simplement
supprimée. La constitution limiterait donc dans le temps le droit de
modifier ou d'abroger une décision prise par le Grand Conseil dans le cas
spécial visé à l'art. 27 al. 1 ch. 2 Cst. cant. Le Grand Conseil observe
aussi - sans cependant indiquer clairement quelles conclusions il en tire
- que la constitution accorde au droit de référendum un effet suspensif
dont est dépourvue l'initiative.

    b) Le refus de soumettre l'initiative au vote populaire étant
fondé principalement sur l'art. 27 Cst. cant., le Tribunal fédéral
doit rechercher tout d'abord si l'interprétation que le Grand Conseil
donne de cette disposition constitutionnelle est conforme au sens de
celle-ci. S'agissant d'un recours relatif au droit de vote des citoyens,
le Tribunal fédéral examine librement l'interprétation des dispositions
de la constitution cantonale. Ce n'est qu'en cas de doute sur deux
interprétations possibles qu'il use de retenue et ne s'écarte pas de celle
donnée par la plus haute autorité du canton (RO 100 Ia 369 consid. 1b,
238 consid. 3a).

    c) L'opposition que le Grand Conseil entend marquer entre les
chiffres 1 et 2 de l'art. 27 al. 1 cant. ne ressort pas du texte même
de cette disposition constitutionnelle. Le chiffre 1 est conçu d'une
manière extrêmement générale. Il vise "tout projet ou toute proposition"
tendant notamment à l'abrogation d'une loi ou d'un décret; il n'exclut
pas expressément la faculté de lancer une initiative dans les cas où
les citoyens auraient pu demander le référendum. Le Grand Conseil admet
d'ailleurs que "selon la lettre de l'art. 27 al. 1 ch. 1, il apparaît
possible de demander en tout temps, par la voie de l'initiative, la
modification ou l'abrogation d'une loi ou d'un décret, sans aucune
autre restriction que le respect des dispositions fixant les modalités
de l'initiative". Mais il entend déduire le sens réel de ce texte d'une
analyse logique, "rationnelle", ainsi que d'une étude historique.

    d) L'art. 27 Cst. cant. met sur le même pied lois et décrets, tant en
ce qui concerne l'exercice du droit d'initiative qu'en ce qui concerne
celui du droit de référendum (RO 67 I 27). L'adoption de ces actes est
de la compétence du pouvoir législatif (cf. art. 44 Cst. cant.), tandis
que le Conseil d'Etat, autorité exécutive et administrative, est chargé
de leur exécution (art. 60 Cst. cant.).

    e) Si l'art. 27 al. 1 ch. 1 Cst. cant. ne laisse place à aucun doute
possible sur la notion des lois et des décrets qui peuvent faire l'objet
d'une initiative, le Grand Conseil relève que le chiffre 2 de cette
disposition ne parle pas de "toute loi ou décret entraînant une dépense
extra-budgétaire" (cf. art. 103 LEDP), mais bien de "toute loi, tout
décret entraînant une telle dépense". A son avis, la différence de texte
sur ce point entre la constitution et la loi "pourrait poser certains
problèmes"; il estime toutefois qu'il n'y a pas lieu d'en débattre en
l'espèce, puisque seul un décret est en cause. Cette opinion ne peut être
suivie. Il importe en effet, pour interpréter l'art. 27 Cst. vaud., de
savoir si toute loi, quelle qu'elle soit, est susceptible d'être soumise
au référendum facultatif, ou si seules les lois entraînant une dépense
extra-budgétaire Peuvent l'être.

