Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 101 IA 252



101 Ia 252

42. Extrait de l'arrêt du 17 juin 1975 en la cause Ernst c. Conseil d'Etat
du canton de Fribourg. Regeste

    Art. 85 lit. a OG; Meinungsäusserungsfreiheit.

    Das Reklameverbot für einen Film, der eine neue Abtreibungsmethode
zeigt, hindert die Verfechter einer vollständigen Liberalisierung
der Abtreibung nicht an der Ausübung ihrer politischen Rechte; es
beeinträchtigt hingegen die Meinungsäusserungsfreiheit.

Sachverhalt

    A.- Au nom du Mouvement de libération de la femme (MLF), à Fribourg,
Véronique Rütsche a demandé à la Préfecture du district de la Sarine,
l'autorisation de projeter dans cette ville, le 31 mai 1974, le film
intitulé "Histoire d'A". Délivrée le 27 mai, l'autorisation requise
prévoyait que la représentation aurait lieu à l'Hôtel de la Tête-Noire.

    Les organisateurs du spectacle le recommandèrent dans un tract, rédigé
en allemand et en français, portant le nom de Marie-Louise Ernst. Le
texte français est libellé en ces termes:

    "HISTOIRE D'A

    UN FILM SUR L'AVORTEMENT

    Ce film correspond à la réalité. Il présente la nouvelle méthode
   d'avortement connue sous le nom de "Karman" (méthode par aspiration).

    Celle-ci peut être appliquée jusqu'à la dixième semaine de grossesse.

    CE FILM EST INSTRUCTIF POUR FEMMES ET HOMMES, QU'ILS SOIENT POUR OU

    CONTRE L'AVORTEMENT.

    A la demande une discussion aura lieu après le film."

    Le 29 mai, le chef de la police de sûreté informa le préfet du district
de la Sarine que le tract avait été distribué le matin aux élèves du
Collège Saint-Michel et que le film devait être interdit en France. Le
même jour, sur l'ordre du préfet, un agent avisa Véronique Rütsche que
l'autorisation était retirée jusqu'à ce que le film ait été visionné; il
la priait d'en remettre les bobines à la Préfecture, avant le 31 mai, aux
fins de contrôle. Cette communication, établie sur un papier sans en-tête
et non signée, fut déposée dans la boite à lettres de la destinataire,
absente de son domicile lors du passage de l'agent.

    Le 30 mai, en tant que porte-parole du MLF, Marie-Louise Ernst adressa
à la Préfecture une lettre recommandée qui conteste, pour des raisons de
forme et de fond, la validité du retrait de l'autorisation accordée.

    Ce jour encore, le préfet répondit à Marie-Louise Ernst que la
projection du film était soumise aux conditions suivantes:

    "1. Aucune publicité ne sera faite.

    2. L'entrée sera interdite aux personnes de moins de 18 ans."

    Il se déclarait prêt à donner des renseignements complémentaires.

    Selon un rapport de la police de sûreté, la manifestation eut lieu à
la date et à l'endroit fixés, en présence de quelque deux cents personnes,
âgées pour la plupart de moins de trente ans. La séance de cinéma fut
suivie d'une discussion. Les conditions posées par le préfet ont été
respectées.

    Le 22 octobre 1974, le Conseil d'Etat du canton de Fribourg rejeta
le recours que Marie-Louise Ernst avait formé, au nom du MLF, contre la
décision préfectorale. Le Tribunal fédéral a admis le recours de droit
public formé contre cet arrêté et l'a annulé dans la mesure où il approuve
l'interdiction de faire de la réclame en faveur du film "Histoire d'A".

Auszug aus den Erwägungen:

                    Considérant en droit:

Erwägung 3

    3.- Dans son recours cantonal, la recourante s'en était prise aux deux
conditions dont le préfet avait fait dépendre la projection du film, soit
à la limitation de l'âge d'admission et à l'interdiction de la réclame. Le
recours de droit public portant uniquement sur ce second point, les moyens
de fond soulevés par la recourante ne doivent être examinés qu'en ce qui
le concerne.

    a) La recourante voit dans la décision attaquée une atteinte à ses
droits politiques. Ce grief n'est pas fondé.

    Lorsqu'elle est invoquée dans un recours de droit public, la notion
de droits politiques doit être entendue au sens qui lui est attribué à
l'art. 85 lit. a OJ. Dans cette acception, elle comprend non seulement
le droit de participer aux votations et aux élections populaires, mais
aussi celui de signer une demande de référendum ou une liste d'initiative
(RO 97 I 895). En vertu de ses droits politiques, un citoyen peut former
un recours de droit public contre le refus de consulter les électeurs
sur une demande de référendum ou une initiative valables (RO 100 Ia 388;
98 Ia 640), ainsi que contre la décision de leur soumettre une initiative
inconstitutionnelle ou illégale (RO 100 Ia 381; 99 Ia 729 s.). De plus, il
a la faculté d'attaquer par le même moyen les irrégularités de la procédure
électorale, de même que les scrutins dont le résultat a été faussé ou
constaté inexactement (RO 99 Ia 644; 98 Ia 78, 621; cf. BIRCHMEIER,
Bundesrechtspflege, p. 341 s.).

    En l'espèce, la recourante veut sans doute faire valoir que
les partisans de l'avortement libre ou de l'allégement des peines
prévues en cas d'avortement ont été entravés dans l'exercice de leurs
droits politiques par l'interdiction de la publicité en faveur du film
"Histoire d'A", qui présente une nouvelle méthode d'interruption de la
grossesse. Il est vrai qu'une initiative populaire régulièrement déposée
le 1er décembre 1971 tend à faire introduire dans la constitution
fédérale une disposition sur la "décriminalisation" de l'avortement
(FF 1971 II p. 2045; cf. également FF 1974 II p. 706 ss), qu'elle fut
abondamment discutée, cette année même, par le Conseil national au cours
de sa session de printemps (Bull.stén. CN 1975 p. 208 ss), et qu'elle
sera incessamment soumise au Conseil des Etats. Toutefois, les débats
parlementaires n'étant pas terminés, les électeurs ne seront pas appelés
à voter avant plusieurs mois. Dès lors, bien que le film "Histoire d'A"
se rapporte à une question qui sera probablement soumise au peuple tôt ou
tard, la mesure prise par le préfet et approuvée par le Conseil d'Etat
n'est pas liée assez étroitement au scrutin envisagé pour affecter les
droits politiques de la recourante au sens de l'art. 85 lit. a OJ. Il n'en
reste pas moins que le caractère politique du problème de l'avortement
influe sur le sort du présent recours, ainsi qu'il ressort de l'examen
du moyen déduit de la garantie de la liberté d'opinion.

    b) Reconnue par certaines constitutions cantonales, la liberté
d'opinion fait partie des droits constitutionnels non écrits du degré
fédéral (RO 100 Ia 399). Elle doit être respectée dans le canton de
Fribourg, quand bien même la constitution de ce canton ne l'énonce pas
expressément. Une opinion est un jugement émis sur un objet quelconque,
en particulier sur une personne, son comportement, voire ses propres
opinions. Après avoir contesté - à propos de la liberté de la presse, il
est vrai - qu'un film serve à l'expression d'opinions (arrêt Burckhardt
et cons., du 14 juin 1918), le Tribunal fédéral a laissé entendre que les
représentations cinématographiques bénéficient de la liberté d'opinion
dans la mesure où elles visent à instruire (RO 87 I 288). Il n'a pas
tardé toutefois à élargir la portée de la garantie constitutionnelle,
notamment en ce qui concerne la projection de films. Il a ainsi admis
qu'au sens du par. 6 de la constitution lucernoise, la notion d'opinion
embrasse non seulement les manifestations de la pensée, prises de position,
jugements de valeur, conceptions, etc., mais aussi la création artistique
et ses produits. Un film qui se présente comme une pure oeuvre d'art est
protégé constitutionnellement (ZBl 64/1963 p. 365; cf. J.-D. PERRET, La
liberté d'opinion face à l'Etat, thèse Neuchâtel 1968, p. 43 s.). Cette
manière de voir est toujours actuelle (cf. RO 101 Ia 150).

    La recourante peut donc en l'espèce se prévaloir de la liberté
d'opinion. Le tract distribué par le MLF qualifie l'"Histoire d'A" de
"film instructif pour femmes et hommes, qu'ils soient pour ou contre
l'avortement". Même s'il ne s'agit pas d'un film à thèse proprement dit,
destiné à rallier les spectateurs à une cause déterminée, l'"Histoire
d'A" a été utilisée par le MLF comme un moyen de répandre les idées
qu'il défend; preuve en est que la projection du film a été suivie d'une
discussion. Dans ces conditions, puisqu'un film à vocation artistique
est censé exprimer une opinion au sens de la jurisprudence, il en est de
même, à plus forte raison, de l'"Histoire d'A", qui a servi d'instrument
de propagande.