    A cet égard, le doute exprimé par le Grand Conseil surprend. Cette
autorité ne prévoit la publication, en vertu de l'art. 27 ch. 2
Cst. cant., des actes qu'elle vote que lorsque ceux-ci entraînent
une dépense extra-budgétaire, et le Conseil d'Etat suit cette même
pratique. D'ailleurs, le texte actuel de l'art. 27 al. 1 ch. 2 a
remplacé l'art. 27 ch. 3 adopté en 1948; d'une teneur presque identique,
cette disposition visait "toute loi ou décret entraînant une dépense
extra-budgétaire". En 1961, ce texte a été légèrement modifié, l'expression
"toute loi ou décret" ayant été remplacée par "toute loi, tout décret",
sans qu'il ait été question de changer le sens de cet article. Dans son
exposé des motifs, le Conseil d'Etat a souligné qu'il demandait sur ce
point le "maintien du statu quo" (Bulletin du Grand Conseil, printemps
1961, p. 152); le rapporteur de la commission du Grand Conseil s'est
exprimé dans le même sens (ibidem, p. 168). La modification intervenue
n'est donc que de pure forme. Cette interprétation est celle qui a
été admise dans la pratique constante; elle a également été inscrite à
l'art. 103 LEDP. Cette disposition, adoptée par le Grand Conseil le 24 mai
1961, vise "toute loi ou décret entraînant une dépense extra-budgétaire";
elle figure sous la note marginale "Référendum facultatif contre les
dépenses extrabudgétaires", ce qui démontre bien que seules les lois
- comme les décrets - comportant une telle dépense sont soumises au
référendum facultatif.

    Il n'est donc pas contestable que l'art. 27 al. 1 ch. 2 Cst. cant. vise
à la fois les lois et les décrets qui - les unes et les autres - entraînent
des dépenses extra-budgétaires.

    f) Dans tous les cantons suisses, d'une façon générale sur le plan
législatif et, dans certains cantons, sur le plan administratif, le
peuple peut exercer le droit de référendum contre les actes votés par le
Parlement, dans la mesure où ceux-ci ne sont pas soumis automatiquement
à son approbation par la voie du scrutin secret ou par celle de la
Landsgemeinde. Il dispose également du droit d'initiative pour demander
l'abrogation de ces actes. Ces deux moyens se différencient en ceci que le
référendum a un effet suspensif et sanctionnateur, alors que l'initiative
ne déploie d'effet qu'après l'adoption par le peuple du texte proposé.

    La constitution vaudoise se distingue des autres constitutions
cantonales en ce qu'elle ne prévoit la possibilité d'exercer le
référendum que contre les lois et décrets entraînant une dépense
extra-budgétaire. Mais ce moyen n'est pas diffèrent de ce qu'il est
dans les autres cantons. Ainsi que l'explique le Grand Conseil lui-même,
la distinction entre référendum et initiative existe également en droit
vaudois; si le référendum facultatif est demandé, l'acte qui y est soumis
n'entre en vigueur qu'après avoir été adopté par le peuple (art. 103 et
111 LEDP).

    Il n'y a ainsi pas contradiction dans le fait que les citoyens
ont la faculté d'exercer contre un acte un référendum et d'en demander
l'abrogation par la voie de l'initiative; les effets de ces deux procédures
ne sont pas les mêmes. Un projet d'abrogation d'un texte en vigueur
présenté par voie d'initiative emporte des effets semblables à ceux que
créerait une initiative d'origine parlementaire et ayant le même objet. En
cas d'adoption d'un tel projet, l'acte législatif mis en cause est abrogé
en principe avec effet dès l'entrée en vigueur de l'arrêté homologuant
les résultats de la votation.

    Il convient en outre de relever que si le texte de la constitution
vaudoise est restrictif en ce qui concerne le droit de référendum, il est
en revanche très large quant au droit d'initiative; cette dernière peut
avoir pour objet non seulement l'adoption, la modification ou l'abrogation
d'une loi, mais aussi l'élaboration, l'adoption, la modification ou
l'abrogation d'un décret.

    On ne peut donc tirer du texte même de la constitution vaudoise ni
de son analyse du point de vue de la logique la conclusion que l'art. 27
al. 1 ch. 1 ne se rapporterait qu'aux cas dans lesquels le ch. 2 du même
article ne trouverait pas application.

Erwägung 4

    4.- Le Grand Conseil se fonde également sur l'historique et les
travaux préparatoires de l'art. 27 Cst. cant.

    Dans la constitution vaudoise de 1885, l'art. 27 disposait que
devaient être soumis au vote du peuple toute proposition émanant de
l'initiative de 6000 citoyens (ch. 1), ainsi que toute loi ou décret
rendu par le Grand Conseil si la demande en était faite par 6000 citoyens
(ch. 2). Enfin, il instituait un référendum obligatoire à l'égard de toute
loi ou décret entraînant une dépense extra-budgétaire de plus de 500'000
fr. (ch. 3). En 1948, le référendum obligatoire a été remplacé par un
référendum facultatif, et la limite de 500'000 fr. a été supprimée. La
constitution a ainsi institué un droit de référendum facultatif à l'égard
de toute loi ou décret entraînant une dépense extra-budgétaire quelconque,
l'exercice de ce droit étant lié à l'observation du délai de 40 jours
dès la publication de l'acte visé.

    Ces anciennes versions de l'art. 27 Cst. cant. ne distinguaient pas
très nettement l'initiative du référendum. Certes, le chiffre 1 concernait
l'initiative et le chiffre 3 le référendum dit financier; mais le chiffre
2 visait un cas que l'on peut considérer comme intermédiaire et qui a
été qualifié de "référendum législatif imparfait" (Bulletin du Grand
Conseil, printemps 1948, p. 420). Il créait en effet une institution
qui se rattachait au référendum en tant qu'il permettait d'attaquer,
et non seulement d'abroger, une loi ou un décret régulièrement votés par
le Grand Conseil; il tenait également de l'initiative dans la mesure où,
aucun délai n'étant prévu pour la récolte des signatures, l'acte pouvait
entrer immédiatement en vigueur sans qu'il y eût lieu d'attendre le
résultat d'un vote populaire éventuel. La demande tendant à soumettre
cet acte au vote n'emportait aucun effet suspensif.

    Une distinction plus nette entre initiative et référendum a été
précisément l'une des raison essentielles qui ont conduit le Conseil
d'Etat à proposer en 1961 la revision de l'art. 27 Cst. cant. (Bulletin
du Grand Conseil, printemps 1961, p. 151). Cette autorité relevait que,
dans son texte alors en vigueur, cette disposition "ouvrait la porte à
toute procédure, en obligeant de soumettre au peuple toute proposition ou
toute suggestion dès qu'elle a été appuyée par le nombre fixé de citoyens
actifs, que ce soit contre un acte de l'autorité législative ou contre
un acte de l'autorité exécutive, voire contre un jugement du tribunal"
(ibid.; cf. aussi l'avis de droit donné le 25 novembre 1960 au Département
vaudois de l'intérieur par le Professeur Marcel Bridel). Le Conseil d'Etat
proposait dès lors d'amender l'art. 27 en limitant le droit d'initiative
à tout projet ou toute proposition tendant soit à l'élaboration ou à
l'adoption d'une loi ou d'un décret nouveaux, soit à la modification ou
à l'abrogation d'une loi ou d'un décret; l'initiative ne pourrait donc
plus avoir pour objet l'annulation, mais uniquement l'abrogation d'un
acte émanant de l'organe législatif.

    Cette solution a rencontré l'accord du Grand Conseil et du peuple.

    Il convient de relever que le rapporteur de la commission du Grand
Conseil a pour sa part donné une interprétation extensive au nouvel art. 27
al. 1 ch. 1 Cst. cant., en soutenant que le peuple aurait, à l'avenir
comme par le passé, la faculté de décider, à la suite d'une initiative et
en modifiant une loi, qu'en un domaine particulier le référendum facultatif
pourrait être exercé même contre une décision du Conseil d'Etat; le peuple
pourrait par exemple retirer à cette autorité la compétence qui lui a
été donnée par le Grand Conseil de décider du tracé d'une route (ibidem,
p. 167). Le rapporteur de cette commission s'est en outre prononcé comme
il suit sur la question des rapports entre l'initiative et le référendum:

    "D'ailleurs, la disposition de l'art. 27 chiffre 1 nouveau, est de
   nature à donner satisfaction aux partisans du référendum généralisé
   puisqu'elle permet en tout temps, sous la forme d'une initiative,
   d'attaquer une loi ou un décret voté par le Grand Conseil.