    A la vérité, le Tribunal fédéral a jugé que les entreprises
cinématographiques jouissent de la liberté du commerce et de l'industrie
en vertu de l'art. 31 Cst. et que, dans la mesure où ils respectent
cette disposition, les actes cantonaux qui tendent à protéger l'ordre
public et les bonnes moeurs ne peuvent violer une autre liberté
constitutionnelle, notamment celle d'opinion (RO 87 I 117). Cependant,
cette jurisprudence, qui soulève la question controversée du concours
des droits constitutionnels (cf. C.-A. MORAND, Tendances récentes dans
le domaine de la liberté d'expression, p. 29 s.; SALADIN, Grundrechte im
Wandel, p. 80), ne s'applique pas dans le cas particulier. Tout d'abord,
bien qu'elle se soit plainte devant le Conseil d'Etat d'une lésion de la
liberté du commerce et de l'industrie, la recourante a renoncé à invoquer
ce moyen dans le présent recours. De plus, en organisant la projection du
film "Histoire d'A", le MLF ne paraît pas avoir visé le but lucratif qui
caractérise les activités couvertes par l'art. 31 Cst. (AUBERT, Traité
de droit constitutionnel suisse, tome 2, No 1873, p. 670; FAVRE, Droit
constitutionnel suisse, 2e éd., p. 379; FLEINER/GIACOMETTI, Schweiz.
Bundesstaatsrecht, p. 282). Or, en l'absence de concours parfait ou
imparfait entre deux libertés, il n'y a pas lieu de se demander si un acte
admissible au regard de l'une est nécessairement compatible avec l'autre.

    c) La liberté d'opinion n'est pas absolue. Pour être valables, ses
limitations doivent reposer sur une base légale, à moins qu'elles ne
se justifient en vertu de la clause générale de police; il faut en outre
qu'elles tendent à sauvegarder un intérêt public, tel l'intérêt au maintien
de l'ordre, de la sécurité, de l'hygiène et de la moralité publics (cf. RO
101 Ia 150). Lorsque la base requise consiste dans un texte de loi ou
une ordonnance, le Tribunal fédéral n'en revoit l'application que sous
l'angle de l'arbitraire. En revanche, il examine en principe librement
si l'interprétation non arbitraire du texte répond à un intérêt public
suffisant (RO 87 I 119). Dans le domaine de la censure cinématographique,
il a tranché cependant avec retenue la question de l'intérêt public,
estimant qu'il incombe en premier lieu aux autorités cantonales de
faire respecter l'ordre et la moralité publics, que les mesures propres
à cet effet varient selon les circonstances ou les conceptions locales
et que les appréciations portées sur la qualité d'un film dépendent de
considérations personnelles (RO 87 I 119; ZBl 64/1963 p. 366); ainsi, il
se cantonne pratiquement sur le terrain de l'arbitraire. Quoique critiquée
par la doctrine (MORAND, op.cit., p. 39; PERRET, op.cit., p. 46; SALADIN,
op.cit., p. 77 ss), la réserve dont fait preuve le Tribunal fédéral peut
se justifier lorsque le problème de l'intérêt public est lié dans un cas
concret à des contingences locales ou personnelles. Toutefois, en dehors
de cette hypothèse, il n'y a aucune raison de déroger à la règle selon
laquelle le Tribunal fédéral se prononce sans restriction sur l'intérêt
public des limitations d'un droit constitutionnel. En l'espèce, où se
posent des questions générales, il exercera donc pleinement son pouvoir
de contrôle.

    Le Conseil d'Etat constate que la projection du film "Histoire d'A"
se rapproche des spectacles interdits par l'art. 10 de la loi du 1er
février 1949 sur les cinémas et les théâtres, ainsi que par l'art. 39 du
règlement d'exécution du 2 mai 1949; l'interdiction de faire de la réclame
en faveur de ce film ne serait donc pas inconstitutionnelle. La première
de ces dispositions interdit "les spectacles contraires à l'ordre public
et aux bonnes moeurs", alors que la seconde considère comme tels, sous
lettre a, "les spectacles de nature à troubler la paix et spécialement
ceux qui sont de nature à suggérer ou à provoquer des actes criminels
ou délictueux ou à blesser le sentiment religieux de la population". Il
est soutenable d'admettre que l'"Histoire d'A" tombe sous le coup de
ces textes, qui constituent donc la base légale nécessaire: d'une part,
en décrivant un nouveau procédé d'interruption de la grossesse, le film
en cause peut encourager le recours à l'avortement, qui est réprimé en
tant que crime ou délit; d'autre part, dans la mesure où il s'oppose à la
doctrine de l'Eglise catholique, il était propre à offusquer une partie
importante de la population fribourgeoise. Encore faut-il examiner si
cette solution, défendable au regard des textes, se concilie avec les
exigences de l'intérêt public.