    La forme du référendum, exercé dans un délai limité de 40 jours, est
   par contre la seule possible en ce qui concerne les dépenses
   extrabudgétaires.

    Il est en effet évident que le Conseil d'Etat doit avoir la certitude,
   une fois le délai de référendum écoulé, de pouvoir utiliser les crédits
   mis à sa disposition par le Grand Conseil sans que ceux-ci puissent
   être remis en question à n'importe quel moment."
                                                 (ibidem, p. 169)

    Cette opinion ne ressort toutefois pas de l'exposé des motifs du
Conseil d'Etat. Elle n'a fait l'objet d'aucune autre intervention au
cours des débats parlementaires. Il faut de plus remarquer à son sujet
qu'une loi ou un décret ne peuvent se trouver "attaqués" par le moyen
de l'initiative, et que le référendum prévu par l'art. 27 al. 1 ch. 2
Cst. cant. ne s'exerce pas seulement sur des "dépenses extra-budgétaires",
mais bien sur tout acte voté par le Grand Conseil (loi ou décret) dont
une dépense extra-budgétaire est la conséquence. Or il n'apparaît pas
concevable que l'on puisse exclure d'une manière générale la faculté de
demander, par la voie de l'initiative, l'abrogation d'une loi, pour le seul
motif que cette dernière, lorsqu'elle fut adoptée, entraînait une dépense
extra-budgétaire. A tout le moins, si le constituant avait entendu limiter
dans cette mesure l'exercice du droit d'initiative, aurait-il dû le dire
expressément, ce qu'il n'a pas fait (RO 89 I 377). Les déclarations du
rapporteur de la commission ne peuvent donc être retenues, et ce d'autant
moins que les idées qu'elles expriment n'ont pas trouvé leur expression
dans le texte constitutionnel (cf. RO 100 II 57 consid. 2).

    Enfin, il n'y a pas lieu de se référer, pour l'interprétation du
texte actuel de l'art. 27, aux versions antérieures de cette disposition
constitutionnelle, puisque la situation juridique a été entièrement
modifiée par la suppression du "référendum législatif imparfait".

Erwägung 5

    5.- Il convient de remarquer encore que, dans son message à l'Assemblée
fédérale concernant le texte de la revision constitutionnelle adoptée le
11 juin 1961 par le peuple vaudois, le Conseil fédéral s'est exprimé de
la façon suivante au sujet de l'art. 27 Cst. vaud.:

    "On pourrait se demander si le droit d'initiative prévu sous le chiffre
   premier ne rend pas aussi superflu le référendum en matière de lois
   et décrets entraînant une dépense extra-budgétaire, d'autant plus
   que, pour les demandes d'initiative et de référendum, le nombre de
   signatures exigé est le même. Tel n'est cependant pas le cas, puisque
   le référendum, contrairement à l'initiative, a un effet suspensif
   pendant le délai de quarante jours."
                                               (FF 1961 II 248)

    Le Conseil fédéral paraît donc admettre qu'il n'y a pas
d'incompatibilité entre la possibilité d'exercer l'initiative (ch. 1)
et celle de recourir au référendum (ch. 2).

    Sans doute n'y a-t-il pas lieu non plus d'attacher une valeur
absolument décisive à cet avis du gouvernement fédéral; mais le message
ayant servi de base à l'examen de la garantie fédérale par l'Assemblée
fédérale, cette opinion revêt une certaine importance et confirme que
l'interprétation donnée par le Grand Conseil est loin de s'imposer lors
de l'examen du texte constitutionnel.

Erwägung 6

    6.- a) Le Grand Conseil se réfère encore à l'art. 47 al. 1 Cst. cant.,
qui prévoit que "les dépenses qui, par leur nature et leur importance,
dépassent les travaux ordinaires de renouvellement et d'amélioration du
domaine public et du patrimoine administratif du canton, font l'objet
d'un décret spécial". Il laisse entendre que ce serait en raison de cette
disposition que la constitution cantonale fixe un régime spécial quant
à l'exercice du droit d'initiative populaire envers une loi ou un décret
entraînant une dépense extra-budgétaire.

    Mais l'art. 47 n'est d'aucune aide pour l'interprétation de
l'art. 27. Dans sa teneur actuelle, il est postérieur à la revision
constitutionnelle de 1961. Quant au texte antérieur, il ne contenait
pas de disposition de cette nature.

    b) Le Grand Conseil fait valoir qu'il serait difficilement concevable
que l'on pût demander en tout temps, par la voie de l'initiative,
l'abrogation d'un décret allouant un crédit en vue d'un ouvrage, alors
que ce dernier serait en cours d'exécution ou même achevé. Si une telle
initiative était adoptée, faudrait-il démolir ce qui a été construit,
mettre hors service les ouvrages existants? Comment régler le remboursement
des frais engagés, l'acte de l'autorité sur lequel reposent ces dépenses
étant invalidé?

    D'une façon générale, une loi ou un crédit entraînant une dépense
extra-budgétaire n'a pas nécessairement pour seul objet des décisions
relatives à des crédits destinés à l'exécution de travaux publics. Si
tel est cependant le cas, le fait de demander l'abrogation du décret ne
tend pas à son annulation avec effet rétroactif. Les sommes dépensées
conformément au décret l'ont été régulièrement, mais l'acte dont
l'abrogation a été votée ne peut plus déployer d'effet dès la date de
ce vote.

    c) En définitive, il convient donc d'admettre que l'art. 27 al. 1
ch. 2 Cst. vaud. ne s'oppose nullement à ce que l'abrogation d'une loi
ou d'un décret entraînant des dépenses extra-budgétaires soit demandée
par la voie de l'initiative. Cette interprétation doit prévaloir sur
celle qui a été défendue par le Grand Conseil.

Erwägung 7

    7.- Cela ne signifie toutefois pas nécessairement qu'une telle
abrogation puisse être demandée en toute circonstance.

    Certaines constitutions ou législations cantonales prévoient
expressément qu'une demande de reconsidération d'une décision par la
voie de l'initiative populaire ne peut être accueillie lorsqu'elle est
présentée avant l'écoulement d'un certain délai à partir de l'adoption
ou de la mise en vigueur de l'acte mis en cause (RO 100 Ia 382, 99 Ia
405). Lors des travaux de revision de l'art. 27 Cst. cant., en 1961,
il avait été question de subordonner la recevabilité de l'initiative
modificatrice ou extinctive à l'observation d'un tel délai (Bulletin du
Grand Conseil, printemps 1961, p. 169; cf. également l'avis de droit du
Professeur Bridel). Mais cette solution, qui était d'ailleurs liée au
projet d'introduction du référendum facultatif généralisé, n'a finalement
pas été retenue.

Erwägung 8

    8.- Une demande de reconsidération peut être déclarée irrecevable
lorsqu'elle est abusive (RO 94 I 126).

    Le Grand Conseil paraît considérer que tel est le cas en l'espèce. Il
relève que les signataires de l'initiative auraient pu tenter de s'opposer,
en formant une demande de référendum, à la réalisation de l'ouvrage qu'ils
incriminent; l'art. 27 ch. 1 Cst. vaud. ne devrait pas avoir pour but
d'accorder aux citoyens la faculté de suppléer à leur défaut de vigilance
ou à leur carence dans l'exercice de leur droit d'opposition.