    L'arrêté attaqué insiste sur le risque que l'"Histoire d'A" n'incite
à transgresser la loi pénale. Certes, d'après la jurisprudence, il s'agit
là d'un juste motif d'interdiction (RO 87 I 120 s.). Toutefois, quelle
que puisse être l'influence de ce film sur le nombre des interruptions de
grossesse, une autre considération est ici déterminante. Si l'avortement
est un crime ou un délit, il se singularise parmi les infractions
pénales. Sa punissabilité même est mise en cause dans plusieurs pays
et de vastes milieux. Les discussions suscitées par sa répression ont
entraîné, dans plus d'un Etat, des modifications législatives et par suite,
notamment dans la République fédérale d'Allemagne, des contestations
retentissantes devant la Cour constitutionnelle. En Suisse, l'initiative
sur la "décriminalisation" de l'avortement, la proposition du canton
de Neuchâtel d'abroger les dispositions du Code pénal suisse en matière
d'avortement, la motion tendant à leur assouplissement (cf. FF 1974 II
710/711), ainsi que les récents débats du Conseil national ont alimenté
des controverses auxquelles la presse, la radio et la télévision font
une large place. Les électeurs seront vraisemblablement consultés un jour
sur la réforme des textes en vigueur. Le problème de l'avortement dépasse
donc, à l'heure actuelle, le cadre de la morale individuelle pour prendre
un aspect de politique nationale. Dans ces circonstances, une autorité
cantonale ne saurait interdire en raison de son sujet une conférence sur la
libéralisation de l'avortement. Or, ce qui est vrai pour une conférence,
l'est également pour la représentation cinématographique organisée en
l'espèce, celle-ci n'ayant probablement pas encouragé, plus qu'un exposé
oral ne l'aurait fait, certaines femmes à mettre fin à une grossesse.
Autrement dit, l'intérêt public invoqué par le Conseil d'Etat, à savoir
l'intérêt à éviter l'aggravation de la délinquance, se heurte dans le
cas particulier à un intérêt de même nature, mais plus important.

    Il ressort en outre de l'arrêté attaqué qu'en prônant un comportement
contraire à la doctrine de l'Eglise catholique, l'"Histoire d'A" est propre
à blesser le sentiment religieux de la population. Ce n'est cependant pas
un motif suffisant pour interdire la publicité en faveur de ce film. En
principe, dans une démocratie, chacun a le droit d'exposer ses vues sur
un sujet d'intérêt public, même si elles déplaisent à certains (cf. RO
97 I 901). La majorité ne peut prétendre réduire la minorité au silence.

    Il est clair que l'expression d'opinions outrageantes ou obscènes,
qui tombe de ce fait sous le coup du Code pénal, ne peut bénéficier
d'une autorisation. Il en est de même lorsqu'elle menace d'engendrer
des troubles que la police serait incapable de maîtriser. Ces hypothèses
n'étaient cependant pas réalisées en l'espèce. Le Conseil d'Etat ne
critique pas la forme du film, dont la projection n'a créé aucune
agitation. Les agents qui ont assisté à la présentation de la nouvelle
méthode d'interruption de grossesse - soit la méthode par aspiration -
se bornent à parler d'une opération "simpliste", sans faire allusion à
un risque de désordre.

    En ce qui concerne l'interdiction de la réclame, l'arrêté attaqué
ne fait pas état non plus du refus de remettre au préfet les bobines du
film. C'est avec raison. En ne déférant pas à une injonction émise sur
un papier sans en-tête et non signée, les représentantes du MLF n'ont
pas commis un acte d'insubordination. Elles ont simplement manqué de
bonne volonté, ce dont on ne saurait tirer contre elles une conséquence
juridique.

    Ainsi, l'interdiction de faire de la publicité en faveur du film
"Histoire d'A" portait atteinte à un intérêt public prépondérant. Dès
lors, en tant qu'il couvre cette interdiction, l'arrêté attaqué est
inconstitutionnel et doit être annulé.