    Les recourants ont exposé qu'ils ne pouvaient connaître la portée de
la décision prise à la lecture du décret du 9 mai 1972, parlant de la
"réfection" de la route cantonale. C'est en effet en septembre 1973,
après la publication du rapport final du plan directeur de la région
lausannoise (plan dit CIURL), qu'ils ont pu connaître le tracé de la
nouvelle route, qui devrait constituer un tronçon de la route de ceinture
dont ils contestent l'opportunité. Le Grand Conseil admet d'ailleurs,
dans son mémoire de réponse, que le décret du 9 mai 1972 n'a en réalité
pas pour objet la correction d'une route, mais bien la construction d'un
tronçon de route nouveau. Or ni l'intitulé du décret, ni son texte ne
l'indiquent. Rien ne permet donc de dire que le procédé des recourants
viole le principe de la bonne foi (RO 100 Ia 385/86, 94 I 126/127).

Erwägung 9

    9.- Selon la jurisprudence, une initiative tendant à la reconsidération
d'une décision peut être déclarée irrecevable lorsqu'il serait pratiquement
impossible de revenir sur la décision mise ne cause et que le but visé
ne pourrait ainsi pratiquement être atteint (RO 99 Ia 406, 94 I 126,
92 I 359; arrêt du 24 juin 1965 en la cause Zogg et Oeschger, consid. 3,
publié in ZBl 67/1966, p. 36; KÄGI, Rechtsfragen der Volksinitiative auf
Partialrevision, RDS 1956 II 844 a).

    a) Il convient dès lors d'examiner le contenu du décret du 9 mai
1972 pour savoir si l'exécution de l'initiative se heurte en l'espèce à
une impossibilité matérielle. Cet acte contient des dispositions d'ordre
financier; il accorde en effet au Conseil d'Etat un crédit de 3'200'000
fr. en vue de travaux de correction d'une route et de l'amortissement de
cette dépense (art. 1 à 3). Il autorise en outre l'autorité exécutive à
procéder, dans le cadre de ces travaux, à toutes aliénations et à toutes
acquisitions d'immeubles nécessaires, notamment par voie d'expropriation
(art. 4). S'il entraîne une dépense extra-budgétaire, ce décret ne se
limite pas au vote d'un crédit. D'après son texte, il donne au Conseil
d'Etat les moyens juridiques pour procéder à la construction de la route
(aliénations, acquisitions et expropriations d'immeubles, prise de
possession anticipée).

    b) On peut se demander si la décision de ne pas soumettre au vote
populaire une initiative tendant à l'abrogation d'un décret peut être
tirée de l'impossibilité de principe d'annuler un crédit, une fois
que celui-ci a été voté. Plusieurs auteurs remarquent à cet égard que,
dans le référendum financier, l'examen du peuple porte non pas sur le
crédit lui-même, mais bien plutôt sur les décisions de la collectivité
entraînant les dépenses que ce crédit doit couvrir. Ainsi, lorsqu'il
s'agit de travaux publics, ce n'est pas l'octroi du crédit, mais la
décision relative à la construction qui devrait être l'objet du vote
populaire (IMBODEN, Unmittelbare Demokratie und öffentliche Finanzen,
in Staat und Recht, p. 171; H. NEF, Erneuerung des Finanzreferendums,
in Der Staat als Aufgabe, p. 255 ss; LAUR, Das Finanzreferendum im Kanton
Zürich, thèse Zurich 1966, p. 133 ss).

    En l'espèce, le fondement juridique du décret du 9 mai 1972 est
l'art. 17 de la loi vaudoise sur les routes, du 25 mai 1964 (LR). Selon
cette disposition, les constructions et corrections de routes cantonales
sont ordonnées par décret du Grand Conseil si le coût excède 250'000 fr.,
et par le Conseil d'Etat si la dépense n'atteint pas ce chiffre. En vertu
de l'art. 10 LR, le Conseil d'Etat adopte, au fur et à mesure des besoins,
les projets et les tracés définitifs. Le Grand Conseil ne décide pas
lui-même du tracé de la route; il autorise l'autorité exécutive à dépenser
un certain montant en vue de la construction de cette dernière. Dès lors,
on peut admettre que les art. 1 à 3 du décret du 9 mai 1972 ont une portée
essentiellement financière. La situation ne se présente donc pas in casu de
la même manière que dans d'autres espèces jugées par le Tribunal fédéral
et où il était demandé, par la voie de l'initiative, de revenir sur une
décision concernant la construction d'ouvrages entreprise par l'autorité
(RO 99 Ia 403 ss, 94 I 120 ss). Les signataires de l'initiative n'ont
pas non plus proposé en l'espèce le vote d'un acte législatif retirant
au Conseil d'Etat la compétence que lui donne la loi de décider du tracé
d'une route. Ils ont entendu obtenir l'abrogation du décret du 9 mai 1972,
en particulier de ses art. 1 à 3, qui allouent des crédits au Conseil
d'Etat pour la construction de la route.

    Ainsi que cela a été relevé, une telle abrogation ne saurait avoir
effet rétroactif en ce sens qu'elle conduirait à un remboursement des
sommes dépensées. Mais faut-il admettre qu'une telle abrogation est
impossible en raison du fait qu'un crédit une fois voté est définitivement
alloué? Selon GIACOMETTI, la question de savoir si l'on peut revenir par
une nouvelle décision soumise au vote du peuple sur un acte administratif
adopté en votation populaire ne se pose en général pas, car les actes
de cette nature, notamment les mesures financières, sont dans la règle
consommés par leur exécution (Das Staatsrecht der Schweiz. Kantone,
p. 443, n. 29).

    Il n'est toutefois pas nécessaire d'examiner plus avant cette
question, car le texte même du décret du 9 mai 1972 permet de déduire
que le vote d'un crédit n'a pas pour effet de rendre celui-ci définitif
et n'empêche pas son annulation ex nunc. En effet, l'art. 1 de cet acte
dispose expressément qu'un crédit de 400'000 fr., accordé antérieurement
au Conseil d'Etat pour un autre but, est transféré pour la correction
de la route RC 559e. Si un crédit peut ainsi être transféré, il doit
également pouvoir être annulé dans la mesure où il n'a pas été entièrement
dépensé. La décision de ne pas soumettre l'initiative populaire ne saurait
donc se justifier en l'espèce par un argument tiré de l'impossibilité de
principe d'annuler un crédit déjà voté.

    c) Il convient d'ailleurs d'interpréter l'initiative d'après le sens
qui a été évidemment voulu par ses auteurs. En demandant l'abrogation du
décret du 9 mai 1972, ceux-ci ont entendu obtenir l'arrêt des travaux
de correction de la route autorisée par le Grand Conseil. Selon la
jurisprudence, l'inviolabilité du droit de vote exige que, lorsqu'il
s'agit de décider de la recevabilité d'une initiative, cette dernière soit
interprétée dans le sens le plus favorable aux initiants. Lorsqu'une
initiative peut, d'après les règles générales d'interprétation des
textes juridiques, être interprétée dans un sens qui ne permette pas de
la considérer comme étant manifestement et indubitablement inexécutable,
il faut la déclarer recevable et la soumettre au vote populaire (arrêt
Zogg et Oeschger précité, consid. 3).

Erwägung 10

    10.- Il y a lieu enfin d'examiner si le Grand Conseil pouvait en
l'espèce déclarer l'initiative irrecevable, en considérant qu'elle se
heurtait à une impossibilité matérielle, en raison de l'état d'avancement
des travaux ordonnés par le décret dont l'abrogation était demandée.

    Selon la jurisprudence, c'est au moment où l'initiative a été déposée
en mains de l'autorité compétente qu'il convient de se placer pour
juger de la possibilité d'y donner suite (RO 94 I 126 consid. 4b). Si
cette règle devait être appliquée in casu, il n'est guère douteux que
l'initiative aurait dû être déclarée recevable. Cette jurisprudence ne
peut toutefois être maintenue. Si elle présente l'avantage de permettre
la fixation aisée du moment déterminant, elle ne tient en revanche pas
compte d'une manière satisfaisante du fait que l'initiative n'entraîne
aucun effet suspensif. Ainsi que l'a relevé le Tribunal fédéral dans son
arrêt du 7 août 1974 en la cause Comité d'initiative contre la grande
ceinture lausannoise, on ne saurait considérer comme étant compatible
avec nos institutions démocratiques qu'une loi ou un décret, adoptés
avec l'approbation tacite ou expresse du peuple, puissent ne pas être
exécutés en raison de l'intention de quelques citoyens de s'y opposer par
la voie de l'initiative. Le seul fait que cette dernière ait abouti ne
peut conduire à une autre conclusion, et le principe dégagé dans l'arrêt
précité vaut à tout le moins tant que l'autorité compétente ne s'est
pas prononcée sur la recevabilité de l'initiative. On ne saurait donc
reprocher à l'autorité chargée de l'exécution des lois et des décrets
de vouloir créer une situation irréversible en poursuivant des travaux
exécutés en vertu de l'acte dont l'abrogation est demandée. En l'espèce,
le décret du 9 mai 1972 avait été régulièrement voté; il n'avait pas été
attaqué par la voie du référendum. Le Conseil d'Etat était donc tenu de le
mettre à exécution, et les citoyens approuvant les travaux critiqués par
les auteurs de l'initiative auraient pu se plaindre si ceux-ci n'avaient
pas été effectués.

    Dès lors, la règle jurisprudentielle est critiquable dans la mesure
où l'autorité compétente pour statuer sur la recevabilité d'une initiative
doit prendre en considération une situation qui ne correspond plus à celle
qui existe au moment où la décision est prise. Ainsi, une initiative dont
l'objet n'était pas inexécutable au moment où elle a abouti pourrait
en fait se heurter à une impossibilité matérielle au moment déjà où
l'autorité compétente, qui s'est saisie de l'affaire avec diligence, se
prononce sur sa recevabilité et, à plus forte raison, lors de la votation
populaire. Le Tribunal fédéral a certes admis que c'est aux électeurs, et
non à l'autorité chargée de statuer sur la recevabilité de l'initiative,
qu'il appartient de peser les avantages et les inconvénients résultant
d'une interruption des travaux (RO 99 Ia 406 consid. 4c, 94 I 126
consid. 4). Mais encore faut-il que ceux-ci puissent être interrompus, ce
qui n'est pas le cas lorsqu'ils sont en voie d'achèvement ou même terminés.

    On doit ainsi admettre, en raison même du caractère de l'initiative,
que, pour statuer sur la recevabilité de cette dernière, il convient de
se placer à un moment le plus proche possible de celui où l'initiative
devrait être soumise au vote populaire. On peut certes hésiter quant au
choix de ce moment et se demander s'il convient de le faire coïncider
avec la date probable de la votation ou plutôt avec celle à laquelle
l'autorité compétente statue sur la recevabilité de l'initiative. Divers
arguments, faisant valoir notamment le respect de la volonté populaire,
le devoir d'exécution des actes régulièrement votés, le pouvoir de
l'autorité compétente de proposer, le cas échéant, un contre-projet,
celui des auteurs de l'initiative de la retirer, peuvent être invoqués en
faveur de l'une ou de l'autre de ces solutions. Il n'est toutefois pas
nécessaire de trancher ce point in casu. Il suffit de constater que la
jurisprudence actuelle ne peut être maintenue, et que c'est au plus tôt
au moment où l'autorité compétente statue sur la possibilité de donner
suite à l'initiative qu'il convient de se placer pour élucider cette
question. En l'espèce, il faut admettre que les travaux de construction
de la route étaient suffisamment avancés pour que le Grand Conseil puisse
considérer que l'initiative se heurtait à une impossibilité matérielle
et qu'elle était pour ce motif irrecevable.

    Le recours doit dès lors être rejeté.